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AVANT-PROPOS.

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L’ACCUEIL favorable que la Théorie du Paysage a reçu du public, l’approbation d’un grand nombre d’artistes distingués , mais principalement le suffrage de l’Académie royale des beaux arts, tout devait m’inviter à donner à cet ouvrage une suite qui, bien que susceptible d’intéresser par son propre fond, pût en même temps lui servir de complément et remplir, dans toute son étendue, le but d’utilité dans lequel il avait été entrepris.

La Théorie du Paysage a eu pour unique objet d’exposer dans un ordre méthodique les règles générales de l’art, et de les présenter aux jeunes artistes comme devant être la base fondamentale de leurs études, et le guide le plus sûr pour diriger leurs pas dans la carrière, et leur aplanir les obstacles qu’ils pourraient y rencontrer; mais ces règles, appuyées de preuves suffisantes pour en démontrer l’importance et la nécessité, pouvaient recevoir une application encore plus spéciale, en considérant l’art sous un point de vue à la fois plus étendu et plus direct; et, si ce nouvel examen m’imposait l’obligation de m’occuper de la même matière sur laquelle je m’étais déjà exercé, je n’avais cependant pas à craindre de la trouver épuisée, et d’être exposé à tomber dans des répétitions superflues.

En effet, ne sait-on pas qu’un des principaux attributs des arts qui ont pour objet l’imitation de la nature, est de participer à l’essence de leur modèle, et de partager avec lui la propriété d’être variés à l’infini dans leurs moyens et dans leurs résultats? Or, de ce principe incontestable, il suit que chacun des genres de la peinture doit offrir au talent de l’historien des branches aussi diversifiées à décrire, qu’il est donné au génie de l’artiste d’en cultiver. Il était donc naturel de penser qu’une histoire de l’Art du Paysage pourrait succéder à la Théorie, sans présenter avec celle-ci aucune similitude dans la conception du sujet et dans son exécution; il était même permis de juger que les deux ouvrages réunis formeraient en quelque sorte un traité complet, puisque l’Histoire, n’étant qu’un exposé fidèle de la conséquence des principes établis dans la Théorie, les fortifierait d’autant mieux qu’à l’appui des préceptes viendrait une série nombreuse d’exemples choisis dans toutes les productions de l’art, depuis son origine jusqu’à sa perfection.

A l’égard de cette origine, on ne manquera point de demander pour quels motifs, d’après le simple titre de l’ouvrage, elle ne semble point remonter au-delà du renouvellement des arts chez les modernes, et s’il est bien certain que les anciens n’aient pas connu le genre du paysage, ou qu’ils aient négligé de le cultiver. Cette question, souvent agitée et jamais décidée d’une manière absolue, ne pouvait être traitée avec plus de sagacité que par l’érudit profondément versé dans la science de l’antiquité, par le docte académicien qui dans un article inséré au Journal des Savans, en octobre 1819, sur la Théorie du Paysage , s’exprime en ces termes sur le sujet qui nous occupe:

«Le paysage traité isolément comme

» un genre de peinture à part ne pa-

» raît pas avoir occupé une place dis-

» tincte dans l’exercice des arts chez les

» anciens, avant le règne d’Auguste,

» époque où Ludius, selon Pline,

» introduisit à Rome l’usage de déco-

» rer les intérieurs par des vues de

» scènes champêtres qui étaient, à la

» rigueur du mot, tel qu’on l’entend

» aujourd’hui, des paysages. Les des-

» criptions que Pline fait des peintures

» de Ludius, ne laissent aucun doute

» sur la réalité du genre qu’il cultiva,

» et qui embrassait aussi celui de la

» marine, maritimas urbes pingere insti-

» tuit. Au reste, il ne faut pas entendre

» par les mots primus instituit, que

» Ludius aurait été le premier qui eût

» imaginé de peindre des paysages.

» Ludius, d’après le sens évident de

» la phrase entière de l’écrivain, avait

» seulement été le premier à introduire

» l’usage du paysage à Rome, comme

» objet de décoration, sur les enduits

» des murs, des portiques, des vesti-

» bules et même des parties extérieures

» des bâtimens.

» Beaucoup de peintures antiques,

» qu’on appelle arabesques, nous font

» voir le paysage employé dans les

» compartimens de ce genre d’orne-

» ment, et le goût des compositions

» de Ludius, telles que Pline les décrit,

» semble y avoir été reproduit et copié

» en petit.

