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INTRODUCTION.
ОглавлениеLA Lithographie est si généralement employée aujourd’hui, et les applications que l’on en fait sont si multipliées, que je crois rendre un service essentiel au grand nombre de personnes qui s’en occupent, en leur indiquant les moyens les plus faciles, les plus sûrs et les plus prompts d’exécuter des Dessins sur pierre, selon les différentes manières auxquelles ce genre se prête. En leur communiquant ce que j’ai appris de l’expérience, depuis que j’ai donné à un art presqu’inconnu jusque-là en France, des développemens importans, j’aspire à leur épargner un tems précieux, qu’autrement elles consacreraient peut-être à des essais infructueux.
Leur rendre le travail moins difficile et plus agréable, applanir, autant qu’il est en moi, les difficultés qui se présentent lorsqu’on emploie des matériaux nouveaux, tel est le but que je me propose. Il m’est permis de croire que les lumières que j’apporterai sur cette matière, mettront ceux qui ne repoussseront point mes avis,à même de perfectionner leurs ouvrages, autant du moins que leurs études préalables leur en donneront la faculté. C’est surtout en les initiant à la connaissance du procédé que j’ai découvert et auquel j’ai donné le nom de lavis, ou aqua tinta Lithographique, que je leur ferai faire un pas immense vers la perfection. L’amélioration, la supériorité des Dessins, exécutés par les personnes que j’ai fait participer aux avantages de mes découvertes viennent à l’appui de mon assertion.
Sans vouloir juger les intentions de ceux qui ont tenté de me priver du fruit de mes recherches, en prétendant que d’autres avant moi avaient connu et fait connaître le procédé du lavis lithographique, je puis affirmer, avec toute vérité, que, malgré les tentatives réitérées de plusieurs Lithographes de divers pays, aucun dessin n’avait été fait au lavis, avant ceux qui étaient au nombre des produits de mon Établissement exposés au Louvre en 1819. Ce n’est qu’en 1820, que recueillant mes idées et les mettant à profit, d’autres personnes ont publié des ouvrages qui pouvaient avoir quelque ressemblance avec les miens; mais dans cette discussion, où il s’agit de mon intérêt personnel, mon témoignage serait peut-être insuffisant, c’est donc à M. Mérimée que je laisse le soin de répondre à ceux qui me disputent le mérite d’une invention utile. Voici le rapport qu’il adressait à la Société d’Encouragement en 1821:
«MESSIEURS,
» Vous savez par expérience que les encoura-
» gemens, accordés aux découvertes ou au perfec-
» tionnement qui paraissent les plus susceptibles
» d’heureuses applications, ne sont pas toujours
» justifiés par les résultats ultérieurs.
» Il y a souvent une distance immense entre
» l’invention d’un procédé et son emploi perfec-
» tionné. Des obstacles impossibles à prévoir se
» découvrent au moment de l’application, retar-
» dent pendant long-tems le succès dont on se
» croyait le plus assuré, et quelquefois même
» s’y opposent invinciblement.
» Aussi, quelle satisfaction ne devez-vous pas
» éprouver lorsque vous voyez prospérer un éta-
» blissement dont vous avez encouragé la for-
» mation.
» Cette douce récompense de vos soins vous
» est offerte aujourd’hui par M. Engelmann.
» Vous lui accordâtes, en 1816, une médaille
» d’argent ; il vient vous soumettre de nou-
» veaux produits dont la perfection justifie les
» espérances que vous aviez conçues de ses
» talens.
» Vous nous avez chargés, MM. Jomard,
» Humblot et moi, d’examiner les gravures qu’il
» vous a présentées et de visiter son établisse-
» ment. Je vais avoir l’honneur de vous rendre
» compte au nom de mes collègues, des perfec-
» tionnemens qui nous ont paru les plus remar-
» quables.
» Les essais que M. Engelmann présenta en
» 1815 ne permettaient pas de douter que la
» Lithographie ne dût parvenir à un haut point
» de perfection, du moment que des hommes
» habiles voudraient y consacrer leurs talens; et le
» genre du crayon surtout devait leur en inspirer
» le désir, à cause du peu de difficulté qu’il pré-
» sentait en apparence: aussi nos artistes les plus
» distingués s’empressèrent - ils de crayonner
» quelques dessins sur la pierre, d’où par un
» polytypage merveilleux, ils étaient ensuite
» reproduits en un nombre considérable de con-
» tre-épreuves identiques.
