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CHAPITRE PREMIER

Table des matières

LES BONBONS D’ARGENT

La marraine de Rose Desprez avait été bien inspirée en lui donnant ce joli nom, car jamais bébé blond et rose n’évoqua mieux l’idée d’une églantine, délicatement teintée, mais Rose répondait encore à un autre nom, que sa maman, qui la connaissait bien, lui avait donné, et ce nom était Petit Frelon. Jamais frelon, dans les prés fleuris, ne fut plus affairé, plus bruyant, plus remuant, que notre petite Rose, toujours en mouvement, toujours dansant, sautant, agissant, sans réflexion, hélas! comme les bourdons et les frelons. Ce n’était pourtant point faute d’avoir des pensées, sur toutes choses, mais les pensées semblaient, dans la petite cervelle de Mlle Rose, faire comme elle-même, danser, jouer, s’agiter, vives et impatientes d’être mises en action, et Mlle Rose, qui n’y voyait pas beaucoup plus loin que le bout de son petit nez retroussé, se hâtait tellement de mettre à exécution les bonnes idées qui lui passaient par la tête qu’elle en avait souvent sur les doigts, détruisant en un instant le long travail des autres.

«Petit frelon, petit frelon, lui disait sa maman, quand donc apprendras-tu à réfléchir? Je ne serai pas toujours auprès de toi pour réparer tes sottises et penser à ta place. Au lieu d’être un petit frelon babillard qui tournoie autour de mille fleurs pour le seul plaisir de faire du bruit et du mouvement, imite l’abeille laborieuse qui, de ces mêmes fleurs, obtient, par son travail, ce bon miel que tu aimes tant. Les frelons, ayant fait beaucoup de bruit et peu de besogne, s’introduisent dans les ruches où, comme ma Rose, ils causent de grands dégâts. Corrige-toi, mon pauvre petit frelon, à la fois étourdi et présomptueux... »

Ainsi parlait maman, mais Rose était convaincue qu’elle était déjà maintenant une sage petite abeille. Que désirait-elle toujours? Rendre service, être utile, être bonne. Malheureusement les résultats ne répondaient que rarement à ses bonnes intentions, et cela parce que... mais vous verrez bientôt pourquoi sans qu’il soit besoin de vous le dire.

NOMBREUSES ÉTAIENT LES MÉDITATIONS DE ROSE A CE SUJET. (PAGE 11.)


Rose a tout ce qu’il faut pour être heureuse, dans la grande belle maison qu’elle habite à la campagne, en un joli pays de collines boisées et de champs qui sont, au printemps, de vrais bouquets de fleurs Comment Rose ne serait-elle pas heureuse avec un si bon papa et une si douce petite mère? Et quoiqu’elle n’ait ni frères, ni sœurs, comment s’ennuierait-elle avec une chambre pleine de joujoux à son usage, et, dans le grand jardin, un petit jardin uniquement à elle, pour y faire tout ce qu’elle veut? Elle a une bêche et un râteau, un arrosoir et une brouette et elle se donne une peine infinie pour mener à bien son jardin. Dix fois plus de peine que Jean, le jardinier, dit-elle étonnée de voir si rarement le résultat répondre à ses efforts. Elle arrose constamment, tant pour le plaisir de manier son arrosoir que pour satisfaire la soif de ses fleurs. Elle bêche, et transplante sans cesse ses boutures comme pour les dédommager de ne pouvoir à elles seules changer de place. — C’est si ennuyeux de ne jamais bouger, pense-t-elle. Et, quand elle a semé quelques graines, elle est si pressée de les voir pousser qu’elle gratte la terre avec ses petits doigts pour voir où elles en sont de leur travail souterrain.

Bien ou. mal, il faut toujours que Mlle Rose fasse quelque chose.

Les poupées en voient de dures avec elle. Elle n’a pas moins de quatre filles: Angélina, Virginie, Lily et Suzanne, et un garçon, Zouzou, un beau zouave en caoutchouc aux brillantes couleurs, mais c’est Lily sa préférée.

«Drôle de goût,» pensait sa bonne Gertrude.

