Читать книгу Henri Regnault, 1843-1871 : avec un dessin à la plume - Henri Baillière - Страница 3

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Table des matières

On raconte que, dès l’âge de trois ans, Henri Regnault, faible, maladif et souffreteux, posé à terre sur un tapis, avec un crayon et un morceau de papier et couché sur le ventre, s’amusait à dessiner de la main gauche des personnages et surtout des animaux; lignes étranges, incorrectes, mais saisissantes, où se voyait déjà un sentiment remarquable de la forme, un indice certain de la vocation qui l’inspirait. Parfois cela ne ressemblait à rien, mais combien de gens n’en sauraient pas faire autant. On peut presque dire de lui, sans exagération, qu’il a dessiné avant de parler.

Le premier dessin, vraiment digne de ce nom, qu’ait crayonné Henri Regnault et qu’il m’ait été donné de voir, est une marine: il porte une signature, une date (1850) et une dédicace: A sa bonne Célestine.

En voici l’histoire. Regnault avait 7 ans, il allait au jardin du Luxembourg et, sous les yeux de sa bonne, il lançait sur le bassin de petits bateaux qu’il avait lui-même taillés dans le liège; il prenait grand plaisir à ce jeu, et sa bonne, qui savait qu’il avait déjà donné quelques habiles coups de crayon, lui demanda de lui en faire le dessin comme souvenir. Regnault ne pouvait pas résister à semblable prière.

Et il crayonna quatre petits bateaux qui vont sur l’eau, mais non pas sur une eau calme: la brise a soufflé ; la mer est un peu houleuse; les vagues se soulèvent; et les navires, dessinés, non pas géométralement, mais en perspective, suivent les mouvements du roulis ou du tangage et se tiennent néanmoins en équilibre.

Vers 1852, il dessina des architectures, et nous avons vu de lui, des temples, des palais, des colonnades, des chapiteaux dans le style Indien, Egyptien, Persan, Assyrien, etc.; c’étaient des études, des imitations, sans doute, de quelque livre à images qu’il avait eu sous les yeux, mais on reconnaît une certaine hardiesse rare chez un enfant de neuf ans.

Ce n’était pas assez: Henri Regnault devint bientôt peintre de fleurs: Mme Biot, qui demeurait au Collège de France, dans le même bâtiment que M. Victor Regnault, aimait les fleurs; elle prit plaisir à demander à son jeune ami de lui conserver sur le papier le souvenir de ses bouquets et il s’y prêta volontiers.

Il n’avait pas encore abordé la représentation du monde vivant et animé : l’occasion devait bientôt s’offrir à lui et la séduction était trop grande pour qu’il ne s’essayât pas dans ce genre nouveau.

Son père poursuivait avec M. Jules Reiset son beau travail sur la respiration des animaux, et avait pour ses études un mouton et une chèvre, dans le jardin du Collége de France; ce mouton et cette chèvre, après avoir servi au père de sujets d’expérience, servaient encore au fils de modèles: Henri Regnault les dessine bien souvent, dans toutes les poses, sous tous les aspects.

Tout enfant, il demandait surtout à être promené au Jardin des Plantes et il se plaisait à aller rendre visite à ceux qu’il appelait déjà «ses amis.»

Mais l’animal qui l’attirait le plus, c’était le cheval; il avait pris l’habitude de forcer sa bonne, qui dans la rue le tenait par la main, à s’arrêter avec lui devant un cheval: il regardait, il étudiait; et rentré chez son père il passait sa journée à dessiner de mémoire tout ce qui avait frappé ses yeux et son esprit.

C’est ainsi que nous avons vu de lui des gendarmes, des cuirassiers, des cent gardes (aquarelles), des hussards, un cheval qui boit, le retour à la caserne (aquarelle), un intérieur d’étable, un cavalier cosaque, se défendant contre unfantassin français, sans doute un souvenir de récit de la guerre de Crimée, et nombre d’autres croquis soit à la plume, soit à la mine de plomb, soit aux deux crayons, soit en aquarelles , — sans compter tous les bonshommes dont il illustrait l’escalier et tous les chevaux apocalyptiques qu’il traçait sur l’asphalte de la terrasse du Collége de France, avec de la craie dérobée dans l’amphithéâtre du cours paternel.

