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III

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DANS le hall, Bijou, aidée de Pierrot, servait le café. Tout à coup, elle s’élança à la poursuite de Paul de Rueille, qui venait de sortir du salon et descendait l’escalier de la terrasse.

—Eh bien?... Eh bien?... où allez-vous donc?...

Il répondit sans s’arrêter:

—Mais... me promener un peu... et respirer, si c’est possible par cette chaleur...

Déjà Bijou l’avait rejoint:

—Ah! mais non!... et la revue?... il faut venir travailler!...

—J’ai mal à la tête...

—Ça vous guérira!... il faut venir absolument... nous n’avons plus que trois jours!...

—Mais...—fit Rueille agacé—je ne vous suis pas indispensable...

—Ah bah!... c’est vous qui écrivez!...

—Sous la dictée!... il n’est pas nécessaire d’être un malin pour faire ça...

—Si!... nous sommes habitués à vous!...

Elle était sur une marche au-dessus de lui. Elle s’inclina, et, lui passant ses bras autour du cou, elle supplia, câline:

—Mon petit Paul!... venez, pour me faire plaisir!... vous seriez si gentil... si gentil!...

M. de Rueille dénoua d’un mouvement sec les doux bras frais qui l’enveloppaient, frôlant son visage, et répondit, d’une voix qui s’enrouait:

—C’est bon!... c’est bon!... j’y vais!...

La jeune fille recula, et il vit dans la nuit claire briller ses grands yeux surpris. Timidement, elle dit:

—Comme vous êtes bourru!... qu’est-ce que vous avez?...

Il ne répondit pas; elle insista:

—Vous ne voulez pas me le dire?...

—Ah! non!...—fit-il sèchement.

Et, remontant, il entra dans le salon, où Bijou entra derrière lui, en disant à Bertrade:

—Je ne sais pas ce qu’il a, ton mari!... il est comme un crin!

Madame de Rueille regarda Paul. Le visage un peu tiré, l’air nerveux, il affectait de causer et de rire bruyamment avec le répétiteur qui, lui, restait fermé et silencieux. Et après avoir regardé elle répondit, inquiète un peu de trouver son mari bizarre:

—Il a sûrement quelque chose, mais je ne sais pas quoi!

Déjà Bijou, reprise de son idée, expliquait:

—Figurez-vous!... Paul voulait aller se promener, au lieu de travailler!... Ah! ça n’a pas été tout seul pour le ramener!...

Résigné, M. de Rueille venait de s’asseoir devant une table Empire à dessus de marbre. Il prit le manuscrit, l’ouvrit à la page commencée et dit, en trempant dans l’encre une longue plume d’oie:

—Quand vous voudrez?...

M. de Jonzac demanda:

—Mais d’abord, où en êtes-vous?...

—A la scène III du second acte...

—Encore?...—fit Bijou, étonnée.

—Toujours, hélas!...

La marquise conclut:

—Mes petits enfants, vous n’aurez jamais fini!...

—Mais si, mais si, grand’mère!...—dit gaiement Bijou—vous allez voir comme nous allons faire du beau travail!... Voyons?... nous disons la troisième scène du deuxième acte... c’est quand le poète symboliste se défend des accusations... plutôt malveillantes... portées contre lui par Vénus...

Personne ne disant rien, M. de Rueille demanda:

—Et alors?

Bijou expliqua:

—Alors, à mon idée, il faudrait là un petit couplet... qu’est-ce que tu en dis, Jean?...

L’air absorbé, la tête renversée contre le dossier d’une grande bergère, Jean de Blaye, qui rêvassait, n’entendit pas la question.

Bijou cria:

—Est-ce que tu dors?...

Il se tourna vers elle, demandant:

—C’est à moi que tu parles?...

—Mon Dieu, oui! j’ai cet honneur!... je te demande si un couplet ne ferait pas bien là?... un couplet sur un air connu?...

Il répondit, distrait:

—Si... très bien!...

—Ben, fais-le!...

Jean bondit:

—Que je le fasse, moi!... pourquoi moi?...

—Parce que c’est toujours toi qui les fais...

Jean protesta:

—En voilà, une raison!... c’est justement pour ça que c’est le tour des autres!... tu n’as qu’à faire travailler Henry, ou l’oncle Alexis... ou M. Giraud... ou même Pierrot!...

—Pourquoi «même»?...—demanda Pierrot vexé, je les ferais peut-être aussi bien que toi, tu sais, les couplets!...

—Fais-les donc!... moi, j’en ai assez!...