Lily, pauvre victime de l’affection de Rose, était dans un état à faire pitié : ses deux yeux n’existaient plus et il ne lui restait qu’une jambe. Quant à ses cheveux, Rose les avait tant et tant tirés en la coiffant que la malheureuse Lily eût poussé de beaux cris si elle avait eu l’usage de la parole et que, les cheveux tombés de mesdemoiselles les poupées ne repoussant pas, Rose voyait disparaître à vue d’œil le reste de cette chevelure, jadis luxuriante. Nombreuses étaient les méditations de Rose à ce sujet. Elle eut l’idée d’y appliquer d’abord de la pommade, et puis des lotions d’eau froide, mais les cheveux de Lily diminuant toujours, Rose songea à une petite cousine à elle, qu’on avait rasée après une grande maladie. Le remède était, dit-on, souverain.

Aussitôt pensé, aussitôt exécuté. Faute de rasoir, Rose employa des ciseaux à broder pour taillader à tort et à travers la chevelure de Lily. Des bouts de mèches se dressèrent alors de tous côtés et c’était si laid que la petite maman se hâta de confectionner à sa Lily bien-aimée, pour cacher sa tête chauve, un petit bonnet orné de nœuds couleur vert choux, que Lily fut condamnée à porter nuit et jour en attendant qu’elle eût retrouvé ses boucles blondes d’antan.

Telle quelle, et justement parce qu’elle était laide et souffrante, Lily était la préférée de sa petite maman qui ne savait qu’imaginer pour la consoler de ses infortunes.

Ceci vous donne un exemple de ce que pouvait faire Mlle Rose, avec les meilleures intentions du monde, faute de consulter des personnes d’âge et d’expérience; mais Mlle Rose ne doutait de rien et elle se croyait bien suffisamment âgée et instruite pour se tirer d’affaire sans le conseil de personne. D’ailleurs, comme elle était très surveillée par sa maman, rien de bien grave ne lui était arrivé jusqu’à un certain moment où, Mme Desprez se trouvant malade et chacun très absorbé par cette maladie, Rose fut livrée à elle-même un peu plus qu’il ne l’eût fallu pour elle et pour son entourage.

Que c’est triste de voir malades ceux que l’on aime! Mme Desprez aurait dû se soigner plus tôt. C’était l’avis du vieux docteur. Mlle Rose l’entendit de ses propres oreilles le dire à son papa: Quelques précautions préviennent bien des maladies. Mme Desprez avait eu des maux de tête, de la fièvre, avant de se décider à prendre le lit. Que ne s’était-elle soignée à temps?

C’était un grand tort.

Les mamans, les maîtresses de maison doivent faire grande attention à leur santé et prendre soin d’elles-mêmes, pour les autres encore plus que pour elles: on a tant besoin d’elles! Cela donna à réfléchir à notre Rose.

ROSE EN PREND QUATRE. (PAGE 14.)


«C’est très ennuyeux de prendre les remèdes de M. le Docteur; j’en sais quelque chose les jours d’huile de ricin, mais c’est encore plus ennuyeux de rester dans son lit et de prendre des tas de médecines amères et «nézabondes», comme dit maman. Que deviendrais-je si j’étais malade comme ma pauvre chère petite maman! Mon jardin serait plein de mauvaises herbes... Et qui donc prendrait soin de Suzanne, d’Angélina, de Virginie et de Lily? Et de Zouzou surtout: les garçons font toujours tant de bêtises quand on les laisse seuls...»

Non, Rose ne pouvait se permettre d’être malade! Et, justement, la veille, elle avait eu mal à la tête et Gertrude avait constaté que ses mains étaient brûlantes. Tout comme sa mère.

Il est vrai que le mal de tête provenait d’une bosse que Rose s’était faite en tombant et que, si elle avait les mains brûlantes, c’était d’avoir trop couru au soleil, mais Rose n’y regardait pas de si près. Elle était dans les conditions voulues pour se soigner à temps; elle n’y manquerait point. Justement la boîte aux pilules était sur le buffet. Rose en prend quatre et les croque consciencieusement. Si cela eût été meilleur, elle en aurait pris davantage, mais c’est très amer, les pilules, quoique cela ressemble à de jolis petits bonbons en argent.