Il reproduisait par le dessin tout ce qui frappait son regard, et faisait tout passer sous son crayon. Il ne reculait devant aucune difficulté ; sa main était déjà habile, son œil voyait bien; on devine en lui quelque chose de l’artiste qui comprend et qui sent.

M. le Dr Ernest Lafont (de Bayonne), qui a été élevé avec Regnault, m’a raconté une anecdote qui doit trouver place ici, et qui montre combien Regnault, même à l’âge de huit ou neuf ans, savait déjà voir juste et vite.

Un jour, chez Troyon, qu’il était allé voir avec un parent, H. Regnault regarda dans l’atelier du peintre un de ses admirables tableaux d’animaux. Il l’examina avec attention, et, tout à coup, il dit à l’artiste: «Dites donc, Troyon, voilà un bœuf qui ne se tient pas debout.» — «Comment, fit l’artiste en riant, tu veux me donner une leçon?» — «Non pas à vous, mais à votre bœuf qui ne se tient pas droit.» Troyon regarda de plus près, il reconnut la justesse de l’observation, et il ne manqua pas d’en faire son profit.

Regnault devint même sculpteur. A l’âge de 12 ans, il modela en terre glaise un cheval qui figura longtemps dans le salon de son père au Collége de France. Regnault conservera toujours cette passion pour le cheval, soit comme sujet d’étude, soit comme exercice favori; mais je crois que ce fut là son seul essai de sculpture; le dessin et la peinture absorbent désormais toute sa pensée.

Regnault fut mon condisciple dans une chère maison qui avait nom alors «Lycée Napoléon,» et qu’un de nos maîtres appelait déjà un «Lycée d’artistes. » Notre pauvre ami était un de ceux qui devaient le mieux justifier ce glorieux sobriquet.

Il ne faudrait pas croire cependant que, suivant un usage trop répandu, Regnault méconnût la haute valeur des études littéraires, et jugeât que pour être peintre il n’était besoin ni du grec, ni du latin, ni même du français: le vers latin l’attirait, au contraire, comme une occasion de développer les brillantes qualités de son imagination; il fut, on peut le dire, un élève distingué : il eut même quelque succès au Concours général.

Mais il avait adopté le dessin comme sa langue et semblait y trouver un moyen toujours facile et toujours fidèle d’exprimer sa pensée; de même Ovide ne pouvait parler qu’en vers:

Quidquid tentabam scribere versus erat.

Chez Regnault, tout se tournait en harmonie de lignes et de couleurs.

Chaque fois qu’étudiant l’histoire, il rencontrait une scène qui l’empoignait, il la dessinait du bout de la plume. Il dessinait partout, sur ses cahiers, sur ses dictionnaires, sur ceux de ses voisins, sur les tables, sur les murs.

En quatrième, on expliquait du Quinte-Curce; on en était à la bataille d’Arbelles: H. Regnault suivait, non sur le texte, mais dans son esprit, le pénible mot à mot d’un camarade, et il traduisait à son tour le récit de l’historien sous la forme qui lui était déjà familière: il dessinait la Bataille d’Arbelles.

Ailleurs; notre professeur d’histoire, M. V. Duruy, avait remplacé les fastidieuses rédactions par des narrations, qui devaient être des exercices de composition et de style, et il avait désigné à Regnault, comme sujet, la Mort de Vitellius. Regnault traita la question et fit son devoir, ainsi que l’on dit dans la langue des lycéens: mais sa copie était un magnifique dessin à la plume. — «Je voudrais bien vivre encore vingt ans, disait M. Duruy, pour voir ce que vous ferez alors.»

En 1854, 1855 et 1856, H. Regnault dessina au fusain et au crayon trois grandes compositions: la bataille d’Issus , la bataille d’Arbelles et la bataille de Rocroy ; ces compositions un peu théâtrales ne sont pas irréprochables; dans certaines parties on peut relever facilement des fautes de négligence, d’ignorance même; mais si la main est encore inhabile, l’esprit fait déjà preuve de volonté et dans sa témérité présomptueuse le jeune artiste ne redoute pas le danger dont il n’a pas conscience; il a laissé courir son crayon presque au hasard et il a trouvé, sans les chercher, des arrangements faciles et ingénieux, des effets puissants et imprévus; il a fait manœuvrer ses personnages qui se heurtent, qui s’agitent, qui vivent; il a montré des qualités soudaines de fougue, de verve, d’imagination, de mouvement, de vigueur et d’originalité qui rappellent un peu Lebrun et Horace Vernet et qui promettent un peintre d’histoire.

