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L’ENFANCE

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Table des matières

Pourvu qu’ils soient bien nourris, les enfants viennent tout seuls, et se portent toujours bien.

X***

Les bons conseils ont manqué rarement aux mères qui les ont désirés. La difficulté a toujours été, quand elles en ont senti le besoin, de les faire parvenir jusqu’à elles, de leur en faire apprécier les avantages et pour elles et pour leurs enfants.

Aujourd’hui il faudra, avant tout, les convaincre que l’on ne sépare plus l’intérêt de la mère de l’intérêt de l’enfant, c’est-à-dire l’amélioration des nourrissons du désir constant de sauvegarder les forces et la santé de la nourrice.

Ces deux intérêts, qu’on a eu le tort ou le malheur de croire opposés, sont toujours faciles à concilier. On se décidera sans doute à en rechercher les moyens, quand cette conviction se sera généralisée.

Il sera non moins utile de prouver que la mère trouvera dans l’accomplissement entier de ses devoirs maternels des compensations immédiates, des bénéfices futurs et certains, pourvu qu’elle sache tenir compte des exigences d’une position spéciale, pourvu qu’elle veuille demander à une nourriture plus choisie l’équivalent au moins de ce qu’elle donne à son enfant.

Le meilleur moyen d’améliorer le sort des jeunes enfants, sans nuire à leurs mères, est donc d’enseigner aux femmes une hygiène simple, à la portée des plus modestes intelligences, et de vulgariser un petit nombre de notions justes et saines sur les besoins particuliers de la mère et de l’enfant.

Pour cela il faut soigner mieux et perfectionner l’éducation des mères, ne pas reculer devant la peine de leur expliquer la raison et le but des actes conseillés. Quand il n’est pas compris ou quand il est mal compris, un conseil excellent ne reste-t-il pas toujours stérile?

En dehors de cette méthode, je ne prévois que des insuccès. Si l’avenir ressemble au passé, pourquoi échapperait-on aux déceptions qui ont fait jusqu’à présent le désespoir des amis de l’humanité ? Conseiller est bien, mais instruire et convaincre est encore mieux.

En exposant l’hygiène la plus favorable à la mère et à l’enfance, j’aurai donc le soin de ne pas séparer mes conseils des explications qui en feront comprendre le but et apprécier la valeur.

Un cri d’alarme a été lancé et a retenti douloureusement parmi nous: «La population française diminue.» Cette triste nouvelle a causé une profonde émotion. Aujourd’hui la mode veut qu’on déplore la diminution des naissances, qu’on gémisse sur l’avenir de la France et qu’on menace les célibataires d’un impôt progressant avec la durée de leur obstination dans le célibat.

Mais qui donc s’occupe sérieusement de vulgariser les moyens de diminuer la mortalité des jeunes enfants? Le remède le plus efficace, le plus immédiat au mal signalé ne se trouve-t-il pas dans la meilleure préservation des nouveau-nés? A quoi servira de multiplier les naissances, si la mort continue à moissonner 80 ou 90 enfants sur cent, comme cela se voit dans certains départements?

Je voudrais moins de gémissements et plus d’actes raisonnés, moins d’indulgence pour les fautes à commettre, et plus de sévérité pour corriger les mauvaises habitudes des nourrices mercenaires.

Le premier devoir des économistes, des philanthropes, des écrivains, des moralistes..... sera donc de venir en aide aux médecins, d’exposer, de défendre et populariser, chaque fois que l’occasion s’en présentera, la méthode dite naturelle, la seule qui assure à l’enfant le droit de croître, vivre et se bien porter. Cette méthode se résume ainsi: Allaitement maternel avec usage prolongé d’un bon lait animal.

L’art d’élever les enfants, comme le plus utile, devrait être le premier des arts enseignés. Cependant on y songe à peine; son importance n’a pu le mettre à l’abri du dédain des uns et de l’indifférence des autres. Où sont les jeunes femmes qui s’adressent cette question, pourtant si naturelle: Quand nous serons mères de famille, comment devrons-nous élever nos enfants?

Toutes acceptent les yeux fermés les habitudes prises, bonnes ou mauvaises, et le hasard devient le directeur absolu de la famille naissante.

