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I

Table des matières

INTRODUCTION.

Le sentiment du l’immortalité, le respect de la postérité sont des mots vides de sens, qui font sourire de pitié ; on veut jouir, après soi le déluge.....

Il me semble que je vois déjà nos neveux le barème en poche et le portefeuille de finance sous le bras. Regardez-y bien, et vous verrez que le torrent qui nous entraîne n’est pas celui du génie.

DIDEROT, Salon de 1769.

Le nombre des œuvres d’art exposées au Salon augmente tous les ans, comme une marée montante. Faut-il en conclure que notre époque devienne plus artistique chaque jour, et que nous ressentions davantage le besoin des choses élevées, des aliments purs qui s’adressent à l’intelligence? Nous ne le croyons pas, et la grande quantité des ouvrages produits est plutôt la preuve d’une science matérielle très-répandue et d’une connaissance générale des procédés du métier; en sorte que beaucoup savent peindre avec une habileté à peu près égale. Nous possédons mieux la rhétorique de l’art que l’art lui-même, il faut bien en convenir, et notre civilisation est entraînée dans d’autres courants: celui de la science, qui brille d’un vif éclat, à l’honneur de notre siècle, et surtout, celui des intérêts matériels. Diderot, devançant la marche du temps avec cette double vue qui est le don habituel du génie, a fait une juste prophétie que nous nous sommes chargés d’accomplir. Nous oublions ces belles paroles de Beethoven, qui s’appliquent à toutes les branches de l’art: «Je ne crains rien pour ma musique,

«elle ne peut avoir de destinées contraires; celui

«qui la sentira pleinement sera à tout jamais

«délivré des misères que les autres hommes

«traînent après eux.»

Devant l’immense quantité des toiles exposées (3,045 numéros inscrits au livret, pour la peinture), on est tout d’abord comme perdu et troublé. Où courir pour trouver les œuvres aimées, et quel travail immense il faudra accomplir pour reconnaître le bon grain! Encore, en recherchant la vérité avec conscience, est-on sûr de la rencontrer sur son chemin et surtout de pouvoir la dire? La critique a peu de pouvoir aujourd’hui sur la direction et sur les tendances de l’art; il est rare qu’on l’écoute, alors même que par hasard elle donne de bons conseils; les artistes la câlinent d’abord pour qu’elle les fasse connaître, puis ils la dédaignent lorsqu’elle a fait quelque bruit, répandu un peu de lumière autour de leur nom inconnu la veille. Néanmoins elle a un rôle dans les choses de son temps; si elle n’a pas une action directe, si elle est lente à porter ses fruits, elle pénètre par infiltration dans l’opinion générale. Son devoir est de se placer, autant que possible, au point de vue de l’artiste et de dire simplement son opinion; elle doit demander des œuvres sincères, constatant les tendances, les efforts et les résultats, en essayant de ne blesser personne. Avec ces restrictions, la difficulté de parler des vivants est encore bien grande lorsqu’on prend la tâche au sérieux. Est-ce même possible? Ce n’est pas sans un certain trouble que nous tentons l’aventure.

Est bien fou du cerveau

Qui prétend contenter tout le monde et son père.

Quand on voit les brusques changements qui s’opèrent dans le goût du public, l’engouement et la passion créer des réputations pour les éteindre presque aussitôt, on se demande où est la vraie mesure des jugements sains, et si la mode n’étend pas son empire jusque sur les productions de l’art. Watteau, Boucher et les autres hommes du XVIIIe siècle sont à l’heure présente recherchés avec ardeur, on les paye au poids de l’or, tandis qu’il y a vingt ans on n’en voulait à aucun prix; ils sont toujours les mêmes, ils n’ont point grandi ni diminué, mais la mode qui les avait délaissés pendant longtemps les a repris sous sa protection toute-puissante, dans un pays dont l’opinion mobile s’applique à toutes choses.

Ceci dit en manière de préface et pour faire excuser d’avance les erreurs involontaires que nous pouvons commettre, entrons au palais des Champs-Élysées.

L’emplacement n’est pas disposé de la même façon qu’il y a deux ans. Au lieu d’une suite de salles de dimensions à peu près égales, on a fait deux doubles galeries qui, partant d’un grand salon placé au centre de l’édifice, s’étendent dans toute la longueur du bâtiment. Il n’y a pas de plafond sous la grande voûte de verre, et le jour n’est pas bon; il est trop éclatant et trop brusque; il répand une clarté très-vive d’un côté et laisse l’autre dans l’ombre, selon l’heure et le temps qu’il fait. On a tendu quelques toiles, une façon de vélarium incomplet dont l’action est tout à fait insuffisante. A cette grande lumière, nous avons vu des tableaux qui semblent avoir perdu de leurs qualités, et c’est presque toujours ce qui arrive; l’atelier fait valoir la peinture, il l’augmente; là elle est seule, bien placée, en bon jour et elle donne tout son effet, tandis qu’au Salon elle se trouve souvent dans des conditions très-différentes qui peuvent lui nuire, et parfois on doit en tenir compte pour apprécier justement.