Sûre de se bien porter maintenant, grâce à ses quatre pilules, Rose remit la boîte à sa place en se félicitant de sa sagesse, mais elle n’eut garde de rien dire de ce qu’elle avait fait à Gertrude, car Gertrude avait la manie de l’appeler Mademoiselle Touche-à-Tout, et de ne pas être en admiration le moins du monde devant les bonnes idées de Mlle Rose. Les grandes personnes ont de ces manies avec les enfants.

Gertrude n’avait besoin de rien savoir. Elle constateraitseulement les résultats et, cette fois, elle ne marchanderait pas les éloges à Rose, car, éviter une maladie, ce n’est pas peu de chose et Gertrude se verrait épargner par ce fait bien des soucis.

Malheureusement, l’idée de Rose était infiniment moins bonne qu’elle ne le croyait et Gertrude apprit bientôt toute l’histoire sans même qu’il y eût besoin de la lui raconter en détail. Les pilules, et, du reste, tous les médicaments des docteurs, ne sont point faits pour les personnes bien portantes, et, rien qu’à voir l’attitude de Rose dans le grand fauteuil où elle s’était réfugiée aux premières atteintes du mal qui l’étreignit bientôt, Gertrude s’écria:

«Qu’avez-vous mangé, Mademoiselle Rose; des groseilles vertes pour le moins?»

Rose, tout à fait souffrante, désigna du doigt la boîte ronde sur le buffet et murmura, dolente:

«Ce ne peut pas être ça, Gertrude, les pilules, c’est pour guérir les gens; ce n’est pas pour les rendre malades!...»

Hélas! c’était ça, pourtant! Gertrude, les bras en l’air, s’exclamait, puis se précipitait, préparait du thé bien chaud, et soignait de son mieux la pauvre Rose, qui était de plus en plus souffrante.

Jetons un voile sur ces tristes événements.

Rose fut malade plusieurs jours pour avoir voulu éviter de l’être et pendant ce temps ses enfants furent forcément négligés ainsi que son jardin, mais Lily, sur l’oreiller à côté d’elle, lui tint fidèle compagnie et Rose la dorlotait plus que jamais pour lui faire oublier la maladie forcée qu’elle avait donnée à sa préférée afin d’avoir un prétexte à ses propres yeux pour lui faire prendre le lit.

Ce n’est pas gai d’être malade par sa faute. Rose en fit la triste expérience ces jours-là. Sans compter que le vieux docteur ne lui épargna point les railleries. Il disait que si, habituellement, les petites filles ne se font pas prier pour croquer des bonbons, mais, pleureuses et rebelles en face de médecines nécessaires, font, quand elles sont malades, le désespoir de leur maman, il n’en était pas de même de Mlle Rose, et que, puisqu’elle avait un si drôle de goût (tous les goûts sont dans la nature), il lui enverrait au jour de l’an, en guise de boîtes de fondants et de sacs de chocolat à la crème, des pilules de toutes grosseurs et des fioles d’huile de ricin, d’huile de foie de morue, et autres vilaines choses de la connaissance de Rose et dont le seul nom la faisait fuir à l’autre bout de la chambre. Mais, pour ne pas inquiéter outre mesure Mme Desprez, on ne lui raconta pas les méfaits de sa fille, et Rose évita les «sermons» ou plutôt la conversation sérieuse en tête à tête avec une bonne maman qui lui eût fait comprendre toute la portée de son action. Il ne resta à Rose que la conviction absolue que les boîtes à pilules n’ont rien de commun avec les boîtes à bonbons. C’était quelque chose, mais ce n’était pas assez. Les petites filles ne doivent, sous aucun prétexte, toucher à tout ce qui vient de chez les pharmaciens: poudre, fioles ou pilules sont choses avec lesquelles on ne doit pas plus jouer qu’avec le feu, sous peine de causer de graves accidents et des malheurs trop souvent irréparables.

Les bonnes idées de Mlle Rose

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