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Gustave Aimard
LES TRAPPEURS DE L’ARKANSAS
Prologue. LE MAUDIT
I. Hermosillo

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Le voyageur qui pour la première fois débarque dans l’Amérique du Sud éprouve malgré lui un sentiment de tristesse indéfinissable.

En effet, l’histoire du Nouveau Monde n’est qu’un lamentable martyrologe, dans lequel le fanatisme et la cupidité marchent continuellement côte à côte.

La recherche de l’or fut l’origine de la découverte du Nouveau Monde ; cet or une fois trouvé, l’Amérique ne fut plus pour ses conquérants qu’une étape où ces avides aventuriers venaient, un poignard d’une main et un crucifix de l’autre, recueillir une ample moisson de ce métal si ardemment convoité, après quoi ils s’en retournaient dans leur patrie faire étalage de leurs richesses et provoquer par le luxe effréné qu’ils déployaient de nouvelles émigrations.

C’est à ce déplacement continuel qu’il faut attribuer, en Amérique, l’absence de ces grands monuments, sortes d’assises fondamentales de toute colonie qui s’implante dans un pays nouveau pour y perpétuer sa race.

Ce vaste continent, qui pendant trois siècles a été la paisible possession des Espagnols, parcourez-le aujourd’hui, c’est à peine si de loin en loin quelque ruine sans nom y rappelle leur passage, tandis que les monuments élevés, bien des siècles avant la découverte, par les Aztèques et les Incas sont encore debout dans leur majestueuse simplicité, comme un témoignage impérissable de leur présence dans la contrée et de leurs efforts vers la civilisation.

Hélas ! que sont devenues aujourd’hui ces glorieuses conquêtes enviées par l’Europe entière, où le sang des bourreaux s’est confondu avec le sang des victimes au profit de cette autre nation si fière alors de ses vaillants capitaines, de son territoire fertile et de son commerce qui embrassait le monde entier ; le temps a marché et l’Amérique méridionale expie à l’heure qu’il est les crimes qu’elle a fait commettre. Déchirée par des factions qui se disputent un pouvoir éphémère, opprimée par des oligarchies ruineuses, désertée par les étrangers qui se sont engraissés de sa substance, elle s’affaisse lentement sous le poids de son inertie sans avoir la force de soulever le linceul de plomb qui l’étouffe, pour ne se réveiller qu’au jour où une race nouvelle, pure d’homicide et se gouvernant d’après les lois de Dieu, lui apportera le travail et la liberté qui sont la vie des peuples.

En un mot, la race hispano-américaine s’est perpétuée dans les domaines qui lui ont été légués par ses ancêtres sans en étendre les bornes ; son héroïsme s’est éteint dans la tombe de Charles Quint, et elle n’a conservé de la mère patrie que ses mœurs hospitalières, son intolérance religieuse, ses moines, ses guittareros et ses mendiants armés d’escopettes.

De tous les États qui forment la vaste confédération mexicaine, l’État de Sonora est le seul qui, à cause de ses luttes avec les tribus indiennes qui l’entourent et de ses frottements continuels avec ces peuplades, ait conservé une physionomie à part.

Les mœurs de ses habitants ont une certaine allure sauvage, qui les distingue au premier coup d’œil de ceux des provinces intérieures.

Le rio Gila peut être considéré comme la limite septentrionale de cet État ; de l’est à l’ouest il est resserré entre la sierra Madre et le golfe de Californie.

La sierra Madre, derrière Durango, se partage en deux branches, la principale continue la grande direction, courant du nord au sud, l’autre tourne vers l’ouest, longeant derrière les États de Durango et de Guadalajara, toutes les régions qui vont finir vers le Pacifique. Cette branche des cordillères forme les limites méridionales de la Sonora.

La nature semble comme à plaisir avoir prodigué ses bienfaits à pleines mains dans ce pays. Le climat est riant, tempéré, salubre ; l’or, l’argent, la terre la plus féconde, les fruits les plus délicieux, les herbes médicinales y abondent ; on y trouve les baumes les plus efficaces, les insectes les plus utiles pour la teinture, les marbres les plus rares, les pierres les plus précieuses, le gibier, les poissons de toutes sortes. Mais aussi dans les vastes solitudes du rio Gila et de la sierra Madre les Indiens indépendants, Comanches, Pawnees, Pimas, Opatas et Apaches, ont déclaré une rude guerre à la race blanche, et dans leurs courses implacables et incessantes lui font chèrement payer la possession de toutes ces richesses dont ses ancêtres les ont dépouillés et qu’ils revendiquent sans cesse.

Les trois principales villes de la Sonora sont : Guaymas, Hermosillo et Arispe.

Hermosillo, anciennement le Pitic et que l’expédition du comte de Raousset-Boulbon a rendu célèbre, est l’entrepôt du commerce mexicain dans le Pacifique et compte plus de neuf mille habitants.

Cette ville, bâtie sur un plateau qui s’abaisse dans la direction du nord-ouest en pente douce jusqu’à la mer, s’appuie et s’abrite frileusement contre une colline nommée el Cerro de la campana – Montagne de la cloche —, dont le sommet est couronné d’énormes blocs de pierre qui, lorsqu’on les touche, rendent un son clair et métallique.