Dans des genres plus humbles et avec de plus modestes visées, Henri Regnault saississait à merveille le côté caractéristique d’une figure de camarade ou de professeur, et cela en deux coups de plume: ce n’étaient pas des caricatures, c’étaient des portraits, ou des scènes.

Nous admirions ce que Regnault considérait comme des barbouillages, et notre enthousiasme n’était pas désintéressé.

Ses camarades se souviennent que le Petit Regnault, ainsi qu’on l’appelait dans ce temps-là, portait toujours avec lui, en classe, — surtout à la classe d’anglais qui avait le mérite tout particulier de lui créer des loisirs et de lui souffler des inspirarations, — en récréation et même au réfectoire, un crayon et un album, ou, mieux encore, des feuilles volantes, qu’il se laissait prendre ou qu’il donnait facilement.

M. Elie Sorin raconte qu’un grand garçon de robuste encolure força un jour Regnault, sous peine d’être puni à coups de poing, de lui dessiner, séance tenante, un croquis à la plume, que Regnault dut s’exécuter et qu’en trois traits il satisfit à cette singulière commande. Je ne connais pas ce fait, et je serais bien tenté de le nier, tant à cette époque la grâce un peu chétive et le génie précoce de Regnault nous inspiraient de respect et d’admiration.

Ils sont nombreux les dessins qu’il laissa tomber de son crayon dans cette période, soit par devoir, soit par plaisir.

Nous avons vu de lui des copies d’après les académies, des études d’après la bosse et nous conservons entre autres un Jésus d’après Raphaël.

Notre condisciple et ami, Tito Nicora, possède quatre dessins qui, d’après ses souvenirs, datent de 1858.

Les deux premiers sont des croquis à la mine de plomb: l’un représente un chasseur avec son chien en arrêt devant un groupe de perdrix; l’autre, une chèvre en compagnie d’un chevreau gambadant follement dans l’herbe.

«Ici et là, dit Paul Mantz , on peut constater une certaine recherche du mouvement, mais le caractère est nul. Qu’est-ce à dire? sinon que le dessin est comme tous les langages, et qu’il faut, avant de s’en servir, avoir appris à le parler.

«Les deux autres croquis de l’album de M. Nicora sont des compositions à la plume, touchantes tentatives d’un écolier condamné au régime classique.

«Dans le premier de ces dessins, Regnault a figuré le combat d’Horace et de Curiace; au fond, deux guerriers qui accourent. L’ensemble est poncif et banal. Les Romains de Regnault sont costumés et armés à l’ancienne mode, à la façon de Brenet et de Le Barbier.

«Le dernier dessin est déjà plus fort. C’est Ulysse, déguisé en mendiant et accroupi auprès du foyer où personne ne le reconnaît encore. La notion archéologique se montre tout à fait élémentaire dans le mobilier et les accessoires. Une véritable marmite est suspendue à une cremaillère au-dessus des bûches enflammées, et l’âtre se décore de deux chenets gigantesques qui sont pareils à des landiers du moyen âge. Mais ici le maniement de la plume est presque habile; partout sont visibles le désir d’exprimer et les intentions de l’artiste; la tête d’Ulysse, sérieuse et recueillie, est conçue dans un sentiment assez individuel; on n’a plus affaire à un enfant dans cette traduction familière d’une page de l’Odyssée.»

Je trouve M. Paul Mantz bien sévère, et je serais tenté de lui reprocher de n’avoir pas signalé dans le dessin d’Horace et Curiace la connaissance anatomique qui perce sous le vêtement, et dans le dessin d’Ulysse le sentiment de la vive lumière que projette le foyer sur tout un côté du personnage, tandis que l’autre reste dans l’ombre.

Parmi les heureux camarades de Henri Regnault, qui ont conservé avec lui de bonnes relations et qui aujourd’hui ont entre les mains de précieux souvenirs, je n’aurai garde d’oublier M. Henri Rendu, qui a bien voulu me faire jouir du spectacle des merveilles qu’il possède: c’est une suite de 3 5 dessins, qui ont été faits au crayon ou à la plume, vers 1857, 1858 et 1859, et qui révèlent une fois de plus la verve prodigieuse, l’étonnante facilité de notre ami: il y a des portraits de condisciples (M. Henri Rendu, M. Desiles, M. Archambault), le portrait de l’artiste, des animaux (chiens, chevaux, oiseaux), des marines, des scènes de la vie rustique (bœufs au joug, un meunier normand à âne), des souvenirs de la mythologie (Diane), de l’antiquité grecque et romaine (Episode de la vie de Catilina d’après Plutarque, Démosthène et Cicéron), ou de la réalité moderne (les Équilibristes du Cirque), etc. J’en passe, et des meilleurs.