—Jean?...—dit Bijou suppliante,—ne nous laisse pas en plan... je t’en prie?...

Elle marchait vers lui, tendant son museau rose, les lèvres avancées dans une petite moue implorante et drôlette. M. de Rueille avait vu le mouvement. Il se leva brusquement, et, l’arrêtant au passage:

—Mais il les fera, vos couplets!... il ne demande que ça... allez donc vous asseoir!...

Denyse restait plantée au milieu du hall, surprise de cette sortie singulière. A la fin elle répliqua:

—Mais c’est à vous d’aller vous asseoir!... pourquoi quittez-vous votre table?...

—Ah!... je n’ai pas le droit de la quitter sans permission?...

—Jean?...—recommença Bijou,—voyons, Jean?...

De nouveau, M. de Rueille s’interposa. Il dit, d’un ton coupant:

—Pourquoi ne pas vous mettre à genoux devant lui?...

—Oh!... mon Dieu!... je ne demande pas mieux, si ça peut le décider!...

Elle s’élançait vers son cousin, mais Rueille la saisit par le bras, disant rageusement:

—Allons donc!... c’est ridicule!...

Elle balbutia, le regardant d’un air stupéfait:

—C’est vous qui êtes ridicule!...

Il répondit, la voix dure:

—Oui... c’est convenu!... c’est moi qui dois aller m’asseoir!... c’est moi qui suis ridicule!... c’est moi qui suis tout ce que je ne devrais pas être et qui fais tout ce que je ne devrais pas faire...

Madame de Bracieux demanda:

—Qu’est-ce qu’il y a donc, mes enfants?...

M. de Jonzac expliqua, en débourrant sa pipe qu’il tapota soigneusement contre un meuble pour en faire tomber la cendre:

—C’est, Dieu me pardonne! Paul qui se dispute avec Bijou!...

—Avec Bijou?...—fit la vieille femme, au comble de l’étonnement.

Et madame de Rueille répéta, en abandonnant le journal qu’elle lisait:

—Paul qui se dispute avec Bijou!... pas possible!...

L’abbé Courteil affirma, scandalisé:

—Mais si!... M. le comte a grondé mademoiselle Denyse!...

—Arrive ici, Bijou!...—dit la marquise.

La jeune fille vint en courant se pelotonner sur un coussin aux pieds de sa grand’mère, tandis que M. de Rueille s’approchait de Jean, et lui disait à demi-voix:

—Tu devrais empêcher Bijou d’avoir avec toi ces façons!...

—Quelles façons?... ah çà! tu rêves?...

—Je ne rêve pas le moins du monde... Denyse a vingt ans, après tout!...

Le jeune homme rectifia:

—Vingt et un...

—C’est encore mieux!... elle devrait avoir plus de tenue...

—La pauvre petite!... elle a une tenue parfaite!...

Il ajouta en regardant son cousin:

—Je ne sais vraiment pas sur quelle herbe tu as marché?...

M. de Rueille murmura, un peu embarrassé:

—J’ai tort... naturellement, j’ai tort!...

—Absolument!...—dit sèchement Blaye, qui se leva.

En le voyant, Bijou quitta la marquise, et, s’élançant vers lui:

—Ah! mais!... tu ne vas pas t’en aller!... grand’mère!... défendez-lui de nous abandonner!...

—Voyons, Jean?...—fit la marquise à moitié aimable, à moitié grondeuse,—ne sois donc pas taquin comme ça!...

Le jeune homme se rassit et prit un air navré, en disant:

—La voilà, la campagne!... le repos!... les vacances!... on travaille comme des nègres!... on fait des revues!... des revues avec des couplets!... on se couche régulièrement à deux heures du matin... c’est ce qu’on appelle se mettre au vert!...

Pierrot semblait écouter avec recueillement. Il dit, narquois:

—Continue, vieillard, tu m’intéresses!...

Et comme Bijou riait, Jean, l’air vexé, se tourna vers Pierrot:

—Tu as bien de l’esprit, mon petit!...

La voix de madame de Bracieux s’éleva:

—Mes enfants, vous êtes insupportables!...

Elle les regardait, surprise, se demandant quel vent de bataille avait soufflé soudain, ne comprenant rien à ces grincheries, à ces attitudes hostiles qu’elle remarquait pour la première fois. Et, de nouveau, elle appela Bijou, qui semblait questionner tout le monde de ses doux yeux tout pleins d’étonnement:

—Sais-tu ce qu’ils ont, toi?...

Elle répondit, naïve et curieuse:

Bijou

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