Je crois opportun, urgent de réagir contre cet excès de négligence ou d’ignorance. Car les impressions subies pendant la première enfance retentissent sur la vie entière. Car une nourriture bonne dès le berceau fortifie l’organisme, perfectionne la nutrition et multiplie le nombre des hommes robustes. Tandis qu’une alimentation de fantaisie imposée à l’enfance affaiblit l’économie, diminue les chances de bonne santé, compromet une fonction de premier ordre, la digestion, et détruit la base principale sur laquelle repose tout l’édifice d’une vie saine et longue.

Sous l’influence des fautes de la nourrice, l’intestin de l’enfant éprouve des secousses pénibles, des impressions étranges, anormales, sécrète des liquides défectueux et viciés, s’habitue presque à l’irrégularité ou à l’imperfection dans ses fonctions et (le souvenir d’une perversion acquise se conservant au physique au moins autant qu’au moral) tend sans cesse à retomber dans les mêmes travers ou les mêmes écarts. Dans ces conditions défavorables, la durée de la santé reste une affaire de chance et la longévité devient un phénomène ou une exception.

Au début de la vie, la perfection des fonctions digestives en prépare la régularité et en assure l’intégrité. La force et la santé se mesurent ensuite au soin avec lequel on proportionne les recettes aux dépenses. Avec de la modération dans l’usage des biens de la terre, l’expérience a prouvé que la vie s’allongeait sensiblement. Chaque génération ayant une tendance marquée à léguer ses vertus acquises à celle qui suit, on arrive peu à peu à se créer des droits réels à la vie séculaire, résultat que l’on n’entrevoit en ce moment que comme un rêve ou une impossibilité.

Je ne saurais donc trop recommander au père de famille qui souhaite à ses, enfants une belle santé et une longue vie, d’appliquer à leurs premiers jours, à leurs premières années, un régime dont la sagesse ne se démente jamais.

«Presque toute la médecine de l’enfance est dans le régime.» (Dr DONNÉ.)

Je partage l’avis de ce distingué confrère et j’irai plus loin que lui dans la même voie, puisque je ferai du choix de la première alimentation la condition de la bonne santé et de la prolongation de l’existence.

Si l’enfant a une grande énergie fonctionnelle dans le tube digestif, il a une susceptibilité maladive plus grande encore. C’est pourquoi je réclame tant de ménagements pour des organes impressionnables, que j’ai toujours vus plus accessibles aux influences nuisibles que dociles aux impulsions vers le bien.

«C’est à la première enfance qu’il faut donner toute son attention, comme à une source d’où découleront plus tard la force ou la faiblesse, la vigueur ou les infirmités.»

(Dr DONNÉ).

Sur quatre enfants à la mamelle et mal nourris, il en meurt trois dans le cours de la première année. Le quatrième survit et vient augmenter le nombre des irréguliers de la santé qui, après avoir langui ou végété plus ou moins longtemps, meurent toujours prématurément.

La longévité n’est possible sur une vaste échelle, que si l’art de se bien nourrir se vulgarise et commence à répandre sur la première enfance les bienfaits qu’il prodigue à tous les âges.

En d’autres termes, le meilleur gage de la bonne santé à venir est la perfection du régime alimentaire de l’enfant au berceau. Ce n’est qu’une première étape, il est vrai, mais son parcours régulier équivaut à l’acquisition de biens inappréciables: il prépare et assure le jeu normal des intestins, accroît la somme des forces libres, double la valeur de l’homme en société, et donne enfin une base solide à cette longue vie tant désirée.

C’est pourquoi tant d’auteurs ont affirmé que la nourriture du premier âge imprimait à l’organisme un cachet ineffaçable et lui laissait, en bien ou en mal, une empreinte telle qu’on en retrouvait les traces à toutes les époques de l’existence. Comment faire pénétrer cette grande vérité dans l’esprit des pères et mères de famille? Ah! si la nourriture de l’enfance était ce qu’elle devrait être, que de maladies seraient supprimées! Combien l’aspect de la vie serait moins sombre et son parcours moins décourageant!

Aveuglées par d’incroyables préjugés, la plupart des mères conservent les habitudes du passé, surtout quand ces habitudes sont mauvaises. C’est à ce point que je soutiens que l’enfant n’a pas d’ennemi plus terrible qu’une mère dominée par de vulgaires créances. Comment conjurer un danger de tous les jours et de toutes les heures Et malheureusement ces mères-là se rencontrent aussi bien dans la classe riche que dans la classe pauvre.