La grande peinture est faiblement représentée cette année en qualité et en quantité ; car nous ne considérons pas comme de la peinture d’histoire les grandes toiles officielles, quelles que soient leurs dimensions. Comme en 1857, nous voyons un nombre considérable de batailles, et si M. Horace Vernet, le général en chef de ce genre de compositions, est absent cette année, ses lieutenants sont là et forment toute une armée: MM. Pils, Yvon, Devilly, Barrias, Protais, Armand Dumaresq, etc.; et il ne faut pas oublier M. Hippolyte Bellangé, qui, dans de petits cadres, sait très-bien rendre la grandeur de certaines scènes de la vie militaire.

M. Hippolyte Flandrin, qui travaille en ce moment à la décoration de l’église Saint-Germain des Prés, est représenté par trois portraits, dont l’un est merveilleux. M. Chenavard s’est abstenu, ainsi que M. Couture; on a dit que ce dernier renonce à peindre le baptême du Prince Impérial, dont il avait reçu la commande; il voulait procéder à la façon de Rubens, par allégorie, et on prétend que son esquisse n’aurait pas été agréée, et qu’il n’y veut rien changer. M. L. Matout termine la chapelle de l’hôpital de Lariboisière, et il n’a qu’un petit dessin d’après une des compositions qu’il est en train de peindre en ce moment. On cherchera en vain les ouvrages de M. Meissonnier, le grand artiste des infiniment petits; il n’a rien livré à la publicité, non plus que M. Tassaërt. Dans le genre historique, M. Robert-Fleury, qui avait eu un très-beau succès au dernier Salon avec son Charles-Quint au couvent de Saint-Just, manque également à l’appel. MM. Brascassat, J. Dupré et mademoiselle Rosa Bonheur, se tiennent aussi sous la tente. Qui s’abstient encore? Un grand nom, M. Decamps. Hélas! c’est la santé qui le trahit. Enfin, M. Courbet, de retour d’Allemagne et de Hollande, n’a rien exposé au Salon, et il ne paraît pas devoir faire une exhibition particulière comme en 1855. Le réalisme sommeille, nous verrons son réveil.

Parmi les sculpteurs, nous signalerons tout d’abord l’absence très-regrettable de M. Barye. Il s’éloigne obstinément de nos expositions, il évite le bruit, il fuit tout tapage avec le même soin que tant d’autres mettent à le rechercher. Depuis le fronton du pavillon du vieux Louvre, qu’il a fait en 1836, nous ne croyons pas qu’il ait entrepris de grands travaux, peut-être faute de commandes, et l’Etat devrait tenir à honneur de donner de l’emploi à un talent de cette importance et de cette élévation. MM. Duret, Dumont, Lemaire et Jouffroy n’ont rien envoyé non plus cette année. Mais les combattants sont encore nombreux et il y en a de jeunes qui sont pleins d’ardeur à bien faire: M. Millet, l’auteur de la belle statue d’Ariane qui est maintenant au Luxembourg, a un Mercure, une statuette et deux bustes. M. Allasseur, un Moïse sauvé des eaux. MM. Cavellier, Pollet et M. le comte de Nieuwerkerke n’ont que des bustes. Nous aurons à voir les ouvrages de MM. Foyatier, Fremiet, Montagny, etc. MM. Étex et Clésinger sont à la fois peintres et sculpteurs; le premier n’a pas moins de dix peintures et autant de sculptures; quelle fécondité pour un hermaphrodite! Et le second a trois tableaux dont une colossale.

Le jour de l’ouverture du Salon, à la première visite, on voit tout à la hâte, sans rien regarder spécialement. C’est, pour ainsi dire, comme la première audition d’un opéra qui ne laisse que des souvenirs confus. On parcourt le terrain pour le bien reconnaître et en lever le plan général, afin de savoir où se trouvent les ouvrages importants. Plus tard on fait des découvertes, on trouve des tableaux qui, n’ayant pas l’éclat du nom, nous attirent d’eux-mêmes par leur propre valeur, et ce n’est pas là un petit mérite. Dans ces pérégrinations à travers les galeries, nous avons vainement cherché le tableau capital de l’Exposition, celui devant lequel la foule se presse, où l’on discute avec animation, où, admirateurs et ennemis, chacun s’agite en disant son mot. Qu’il y ait victoire gagnée, ou seulement le combat du succès, il n’importe guère; mais l’attention est éveillée, et on vient voir l’œuvre heureuse qui a le don de passionner, Aujourd’hui rien de semblable. Est-ce indifférence de la part du public? — Peut-être. Ou bien l’échelle du talent, qui est encore très-haute, ne touche-t-elle plus le sommet où se tient le génie? Il faut bien poser cette hypothèse quand on considère l’état de la grande peinture historique et religieuse. Cet art élevé, qui a brillé d’un si grand éclat, semble souffrant, comme si la veine féconde d’où il jaillissait autrefois était épuisée. Répondait-il à des besoins qui ne sont plus? Doit-il subir comme toutes choses ici-bas la. loi des transformations perpétuelles? Le certain est qu’il faut toujours produire; la nature toujours changeante, combinée avec la prodigieuse diversité de l’intelligence humaine, donnera indéfiniment des impressions différentes et nouvelles; là est la source de la variété de l’art, et, comme la jeunesse, son avenir est éternel.

Voyons ceux qui sont entrés en lice, et commençons ce travail par l’examen des toiles heureuses qui ont emporté dans leurs cadres l’aspect de la nature, car nous croyons que le paysage représente la partie la plus vigoureuse, et probablement la plus forte de l’école moderne, dans la situation présente de l’art.

Le Salon de 1859

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