» Mais les Grecs, dans le bel âge de

» leur peinture, avaient-ils fait un

» genre à part du paysage? C’est une

» question à laquelle on ne peut ré-

» pondre que par conjecture. Qu’ils

» aient pratiqué en détail et imité par-

» tiellement tous les objets dont se

» compose le paysage, on ne saurait

» le révoquer en doute, puisque tous

» ces objets entraient comme parties

» nécessaires des fonds de leurs ta-

» bleaux, ou comme accessoires éga-

» lement indispensables dans leurs

» compositions. Toutefois, dans la

» liste assez étendue qu’il donne des

» grands peintres de la Grèce et de

» leurs ouvrages, Pline ne dit rien

» qui puisse faire soupçonner l’exis-

» tence du genre dont il s’agit; et plus

» d’une raison porte à croire qu’aux

» plus beaux temps de l’art surtout,

» ce genre fut inconnu ou négligé.

» Nous retrouvons, au reste, la

» même négligence dans les deux pre-

» miers siècles du renouvellement des

» arts chez les modernes, etc.»

Une opinion si judicieusement motivée devait, ce semble, déterminer l’historien à ne point se reporter vers des temps où il ne trouverait que nuages et obscurité, sans espoir de parvenir à les dissiper. Il s’est donc arrêté à une époque bien remarquable au moyen âge, à celle où toutes les conjectures disparaissent, où toutes les incertitudes s’évanouissent pour faire place à des laits précis, à des données positives; et en se décidant à partir de la renaissance des arts, dans la vue de découvrir l’origine du paysage, il ne peut douter qu’une autorité aussi respectable que celle sur laquelle il s’est appuyé, ne suffise seule pour justifier complètement le choix qu’il a fait de ce point de départ.

En second lieu, si l’on s’étonne que cet historien ne se soit point occupé des paysagistes nés dans le dix-huitième siècle, ce n’est pas qu’il ne rende entièrement justice aux talens d’un certain nombre d’entre eux; mais il ne peut échapper à la pensée de ceux qui considèrent avec raison le dix-septième siècle comme l’époque de l’apogée du paysage, que l’auteur, sans avoir eu besoin de dépasser ce terme, a considéré son sujet sous le point de vue le plus intéressant et le plus favorable à tous les développemens qu’il pouvait embrasser: d’ailleurs, il est encore à remarquer que la plupart des paysagistes que la seconde moitié du dix-septième siècle a vus naître, ayant prolongé leur existence plus ou moins avant dans le cours du dix-huitième, la mention qui les concerne comprend nécessairement un laps de temps plus considérable que celui que le titre de cet ouvrage semblerait indiquer.

L’histoire de l’art du paysage considéré dans sa marche et ses progrès depuis son origine jusqu’à sa perfection, ne peut être au fond que l’histoire des paysagistes des différentes Ecoles, envisagés non pas seulement selon l’ordre des temps où ils ont paru, mais surtout dans une analyse méthodique et raisonnée du caractère distinctif de leurs talens et du mérite particulier de leurs productions.

C’est dans l’examen des systèmes adoptés par chaque Ecole et dans la comparaison des manières usitées par les principaux paysagistes, que l’on peut apprendre à connaître les différentes modifications que le paysage a éprouvées dans sa culture et dans ses résultats, dès l’instant qu’il a formé un genre à part dans le domaine de la peinture, les efforts successifs qui ont contribué à le perfectionner, enfin les circonstances qui ont influé sur sa décadence. Tel est le plan de cet ouvrage dans lequel, tout en ne laissant échapper aucune occasion de faire remarquer les changemens survenus dans l’état de l’art à un assez grand nombre d’époques différentes, on s’est attaché principalement à réunir dans une même galerie les plus habiles paysagistes des diverses contrées, à présenter sous son véritable jour le talent de chacun d’eux en particulier, quelquefois même à les opposer les uns aux autres dans la vue de mieux faire ressortir leurs traits caractéristiques; enfin, pour ne laisser ignorer rien de ce qui peut les concerner, on a cru devoir faire précéder les remarques sur leurs ouvrages de quelques renseignemens exacts, autant que possible, sur leur vie privée; persuadé que le lecteur aimerait sans doute à faire, en quelque sorte, connaissance avec des artistes célèbres dans la carrière qu’ils ont suivie, avant de découvrir dans leurs chefs-d’œuvre la source et les causes de leur célébrité.