En réalité, le sort du jeune enfant est entre les mains de celle qui le nourrit. Son avenir dépend, non de l’incurie que je ne suppose pas, mais des caprices ou des erreurs d’appréciation qui décident du choix des aliments. L’effroyable mortalité des enfants pendant leur première année reste un enseignement stérile, tant les usages établis sont difficiles à changer.

«Moi, j’élève mes enfants comme j’ai été élevée moi-même.»

Cette niaiserie vole de bouche en bouche. Placée à propos et débitée avec assurance, elle manque rarement de produire un certain effet. Mais ces mères, en apparence si convaincues, ne comptent jamais les victimes qui encombrent la route suivie par elles.

D’ailleurs les très jeunes enfants meurent partout si vite et si régulièrement, que ce phénomène passe pour un accident inévitable, pour un défaut attaché à l’enfance. Qui donc s’inquiète de ce résultat et se demande si un tel malheur pouvait être prévenu ou atténué ?

Quand on délibère sur l’éducation d’un nouveau-né, les vieilles femmes ont constamment voix prépondérante au conseil. Je ne m’en plaindrais pas si leur influence était bienfaisante. Mais ces mégères, qui ne s’accordent sur rien, s’entendent fort bien dès qu’il s’agit de conserver un préjugé nuisible ou de propager des erreurs inimaginables. Après les avoir baptisées fort sévèrement, la chronique libre les accuse d’une méchanceté égale à leur ignorance, leur reproche de ne se perpétuer sur la terre que pour empêcher le bien, éloigner le mieux et multiplier le mal. Je ne me sens pas le courage de protester contre la sévérité d’un jugement si bien motivé.

Dans l’éducation de l’enfant la mère a naturellement le rôle principal, puisque c’est à elle qu’incombent les soins de chaque jour. Ce serait donc pour elle une obligation évidente d’étudier l’art de bien élever les enfants. Son instruction classique devrait même comprendre quelques notions justes et précises sur cet important sujet. A cet âge les bons conseils ont une portée incalculable et sont rarement perdus.

Vain désir! Les lacunes reconnues de l’instruction de la mère continueront à se traduire en défauts dans l’éducation de l’enfant. Veut-on savoir pourquoi l’éducation physique de ce dernier reste partout si défectueuse? C’est parce que partout dominent les mêmes préjugés, les mêmes principes faux; parce que partout les mères ignorent ce qu’elles devraient savoir, dédaignent ce qu’elles ignorent, se plaisent à exalter un mal plutôt que d’avouer qu’elles ont méconnu un bien, et se consolent de leur conduite odieuse en répétant cette monstruosité : «Les enfants qui meurent au berceau sont plus heureux que ceux qui survivent! »

Les agriculteurs savent que, pour recueillir de belles récoltes, ils doivent cultiver leurs champs avec soin et persévérance. Mais leur intelligence ne va pas jusqu’à comprendre que pour avoir des enfants sains et robustes, il faut aussi que l’art et la sagesse s’unissent à la patience dans les soins à donner.

Si les magnifiques produits exposés dans les concours régionaux, supposent une attention incessante et très-éclairée, de même de beaux enfants ne sauraient s’élever en dehors d’une hygiène bien comprise et bien appliquée.

Pendant les années consacrées à l’instruction des jeunes filles, on se garde bien d’appeler leur attention sur ce qui touche à la maternité. On ne déclare même leur éducation parfaite que si elles arrivent à la veille de leur mariage sans se douter des joies, des douleurs et des peines de la mère de famille. Ne pousse-t-on pas jusqu’à l’extrême, jusqu’au ridicule les précautions à ce sujet? On préfère souvent, pour diriger l’éducation, des mères futures, choisir les femmes vouées au célibat religieux, afin que pas un mot ayant trait aux saintes joies de la maternité ne vienne compromettre l’existence de cette fleur virginale, dont la conservation cause tant de soucis à 18 ans et la possession tant de regrets à 45 ans.

Parce qu’on aura semé l’ignorance, on s’imagine qu’on récoltera la vertu, le bien et le bon. M. Ed. About résume ainsi cette haute conception des moralistes modernes: «un petit ange, un véritable trésor d’ignorance!»

Et quelques années plus tard, la chronique ne compte plus les chutes de l’ange supposé, les défaillances de sa vertu et les imperfections de son fameux trésor.