Quelques-uns cependant méritent une mention spéciale:

Les Horaces et les Curiaces: c’est un dessin au crayon qui est une variante du dessin à la plume possédé par Tito Nicora; mais il est plus important, il montre, non plus le dernier des Horaces luttant avec le plus valide des Curiaces, mais bien les trois groupes aux prises; les chances du côté des Horaces faiblissent, deux sont déjà renversés, un seul lutte avec énergie et avec succès; c’est le moment où il va feindre la fuite. On sent qu’il n’y a pas là seulement des costumes et des armes, mais que si on déshabillait ces bonshommes, on trouverait qu’ils s’appuient sur des reins bien cambrés, qu’il y a sous ces tuniques de vrais muscles et que le bras qui tient le bouclier ou l’épée est le bras d’un soldat romain et non d’un mannequin. De chaque côté, les armées, représentées par des groupes largement esquissés, assistent au combat.

Cacus et Hercule nous transporte en pleine mythologie. Hercule a pénétré dans l’antre du mont Aventin, il a renversé le géant, il l’a dompté, mais il n’en est pas encore maître: le monstre résiste, il vomit des tourbillons de flamme et de fumée et contracte tous ses muscles pour tenter un dernier effort. Le fond de l’antre est rempli par des accessoires tels que la génisse volée à Hercule, et la tête d’une victime humaine, pendue au rocher .

Une Vache au paturage détaillée avec une finesse qui ferait prendre ce dessin à la plume pour une eau forte.

Un portrait de camarade, M. A., dont le pantalon est déchiré, dont la tunique est percée au coude et qui imite la pose d’un joueur de violon: on dirait un pouilleux de Murillo.

Deux Lutteurs, où l’on remarque un rare sentiment de la notion anatomique.

Un Oiseau de Minerve qui déploie ses ailes.

Deux Marines qui servent à marquer la distance entre les bateaux du Luxembourg (1850) et les études plus complètes qu’il a pu poursuivre au Tréport ou à Dieppe pendant ses vacances.

Une Chasse au Cerf où le cerf, la meute de chiens, les deux chasseurs à cheval sont savamment disposés, avec une science peu commune de la perspective.

Une Chasse au chien d’arrêt, qui reproduit très-exactement un des croquis à la mine de plomb que possède Tito Nicora, mais dans de plus grandes dimensions: l’artiste n’a peut-être pas encore beaucoup chassé lui-même, mais il lui a suffi d’un coup d’œil pour saisir et fixer la pose du chasseur inquiet et attentif, du chien qui suit la piste, et du gibier qui marche à pied.

En 1859, H. Regnault avait entrepris un poème épique , de même que nous avons tous entrepris et conduit plus ou moins à bien, une tragédie, une comédie ou un roman: mais son poème, c’était à la fois une suite de dessins, et une série de quatrains dans la langue de Virgile: il ne pouvait pas moins, pour un peintre fort.... en vers latins.

Rassurez vous: ce poème n’a que quatre pages:

La première page contient le frontispice et représente le Père Balmelle, avec sa calotte, ses cheveux bouclés, ses lunettes, sa goutte au nez et sa tabatière: il était professeur de septième au Lycée Napoléon, il donnait en outre l’hospitalité chez lui à quelques élèves particuliers, au nombre desquels était H. Regnault; il avait une manie toute particulière de vous tirer les cheveux, aux endroits sensibles, près des tempes et sous la nuque, manie dont tous ceux qui ont été ses élèves se souviendront. Dans le dessin, il déploie une grande pancarte sur laquelle on peut lire le titre complet et exact du poëme, calligraphié par H. Regnault: La guilmotropie ou l’histoire d’un nouveau misanthrope racontée dans un poème épique et illustrée d’une multitude de gravures par H. Regnault, son condisciple. Publié en 1859 .

