Читать книгу Sganarelle, ou le Cocu imaginaire - Жан-Батист Мольер, Жан-Батист Поклен Мольер, Мольер (Жан-Батист Поклен) - Страница 1

SGANARELLE

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ou

LE COCU IMAGINAIRE

Comédie (1660)

PERSONNAGES ACTEURS

Gorgibus, bourgeois de Paris. L'Espy.

Célie, sa fille. Mlle Du Parc.

Lélie, amant de Célie. La Grange.

Gros-René, valet de Lélie. Du Parc.

Sganarelle, bourgeois de Paris, et cocu imaginaire1. Molière.

La femme de Sganarelle. Mlle De Brie.

Vilebrequin, père de Valère. De Brie.

La suivante de Célie. Magd. Béjart.

Un parent de la femme de Sganarelle.

La scène est dans une place publique

SCÈNE PREMIÈRE. – Gorgibus, Célie, la suivante de Célie

– Célie -

(sortant toute éplorée, et son père la suivant.)

Ah! n'espérez jamais que mon coeur y consente.


– Gorgibus -

Que marmottez-vous là, petite impertinente ?

Vous prétendez choquer ce que j'ai résolu ?

Je n'aurai pas sur vous un pouvoir absolu ?

Et par sottes raisons, votre jeune cervelle

Voudrait régler ici la raison paternelle ?

Qui de nous deux à l'autre a droit de faire loi ?

A votre avis, qui mieux, ou de vous ou de moi,

O sotte! peut juger ce qui vous est utile ?

Par la corbleu! gardez d'échauffer trop ma bile ;

Vous pourriez éprouver, sans beaucoup de longueur,

Si mon bras sait encor montrer quelque vigueur.

Votre plus court sera, madame la mutine,

D'accepter sans façons l'époux qu'on vous destine.

J'ignore, dites-vous, de quelle humeur il est,

Et dois auparavant consulter s'il vous plaît :

Informé du grand bien qui lui tombe en partage,

Dois-je prendre le soin d'en savoir davantage ?

Et cet époux, ayant vingt mille bons ducats,

Pour être aimé de vous doit-il manquer d'appas ?

Allez, tel qu'il puisse être, avecque cette somme

Je vous suis caution qu'il est très honnête homme.


– Célie -

Hélas !


– Gorgibus -

        Eh bien, hélas! Que veut dire ceci ?

Voyez le bel hélas qu'elle nous donne ici !

Eh! que si la colère une fois me transporte,

Je vous ferai chanter hélas de belle sorte !

Voilà, voilà le fruit de ces empressements

Qu'on vous voit nuit et jour à lire vos romans ;

De quolibets d'amour votre tête est remplie,

Et vous parlez de Dieu bien moins que de Clélie2.

Jetez-moi dans le feu tous ces méchants écrits

Qui gâtent tous les jours tant de jeunes esprits ;

Lisez-moi comme il faut, au lieu de ces sornettes,

Les Quatrains de Pibrac, et les doctes Tablettes3

Du conseiller Matthieu; l'ouvrage est de valeur,

Et plein de beaux dictons à réciter par coeur.

Le Guide des pécheurs4 est encore un bon livre,

C'est là qu'en peu de temps on apprend à bien vivre ;

Et si vous n'aviez lu que ces moralités,

Vous sauriez un peu mieux suivre mes volontés.


– Célie -

Quoi? vous prétendez donc, mon père, que j'oublie

La constante amitié que je dois à Lélie ?

J'aurais tort si, sans vous, je disposais de moi ;

Mais vous-même à ses voeux engageâtes ma foi.


– Gorgibus -

Lui fût-elle engagée encore davantage,

Un autre est survenu dont le bien l'en dégage.

Lélie est fort bien fait; mais apprends qu'il n'est rien

Qui ne doive céder au soin d'avoir du bien ;

Que l'or donne aux plus laids certains charmes pour plaire,

Et que sans lui le reste est une triste affaire.

Valère, je crois bien, n'est pas de toi chéri ;

Mais, s'il ne l'est amant, il le sera mari.

Plus que l'on ne le croit, ce nom d'époux engage,

Et l'amour est souvent un fruit du mariage.

Mais suis-je pas bien fat de vouloir raisonner

Où de droit absolu j'ai pouvoir d'ordonner ?

Trêve donc, je vous prie, à vos impertinences.

Que je n'entende plus vos sottes doléances.

Ce gendre doit venir vous visiter ce soir ;

Manquez un peu, manquez à le bien recevoir :

Si je ne vous lui vois faire fort bon visage,

Je vous… Je ne veux pas en dire davantage.


