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ОглавлениеDocteur Surnen Syrzon, Service Scientifique, Dispensaire, La Colonie
L'organisme qui se déplaçait sous le microscope se tordit et s'étira, engloutit totalement la cellule Prillon saine flottant dans le milieu de culture à proximité. Ce truc si minuscule, si fascinant, rendait les guerriers malades. Il ne tuait pas mes patients mais l'infection rendait malade de vigoureux combattants dans la fleur de l'âge. Ma mission consistait à l'identifier, la comprendre et l'éradiquer. Pas seulement pour ici, sur la Colonie, mais pour toute la Coalition. J'y étais presque.
—Dr Surnen ? Tu es attendu en salle de transport numéro 2.
Le Capitaine Trax se tenait à l'entrée de mon laboratoire. C'était le second que j'avais choisi—si jamais j'avais la chance d’épouser une femme—c’était un ami fiable. Il était enclin à réagir de façon excessive, son instinct de guerrier rendait chaque affaire pressante. Il avait grandi à bord d’un cuirassé, se battait depuis qu'il était assez grand pour tenir un pistolet laser, prenait des décisions hâtives auxquelles je préférais réfléchir un peu plus longuement.
J'étais médecin, chercheur. Nous appliquions tous deux le protocole à la lettre— moi, en tant que scientifique, lui, en tant que combattant impitoyable—nous estimions que les règlements garantissaient notre sécurité. Mais les trajets fréquents effectués vers la salle de Transport 2 pour vérifier l'arrivée des fournitures médicales devenaient usants. J'étais occupé et à deux doigts de mettre un point final au traitement qui viendrait à bout de cette maladie et accaparait tout mon temps.
Je ne quittai pas des yeux la cellule infectieuse qui continuait de dévorer la cellule Prillon désormais affaiblie, ne pris pas la peine de lever la tête pour répondre à Trax. J'ajoutai une goutte de liquide sur la lame et contemplai mon échantillon de sérum en train de tuer la bactérie. Je souris.
—Envoie un technicien. Je suis occupé.
Sa profonde expiration fut son unique preuve d'agacement à mon encontre.
—Surnen, joue pas au con.
Ainsi que le ton de sa voix. Le choix des mots.
—Je suis occupé.
Deux guerriers Prillons reposaient dans des modules ReGen et une demi-douzaine d'autres étaient en quarantaine dans leurs quartiers. Un autre que moi se chargerait de l'inventaire.
Je m'attendais à ce que Trax s'en aille, fasse ce que j'avais demandé et demande à un des médecins d'inspecter la nouvelle cargaison. Au lieu de cela, il s'avança plus avant dans la pièce.
—Tu refuses de m'accompagner en Salle de Transport Numéro 2 ?
—Oui, merde à la fin, aboyai-je. Fous le camp. J'ai déjà huit guerriers hors circuit avec cette putain d'infection, je suis en train de mettre le traitement au point. Je te le répète, je suis occupé. J'ai des choses plus importantes à faire qu'inspecter l'arrivage de la dernière cargaison.
—Excellent.
Sa gaieté piqua ma curiosité, je finis par lever les yeux et le regardai par-dessus mon microscope.
—Ton bonheur fait plaisir à voir. Je lui indiquai la porte d'un signe de tête Et maintenant, file.
—Dr Surnen de Prillon Prime, tu viens de refuser de te rendre en salle de transport pour accueillir ta nouvelle partenaire, je demande officiellement à ce que les droits et privilèges d'Époux Principal me soient transférés. Ordinateur, veuillez enregistrer les date et heure de ma demande.
Une voix douce et féminine émanait d'un haut-parleur près de la porte.
—Confirmé, Capitaine Trax. Votre demande a été traitée et envoyée à Prillon Prime pour examen.
—Pardon ?
C'etait quoi ce bordel ?
—Fais-moi savoir quand tu auras terminé de faire mumuse, Surnen. Tu peux être mon second. Je m'occuperai de notre femme pendant que tu travailleras. Ne t'inquiète pas pour sa sécurité ou son bonheur. Je m'assurerai qu'elle soit bien baisée et protégée par un collier Prillon, je comblerai tous ses désirs pendant que tu sauveras le monde."
Sur ce, il s'inclina solennellement, tourna les talons et me laissa bouche bée derrière mon bureau.