Le même auteur, quand il renonce à l’ironie, son arme favorite, ne craint pas d’affirmer: «que tout est bon dans la vérité, que tout est mauvais dans l’erreur et que, même en matière d’éducation, il n’y a point d’utiles mensonges.»

Ainsi, pour maintenir autour de la jeune fille une ignorance systématique et plus complète, on s’est résigné à oublier le rôle social, le rôle prépondérant de la mère. On a compté plus sur l’ignorance que sur la puissance de l’éducation elle-même. Quelle magnifique combinaison! Et comme elle mérite bien qu’on charge le hasard d’enseigner aux jeunes mères les moyens de... très-mal élever leurs enfants!

Du reste, l’indifférence sur ce point dépasse toute croyance et développe encore l’insensibilité de certaines mères de famille. Qui n’a entendu émettre cette hérésie digne du moyen-âge:

«Ah! ne vous tourmentez donc pas tant; quand les enfants doivent venir, comme qu’on les élève, ils viennent tout de même!»

Si le fatalisme devait disparaître, les mères ignorantes se hâteraient de le ressusciter à leur profit.

J’ai demandé un jour pourquoi cette lacune regrettable était laissée à dessein dans l’instruction des jeunes filles. Voici la réponse que j’ai obtenue:

«Apprendre à une jeune fille comment on élève les petits enfants, y pensez-vous? Cet enseignement aurait des dangers incalculables! Il ferait naître dans ces jeunes imaginations une foule de mauvaises pensées, de coupables désirs, et leur précieux trésor d’ignorance ne pourrait plus figurer comme appoint sérieux à côté de leur dot.»

Qui donc acceptera comme valables des raisons aussi banales que peu fondées? Qui donc osera soutenir que l’ignorance soit la meilleure base à offrir à la vertu? On aura beau jeter des voiles épais sur certains actes de la vie animale, les idées qui s’y rattachent se présenteront quand même à l’esprit des filles de 14 à 15 ans, parce que le Créateur l’a voulu ainsi. A cet âge, et quand on les chasse, ces idées, comme le naturel, reviennent au galop. Nier ce fait, c’est nier l’évidence ou rompre avec le sens commun.

Au lieu de se contenter de phrases de convention, qui ne trompent plus personne, ne vaut-il pas mieux accepter franchement l’humanité telle quelle est, telle qu’elle peut être, et chercher dans l’instruction les moyens de diminuer ses défauts, et d’augmenter ses vertus ou ses qualités?

Laissons donc de côté cette honteuse méthode de paraître, mise à la mode par la cour impériale, et ne souffrons plus qu’on puisse nous dire:

«Soyez tout ce que vous voudrez, faites ce que bon vous semblera, mais cachez-vous. Une faute cachée n’est-elle pas à moitié pardonnée? Pourvu que vous sauviez les apparences, quelle que soit votre conduite, vous serez quand même un homme de bien!»

. Il n’y a qu’un sentiment qui, dans l’amour, puisse relever la femme, c’est le sentiment de la maternité. Comment ne pas estimer une jeune fille qui, connaissant toutes les charges qui vont lui incomber, les accepte néanmoins avec joie et courage?

Je ne saurais trop le répéter, si nous voulons réprimer la passion, ennoblir le véritable amour, cultivons la mère. Formons-la dès son enfance, accordons-lui partout le premier rang, compensons par nos égards et notre respect les peines qu’elle doit à son sexe.

Pour continuer à mériter des hommages dont elle est heureuse et fière, la femme fuira le vice et sa dégradation. En la forçant à mesurer l’énormité de sa faute à la profondeur de sa chute, on la préserve des écarts de la passion mille fois mieux qu’avec le secours de l’ignorance.

Ensuite, ce que l’on cache à la jeune fille de son rôle maternel ne devient-il pas un bénéfice immédiat pour la faute à commettre aux heures d’une faiblesse possible? N’est-ce pas le moyen certain de diminuer la résistance et de doubler la puissance ou la violence de l’amour?

La femme qui n’ignore rien réfléchit, raisonne et tâche de se maintenir à cette hauteur où la satisfaction intérieure a pour complément naturel la considération générale.

En un mot, je regarde comme un bienfait social tout ce qui rappellera, relèvera, développera et sanctifiera le sentiment de la maternité.