La deuxième page contient le titre d’entrée, où le nom du poème est une variante du grand titre: La guillemotropie (sic) et un portrait en pied du héros: la tête manque, faute de temps sans doute pour la finir, mais on reconnaît un type de potache admirablement réussi, avec un mouvement de pantalon superbe, avec des souliers comme nous en avons tous porté, et surtout un bout de chemise passant entre le gilet et le pantalon qui vaut tout un poëme: autour du portrait du héros se groupent, comme une ronde d’anges, les portraits des quatre camarades de Regnault chez M. Balmelle: l’un envoie un pied de nez au héros; le second lui montre le poing; le troisième n’est que la tête très-légèrement esquissée de H. Regnault; le quatrième n’est représenté que par sa place vide; au dessus de ce groupe, domine un pion à lunettes, l’alter ego de M. Balmelle.

La troisième page représente le héros se rendant au collége: voici les vers qui accompagnent le dessin, et qui le décriront mieux que je ne le ferais moi-même.

Non secus ac patriis acer Romanus in armis,

Injusto sub fasce viam cùm carpit, hic omnes

Sarcinulas retrahens, volat attamen ocior Euro,

Verberat et terram sonipes...

Le mouvement de la course est très-remarquable: les deux pieds sont en l’air, et le héros de Regnault court sur les pavés, comme Camille sur les blés.

La quatrième page représente le noble et illustre jeu du Combat des porte-plumes. Lisez plutôt:

«Humano ille canens cornu certamina, caeco

Impete bellantes simul incitat: arma tenentes

Infesta, hi properè concurrunt: exuit alter

Alterum, et haud fuso finitur sanguine bellum.

Un détail: le pupitre est d’une correction achevée, comme pureté de lignes; c’est un chef-d’œuvre de menuiserie universitaire. H. Regnault s’attachait déjà beaucoup aux accessoires.

Ai-je besoin de dire que parmi ces vers, encadrés dans des réminiscences de Virgile et d’Horace, se trouvent quelques hémistiches bien frappés? En tout cas, je ne crois pas inutile, pour mes lecteurs et surtout mes lectrices, d’en donner une traduction que je dois à la plume élégante de M. Ch. Meaux St-Marc:

Tel, d’armes surchargé, le belliqueux Romain,

Pour la grandeur de Rome, affronte un long chemin.

Plus léger que le vent, il s’avance intrépide,

Les quatre fers en l’air, comme un coursier rapide.

Sa bouche aux fiers combats animant leur courage,

Les deux lutteurs fougueux, pleins d’une aveugle rage,

S’élancent.... et bientôt, abattu, désolé,

L’un d’eux tombe: ô bonheur! le sang n’a pas coulé.

Vers la même époque (1859), H. Regnault fit à la plume une dizaine d’illustrations, destinées à un André Chénier, pour un de nos condisciples, bibliophile en herbe, qui les habilla, comme elles le méritaient, en maroquin plein, et qui fit d’un volume de trois francs un bijou inappréciable. Nous ne savons pas ce qu’est devenu cet exemplaire unique d’André Chénier, non plus que les illustrations d’un Alfred de Musset, qui, je crois, ne furent pas poussées très-loin, non plus qu’un Pic de la Mirandole dont il couvrait les marges de miniatures enluminées, au dire de notre ami Tito Nicora.

Il poursuivait en même temps ses études et prenait volontiers pour modèles ses camarades: parmi les charmants crayons que nous avons vus de lui, nous citerons en particulier le portrait de M. Gaston Briand .

Au reste, M. H. Regnault avait déjà fait depuis plusieurs années son premier tableau à l’huile: c’est le portrait de Mlle Marie Balmelle, la fille de M. Balmelle, qui mourut à l’âge de 17 ou 18 ans, d’une maladie de poitrine, et qui avait inspiré à Regnault, alors âgé de 13 ou 14 ans, une véritable passion. Henri Regnault sollicita et obtint du père la permission de faire le portrait de cette jeune fille sur son lit de mort .

Je dois encore à M. le Dr Ernest Lafont quelques détails intéressants sur cette époque de la vie de Henri Regnault, et je me fais un plaisir de citer un fragment de la lettre qu’il a bien voulu m’adresser à ce sujet:

«Nature exubérante et pleine d’imagination, Henri était à 14 ans comme Chérubin; il aimait toutes les femmes, et il ne se faisait point tirer l’oreille pour composer des sonnets amoureux.