» Ce genre de Lithographie devait donc être
» le plutôt perfectionné ; cependant, à cette
» époque, il était encore bien loin du point où
» il a été porté depuis: aussi, dans le rapport
» que M. le comte de Lasteyrie vous fit le 10
» décembre 1815 , il vous disait que la Li-
» thographie, qui parait un art si simple aux
» yeux de ceux qui ne l’ont examinée que su-
» perficiellement, présente, dans l’exécution,
» des difficultés, dont plusieurs avaient été jus-
» que - là insurmontables; que même les plus
» habiles artistes de Munich, quoiqu’ils fussent
» guidés par une expérience de quinze années,
» échouaient encore fréquemment lorsqu’il s’agis-
» sait de dessins délicats.
» En effet, à cette époque on ne pouvait pas
» répondre du succès d’une planche, et on n’en
» tirait qu’un petit nombre de bonnes épreuves.
» La pierre mouillée ne repoussait pas toujours
» le noir d’impression; il se formait des taches
» qui devenaient plus sensibles à chaque tirage;
» le noir débordait les traits sur lesquels le rou-
» leau doit le fixer, et lorsque les hachures du
» dessin étaient serrées, elles n’offraient plus en
» peu de tems qu’une masse de noir. Comme
» on n’avait pas encore trouvé le moyen de re-
» toucher, il fallait abandonner la planche, ou
» se résoudre à n’en tirer que des épreuves dé-
» fectueuses; d’un autre côté, on voyait dispa-
» raître en partie des travaux légers qui n’avaient
» pas contracté assez d’adhérence avec la pierre.
» » Ajoutons à cela que les premières épreuves
» étaient toujours perdues; elles ne servaient
» qu’à détacher de la pierre toute la matière du
» crayon, restée à sa surface. Les épreuves ne
» commençaient à être bonnes que lorsque la
» pierre était complètement nétoyée.
» Aujourd’hui, aussitôt qu’on a décomposé par
» une liqueur légèrement acide la matière savon-
» neuse employée pour former le dessin sur la
» pierre, on la dissout au moyen d’un peu d’es-
» sence de térébenthine et on l’enlève entière-
» ment, de sorte que la pierre paraît nue comme
» au moment où elle vient d’être polie; mais le
» rouleau fait bientôt reparaître tout le travail,
» en déposant le noir d’impression partout où le
» savon lithographique décomposé a laissé un
» peu de matière grasse dans les pores de la
» pierre.
» Enfin, quoique l’on soit encore obligé de
» laisser reposer la planche après un certain
» tems, elle sert beaucoup plus long - tems
» qu’autrefois, et lorsque l’on commence à s’a-
» percevoir de quelque altération, on peut en
» arrêter les progrès en nétoyant la pierre,
» comme on le fait avant de commencer le
» tirage.
» La gravure imitant la taille-douce offrait
» bien plus de difficultés encore, et exigeait un
» long apprentissage pour être pratiquée avec
» succès. Le plus habile graveur même n’aurait
» pu se flatter de réussir du premier coup; car,
» quoiqu’il soit bien plus difficile de manier le
» burin que de manier la plume, l’usage de l’un
» n’emporte pas nécessairement la faculté de se
» servir de l’autre. D’ailleurs, des obstacles maté-
» riels augmentaient la difficulté. L’encre litho-
» graphique s’étend sur la pierre polie au point
» que, dans les commencemens, on ne pouvait
» faire des traits déliés qu’en se servant du pin-
» ceau; il fallut donc chercher une préparation
» qui modifiât la surface de la pierre, de telle
» sorte que le trait formé à la plume ne s’élargit
» aucunement.
» Toutes ces difficultés ont été successivement
» surmontées, et dans tous les établissemens de
» Lithographie bien dirigés, il y a eu des décou-
» vertes qui, en étendant les moyens de l’art,
» ont contribué plus ou moins à ses progrès.
» Mais la plus importante, à notre avis, est
» celle de l’imitation du lavis appliquée à la Li-
» thographie. Je puis, Messieurs, vous donner,
» à ce sujet, des renseignemens positifs, parce
» que j’ai été témoin des circonstances qui ont
» accompagné son origine.
» Dès le temps où M. Engelmann vous fit
» connaître l’établissement qu’il avait formé à
» Paris, je l’avais engagé à faire des recherches
» sur les moyens de produire l’effet du lavis,
» et il m’avait répondu qu’il y pensait continuel-
» lement. Au mois de juin 1819, j’eus occasion
» de lui demander s’il avait trouvé quelque ré-
» sultat satisfaisant; il me répondit qu’il avait
» découvert un procédé fort simple en principe,
» mais dont il n’avait encore fait aucune appli-
» cation, parce qu’il n’était pas assez familier
» avec les opérations manuelles de la gravure
» au lavis, telle qu’elle est pratiquée sur le
» cuivre. Il me décrivit son procédé, qui me
» parut d’un succès tellement infaillible, que je
» l’engageai à s’en assurer sur-le-champ, en se
» bornant à faire sur une pierre une suite de
» teintes dégradées.
