Читать книгу Duingt, Menthon et Montrotier - Jacques Replat - Страница 3

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PREMIER CHANT.

Table des matières

Le Départ.

Merci, gentilles jouvencelles,

M’avez reçu dans le châtel.

Soyez gentilles autant que belles,

Saurez les chants du ménestrel.

( Madame TASTU. )

Air pur, air libre des montagnes!

Ombrages frais et clairs ruisseaux!

Douces retraites des campagnes!

Adieu!... la gloire ailleurs creusera leurs tombeaux...

Au loin du Comte-Vert l’étendart se déploie,

Il porte la croix blanche au pays Sarrazin;

Le ban, l’arrière-ban des féaux de Savoie,

Autour de lui groupés, forment un mur d’airain;

Au tournois où l’Europe à défié l’Asie

Les joutes vont s’ouvrir.... aventureux guerriers,

Accourez bravement où l’honneur vous convie!

Enguerrand de Menthon de ces lointains dangers

Veut partager aussi la belliqueuse chance

Et contre les païens rompre plus d’une lance:

Dans la cour du château déjà pressent leurs rangs

Les vassaux bons archers, les hardis hommes d’armes;

Et des nobles coursiers les fiers hennissemens

Paraissent provoquer de lointaines alarmes.

Pourquoi, lorsque déjà l’âge de blancs flocons

A paré ses cheveux, quittant de ses ancêtres

Le paisible manoir et les abris champêtres,

Le châtelain a-t-il chaussé les éperons?

Veut-il contre l’enfer gagner des indulgences?...

Non: Enguerrand craint peu les menaces des clercs;

Et jamais à leurs pieds son front chargé d’hivers

N’a courbé sous la foi des saintes récompenses:

Mais avant que son bras, sous le tombeau gisant

Repose, il veut ouïr la trompette sonore,

Préluder aux combats; il veut brandir encore

Son glaive, tout chargé de lauriers et de sang!

Jamais le charme d’un sourire

Ne colore les traits du sombre châtelain;

On dirait qu’un fantôme au regard incertain

Agite dans ses yeux les rêves du délire;

De convives jamais un turbulent essaim

Ne s’assied à sa table, et jamais un long rire

Ne circule en éclats sur ses coupes de vin;

Et l’on rapporte aussi, qu’aux pleurs abandonnée,

Sa jeune épouse infortunée

Implorait vainement la faveur des amours:

Aux appels de sa bouche

Les baisers restaient sourds,

Et bientôt son maître farouche

A flétri cette fleur qui, lasse de sa couche,

Dans la tombe a porté le deuil de ses beaux jours!..

Isaure, triste fruit de cet hymen sauvage,

Des caresses d’un père ignore la douceur;

Des cyprès maternels un funeste héritage

Jette sur son front pâle une ombre de douleur.

Pourtant ses blonds cheveux à l’air qui les dénoue

Cèdent négligemment; son sourire est si pur!...

De bonheur sur sa bouche une promesse joue,

Et ses yeux d’un beau ciel réfléchissent l’azur;

Mais d’un trouble secret la vague rêverie

A-t-elle soulevé les trésors de ton sein?

Pourquoi négliges-tu les fleurs de la prairie!

Isaure! d’un regard la fatale magie

Aurait-elle obscursi les roses du matin?

Imprudente! il y va du bonheur de ta vie...

Garde-toi du sire de Duingt!

Enfant! ignores-tu des haines de famille

Les terribles sermens, les sanglantes fureurs?

Si l’amour t’approchait, tes lèvres, jeune fille,

Puiseraient des poisons dans sa coupe de fleurs!...

Mais Isaure, au milieu de nombreuses cohortes,

Qui du vieux Montrotier déjà passent les portes,

Vient chercher l’adieu du départ,

Et jette un triste et long regard

Sur son père: couvert de sa cotte-de-mailles,

Le fougueux et fier suzerain

Monte son coursier noir, vétéran des batailles,

Qui bondit sous sa main;

Il dit: «Ma fille, Dieu vous garde!»

Il presse dans son gant les mains de son vieux barde,

Puis se détourne, et part!...

Ce vieux barde est Edmond, que, pendant son absence,

Enguerrand investit du glaive et de la hart,

Terribles instrumens de sa haute puissance.

Une fée aux yeux bleus rencontra vers le soir

Edmond qui, jeune alors, rêvait par les campagnes.

De la fée il reçut la lyre des montagnes;

Un baiser l’instruisit dans l’art du gai savoir.

Aujourd’hui le grésil couvre sa chevelure;

Sa voix des chants d’amour n’a plus rien retenu,

Seulement quelquefois d’une légende obscure

Il murmure à l’écart quelque mot inconnu...

Ce chant mystérieux, que dit-il? on l’ignore:

Serait-ce un amer souvenir

D’une trop longue vie? Un secret prêt d’éclore

Des profondeurs de l’avenir?

Cependant, des croisés la dernière fanfare

A troublé les échos des murs de Montrotier;

On n’entend plus au loin qu’un torrent qui s’égare,

Ou le son triste et lent des refrains du berger.

Bien des fois le soleil, au bout de sa carrière,

A de pâles reflets clair-semé la bruyère

Depuis que ce départ a troublé le vallon,

Et comme une colombe au toit du vieux donjon

Suspend son nid fragile et mouvant à l’orage,

Dans la sombre tourelle Isaure voit ses jours

Naître et passer, et son jeune âge

Se berce doucement au rêve des amours.

Un soir, la foule émerveillée

Des varlets, tous groupés sous le foyer noirci,

Ecoutait, pour charmer l’éternelle veillée,

De géans, de sorciers un magique récit;

Un orage grondait; la fenêtre en ogive

Criait aux coups du vent; neige et pluie à longs flots

Tombaient, lorsque soudain d’une bouche plaintive,

Et du pied de la tour, s’élevèrent ces mots:

«Hommes heureux, qu’un toit protége

» Contre la tourmente et la neige,

» Ouvrez! J’ai perdu mon chemin:

» Aux moines joyeux de Talloires

» Je fis mes adieux ce matin;

» Ouvrez! je vous dirai de leurs bonnes histoires...

» Ouvrez, ouvrez au pélerin!

» Je suis trempé, foi d’honnête homme!

» Quoique jeune, j’ai visité

» Les saints el les tombeaux de Rome;

» Je donnerai, pour prix de l’hospitalité,

» Un chapelet, le Pape en a béni la graine;

» De pardons ma besace est pleine,

» Ouvrez-moi donc par charité !

» Voyageur, j’ai couru la France,

» Beau pays de gloire et d’amour;

» Sous les amandiers de Provence,

» Où les belles tiennent leur cour,

» J’ai chanté plus d’une romance,

» Et j’ai gagné mainte indulgence.

«Ouvrez au pélerin, ouvrez au troubadour!»

D’Edmond, qui l’écoutait, ces dernières paroles

Ont fait vibrer la harpe; elles touchent son cœur;

La damoiselle aussi veut ouïr le chanteur;

On ouvre... On a bien tort: diseur de fariboles,

Hélas! un troubadour n’est parfois qu’un trompeur.

Celui-ci de bourdon n’avait d’autre qu’un glaive:

Il entre; près du feu dépose son manteau;

Dit: «Merci!» puis commence un gentil fabliau;

Il chante. Cependant, sous un bord qu’il soulève

De son large chapeau,

Brille un œil grand et noir, et dont la vive flamme

Par côtés s’échappe souvent

Vers Isaure... Pourquoi rougis-tu, noble dame?

Le menteur pélerin serait-il ton amant?

Duingt, Menthon et Montrotier

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