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AVERTISSEMENT DES ÉDITEURS

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Table des matières

Jacques Cazotte est né en 1720, à Dijon, où son père était greffier des états de Bourgogne. Il fit ses études chez les jésuites de sa ville natale et fut appelé à Paris pour y achever son éducation. Il entra dans l'administration de la marine, fut nommé en 1747 commissaire et ensuite contrôleur des îles du Vent, à la Martinique. Entre temps il se livra à la littérature légère, multipliant les fables, les chansons, composa, son poème héroï-comique, Ollivier, qui restera, avec le Diable amoureux, le meilleur témoignage de son imagination facile et enjouée. En 1759, il revint en France avec sa retraite et le titre de commissaire général de la marine. Il avait cédé au père de La Valette, supérieur de la mission des jésuites, tout ce qu'il possédait à la Martinique en terres, en nègres et en effets, et n'avait reçu en payement que des lettres de change sur la compagnie des jésuites de Paris. Ceux-ci les laissèrent protester, ce qui fit perdre à Cazotte le fruit du travail de toute sa vie, et le contraignit à plaider contre ses anciens maîtres. C'est à cette époque qu'il se fit initier aux mystères de la société des illuminés martinistes; il y puisa cette sorte de mysticisme qui, combiné de la façon la plus bizarre avec les doctrines de l'Évangile, fit de lui un rêveur extatique, un assembleur de prédictions politiques plus ou moins réalisées. Tout le monde a entendu parler de cette singulière conversation dans laquelle Cazotte, en 1788, aurait prophétisé la triste fin de personnages politiques avec lesquels il se trouvait journellement en contact. Il paraît avéré que cette étrange prophétie est tout ce qu'il y a de plus apocryphe, et que le grave Laharpe devrait endosser la responsabilité de cette lugubre invention, arrangée après coup, comme pour prouver qu'il savait être un fantaisiste à ses heures perdues. Quoi qu'il en soit, nous ne croyons pas devoir priver nos lecteurs de ce curieux, morceau:

prophétie de cazotte rapportée par laharpe

Il me semble que c'était hier, et cependant au commencement de 1788, nous étions à table chez un de nos confrères à l'Académie, grand seigneur et homme d'esprit. La compagnie était nombreuse et de tout état; gens de cour, gens de robe, gens de lettres, académiciens, etc.: on avait fait grand'chère comme de coutume. Au dessert, les vins de Malvoisie et de Constance ajoutaient à la gaieté de bonne compagnie cette sorte de liberté qui n'en gardait pas toujours le ton. On en était alors venu, dans le monde, au point où tout est permis pour faire rire. Chamfort nous avait lu de ses contes impies et libertins, et les grandes dames avaient écouté, sans avoir même recours à l'éventail. De là un déluge de plaisanteries sur la religion; l'un citait une tirade de la Pucelle, l'autre rappelait ces vers philosophiques de Diderot:

Et des boyaux du dernier prêtre

Serrer le cou du dernier roi.


et d'applaudir. Un troisième se lève; et, tenant son verre plein: Oui, messieurs, s'écrie-t-il, je suis aussi sûr qu'il n'y a pas de Dieu, que je suis sûr qu'Homère est un sot; et en effet il était sûr de l'un comme de l'autre, et l'on avait parlé d'Homère et de Dieu, et il y avait là des convives qui avaient dit du bien de l'un et de l'autre. La conversation devient plus sérieuse; on se répand en admiration sur la révolution qu'avait faite Voltaire, et l'on convint que c'était là le premier titre de sa gloire. «Il a donné le ton à son siècle, et s'est fait lire dans l'antichambre comme dans le salon.» Un des convives nous raconta, en pouffant de rire, que son coiffeur lui avait dit, tout en le poudrant: «Voyez-vous, monsieur; quoique je ne sois qu'un misérable carabin, je n'ai pas plus de religion qu'un autre.» On conclut que la révolution ne tardera pas à se consommer, qu'il faut absolument que la superstition et le fanatisme fassent place à la philosophie, et l'on en est à calculer la probabilité de l'époque, et quels seront ceux de la société qui verront le règne de la raison. Les plus vieux se plaignaient de ne pouvoir s'en flatter; les jeunes se réjouissaient d'en avoir une espérance très vraisemblable, et l'on félicitait surtout l'Académie d'avoir préparé le grand œuvre et d'avoir été le chef-lieu, le centre, le mobile de la liberté de penser.

Un seul des convives n'avait point pris de part à toute la joie de cette conversation, et avait même laissé tomber tout doucement quelques plaisanteries sur notre bel enthousiasme. C'était Cazotte, homme aimable et original, mais malheureusement infatué des rêveries des illuminés. Il prend la parole; et du ton le plus sérieux: «Messieurs, dit-il, soyez satisfaits, vous verrez toute cette grande et sublime révolution que vous désirez tant. Vous savez que je suis un peu prophète; je vous le répète, vous la verrez.» On lui répond par le refrain connu, faut pas être grand sorcier pour ça.—Soit, mais peut-être faut-il l'être un peu plus pour ce qui me reste à vous dire. Savez-vous ce qui arrivera de cette révolution, ce qui en arrivera pour vous tous tant que vous êtes ici, et ce qui en sera la suite immédiate, l'effet bien prouvé, la conséquence bien reconnue?—Ah! voyons (dit Condorcet, avec son air et son rire sournois et niais), un philosophe n'est pas fâché de rencontrer un prophète.—Vous M. de Condorcet, vous expirerez étendu sur le pavé d'un cachot; vous mourrez du poison que vous aurez pris pour vous dérober au bourreau, du poison que le bonheur de ce temps-là vous forcera de porter toujours sur vous.»