SCÈNE II. – Célie, la suivante de Célie

– La suivante -

Quoi? refuser, Madame, avec cette rigueur,

Ce que tant d'autres gens voudraient de tout leur coeur !

A des offres d'hymen répondre par des larmes,

Et tarder tant à dire un oui si plein de charmes !

Hélas! que ne veut-on aussi me marier !

Ce ne serait pas moi qui se ferait prier ;

Et loin qu'un pareil oui me donnât de la peine,

Croyez que j'en dirais bien vite une douzaine.

Le précepteur qui fait répéter la leçon

A votre jeune frère a fort bonne raison

Lorsque, nous discourant des choses de la terre,

Il dit que la femelle est ainsi que le lierre,

Qui croît beau tant qu'à l'arbre il se tient bien serré,

Et ne profite point s'il en est séparé.

Il n'est rien de plus vrai, ma très-chère maîtresse,

Et je l'éprouve en moi, chétive pécheresse !

Le bon Dieu fasse paix à mon pauvre Martin !

Mais j'avais, lui vivant, le teint d'un chérubin,

L'embonpoint merveilleux, l'oeil gai, l'âme contente ;

Et je suis maintenant ma commère dolente.

Pendant cet heureux temps passé comme un éclair,

Je me couchais sans feu dans le fort de l'hiver ;

Sécher même les draps me semblait ridicule,

Et je tremble à présent dedans la canicule.

Enfin il n'est rien tel, Madame, croyez-moi,

Que d'avoir un mari la nuit auprès de soi ;

Ne fût-ce que pour l'heur d'avoir qui vous salue

D'un: Dieu vous soit en aide! alors qu'on éternue.


– Célie -

Peux-tu me conseiller de commettre un forfait,

D'abandonner Lélie, et prendre ce mal fait ?


– La suivante -

Votre Lélie aussi n'est, ma foi, qu'une bête,

Puisque si hors de temps son voyage l'arrête ;

Et la grande longueur de son éloignement

Me le fait soupçonner de quelque changement.


– Célie -

(lui montrant le portrait de Lélie.)

Ah! ne m'accable point par ce triste présage.

Vois attentivement les traits de ce visage :

Ils jurent à mon coeur d'éternelles ardeurs ;

Je veux croire, après tout, qu'ils ne sont pas menteurs,

Et que, comme c'est lui que l'art y représente,

Il conserve à mes feux une amitié constante.


– La suivante -

Il est vrai que ces traits marquent un digne amant,

Et que vous avez lieu de l'aimer tendrement.


– Célie -

Et cependant il faut… Ah! soutiens-moi.


(Elle laisse tomber le portrait de Lélie.)

– La suivante -

                                           Madame,

D'où vous pourrait venir… Ah! bons dieux! elle pâme !

Hé! vite, holà! quelqu'un.


SCÈNE III. – Célie, Sganarelle, la suivante de Célie

– Sganarelle -

Qu'est-ce donc? me voilà.


– La suivante -

Ma maîtresse se meurt.


– Sganarelle -

                       Quoi! ce n'est que cela ?

Je croyais tout perdu, de crier de la sorte.

Mais approchons pourtant. Madame, êtes-vous morte ?

Ouais! Elle ne dit mot.


– La suivante -

                         Je vais faire venir

Quelqu'un pour l'emporter; veuillez la soutenir.


SCÈNE IV. – Célie, Sganarelle, la femme de Sganarelle

– Sganarelle -

(en passant la main sur le sein de Célie.)

Elle est froide partout, et je ne sais qu'en dire.

Approchons-nous pour voir si sa bouche respire.

Ma foi! je ne sais pas; mais j'y trouve encor, moi,

Quelque signe de vie.


– La femme de Sganarelle -

(regardant par la fenêtre.)

                      Ah! qu'est-ce que je voi ?

Mon mari dans ses bras… Mais je m'en vais descendre ;

Il me trahit sans doute, et je veux le surprendre.


– Sganarelle -

Il faut se dépêcher de l'aller secourir ;

Certes, elle aurait tort de se laisser mourir.

Aller en l'autre monde est très grande sottise,

Tant que dans celui-ci l'on peut être de mise.


(Il l'emporte avec un homme que la suivante amène.)

SCÈNE V. – La femme de Sganarelle

– La femme de Sganarelle -

Il s'est subitement éloigné de ces lieux,

Et sa fuite a trompé mon désir curieux.

Mais de sa trahison je ne suis plus en doute,

Et le peu que j'ai vu me la découvre toute.

Je ne m'étonne plus de l'étrange froideur

Dont je le vois répondre à ma pudique ardeur :

Il réserve, l'ingrat, ses caresses à d'autres,

Et nourrit leurs plaisirs par le jeûne des nôtres.