Pardon ?
Mon esprit se mit lentement en branle. Quand je travaillais, la moindre pensée, le moindre sentiment, la moindre émotion se focalisaient sur la tâche à accomplir. L'échantillon de sérum ainsi obtenu permettrait peut-être de se passer des caissons ReGen pour guérir les guerriers. Une seule dose de sérum devrait permettre de se prémunir d'autres infections. Les informations et le traitement que je mettrais au point seraient téléchargés dans la base de données médicales de la Flotte de la Coalition et diffusés à la Flotte pour aider d'autres guerriers désireux d'épouser des humaines. La Terre étant la seule planète où les femmes étaient prêtes à accepter comme des compagnons des hommes brisés bannis sur la Colonie, trouver un remède était d'une importance capitale, le microbe étant une maladie humaine qui s'était adaptée à son nouvel environnement : les non-humains de la Colonie.
Avec autant de planètes en constante interaction, mon combat pour endiguer de nouvelles souches de maladies m'occupait nuit et jour, une bataille permanente au sein de la Flotte de la Coalition, un combat que je m’efforçais de gagner.
Je me battais contre ce que je pouvais, en utilisant mon intellect et ma capacité à me concentrer pour trouver un remède à toutes les maladies de la galaxie. D'autres planètes m'envoyaient souvent des échantillons de nouveaux organismes et de nouvelles maladies, cherchaient à les comprendre et les éradiquer. Je refusais de pourrir sur cette planète en m'apitoyant sur mon sort. Hors de question.
J'avais passé suffisamment de temps à pleurer la mort de mes parents à cause de la nature rebelle de ma mère et du manque d'envie de mes deux pères à la retenir. Elle s'était bien amusée. Je devais l'avouer. Ma mère avait vécu sa vie comme si chaque jour était le dernier, faisant fi des règles de prudence élémentaire—et du règlement. Ils étaient morts pour elle, mes pères avaient cédé à tous ses caprices.
J'étais devenu orphelin à douze ans, mes parents ayant enfreint les protocoles de la Flotte de la Coalition. Déterminé à ne pas laisser les autres faire les mêmes erreurs ou subir les mêmes conséquences, j'avais effectué des études de médecine sur Prillon Prime pour apprendre à sauver les autres. Je n'avais pas de famille, peu d'amis, tout tomberait à l'eau si j'étais capturé et contaminé par la Ruche.
Routine. Objectif. Études. Règles. Règlement. Ordre. Tout ce que ma mère détestait viscéralement étaient les seules choses capables de me sauver.
J'avais une mission. Une mission importante. Sauf que...
Trax avait sûrement plaisanté concernant l'arrivée d'une compagne.
L'arrivée d'une femme compatible avec moi était impossible. Carrément impossible. J'avais fait le test, une chance existait sur le plan statistique, mais j'avais abandonné tout espoir d’obtenir une Épouse Interstellaire depuis des années. Des années.
Et pourtant ...
—Opérateur, aboyai-je. Ici le Docteur. Mettez-moi en contact avec la Salle de Transport Numéro 2.
—Contact établi, Docteur, répondit l'opérateur.
J'entendais des voix par le haut-parleur. Trop de voix pour une banale livraison de fournitures médicales.
—Ici Dr Surnen.
—Surnen ? C'est Rachel. Qu'est-ce que tu fous, bon sang ? Pourquoi t'es pas là ? Magne-toi !
Cette humaine avait été affectée au gouverneur de la Base 3 et à son second, le Capitaine Ryston. Nous n'étions pas amis à son arrivée sur la Colonie. Loin de là. Lors de son accouchement, elle m'avait pardonné d'avoir appliqué le protocole à la règle à son arrivée, d'avoir insisté pour procéder à des examens médicaux qu'elle refusait de subir.
—Oh mon Dieu, c'est hyper cool. J'ai trop hâte de la rencontrer !
Cette voix appartenait à une autre humaine, Lindsey, sauf erreur. Elle était arrivée à la Colonie avec sa mère et son jeune fils, avait épousé un Chasseur Everian. J'avais également mis au monde son nouvel enfant. J'avais la double casquette d'obstétricien et bactériologiste.
