Читать книгу Les grotesques de la musique - Hector Berlioz - Страница 12
Un Programme de musique grotesque.
ОглавлениеA l'époque où l'Odéon était un théâtre lyrique, on y représentait souvent des pièces de l'ancien répertoire de Feydeau. Je fus, par hasard, témoin d'une répétition générale pour la reprise de la Rosière de Salency de Grétry. Je n'oublierai jamais le spectacle offert par l'orchestre à cette occasion: son hilarité en exécutant l'ouverture, les cris des uns, les contorsions des autres, les applaudissements ironiques des violons, le premier hautbois avalant son anche, les contre-basses trépignant devant leur pupitre et demandant d'une voix étranglée la permission de sortir, assurant qu'il était encore temps. Et le chef d'orchestre, M. Bloc, ayant la force de tenir son sérieux...; et moi, m'élevant jusqu'au sublime en blâmant cette explosion irrévérencieuse, et trouvant indécente l'idée des joueurs de contre-basse. Mais ces pauvres artistes ne tardèrent pas à être bien vengés de ma sotte pruderie. Une demi-heure après l'exécution de l'étonnante ouverture, le calme s'étant rétabli, on en était revenu au sérieux et à l'attention, l'orchestre accompagnait tranquillement un morceau de chant de la troisième scène, quand je tombai subitement à la renverse au milieu du parterre, en poussant un cri de rire rétrospectif... La nature reprenait ses droits, je faisais long feu.
Deux ou trois ans plus tard, réfléchissant à certains morceaux de ce genre qu'on trouve, il faut bien le reconnaître, chez plusieurs grands maîtres, l'idée me vint d'en faire figurer une collection dans un concert préparé ad hoc, mais sans prévenir le public de la nature du festin musical auquel il était convié; me bornant à annoncer un programme décoré exclusivement de noms illustres.
L'ouverture de la Rosière de Salency, cela se conçoit, y figurait en première ligne,—puis un air anglais célèbre: «Arm ye brave!»—une sonate diabolique pour le violon,—le quatuor d'un opéra français où l'on trouve ce passage:
J'aime assez les Hollandaises, |
Les Persanes, les Anglaises, |
Mais je préfère des Françaises |
L'esprit, la grâce et la gaieté. |
—une marche instrumentale qui fut exécutée, à l'indescriptible joie du public, dans un concert très-grave donné à Paris, il y a six ou sept ans;—le final du premier acte d'un grand opéra qui n'est plus au répertoire, mais dont la phrase: «Viens, suis-moi dans les déserts,» produisit aussi sur une partie de l'orchestre l'hilarité la plus scandaleuse, lors de la dernière reprise du chef-d'œuvre;—la fugue sur Kyrie Eleison, d'une messe de Requiem;—un hymne qui passe pour appartenir au style pindarique, dont les paroles sont:
I cieli immensi narrano |
Del grande iddio lu gloria! |
(Les cieux immenses racontent la gloire du grand Dieu!) mais dont la musique, pleine de jovialité et de rondeur, sans se soucier des merveilles de la création, dit tout bonnement ceci:
Ah! quel plaisir de boire frais, |
De se farcir la panse! |
Ah! quel plaisir de boire frais, |
Assis sous un ombrage épais, |
Et de faire bombance! |
—des variations pour le basson sur l'air: Au clair de la lune, célèbres pendant vingt ans, et qui firent la fortune de l'auteur.
Enfin, une très-fameuse symphonie (en ré), dont Gyrowetz n'est pas coupable.
Ce mirobolant programme une fois arrêté, l'orchestre conspirateur se réunit pour une répétition préliminaire. Quelle matinée!... Inutile de dire qu'on ne vit pas la fin de l'expérience. L'ouverture de la Rosière produisit son effet extraordinaire; le final: «Viens! suis-moi,» alla jusqu'au bout, au milieu des transports joyeux des exécutants, mais l'hymne:
Ah! quel plaisir de boire frais!
ne put être achevé: on se tordait, on tombait à terre, on renversait les pupitres, le timbalier avait crevé la peau d'une de ses timbales; il fallut renoncer à aller plus avant. Enfin, ce qui restait de gens à peu près sérieux dans l'orchestre fut réuni en conseil, et la majorité déclara ce concert impossible, assurant qu'il en résulterait un scandale affreux, et que malgré la célébrité, la haute et juste illustration de tous les compositeurs dont les œuvres figuraient dans le programme, le public serait capable d'en venir à des voies de fait et de nous jeter des gros sous.
O naïfs musiciens! vous connaissez bien mal l'urbanité du public! Lui, se fâcher! allons donc! Sur les huit cents personnes réunies dans la salle que nous avions choisie pour cette épreuve, cinquante peut-être eussent ri du meilleur de leur cœur, les autres fussent restées fort sérieuses et de grands applaudissements, je le crains, eussent suivi l'exécution de l'hymne et du final. Quant au Kyrie, on eût dit: «C'est de la musique savante!» et l'on eût fort goûté la symphonie.
Pour l'ouverture, la marche et l'air anglais, quelques-uns se fussent permis d'exprimer un doute et de dire à leurs voisins: «Est-ce une plaisanterie?»
Mais voilà tout.
Les anecdotes à l'appui de cette opinion ne me feraient pas défaut. En voici une entre vingt.