Du reste, comme ses autres sœurs américaines, cette ciudad est sale, bâtie en pisé et présente aux yeux étonnés du voyageur un mélange de ruines, d’incurie et de désolation qui attriste l’âme.

Le jour où commence ce récit, c’est-à-dire le 17 janvier 1817, entre trois et quatre heures de l’après-midi, moment où d’ordinaire la population fait la siesta, retirée au fond de ses demeures, la ville d’Hermosillo, si calme et si tranquille d’ordinaire, offrait un aspect étrange.

Une foule de leperos, de gambusinos, de contrebandiers et surtout de rateros se pressait avec des cris, des menaces et des hurlements sans nom, dans la calle del Rosario – rue du Rosaire. Quelques soldats espagnols – le Mexique à cette époque n’avait pas encore secoué le joug de la métropole – cherchaient en vain à rétablir l’ordre et à dissiper la foule, frappant à tort et à travers à grands coups de bois de lances sur les individus qui se trouvaient devant eux.

Mais le tumulte loin de diminuer allait au contraire toujours croissant, les Indiens Hiaquis surtout, mêlés à la foule, criaient et gesticulaient d’une façon réellement effrayante.

Les fenêtres de toutes les maisons regorgeaient de têtes d’hommes et de femmes qui, les regards fixés du côté du Cerro de la campana, du pied duquel s’élevaient d’épais nuages de fumée en tourbillonnant vers le ciel, semblaient être dans l’attente d’un événement extraordinaire.

Tout à coup de grands cris se firent entendre, la foule se fendit en deux comme une grenade trop mûre, chacun se jeta de côté avec les marques de la plus grande frayeur et un jeune homme, un enfant plutôt car il avait à peine seize ans, apparut emporté comme dans un tourbillon par le galop furieux d’un cheval à demi sauvage.

– Arrêtez-le ! criaient les uns.

– Laissez-le ! vociféraient les autres.

– Valgamedios ! murmuraient les femmes en se signant, c’est le démon lui-même.

Mais chacun, loin de songer à l’arrêter, l’évitait au plus vite ; le hardi garçon continuait sa course rapide, un sourire railleur aux lèvres, le visage enflammé, l’œil étincelant et distribuant à droite et à gauche de rudes coups de chicote à ceux qui se hasardaient trop près de lui, ou que leur mauvais destin empêchait de s’éloigner aussi vite qu’ils l’auraient voulu.

– Eh ! eh ! Caspita ! fit lorsque l’enfant le frôla en passant un vaquero à la face stupide et aux membres athlétiques, au diable soit le fou qui a manqué me renverser ! Eh mais, ajouta-t-il après avoir jeté un regard sur le jeune homme, je ne me trompe pas, c’est Rafaël, le fils de mon compère ! attends un peu, picaro !

Tout en faisant cet aparté entre ses dents, le vaquero déroula le lasso qu’il portait attaché à sa ceinture et se mit à courir dans la direction du cavalier.

La foule qui comprit son intention applaudit avec enthousiasme.

– Bravo ! bravo ! cria-t-elle.

– Ne le manque pas, Cornejo ! appuyèrent des vaqueros en battant des mains.

Cornejo, puisque nous savons le nom de cet intéressant personnage, se rapprochait insensiblement de l’enfant devant lequel les obstacles se multipliaient de plus en plus.

Averti du péril qui le menaçait par les cris des assistants, le cavalier tourna la tête.

Alors, il vit le vaquero.

Une pâleur livide couvrit son visage, il comprit qu’il était perdu.

– Laisse-moi me sauver, Cornejo, lui cria-t-il avec des larmes dans la voix.

– Non ! non ! hurla la foule, lassez-le ! lassez-le !

La populace prenait goût à cette chasse à l’homme, elle craignait de se voir frustrer du spectacle qui l’intéressait à un si haut point.

– Rends-toi ! répondit le géant, ou sinon, je t’en avertis, je te lasse comme un Ciboto.

– Je ne me rendrai pas ! dit l’enfant avec résolution.

Les deux interlocuteurs couraient toujours, l’un à pied, l’autre à cheval.

La foule suivait en hurlant de plaisir.

Les masses sont ainsi partout, barbares et sans pitié.

– Laisse-moi, te dis-je, reprit l’enfant, ou je te jure, sur les âmes bénies du purgatoire, qu’il t’arrivera malheur !

Le vaquero ricana et fit tournoyer son lasso autour de sa tête.

– Prends garde, Rafaël, dit-il, pour la dernière fois, veux-tu te rendre ?

– Non ! mille fois non ! cria l’enfant avec rage.

– À la grâce de Dieu, alors ! fit le vaquero.

Le lasso siffla et partit.

Mais il se passa une chose étrange.

Rafaël arrêta court son cheval comme s’il eût été changé en un bloc de granit et s’élançant de la selle, il bondit comme un jaguar sur le géant que le choc renversa sur le sable, et avant que personne pût s’y opposer, il lui plongea dans la gorge le couteau que les Mexicains portent toujours à la ceinture.

