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IX
Denise à Philippe.

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21 décembre.

Hier vous avez dit: «Je vous connais parfaitement, absolument.» C'est un peu présomptueux de votre part, cette affirmation. Eh bien, moi aussi je vous connais: vous êtes remarquablement intelligent, mais vous n'êtes pas simple. Vous vous analysez, vous vivez en contemplation devant les mouvements de votre esprit, de votre âme; vos plus menues sensations vous sont chères; elles se décuplent en vous, vous maintiennent dans une perpétuelle recherche de choses délectables, sur vous d'abord et sur quelques autres ensuite; c'est une ivresse d'une qualité très supérieure; vous l'ingurgitez fort goulûment. Elle vous donne une prédominance indéniable sur la foule des jeunes hommes de notre monde.

Vous auriez fait—vous en conveniez vous-même hier—un littérateur d'une qualité rare, possédant les «certains dons d'enthousiasme et d'amertume» dont parle Maurice Barrès.

Vous ressemblez à celui-là par tant de points!

Vous les possédez ces dons, et savez en jouir avec une acuité merveilleuse. Je soupçonne fort que, comme l'homme libre, de prendre une résolution, vous fûtes «détourné de ce cher projet par la nécessité d'être extrêmement énergique pour l'exécuter».

Vous comprends-je pas bien à demi-mot, dites? Pour votre malheur, vous vivez dans un milieu d'inutiles, de gens à l'existence vide, remueurs d'argent plus que d'idées. Ils vous plaisent pourtant; vous sentez tellement, en leur lourde compagnie, votre précieuse individualité! et puis le luxe de leur vie vous charme, étant donné votre nonchalance, peut-être même votre paresse. Il est plus difficile de produire quoi que ce soit que de se jeter dans une voiture de cercle en disant au cocher: Aux courses! Il est plus difficile de gagner l'argent que de le perdre, non pas même en s'amusant, mais en ayant l'air de s'amuser. Ce farniente élégant répond trop bien à certaines de vos aspirations pour que je le trouble autrement que par ma bonne grosse morale. Mais, mais, ne nous les jetez pas si souvent à la tête, ces vers:

Tu n'as jamais été, dans tes jours les plus rares,

Qu'un banal instrument sous mon archer vainqueur[1].

Ne dites pas de nous: Elle n'est qu'un instinct dansant que je voulus adorer pour le plaisir d'humilier mes pensées.

C'est un trop grand mépris, m'sieur Barrès, m'sieur Philippe... pouvez-vous savoir combien nos cœurs, notre sensibilité, nos tendresses pensées, sont loin de la banalité un peu lourde que nous offrent parfois les vôtres, mes beaux messieurs qui vous piquez d'intellectualité, d'art et d'idéalisme?

J'en arrive à croire que l'homme qui a tout simplement bon cœur sublimise l'amour en notre honneur, tandis que l'artiste et le dilettante n'y cherchent qu'une satisfaction toute personnelle. Ah! vous étiez fameux tous, hier, fats et naïfs, mes chers, de croire que nous ne vous étudions pas aussi bien que vous nous étudiez.

Si vous saviez quels dons de froide analyse se cachent souvent derrière nos pires enthousiasmes...

Ce que nous cherchons, c'est un peu d'illusion et de rêve; nous arrivons parfois à les trouver, mais soyez bien sûrs que nous vous comptons pour ce que vous valez dans ces joies jolies que, ne pouvant avoir seules, nous sommes obligées de vous faire partager.

Allez, allez, nous avons aussi un petit archet vainqueur, et il se peut bien faire que nous sachions tout comme vous, nos maîtres, tirer du banal instrument que vous êtes des sons merveilleux, parce qu'ils procèdent de nos rêves plus encore que de vous.

Bonsoir et bonjour, monsieur, car une heure du matin sonne.

Amitié amoureuse

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