—Qu'est-ce qui se passe ici ? Mon cœur se mit à tambouriner dans ma poitrine, mais je refoulais toute trace d'excitation. C'était sûrement un piège. Mon esprit tournait au ralenti, encore entièrement absorbé par l'analyse génétique. Passer d'un sujet à l'autre de façon aussi radicale était difficilement acceptable. Une femme. Pour de vrai ?
—Amène-toi, Doc. Nous avons été informés du résultat de ton test et de l'arrivée imminente de ta femme. Trax va péter un plomb.
Ces paroles vulgaires ne pouvaient venir que de Kristin—la femme de Tyran et Hunt—anciennement flic sur Terre, elle travaillait toujours avec les équipes d'éclaireurs ici, sur la planète. Je ne comprenais pas, et cautionnais encore moins, comment ces deux hommes permettaient à leur femme de risquer sa vie au quotidien, mais je n'étais pas là pour la protéger. Ce n'était pas mon problème, du moins jusqu'à ce qu'elle se blesse.
Si ma femme me parlait sur ce ton, je lui botterais le cul avant de la tringler bien profond.
—Doc ? T'es là ? demanda Kristin.
—Oui.
—Ta femme. Tu m'écoutes quand je parle ou quoi ?
—Oui. Oui, mais je n'y croyais toujours pas. Je n'osais pas y croire. Le fait de m’être résigner était la seule chose qui m'avait permis de rester sain d'esprit toutes ces années sur cette planète déserte. Je servirais ma cause et mourrais sur ce caillou. Tel était mon destin.
Une femme symbolisait l'espoir. Et ce fichu espoir risquait d'avoir raison de moi.
J'étais debout mais mes pieds restaient cloués au sol alors qu'une explosion de bruit et de voix de femmes surexcitées me parvenaient dans un embrouillamini de sons via le haut-parleur.
—Dr Surnen, ici Maxim.
Je fus parcouru par un immense soulagement en entendant sa voix grave et autoritaire. Cette hérésie s'achevait enfin.
—Oui, Gouverneur.
—Ce n'est pas une plaisanterie, lâcha-t-il. L'arrivée de votre femme, Umiko Tanaka de la Terre, est prévue via la prochaine navette. Trax attend son arrivée ici avec une couverture bleue.
Merde.
Le bleu était la couleur de la famille de Trax, pas la mienne. Pas la mienne, putain. Il ne plaisantait pas.
—J'ai reçu une notification, Docteur, disant que Trax aurait envoyé une demande à Prillon Prime pour être officiellement désigné Époux Principal. Souhaitez-vous que j'approuve sa demande ?
Putain.
—C'est mon bras droit, elle est à moi, dis-je en me dirigeant vers la porte... et c’est ma femme.
Son rire m'aurait rendu furieux si je ne m'étais pas comporté comme un idiot ces dernières minutes.
—Je savais que vous me répondriez ça.
Mikki, Centre de Recrutement des Épouses Interstellaires, Terre
La Gardienne Bisset esquissa un sourire face à ma question.
—Cela signifie, Mlle Tanaka, que les tests ont pris deux fois plus de temps que d'habitude. J'ai dû lancer une seconde simulation, que vous avez acceptée, les données ont finalement pu être recueillies. Le système a trouvé le partenaire idéal.
J'étais perplexe.
—Ah bon ? J'essayai de lever la main pour me gratter la tête mais j'avais les mains liées. Vous me les enlevez ?
—Non. Selon le protocole, toutes les criminelles doivent rester entravées pendant la durée des tests et du trajet. Je suis désolée, Mlle Tanaka.
—Mikki. Je ne vous ferai aucun je mal. Je levai la tête. Je suis biologiste spécialisée en environnement. Je suis sûre que cette tablette contient tout mon dossier. Je poursuivis en soupirant. Ok, j'ai fait de la prison pour destruction de biens, pas pour meurtre.
J'avais foré d'énormes trous dans quelques bateaux. Des bateaux vides. Des baleiniers qui enfreignaient l'interdiction internationale. Recherche scientifique, mon cul. Ils ternissaient la réputation de vrais scientifiques comme moi. C'était pourtant l'excuse qu'ils avaient sortie. Et alors ? Ils avaient le droit de tuer des baleines en toute impunité et moi je n'avais pas le droit de faire un trou dans la coque d'un bateau vide ?