Faites-nous des mères de famille, disait Napoléon à Mme Campan. Grande idée sociale cachée sous une simple recommandation! Ce mot devrait être inscrit en lettres d’or sur le frontispice de tous les pensionnats. Si les souvenirs qu’on s’efforce de vouer à l’oubli étaient plus souvent invoqués, remis sous leur véritable jour, verrait-on autant de femmes perverses, dévergondées et avilies? verrait-on autant de grandes dames descendre au niveau des filles perdues?

Quand la jeune fille pensera moins à l’amour et plus à l’enfant qu’elle aura bientôt, c’est-à-dire moins à la poésie de l’amour et plus à ses conséquences, la famille et les mœurs bénéficieront des désenchantements de la passion.

Ce sera, me dit-on, le bouleversement des idées reçues et des habitudes prises! Quand on songe à ce qu’on y gagnera, une telle perspective n’a rien de trop effrayant. Voyez plutôt où nous a conduits la méthode suivie jusqu’à présent:

Dans les classes riches, on accepte bien l’amour, on en parle même avec enthousiasme, mais on tremble devant ses conséquences. La poésie ne divinise que les amours stériles. Les reines de la finance seraient trop heureuses si la maternité ne surgissait pas à l’horizon comme un fatal point noir. Les unes redoutent la division des fortunes par un trop grand nombre d’enfants, les autres ne savent pas se décider à renoncer pour quelques mois à leur vie de plaisirs, de luttes ou d’intrigues. Afin de mieux oublier ce côté fâcheux, désagréable de leur joyeuse existence, elles se sont crues obligées d’exalter, d’exagérer l’attrait et les charmes de l’amour. Celui-ci s’est donc vu transformé en extase, en émotion délirante, en entraînement irrésistible, en but suprême et joie unique de l’existence!

Ah! les amis de l’éducation par l’ignorance ne se doutent pas de la profondeur et de l’étendue d’un mal qui menace la société dans sa base!

Puisque l’amour est la plus indispensable et la plus agréable des nécessités, pourquoi ne pas l’accepter hautement comme tel, mais sans le séparer jamais de son couronnement naturel, la maternité ?

Quand la jeune fille appréciera sainement la vérité et la haute portée de son rôle, elle saura se préserver, se conserver pour le bien remplir. Elle aimera, c’est possible, c’est certain même, puisque Dieu le veut ainsi. Mais alors la venue d’un enfant, considérée aujourd’hui comme un accident, une maladresse, une distraction, sera une cause de réjouissance. Ce sera surtout pour la jeune mère une occasion d’étaler au grand jour les trésors de son cœur et de prouver l’étendue de son dévouement. Que sont les rêves de la jeune fille en comparaison des émotions continuelles de la jeune mère?

Telles sont les hautes pensées que je voudrais voir dominer dans l’éducation des jeunes filles, parce qu’elles défendraient mieux que l’ignorance ces dernières contre les piéges de l’amour ou les surprises du cœur. L’institution du mariage gagnerait à l’exaltation du sentiment maternel tout ce qu’y perdrait le vice, tout ce qu’ont usurpé les passions, et jamais bienfait réparateur n’arriverait avec plus d’à-propos.

Peut-être alors pourrions-nous modifier les tendances des hautes classes de la société, tendances affichées à peu près publiquement et qu’un auteur célèbre, M. Peyrat, résume ainsi: «la recherche du bonheur dans les joies d’une puérile vanité, dans la jouissance d’une possession connue et enviée, dans la poésie des amours illicites ou dans le raffinement de l’adultère. »

Tout cela ne justifie-t-il pas mille fois l’introduction de l’art de bien élever des enfants dans le programme de l’éducation des jeunes filles, dût cette étude nouvelle prendre la place de l’astronomie ou de la cosmogonie? Le résultat final, dans tous les cas, ne saurait être plus attristant.

Pour moi, je n’ai qu’un but ou qu’un désir, celui de diminuer la mortalité du premier âge et d’aider la population française à retrouver sa marche ascendante, marche interrompue depuis près de 20 ans. Mes vœux sont d’autant plus faciles à les réaliser, que les difficultés de l’application de ma méthode n’existent pas.

L’art de bien nourrir un enfant est d’une incroyable simplicité. La nature ne s’est-elle pas chargée de nous indiquer la meilleure voie à suivre? Un aliment unique n’est-il pas imposé à nos fils comme aux autres mammifères?