On doit sentir que pour connaître les particularités de la vie de ces paysagistes il a été indispensable de recourir aux traditions: trop heureux, si une multitude de détails insignifians, si de nombreuses omissions, des incertitudes et des contradictions manifestes n’avaient point à chaque instant retardé le cours de recherches multipliées, et opposé des obstacles quelquefois invincibles à l’envie de ne rien laisser à désirer à cet égard. Ainsi, sous ce premier point de vue, des recherches qui ont eu pour objet d’épargner celles du lecteur, en lui offrant la substance abrégée d’une infinité de faits et de renseignemens épars dans un grand nombre d’ouvrages, ont exigé, de la part de l’historien, un travail qui n’était point sans quelques difficultés; et s’il n’a pas toujours réussi à les surmonter, ce tort est bien moins le sien que celui de ses devanciers.

Mais ce n’est point aux écrits qui ont précédé le sien qu’il a eu recours pour se former une opinion sur les talens qu’il a passés en revue; c’est dans un examen attentif des productions de l’art, dans une étude approfondie des moyens d’exécution et dans ses propres sensations qu’il a puisé les motifs de ses jugemens. Il n’a pu, à la vérité, qu’exprimer sa manière de voir et de sentir, sans oser se flatter qu’elle soit admise sans restriction; car, en fait d’opinion sur les ouvrages de l’art, on ne peut douter qu’indépendamment de leur mérite intrinsèque qui doit toujours guider la raison, ce ne sont pas moins les sensations particulières à chaque individu, et le degré respectif de ses connaissances plus ou moins positives ou de ses affections personnelles pour un genre ou une manière, plutôt que pour toute autre qui concourent à déterminer en lui le taux de l’estime et du prix qu’il attache aux objets de cette espèce. Cependant, l’auteur doit s’empresser de déclarer qu’en faisant tous ses efforts pour se tenir en garde contre de fausses impressions que des opinions reçues auraient pu lui faire partager, il ne s’est pas moins défié de ses propres préventions; et, ce qui doit à cet égard garantir sa bonne foi, c’est le soin qu’il a pris de tirer le plus souvent ses preuves des ouvrages exposés dans les collections publiques, afin que le lecteur eût toutes les facilités désirables pour pouvoir prononcer lui-même en connaissance de cause sur la validité des jugemens soumis à sa révision. Ainsi, la galerie du Musée royal, celle d’Apollon, et le cabinet des Estampes de la Bibliothèque du Roi, ces trois dépôts, si riches en tableaux, en dessins et en gravures, sont les principales mines qui ont fourni les matériaux nécessaires pour former l’Histoire de l’Art du Paysage.

Si l’historien ajoute que tout en ne voulant renfermer dans son cadre que les paysagistes les pins distingués, le nombre de ceux qu’il est parvenu à y rassembler est très - considérable ; que malgré l’écueil sans cesse renaissant de transitions embarrassantes et de redites inévitables, quand on passe en revue tant de personnages divers, et que l’on est forcé de tourner dans un cercle de mêmes idées et de mêmes expressions, il ne s’est pas moins efforcé de lier entre elles les différentes parties du su jet qu’il avait à traiter, et d’envisager à la fois l’art en lui-même et les artistes dans leurs productions, il aura donné un léger aperçu de la tâche qu’il s’est imposée.

Quelle que soit, au surplus, l’idée qu’on puisse se former d’un ouvrage, avant de l’avoir examiné dans son ensemble et dans tous ses détails, l’auteur ne craint pas d’affirmer que malgré la constance de son zèle, il lui aurait été impossible de le terminer, si une continuité d’études et d’observations recueillies dès son extrême jeunesse n’eût suppléé à l’insuffisance de plusieurs années consécutives de peines et de soins. Mais doit-il songer à des peines qui ont eu pour objet l’instruction des jeunes paysagistes et le perfectionnement de l’art, lorsque déjà il a reçu une partie de la récompense qu’il ambitionne, dans l’espoir de contribuer de ses faibles moyens à la célébrité de cet art qui fit toujours ses plus chères délices, dans le plaisir qu’il a éprouvé en se livrant à une étude plus approfondie des chefs-d’ œuvre qui si souvent avaient provoqué son admiration, et qu’il n’a pu voir, revoir et méditer attentivement, sans y découvrir chaque fois de nouvelles beautés, sans y puiser de nouvelles jouissances, et, il n’hésite point à le dire, de nouveaux motifs de satisfaction, d’après une conviction encore plus intime de la supériorité que deux artistes français se sont acquise sur tous leurs émules des autres contrées, dans la culture du paysage historique?

Histoire de l'art du paysage depuis la renaissance des beaux-arts jusqu'au dix-huitième siècle

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