Grand étonnement d'abord; mais on se rappelle que le bon Cazotte est sujet à rêver tout éveille, et l'on rit de plus belle. «M. Cazotte, le conte que vous nous faites ici n'est pas si plaisant que votre Diable amoureux. Mais, quel diable vous a mis dans la tête ce cachot, ce poison et ces bourreaux? Qu'est-ce que tout cela peut avoir de commun avec la philosophie et le règne de la raison?—C'est précisément ce que je vous dis; c'est au nom de la philosophie, de l'humanité, de la liberté; c'est sous le règne de la raison qu'il vous arrivera de finir ainsi; et ce sera bien le règne de la raison, car alors elle aura des temples, et même il n'y aura plus, dans toute la France, en ce temps-là, que des temples de la raison.—Par ma foi (dit Chamfort, avec le sourire du sarcasme), vous ne serez pas un des prêtres de ces temps-là.—Je l'espère; mais vous, M. Chamfort, qui en serez un et très digne de l'être, vous vous couperez les veines de vingt-deux coups de rasoir, et pourtant vous n'en mourrez que quelques mois après.» On se regarde et on rit encore. «Vous, M. Vicq-d'Azyr, vous ne vous ouvrirez pas les veines vous-même, mais après, vous les ferez ouvrir six fois dans un jour, au milieu d'un accès de goutte, pour être plus sûr de votre fait, et vous mourrez dans la nuit. Vous, M. de Nicolaï, sur l'échafaud; vous, M. Bailly, sur l'échafaud; vous, M. de Malesherbes, sur l'échafaud....—Ah! Dieu soit béni, dit Roucher, il paraît que monsieur n'en veut qu'à l'Académie; il vient d'en faire une terrible exécution; et moi, grâce au ciel!...—Vous! vous mourrez aussi sur l'échafaud.» Oh! c'est une gageure (s'écrie-t-on de toute part), il a juré de tout exterminer. «Non, ce n'est pas moi qui l'ai juré.—Mais nous serons donc subjugués par les Turcs et les Tartares?...—Encore....—Point du tout; je vous l'ai dit, vous serez alors gouvernés par la seule philosophie, par la seule raison. Ceux qui vous traiteront ainsi seront tous des philosophes, auront à tout moment dans la bouche les mêmes phrases que vous débitez depuis une heure, répéteront toutes vos maximes, citeront, comme vous, les vers de Diderot et de la Pucelle.» On se disait à l'oreille: Vous voyez bien qu'il est fou (car il gardait le plus grand sérieux). «Est-ce que vous ne voyez pas qu'il plaisante; et vous savez qu'il entre toujours du merveilleux dans ses plaisanteries.—Oui, répondit Chamfort, mais son merveilleux n'est pas gai, il est trop patibulaire; et quand tout cela arrivera-t-il?—Six ans ne se passeront pas que tout ce que je vous dis ne soit accompli.

—Voilà bien des miracles! (et cette fois c'était moi qui parlais), et vous ne m'y mettez pour rien.—Vous y serez pour un miracle tout au moins aussi extraordinaire; vous serez alors chrétien.

Grandes exclamations. «Ah! reprit Chamfort; je suis rassuré, si nous ne devons périr que quand Laharpe sera chrétien, nous sommes immortels.

—Pour ça, dit alors la duchesse de Grammont, nous sommes bien heureuses, nous autres femmes, de n'être pour rien dans les révolutions. Quand je dis pour rien, ce n'est pas que nous ne nous en mêlions toujours un peu, mais il est reçu qu'on ne s'en prend pas a nous, et notre sexe....—Votre sexe, mesdames, ne vous en défendra pas cette fois, et vous aurez beau ne vous mêler de rien, vous serez traitées tout comme les hommes, sans aucune différence quelconque.—Mais qu'est-ce que vous nous dites donc là, M. Cazotte? c'est la fin du monde que vous nous prêchez.—Je n'en sais rien; mais ce que je sais, c'est que vous, madame la duchesse, vous serez conduite à l'échafaud, vous et beaucoup d'autres dames avec vous, dans la charrette et les mains liées derrière le dos.—Ah! j'espère que dans ce cas-là j'aurai du moins un carrosse drapé de noir.—Non, madame; de plus grandes dames que vous iront comme vous en charrette et les mains liées comme vous.—De plus grandes dames! quoi! les princesses du sang?—De plus grandes dames encore....» Ici, un mouvement très sensible dans toute la compagnie, et la figure du maître se rembrunit. On commençait à trouver que la plaisanterie était forte. Madame de Grammont, pour dissiper le nuage, n'insista pas sur cette dernière réponse et se contenta de dire du ton le plus léger: Vous verrez qu'il ne me laissera seulement pas un confesseur.—Non, madame, vous n'en aurez pas, ni vous, ni personne; le dernier supplicié qui en aura un par grâce, sera....»