Les animaux observent rigoureusement cette loi naturelle, et leur santé brillante excite l’admiration générale.

Au contraire, l’homme juge à propos de rompre avec les données du bon sens, de laisser le moins possible l’enfant au sein de sa mère, et même de le priver des bienfaits du lait animal. Cette inqualifiable conduite neutralise les sages intentions du Créateur et détruit l’effet de ses habiles combinaisons. Des mères extravagantes sont venues à bout d’annihiler la bonne volonté de Dieu, et de substituer la souffrance et la mort prématurée à des chances certaines de santé, de forces et de longue vie.

A quoi serviront aux princes de la terre la fortune et les honneurs, si une hygiène mieux entendue ne les abrite pas contre les misères de la faiblesse acquise? Combien de familles n’ont dû leur extinction qu’à leur dédain pour les exigences de la première enfance?

Créé pour le premier âge, le lait répond à un besoin spécial, invariable et absolu. Rien alors ne peut le remplacer. Vainement des mères insensées gorgent leurs fils de poudres alimentaires, de bouillies, de panades...., elles ne déterminent que de la douleur, des cris incessants, des coliques, du dévoiement, en un mot, des indigestions quotidiennes. Bien entendu, elles affectent de méconnaître la signification de ces symptômes et, quand les mauvais effets de ce genre d’aliments deviennent trop visibles, elles cherchent à se disculper en accusant les dents ou les vers d’être la cause des désordres observés.

Avec la continuation de l’alimentation prématurée, les nouveau-nés conservent le dévoiement, maigrissent, souffrent et dépérissent. Des éruptions peuvent apparaître sur la face ou le cuir chevelu, près de l’anus, ou bien la peau revêt cette teinte bleu pâle ou blanche qui précédé et annonce l’invasion prochaine du lymphatisme.

Les enfants les moins mal partagés-sont ceux qui ne doivent aux troubles digestifs prolongés du jeune âge qu’une faiblesse relative et une diminution dans leur valeur d’hommes. Avec leur corps souffreteux et leur santé débile, combien de temps résisteront-ils aux charges de la vie sociale? Il leur manquera toujours ce sentiment de confiance, d’entrain, d’initiative, qui donne l’audace d’entreprendre et la chance de réussir. Comment les soins absorbants d’un organisme débilité n’enlèveraient-ils pas jusqu’à la pensée d’aborder les carrières où l’âme constamment active doit pouvoir compter sur une constante vigueur corporelle?

Ainsi les défauts de l’alimentation première ont parfois un immense retentissement; ils abaissent le ton de l’organisme, préparent le règne de la faiblesse physique et morale, développent la tendance à la paresse et au découragement, la prédominance de l’aigreur dans le caractère, la timidité ou la défiance de soi-même, en un mot l’amoindrissement des facultés intellectuelles, quand ce n’est pas une radicale incapacité.

Et, cependant, rien n’est simple comme le régime de l’enfance. Les nouveau-nés puisent dans le sein maternel tous les éléments de leur entretien et de leur développement progressif. Un peu de lait, de bon lait, et leur table n’est-elle pas merveilleusement servie?

«Une remarque très-intéressante pour le médecin est l’influence que la qualité des aliments exerce sur la durée de la vie et surtout sur la conservation des enfants. On voit, en effet, que là où la nourriture, est tonique et substantielle, la vie moyenne augmente, et que tel département qui se trouve dans de bonnes conditions alimentaires conserve 741. enfants sur 1,000, tandis que tel autre, qui se trouve dans de moins bonnes conditions, n’en conserve que 622. On peut dès lors se rendre compte des modifications que l’alimentation des nouveau-nés est susceptible d’apporter à leur constitution et à leur tempérament. Il y a là une œuvre sociale et morale pleine d’avenir. » (Dr BROCHARD.)

C’est justement cette œuvre dont la haute portée pour tous les âges m’a frappé et à laquelle je me suis voué depuis 30 ans; et c’est dans la vulgarisation de cette idée: bien nourrir les enfants et mieux nourrir les mères, que je crois découvrir enfin le moyen par excellence de diminuer la mortalité des enfants en nourrice et de prévenir la dépopulation qui menace la France.