Un long flot de sang jaillit au visage de l’enfant, le vaquero se tordit quelques secondes, puis resta immobile.

Il était mort !

La foule poussa un cri d’horreur et d’épouvante.

Prompt comme l’éclair, l’enfant s’était remis en selle et avait recommencé sa course désespérée en brandissant son couteau et en riant d’un rire de démon.

Lorsque après le premier moment de stupeur passé, on voulut se remettre à la poursuite du meurtrier, il avait disparu.

Nul ne put dire de quel côté il avait passé.

Comme toujours en pareille circonstance, le juez de letras – juge criminel flanqué d’une nuée d’alguazils déguenillés – arriva sur le lieu du meurtre lorsqu’il était trop tard.

Le juez de letras, don Inigo tormentos Albaceyte, était un homme de quelque cinquante ans, petit et replet, à la face apoplectique, qui prenait du tabac d’Espagne dans une boîte d’or enrichie de diamants, et cachait sous une apparente bonhomie une avarice profonde doublée d’une finesse extrême et d’un sang-froid que rien ne pouvait émouvoir.

Contrairement à ce qu’on aurait pu supposer, le digne magistrat ne parut pas le moins du monde déconcerté de la fuite de l’assassin, il secoua la tête deux ou trois fois, jeta un regard circulaire sur la foule, et clignant son petit œil gris :

– Pauvre Cornejo, dit-il en se bourrant philosophiquement le nez de tabac, cela devait lui arriver un jour ou l’autre.

– Oui, dit un lepero, il a été proprement tué.

– C’est ce que je pensais, reprit le juge, celui qui a fait le coup s’y connaît, c’est un gaillard qui en a l’habitude.

– Ah ! bien oui, répondit le lepero en haussant les épaules, c’est un enfant.

– Bah ! fit le juge avec un feint étonnement et en lançant un regard en dessous à son interlocuteur, un enfant !

– À peu près, dit le lepero, fier d’être ainsi écouté, c’est Rafaël, le fils aîné de don Ramon.

– Tiens, tiens, tiens, dit le juge avec une secrète satisfaction, mais non, reprit-il, ce n’est pas possible, Rafaël n’a que seize ans tout au plus, il n’aurait pas été se prendre de querelle avec Cornejo qui, rien qu’en lui serrant le bras, en aurait eu raison.

– C’est cependant ainsi, Excellence, nous l’avons tous vu, Rafaël avait joué au monté chez don Aguilar, il paraît que la chance ne lui était pas favorable, il perdit tout ce qu’il avait d’argent, alors la rage le prit, et pour se venger, il mit le feu à la maison.

– Caspita ! fit le juge.

– C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire, Excellence, regardez, on voit encore la fumée quoique la maison soit déjà en cendres.

– En effet, fit le juge en jetant un regard du côté que lui indiquait le lepero, et ensuite…

– Ensuite, continua l’autre, naturellement il voulut se sauver, Cornejo essaya de l’arrêter…

– Il avait raison !

– Il avait tort puisque Rafaël l’a tué !

– C’est juste, dit le juge, mais soyez tranquilles, mes amis, la justice le vengera.

Cette parole fut accueillie par les assistants avec un sourire de doute.

Le magistrat, sans s’occuper de l’impression produite par ses paroles, ordonna à ses acolytes qui déjà avaient fouillé et dépouillé le défunt, de l’enlever et de le transporter sous le porche de l’église voisine, puis il rentra dans sa maison en se frottant les mains d’un air satisfait.

Le juge revêtit un habit de voyage, passa une paire de pistolets à sa ceinture, attacha une longue épée à son côté et, après avoir dîné légèrement, il sortit.

Dix alguazils armés jusqu’aux dents, et montés sur de forts chevaux, l’attendaient à la porte ; un domestique tenait en bride un magnifique cheval noir qui piétinait et rongeait son frein avec impatience. Don Inigo se mit en selle, se plaça en tête de ses hommes et la troupe s’ébranla au petit trot.

– Eh ! eh ! disaient les curieux qui stationnaient aux environs sur le pas des portes, le juez Albaceyte se rend chez don Ramon Garillas, nous aurons demain du nouveau.

– Caspita ! répondaient d’autres, son picaro de fils n’aura pas volé la corde qui servira à le pendre !

– Hum ! fit un lepero, avec un sourire de regret, ce serait malheureux, le gaillard promet, sur ma parole ! sa cuchillada à Cornejo est magnifique. Le pauvre diable a été proprement coupé (tué).

Cependant le juge continuait toujours sa route, rendant avec la plus grande ponctualité des saluts dont on l’accablait sur son passage, bientôt il fut dans la campagne.

Alors s’enveloppant dans son manteau :

– Les armes sont-elles chargées ? demanda-t-il.

– Oui, Excellence, répondit le chef des alguazils.

– Bien ! À l’hacienda de don Ramon Garillas, et bon pas, tâchons d’arriver avant la nuit.

La troupe partit au galop.

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