» Le lendemain, M. Engelmann m’apporta
» l’essai que j’avais demandé, et je me félicite
» de l’avoir conservé, puisque je puis le mettre
» sous vos yeux. Il ne s’agissait plus que de
» trouver un artiste habile, exercé à la ma-
» nutention du procédé du lavis: j’indiquai
» M. Baltard, et peu de jours après un paysage
» aussi bien exécuté qu’il eût pu le faire par le
» procédé de l’aqua tinta, fut le résultat de son
» premier essai.
» Cet essai, mis ensuite sous les yeux du Jury
» chargé d’examiner les produits de notre in-
» dustrie, attira son attention. La découverte
» fut reconnue; mais un exemple unique de
» l’application de ce procédé ne lui parut pas
» suffisant pour en constater le mérite. Il y a
» lieu de croire que si M. Engelmann eût pu, à
» cette époque, présenter les estampes du
» Voyage pittoresque de la France, ou l’Album
» composé par les artistes attachés à la manu-
» facture de Sèvres, le Jury n’eût pas borné sa
» récompense à une simple mention hono-
» rable.
» L’application de l’imitation du lavis à la Li-
» thographie nous paraît, Messieurs, une dé-
» couverte d’une haute importance; elle perfec-
» tionne le genre du crayon, en donnant le
» moyen d’exécuter les parties les plus délicates,
» telles que les ciels dans le paysage, que l’on
» ne pouvait bien exécuter même avec une
» adresse et une patience extrêmes. Dans beau-
» coup de circonstances, telles que la représen-
» tation des machines ou de l’architecture, ce
» procédé est infiniment préférable à celui du
» crayon. Quant à son exécution, il offre, pour
» la promptitude et la facilité, les mêmes avan-
» tages que la Lithographie présente dans tous
» les genres de travail qui lui sont applicables.
» Dans le procédé du lavis sur cuivre, lors-
» qu’on applique de l’eau-forte pour produire
» une teinte, on ne peut juger de l’intensité de
» cette teinte qu’en l’estimant par la durée du
» tems que le métal reste soumis à l’action de
» l’acide. Dans le lavis lithographique, on voit
» distinctement l’effet de la teinte à mesure
» qu’on la produit: aussi celui qui est au fait
» du procédé de la gravure au lavis sur cuivre,
» ne peut manquer de réussir la première fois
» qu’il essayera le lavis lithographique.....
» Vous n’attendez pas, sans doute, Mes-
» sieurs, que nous énumérions tout ce que les
» ateliers de M. Engelmann nous ont offert
» d’intéressant; nous ne pouvons cependant
» passer sous silence un nouveau système de
» presse qui économise le tems, au point d’ob-
» tenir un produit double. On y a adapté un
» compteur, qui n’embarrasse aucunement le
» mouvement et peut être fort utile. Cette presse
» n’est appliquée qu’à des pierres de petite di-
» mension. Si, comme nous avons lieu de le
» croire, elle réussit également en grand, elle
» devra être regardée comme un perfectionne-
» ment important.
» En voyant le haut degré de perfection où
» la Lithographie est parvenue, ne serait-on
» pas tenté de croire que l’art n’a plus rien ou
» presque rien à désirer? Nous sommes loin de
» vouloir ainsi assigner des bornes au génie;
» mais nous nous croyons fondés à penser que
» l’art peut se contenter des moyens qu’il a
» maintenant à sa disposition, et nous présu-
» mons que si la Lithographie doit faire de
» nouveaux progrès, on les devra principale-
» ment à l’artiste ingénieux qui consacre tout
» son tems et toutes ses facultés à la perfec-
» tionner.
» D’après ces motifs, nous croyons, Messieurs,
» que M. Engelmann s’est acquis de nouveaux
» droits aux récompenses par lesquelles vous
» signalez les perfectionnemens utiles aux arts.
» En conséquence nous avons l’honneur de vous
» proposer:
» 1° De lui témoigner la vive satisfaction
» que vous fait éprouver le succès de son
» établissement;
» 2° De renvoyer le présent rapport à la
» commission que vous chargerez de vous dé-
» signer ceux qui ont le plus de droit aux mé-
» dailles d’encouragement que vous accordez
» annuellement aux auteurs des découvertes
» les plus importantes.»