A ce propos, je me rappelle un mot d’une bonne et excellente mère de famille, à laquelle je demandais comment elle avait élevé ses quatre beaux et robustes enfants. Elle me fit cette réponse qui prouve chez elle autant d’intelligence que de bon sens:

«D’abord je les ai nourris moi-même; depuis, je surveille avec soin leur régime. Voyez-vous, finit-elle par me dire, pourvu qu’ils soient bien nourris, les enfants viennent tout seuls et se portent toujours bien.»

Ces paroles résument toute rhygiène de l’enfance.

Je connais bien un excellent moyen de redresser les idées fausses qui règnent dans les campagnes sur l’éducation des enfants, c’est la propagande de la vérité, l’éloge du progrès, la recherche du mieux par les bonnes mères, par les femmes intelligentes. Sans le concours de ces dernières, les efforts des médecins resteront stériles. Les Sociétés protectrices de l’enfance qui négligent ce genre de secours, n’auront plus à constater, un jour, que leur impuissance en face d’un mal immense.

C’est pourquoi j’insiste autant sur la nécessité de commencer par modifier, par améliorer l’éducation première des femmes. C’est pourquoi je désire vivement voir les mères elles-mêmes faire cause commune avec les partisans de l’hygiène naturelle.

Mais comment décider les nourrices à se proclamer les défenseurs officiels d’une meilleure éducation des enfants? Ce serait leur demander la condamnation d’un passé qui leur est cher, qui ne les a pas empêché, disent-elles, de vivre et de grandir. De plus, il faudrait chez elles un courage surhumain pour entrer en guerre ouverte, prolongée avec les commères de chaque village. Ah! les idées fausses! rien n’est triste comme d’avoir à lutter contre elles!

Eh puis! ces mères ont chacune leurs préjugés favoris, leurs erreurs particulières, et on les froisse quand on leur parle de renoncer à leurs chères et folles créances. Avant de songer à détruire les erreurs du vulgaire, il est donc sage et nécessaire de chercher à modifier d’abord, à améliorer ensuite l’éducation générale.

Comme on le voit, je ne m’illusionne pas sur les difficultés qui attendent ceux qui se vouent à la destruction des mauvaises habitudes. Et, cependant, je ne vois que la propagande de la vérité par les mères instruites, qui puisse amener promptement les changements de régime dont l’enfance a tant besoin.

Des femmes convaincues, dévouées, ardentes, auront seules assez d’autorité, de patience, d’éloquence et d’habileté pour tourner les difficultés trop réelles de la mise en pratique, pour poursuivre et saper jusqu’au fond des campagnes, les préjugés terribles qui s’opposent à l’amélioration du sort des enfants en nourrice.

Ah! si, dans chaque ville, dans chaque village, quelques femmes de cœur, séduites par la pensée du bien qu’elles nous aideraient à faire, pouvaient se joindre à nous et défendre hautement la cause que nous soutenons, combien les opinions fausses seraient aisément changées! Combien l’existence des jeunes enfants serait mieux protégée! Combien, enfin,. les générations futures seraient plus fortes, plus résistantes et plus heureuses!

Puisse cet appel être entendu, compris et appliqué sur une vaste échelle! Puisse une mère de charité, une émule de Monthyon, prendre mon idée sous sa protection, lui donner l’impulsion et la vie! Puisse la vaste association que j’indique, que j’appelle de tous mes vœux, combiner un jour, ses efforts avec ceux des rares amis de l’enfance! En un mot, utiliser la bonne volonté des mères éclairées ou mieux instruites, les amener à se charger de défendre, dans les campagnes, la cause des nouveau-nés, est le moyen le plus efficace que je connaisse d’obtenir. de bons et prompts résultats. Alors, seulement alors, on pourra avoir confiance dans l’avenir, et l’amélioration du sort des enfants en nourrice ne sera plus un rêve dont se bercent les belles âmes, mais dont on ne voit jamais la réalisation.

Ici ma tâche consistera moins dans la recherche des mets nouveaux, que dans l’obligation de signaler un trop grand nombre d’aliments peu convenables et par conséquent nuisibles.

Je partagerai ce qui se rapporte à mon sujet en sept paragraphes, qui seront consacrés à l’étude des points suivants: 1° du régime de l’enfance; 2° de l’usage dé la bouillie et de la panade; 3° du sevrage; 4° des dents; 5° des vers; 6° du régime des nourrices; 7° de la vie de pension.

Conseils aux mères de famille

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