Si c'était à refaire, je le referais. Raison pour laquelle mes parents m'avaient laissée pourrir en prison et forcée à me contenter d'un avocat commis d'office, alors qu'ils avaient suffisamment de fric pour en engager un qui aurait pu me faire libérer sous caution.
Mes parents étaient très à cheval sur la loi. Les règles. Le protocole. Le devoir, l'honneur familial. J'y avais eu droit tant de fois que je pouvais réciter le discours de mes parents par cœur avant même qu'ils ouvrent la bouche. Des immigrants qui évitaient de faire des vagues, tant qu'ils ne seraient pas des citoyens à part entière. Même après, la culture dans laquelle ils avaient baigné n'approuvait pas la rébellion. La famille. L'honneur. Le devoir. C'était toute leur vie.
J'avais refusé de m'y conformer. J'étais bien la fille de mon père. Les baleiniers agissaient mal. Ils faisaient du mal à des animaux sans défense. L'océan devait demeurer un havre de paix. Avant même d'obtenir mon diplôme, je luttais contre l'élément liquide lors de compétitions de surf, les vagues étant mon concurrent ultime. Je respectais l'océan et ses êtres vivants. D'autres ne le respectaient pas. D'autres détruisaient notre planète, et c'est moi qui étais en prison pour des crimes contre l'humanité ? Sans déconner !
Oui, on m'avait traitée de tous les noms, de sauvage, de hippie, voire de droguée. Je n'étais rien de tout cela. Les industries qui déversent produits chimiques et déchets dans l'océan, la pêche illégale et les opérations de chasse à la baleine avaient fait en sorte de transformer mon amour de l'océan et tout ce qu'il contient en quelque chose de honteux.
—Elle doit appliquer le protocole à la lettre quel que soit votre crime, Umiko. Je regrette.
La Gardienne Égara avait répondu à la place de l'autre, comme si le fait de s'excuser arrangerait les choses. Pourquoi s'obstinait-elle à utiliser mon vrai prénom ? Je me demandais si elle le faisait exprès ou si elle était prout-prout au point de ne pas savoir comment s'adresser aux gens. Je penchais en faveur de la deuxième possibilité, à en juger par son chignon strict et son expression sévère.
Umiko. Enfant de la mer.
Je soupirai.
—Mikki.
—Très bien, Mlle Tanaka, la Gardienne Égara acquiesça sans toutefois utiliser mon surnom. Et leva les yeux au ciel. Cette femme aurait grand besoin de se faire tringler. En parlant de...
—Vous avez dit qu'on m'avait trouvé un partenaire ? demandai-je.
La Gardienne Bisset acquiesça avec enthousiasme.
—Vous êtes compatible avec un combattant de la Colonie. Un homme originaire de Prillon Prime. Ce qui explique votre rêve et votre attirance sexuelle pour deux hommes.
Je demeurai bouche bée, sentis mes joues s'empourprer. Je présumais qu'elles savaient pour mon test puisqu'elle avait regardé mais j’avais cru qu'elles m'observaient, simplement allongée sur le fauteuil. Elles avaient assisté à mon orgasme final, qu'elle l'exprime à haute voix corroborait que tout ce que j'avais fait dans ce rêve, tout ce que je croyais détester, avait été observé.
—Comment savez-vous qu'ils étaient deux ? Vous pouvez voir le rêve ?
Ça m’avait tout l’air d'une violation d'intimité.
—Non. Bien sûr que non. La charmante Mlle Yvonne était-elle gênée ? Bien. Pour être compatible avec un guerrier de Prillon Prime, vous deviez simplement montrer un désir et une préférence psychologique pour deux partenaires aptes à vous protéger et veiller sur vous.
D'accord. La nouvelle qui tue.
—Donc, Prillon Prime ? C'est là que je vais ?
—Les épouses sont d'abord affectées à une planète. Puis à un homme en particulier. Le vôtre est sur la Colonie.
—Je croyais que vous aviez dit deux.
Elle croisa ses mains devant elle sur la table.
—Vous avez été affectée à un homme, mais selon la coutume, les Prillons choisissent un second partenaire, ce qui signifie que vous aurez deux époux. L'un d'entre eux est votre époux légitime, l'autre est choisi par votre partenaire. Ça vous parle ?
