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VIII

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La journée avait été fatigante pour Maurice. Ce ne fut pas sans exhaler un long soupir de délassement qu'il se mit à table, et qu'il vit servir le dîner.

Selon un usage singulier, mais établi depuis longtemps dans la maison, les domestiques déposèrent en un seul service tous les mets sur la table et se retirèrent. Les portes furent ensuite fermées pour toute la durée du repas.

Après avoir replié les persiennes, tiré les rideaux, adouci l'éclat des lumières, Léonide ouvrit la porte qui communiquait avec la chambre à coucher.

Cette porte était double.

Léonide souleva ensuite entre l'une et l'autre porte la planche de chêne qui formait la cloison intermédiaire du tambour; elle la fit glisser de bas en haut dans une rainure très-douce, et un passage oblong, de la longueur de deux pieds, se fit et laissa voir un escalier de plusieurs marches.

Un jeune homme sortit par cette ouverture.

Le panneau resta suspendu.

Ce jeune homme s'assit familièrement entre Léonide et Maurice. Sa présence au milieu d'eux n'étant pas un événement, elle ne fut marquée par aucune parole de surprise; le silence d'usage couvrit les premiers instants du dîner.

– A-t-on des nouvelles de l'ouest? demanda-t-il ensuite avec beaucoup d'indifférence, et en se versant à boire.

– De mauvaises, lui répondit Maurice.

– Ah! – Il vida son verre d'un trait. – Et que dit-on?

– Je t'apprendrai cela plus tard, Édouard.

– Dis toujours: je t'écouterai de sang-froid; maintenant j'ai l'estomac apaisé. D'ailleurs les nouvelles mauvaises pour moi, n'en sont-elles pas de bonnes pour toi? Nous sommes ennemis, n'est-il pas vrai?

– Fou, n'auras-tu jamais de générosité pour mes opinions que tu réveilles toujours pour en médire, sans te pardonner tes médisances? Sommes-nous assez forts, toi ou moi, pour qu'il dépende de nous de faire triompher ou ta cause ou la mienne? Quand je me convertirais à tes principes, ou toi aux miens, admettons, qu'y aurait-il de changé aux événements? Je permets qu'on sacrifie à son parti le repos, la fortune, le bonheur même, tout, excepté l'amitié, parce que les partis sont impuissants à la rendre quand elle est perdue.

– Monsieur de Calvaincourt, ne le comprenez-vous pas, Maurice, aimerait à vous faire dire ce qu'il pense, afin de se dispenser de parler à table.

– Je vous remercie, madame, de la bonne opinion que vous avez de mon silence. Poursuis! tu parles trop bien pour que je ne continue pas à t'engager à me valoir de nouveaux éloges de madame. Ce pâté est excellent: encore une tranche.

– Mon mari l'a rapporté hier de Paris.

– Où j'irai demain.

– Où tu n'iras pas demain.

– Pourquoi cela? J'ai à y voir plusieurs personnes que je n'ai pas besoin de te nommer. Depuis ma retraite, c'est-à-dire depuis deux mois, je n'ai pas de leur nouvelles; et pourtant il serait nécessaire que je m'abouchasse avec elles, moins pour les rassurer sur mon sort que sur celui d'une autre tête plus précieuse que la mienne.

Léonide fit le mouvement de se lever.

Édouard la pria de se rasseoir.

– Il serait imprudent, Maurice, de leur écrire d'ici, et je ne te chargerai jamais de ma correspondance. Je partirai donc.

– Non, encore une fois; car tu n'as plus personne à voir à Paris. Tes amis, ceux dont tu parles, sont en fuite ou arrêtés. En veux-tu la preuve?

– Du courage, monsieur Édouard, dit Léonide en prenant la main du jeune homme: – de la résignation surtout: vous avez fait à votre parti assez de sacrifices pour n'avoir pas à vous reprocher l'inaction forcée à laquelle les circonstances vous condamnent.

– Vous m'alarmez. Que se passe-t-il donc d'extraordinaire en Vendée? Instruis-moi, Maurice.

– Mieux que personne, tu sais, Édouard, que la Vendée politique est à Paris, et qu'on y attise la guerre avec autant d'ardeur que dans l'ouest; seulement le noble faubourg, retranché derrière ses paravents chinois, dresse les plans de campagne et ne reçoit pas les coups de fusil. Tu prévois d'ici que ces rebelles de salons, qui protestent par des cocardes vertes et des proclamations boueuses glissées sous les portes cochères, ont compromis leur cause par des bravades intempestives et des assurances de succès plus dangereuses qu'une trahison. Il paraît que, ne sachant contenir leur joie à la nouvelle de quelques triomphes dus au retour douteux d'un chef inespéré au milieu des populations soulevées de la Vendée, ils ont illuminé leurs hôtels, et arrangé, sous le feu des lampions, un plan de régence dont la police a fait son profit avant la personne à qui il était destiné.

– Fatale imprudence! fit Édouard en serrant les poings; c'est la dixième fois, oui! depuis l'insurrection, que la jactance de ces gens-là nous perd. Le plus grand service qu'ils auraient pu nous rendre, c'eût été d'émigrer comme en 93. Au moins leur expulsion ou leur fuite, en faisant haïr le gouvernement, eût excité une irritation salutaire dont nous eussions tiré quelque avantage: ils n'ont pas compris ce désintéressement.

Je vous demande pardon, madame, si je mêle si souvent à nos repas des propos politiques. Ce n'est pas le moindre inconvénient de loger des proscrits.

Le notaire de Chantilly

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