«Musset était alors son poëte favori: il en savait un grand nombre de poésies, et celles qu’il affectionnait particulièrement étaient les poésies délicates et amoureuses. Je me souviens qu’il m’a dit bien souvent la poésie dédiée à Ninon:

Si je vous le disais, pourtant que je vous aime,

Qui sait?

«Il récitait du reste fort bien les vers, avec beaucoup de sentiment et de charme.

«Et à ce propos, je vous dirai qu’un jour, devant quelques personnes, on le pria de dire quelque poésie. Il avait alors de 14 à 15 ans. Il répondit qu’il ne savait pour le moment qu’une pièce de vers fort triste et qu’il ne voulait point ennuyer son auditoire. Enfin sur l’insistance qu’on y mettait, il prit un air langoureux et annonça, la main sur le cœur: Les adieux touchants d’un poëte à sa lyre; chacun prenait un air de circonstance pour écouter une poésie aussi tristement annoncée, quand on entendit ces mots:

Luth,

Zut!

«Ce fut tout, et il salua son auditoire. C’était une gaminerie, mais tout cela avait été si bien amené qu’on ne put s’empêcher de rire.

«Notez bien, que ce que je vous dis de lui se rapporte à l’âge de 12 à 15 ans, lorsque nous étions encore des enfants, et il ne faudrait pas croire que son caractère de jeune homme a été le même.»

C’est en 1860 que se place, dans l’œuvre de Regnault, une aquarelle que je possède (elle porte la date du 29 novembre), et qui révèle un côté de la prodigieuse facilité de son talent.

Regnault peignait une aquarelle pour un éventail et venait de jeter l’eau qui se trouvait dans le verre où il lavait ses pinceaux; il ne restait plus qu’un peu de boue sale tombée au fond du verre, — lorsque j’entrai chez lui. Tout en causant, il reprit un pinceau et, après l’avoir trempé dans ce résidu multicolore, il le promena machinalement sur une feuille de papier qu’il avait devant lui; au bout de quelques instants, il y avait là un mendiant et son chien: un peu de bleu pour la blouse, un peu de rouge pour les chairs, suffirent à compléter cette aquarelle largement mais grassement traitée, — lorsque je lui manifestai le désir de conserver ce souvenir. C’était un procédé de Goya qu’il retrouvait, sans connaître sans doute l’auteur des Caprichos.

C’est encore ici que prennent rang, dans l’ordre chronologique, quelques dessins à la plume, dont l’un, reproduit à la fin de cette notice, avec une rare fidélité, par le procédé de l’héliogravure, a pour titre: les Chiens savants. Selon M. Paul Mantz, ce dessin, qui rappelle un peu la manière de Charlet, est dépourvu d’originalité, et ne trahit un peu d’accent individuel que dans les trois personnages qui se tiennent debout au second plan. Pour un croquis fait en se jouant, la critique nous paraît un peu sévère.

Nous possédons en outre quatre autres dessins à la plume qui portent la signature de notre ami:

C’est une Etude de cheval de course, franchissant la barrière; le jockey est bien assis; le cheval, le cou tendu, lance hardiment ses jambes de devant, et ramasse l’arrière-train.

C’est une Vue de bains froids.... pour Dames, vue prise en pleine eau, aux environs d’Asnières ou de Chatou: il y a là un sentiment chaste et gracieux, qui en fait presque une scène antique: on croirait voir Nausicaa et ses compagnes.

C’est une Etude de jeunes femmes qui, d’une main timide, relèvent le coin de leur robe à volants pour faire une révérence ou pour danser un quadrille: on dirait un dessin de modes, tant il y a de précision dans les détails de l’ajustement.

Enfin, c’est une scène intime que nous appellerons volontiers: Tendres aveux. Un jeune couple suit l’allée d’un parc, par une belle matinée de printemps, et rapporte à la maison une ample moisson de fleurs nouvelles. Il est beau, elle est charmante; il est distingué, elle est élégante; il porte un riche habit, elle est vêtue d’une robe aux plis coquettement drapés; il s’incline d’un air galant, elle passe discrètement le bras sous son bras; il lui presse la main de sa main, elle s’abandonne timidement; il lui dit tout bas quelques mots d’amour, et laisse le sourire de ses yeux dire le reste, elle écoute surprise et charmée. Dans cette petite scène d’une grande fraîcheur de sentiment, d’une remarquable finesse de dessin, respire le bonheur.

Henri Regnault, 1843-1871 : avec un dessin à la plume

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