Il s'arrêta un moment. «Eh bien! quel est donc l'heureux mortel qui aura cette prérogative?—C'est la seule qui lui restera, et ce sera le roi de France.»

Le maître de la maison se leva brusquement et tout le monde avec lui. Il alla vers M. Cazotte et lui dit avec un ton pénétré: «Mon cher M. Cazotte, c'est assez faire durer cette facétie lugubre; vous la poussez trop loin, et jusqu'à compromettre la société où vous êtes et vous-même.» Cazotte ne répondit rien et se disposait à se retirer, quand madame de Grammont, qui voulait toujours éviter le sérieux et ramener la gaieté, s'avança vers lui: «Monsieur le prophète, qui nous dites à nous tous notre bonne aventure, vous ne nous dites rien de la vôtre.» Il fut quelque temps en silence et les yeux baissés: «Vous, madame, avez-vous lu le siège de Jérusalem, dans Josèphe?—Oh! sans doute, qui est-ce qui n'a pas lu ça? mais faites comme si je ne l'avais pas lu.—Eh bien, madame, pendant ce siège, un homme fit sept jours de suite le tour des remparts, à la vue des assiégeants et des assiégés, criant incessamment d'une voix sinistre et tonnante: Malheur à Jérusalem! et le septième jour il cria: Malheur à Jérusalem! malheur à moi-même! et dans le moment, une pierre énorme lancée par les machines ennemies, l'atteignit et le mit en pièces.» Et après cette réponse, M. Cazotte fit sa révérence et sortit.

Cazotte, qui maniait agréablement le vers eut le rare honneur de voir attribuer à Voltaire une bonne partie de ses poésies (on peut, entre autres, lire dans l'Almanach des Muses de 1773, sous le nom du grand homme, un joli conte de notre auteur ayant pour titre: la Brunette Anglaise). Le caractère de son talent était une gaîté facile, une rare abondance d'imagination, un art de récit tranchant, par son tour particulier, avec le faire des conteurs à la mode qui cultivaient le même genre avec d'autres moyens de séduction. S'il n'occupe point la première place, il tient dignement la seconde, comme il est facile de s'en convaincre en parcourant ses nouvelles et ses contes arabes, accommodés au goût sceptique de notre nation.

La Révolution, dont il combattit les principes, l'arracha aux paisibles fonctions de maire de la commune de Pierry, près d'Épernay, où il avait vécu la meilleure part de sa vie depuis son retour des colonies. Un instant il échappa à la mort, grâce à l'héroïsme de sa fille; mais sa correspondance compromettante avec Pouteau, secrétaire de la liste civile, trouvée dans la fameuse armoire de fer, avait fait pressentir le funeste dénoûment qui ravit l'aimable conteur à ses amis et aux lettres françaises (1792). Ses œuvres ont été publiées un grand nombre de fois; la meilleure et la plus complète édition est celle de 1817 (Paris, J.-F. Bastien, 4 vol. in-8°). Si, comme nous l'espérons, le Diable amoureux obtient un regain du succès qui l'accueillit à son aurore, nous mettrons le public à même de juger plus à fond l'ingéniosité de cet esprit charmant dont la réputation est loin d'égaler le mérite.

La première édition du Diable amoureux était accompagnée de singulières gravures, que Cazotte a commentées à sa manière, dans l'avis qui précède le conte, si bien qu'on se demande s'il a parlé sérieusement ou s'il a raillé, lorsqu'il s'étend si complaisamment sur ces informes vignettes dont les enfants de nos jours, élevés dans l'admiration des images d'Épinal, ne voudraient point entreprendre l'enluminure. À une époque où les Moreau, les Cochin, les Saint-Aubin et les Gravelot prodiguaient leurs coquets chefs-d'œuvre, il n'eût pas été permis de leur préférer ces grossières ébauches, et Cazotte n'était pas homme à méconnaître les productions si gracieusement spirituelles de ses contemporains. La boutade qui termine le susdit avis au lecteur atteste amplement que l'auteur du conte n'était rien moins qu'un esprit naïf... «Qu'il nous soit permis seulement de dire un mot de l'ouvrage. Il a été rêvé en une nuit et écrit en un jour: ce n'est point, comme à l'ordinaire, un vol fait à l'auteur; il l'a écrit pour son plaisir et un peu pour l'édification de ses concitoyens, car il est très moral; le style en est rapide, point d'esprit à la mode, point de métaphysique, point de science, encore moins de jolies impiétés et de hardiesses philosophiques; seulement un petit assassinat pour ne pas heurter de front le goût actuel, et voilà tout. Il semble que l'auteur ait senti qu'un homme qui a la tête tournée d'amour est déjà bien à plaindre: mais lorsqu'une jolie femme est amoureuse de lui, le caresse, l'obsède, le mène et veut à toute force s'en faire aimer, c'est le diable...»

Le Diable amoureux

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