J'avais donc un époux, et son meilleur ami comme partenaire en prime. Je m'y ferais. Je fis un signe de tête.
Son doigt glissa sur la tablette.
—Comme je vous l'ai dit, votre guerrier Prillon vit sur la Colonie. Vous y serez transportée dès que l’examen sera terminé.
J'écarquillai les yeux.
— Mon examen n'est pas terminé ? Je dois refaire ce truc du rêve ?
—Non. J'ai quelques questions basiques à vous poser avant de vous envoyer à destination.
La Gardienne Bisset se tourna vers la Gardienne Égara afin d’obtenir son approbation, l'autre femme acquiesça.
—Oui. Parfait. Continuez.
—Cet endroit, la Colonie ? C'est comment ? demandai-je.
La Gardienne Bisset consulta sa tablette et se mit à lire.
—La Colonie est composée de huit bases sectorielles dont la population varie de plusieurs centaines à plusieurs milliers d'habitants. Les habitants de chaque base élisent leur propre gouverneur. Le gouverneur de votre base, la Base 3, est le Gouverneur Maxim Rone, un guerrier Prillon. À l'heure actuelle, la Base 3 compte sept cent quatre-vingt-trois guerriers Prillons, vingt-sept Atlans et trois-cent-quatre combattants de différentes planètes de la Coalition.
Non. Ce n'était pas ce que je voulais dire.
—Arrêtez, s'il vous plaît. À quoi ressemble la planète ? Il ne s'agit pas de la planète en fait. La Base 3, c'est comme la Terre ?
La Gardienne Bisset baissa la tête, fit défiler les images du bout des doigts et tourna l'écran vers moi. Ce que je vis ressemblait à l'Utah, ou pire, à l'Arizona. Rouge. Aride. Rien hormis du désert et des rochers. Pas d'eau.
—Je n'y suis jamais allée bien évidemment, mes connaissances géographiques concernant cette planète sont limitées. D'après ce rapport, cette zone est aride. Stérile. Désertique. Rocheuse. L'atmosphère ne permet pas à un humain d'y vivre longtemps, vous resterez par conséquent à la base, à moins de porter un équipement de protection.
C'était la vérité vraie ?
— Cette planète possède des océans ? Quelque part ?
—Aucun, d'après ce rapport.
J'allais partir dans un endroit sans aucun océan, où je ne pourrais même pas sortir sans porter de combinaison spatiale spéciale ?
—La double peine, marmonnai-je. Être enfermée dans une cellule en béton de deux mètres sur trois pendant dix ans sans être en contact avec l'eau autrement que via un évier ou une douche était une chose, mais aller sur une planète où il n'y en avait pas du tout ? Aucune possibilité de surfer, de voir des poissons ?
—Puis-je changer d'avis ?
Dix ans, ce n'était pas si long ? N'est-ce pas ?
Et après ? Je sortirais mais je serais une criminelle patentée. Je serais mise sur le banc de touche et ne trouverais pas de nouvel emploi, malgré le fait d’avoir travaillé comme une dingue pour obtenir mon master en sciences de l'environnement dans l'une des meilleures universités au monde. J'avais des années d'expérience dans la réalisation d'études de terrain, dans les demandes de subventions. Tout cela n'aurait servi à rien. Je serais une ex-taularde. Point final.
J'aurais dix ans de plus et je serais seule. Toujours seule.
—Veuillez indiquer votre nom pour le dossier.
La Gardienne Bisset n'avait pas répondu à ma question.
Des réminiscences du rêve affluaient. Les douces caresses de mes partenaires. Le sentiment de satisfaction et d'appartenance. Je me sentais chez moi. L'orgasme. Le plaisir aveuglant.
Il fallait que je parte. Je trouverais une solution une fois sur place. Ils m'offraient une vie de rêve avec deux guerriers extraterrestres qui me respecteraient et m'adoreraient. N'est-ce pas ? Qui me feraient l'amour comme si j'étais la femme de leurs rêves. Qui ne me tromperaient jamais, ne m’abandonneraient jamais. Faudrait être sacrément idiote pour refuser.
—Mikki Tanaka.
Je commençais à me faire à cette idée. Je choisissais l'espace plutôt que la Terre. Une planète stérile et désertique plutôt qu'une peine de prison. Je ne me voyais pas passer dix ans en prison, privée de liberté. Aurais-je ma liberté sur la Colonie en compagnie de deux Prillons autoritaires ?