Voilà de nos maris le procédé commun ;

Ce qui leur est permis leur devient importun.

Dans le commencements ce sont toutes merveilles,

Ils témoignent pour nous des ardeurs nonpareilles ;

Mais les traîtres bientôt se lassent de nos feux,

Et portent autre part ce qu'ils doivent chez eux.

Ah! que j'ai de dépit que la loi n'autorise

A changer de mari comme on fait de chemise !

Cela serait commode; et j'en sais telle ici

Qui comme moi, ma foi, le voudrait bien aussi.


(En ramassant le portrait que Célie avait laissé tomber.)

Mais quel est ce bijou que le sort me présente ?

L'émail en est fort beau, la gravure charmante.

Ouvrons.


SCÈNE VI. – Sganarelle, La femme de Sganarelle

– Sganarelle -

(se croyant seul.)

         On la croyait morte, et ce n'était rien.

Il n'en faut plus qu'autant: elle se porte bien.

Mais j'aperçois ma femme.


– La femme de Sganarelle -

(se croyant seule.)

                          O ciel! c'est miniature !

Et voilà d'un bel homme une vive peinture !


– Sganarelle -

(à part, et regardant par-dessus l'épaule de sa femme.)

Que considère-t-elle avec attention ?

Ce portrait, mon honneur, ne vous dit rien de bon.

D'un fort vilain soupçon je me sens l'âme émue.


– La femme de Sganarelle -

(sans apercevoir son mari.)

Jamais rien de plus beau ne s'offrit à ma vue ;

Le travail plus que l'or s'en doit encor priser.

Oh! que cela sent bon !


– Sganarelle -

(à part.)

                         Quoi! peste, le baiser ?

Ah! j'en tiens !


– La femme de Sganarelle -

(poursuit.)

                  Avouons qu'on doit être ravie

Quand d'un homme ainsi fait on se peut voir servie,

Et que, s'il en contait avec attention,

Le penchant serait grand à la tentation.

Ah! que n'ai-je un mari d'une aussi bonne mine !

Au lieu de mon pelé, de mon rustre…


– Sganarelle -

(lui arrachant le portrait.)

                                      Ah! mâtine !

Nous vous y surprenons en faute contre nous,

Et diffamant l'honneur de votre cher époux.

Donc, à votre calcul, ô ma trop digne femme,

Monsieur, tout bien compté, ne vaut pas bien Madame ?

Et, de par Belzébut, qui vous puisse emporter,

Quel plus rare parti pourriez-vous souhaiter ?

Peut-on trouver en moi quelque chose à redire ?

Cette taille, ce port que tout le monde admire,

Ce visage, si propre à donner de l'amour,

Pour qui mille beautés soupirent nuit et jour ;

Bref, en tout et partout, ma personne charmante

N'est donc pas un morceau dont vous soyez contente ?

Et, pour rassasier votre appétit gourmand,

Il faut au mari le ragoût d'un galant ?


– La femme de Sganarelle -

J'entends à demi-mot où va la raillerie.

Tu crois par ce moyen…


– Sganarelle -

                         A d'autres; je vous prie.

La chose est avérée, et je tiens dans mes mains

Un bon certificat du mal dont je me plains.


– La femme de Sganarelle -

Mon courroux n'a déjà que trop de violence,

Sans le charger encor d'une nouvelle offense.

Écoute, ne crois pas retenir mon bijou,

Et songe un peu…


– Sganarelle -

                   Je songe à te rompre le cou.

Que ne puis-je, aussi bien que je tiens la copie,

Tenir l'original !


– La femme de Sganarelle -

Pourquoi ?


– Sganarelle -

                              Pour rien, ma mie.

Doux objet de mes voeux; j'ai grand tort de crier,

Et mon front de vos dons vous doit remercier.


(Regardant le portrait de Lélie.)

Le voilà! le beau-fils, le mignon de couchette,

Le malheureux tison de ta flamme secrète,

Le drôle avec lequel…


– La femme de Sganarelle -

Avec lequel… poursuis.


– Sganarelle -

Avec lequel, te dis-je… et j'en crève d'ennuis.


– La femme de Sganarelle -

1

Ce personnage comique est une création de Molière, et le nom de Sganarelle est resté au caractère qu'il représente: on disait les "Sganarelles", comme on avait dit les "Jodelets", les "Gros-Renés", etc.

2

"Clélie", roman de mademoiselle de Scudéry.

3

Ces deux ouvrages tenaient autrefois dans l'éducation de la jeunesse la même place que les fables de la Fontaine y tiennent aujourd'hui.

4

Livre de dévotion, par Louis de Grenade, dominicain espagnol, mort en 1588. (B.)

Sganarelle, ou le Cocu imaginaire

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