—Avez-vous des enfants biologiques, ou dont vous êtes légalement responsable ?
—Pardon ? Je divaguais, je pensais à ces deux extraterrestres et à ce qu'ils m'avaient fait—ce qu'ils lui avaient fait. Non. Je n'ai pas d'enfants. Êtes-vous mariée ?
—Non.
—J’ai le devoir de vous informer, Mlle Tanaka, que vous avez trente jours pour accepter ou refuser le partenaire qui vous a été attribué via nos protocoles de recrutement. N'oubliez pas qu’aucun retour sur Terre n’est possible. Une fois que vous aurez accepté cette union, vous renoncerez à votre statut de Terrienne et deviendrez citoyenne de Prillon Prime, vous vous conformerez à leurs lois et règlements. Si votre partenaire ne vous donne pas entière satisfaction, vous pouvez en demander un autre dans un délai de trente jours. Le processus est renouvelable jusqu'à ce que vous trouviez le partenaire idéal.
Elle effleura de nouveau sa tablette.
—Votre peine de prison est réduite à la durée de la peine purgée, en échange de votre statut de jeune mariée. Vous n'êtes désormais plus citoyenne de la planète Terre mais de Prillon Prime. Comprenez-vous tout ce que j'ai dit ?
—Oui, ma voix manquait de son aplomb habituel.
Putain, ça y était. Je partais dans l'espace. En laissant tout ce que je connaissais derrière moi. Plus d'océan. Plus de poissons, de baleines, de vagues. Plus de surf.
Le fauteuil coulissa vers l'arrière dans une ouverture du mur que je n'avais pas encore remarquée. Une douce lumière bleue m'enveloppa.
La gardienne plus âgée, la Gardienne Égara, qui avait observé et hoché la tête en signe d'approbation pour vérifier si la Gardienne Bisset faisait tout correctement, s'écarta du chemin tandis que la jeune femme se postait près de l'ouverture.
—Veuillez rester immobile en vue des préparations ou modifications corporelles qui pourraient s'avérer nécessaires avant le transfert.
—Quoi ? Je me débattis pour me débarrasser de mes liens.
—Mlle Tanaka, inutile de résister. Vous pourriez vous blesser.
—Résister à quoi ? Quelles modifications corporelles ? Deux partenaires ne suffisent pas ? Deux partenaires autoritaires ?
—Le test a fait ressortir vos désirs et vos besoins les plus profonds ancrés dans votre subconscient.
—Il ne s'agissait pas de mes désirs les plus profonds !
La Gardienne Bisset regarda par-dessus son épaule en souriant d'un air impuissant, la Gardienne Égara s'avança et posa une main sur mon avant-bras, geste étrangement apaisant.
—Vraiment ? demanda-t-elle en m'adressant un petit sourire. Il est parfois extrêmement difficile pour des femmes de caractère telles que vous de trouver un partenaire suffisamment dominateur pour combler vos... hum... besoins. Deux guerriers Prillons pour partenaires seront l'idéal. Elle rit légèrement et contempla sa tablette. Eh bien, parfait à quatre-vingt-dix-huit pour cent.
J'essayai d'éviter la grosse aiguille qui sortit du mur sur un long bras métallique, jusqu'à ce que la Gardienne Égara me serre fort pour que je la regarde.
L'aiguille me piqua en pénétrant dans ma peau, derrière la base de mon oreille, le processus était aussi rapide qu'un vaccin contre la grippe.
—Nous avons implanté un très petit dispositif dans votre os temporal. Le dispositif n'est pas plus grand qu'un grain de riz. Il s'agit d'un NP, ou Neuro-Processeur. Le dispositif vous permettra de comprendre toutes les langues. N'ayez crainte Mikki Tanaka. Quand vous vous réveillerez, vous serez sur la Colonie, votre partenaire vous attendra.
—Attendez ! criai-je, la Gardienne se borna à sourire comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, le fauteuil descendit dans un bain bleu et chaud. Mes pensées s'apaisèrent, je luttai contre ma léthargie, réalisant que c'était la dernière eau que je verrais sur Terre.
—Votre voyage débutera dans trois... deux... un.