Читать книгу Le temple des muses - Jean Capart - Страница 3
LES MUSÉES SOUS LA DIRECTION D’EUGÈNE VAN OVERLOOP ()
ОглавлениеMES premières paroles seront un chaleureux merci à toutes les personnes dont les généreuses contributions nous permettent de commémorer, dans ce musée, la mémoire d’Eugène van Overloop.
Les visiteurs de notre admirable section d’Industries d’Art pourraient difficilement se faire une idée de l’état chaotique des Musées Royaux du Cinquantenaire, au moment où le Ministre De Bruyn en confiait la direction à l’homme dont j’ai le privilège de rappeler aujourd’hui les mérites. La transformation s’est faite lentement, presqu’en cachette, et seuls ceux qui en ont suivi attentivement les étapes sont à même de mesurer avec exactitude tout le chemin parcouru.
J’ai recueilli des lèvres du prédécesseur de van Overloop une anecdote bien caractéristique: le jour où le Ministre appelait le baron de Hauleville à la direction des Musées Royaux du Cinquantenaire, il répondait aux remerciements que lui adressait le nouveau Conservateur en Chef, par ces mots qui étaient un programme: «Maintenant que je vous ai fait une situation, j’espère que vous ne me demanderez plus rien.» C’est ce qui explique qu’au moment où van Overloop entrait en fonctions en 1898, au lendemain de l’exposition de 1897, dont il avait organisé, avec un succès retentissant, la section des Sciences, il avait tout à demander, tout à obtenir.
Qui pourra jamais dire, par quel miracle d’habileté patiente et de sage diplomatie, il réussit à transformer l’état des esprits dans les milieux officiels, au point de pouvoir franchir nettement les premières étapes qui devaient être les plus difficiles?
Pour conserver des antiquités, pièces rares ou curieuses, dignes d’éveiller, à l’occasion, l’attention des badauds, il semblait alors qu’un seul homme pût suffire à la tâche, quitte à lui supposer une égale compétence en archéologie préhistorique, en art classique, autant qu’en histoire de l’art de la Renaissance et des temps modernes. Van Overloop, qui considéra, dès le début, le musée comme un centre de recherches et de documentation scientifiques, se consacra, sans tarder, à la constitution d’un cadre de personnel technique. Il dut et sut, à merveille, pratiquer la politique du possible, acceptant de partager entre plusieurs conservateurs et attachés les sommes dérisoires que le budget mettait à sa disposition. Dès qu’il avait réussi à attacher à sa maison un nouveau collaborateur, il lui montrait si clairement l’idéal à réaliser, qu’il n’eut presque jamais de défection parmi ceux auxquels il avait confié l’un ou l’autre département.
EUGÈNE VAN OVERLOOP
Conservateur en Chef de 1898 à 1925.
En ce qui me concerne, j’ai connu la section préhistorique limitée à quelques vitrines, occupant approximativement quarante mètres carrés. A l’heure actuelle, notre collection de la Belgique Ancienne fait l’admiration de tous les connaisseurs. Ses richesses ont été patiemment réunies par les soins du baron de Loë qui trouva dans la générosité du comte Cavens, d’une part, et dans le Service des Fouilles, d’autre part, les ressources indispensables à la réalisation d’une œuvre que van Overloop suivit pas à pas, avec une sympathie aussi active que compétente.
Rappelons ses publications sur la préhistoire, auxquelles se rattache son important mémoire sur l’hydrographie de l’Escaut et ses études philosophiques sur l’origine de l’art.
Le département des Antiquités Classiques s’est transformé de collection d’amateur en un véritable musée, grâce aux efforts conjugués de Franz Cumont et de Jean De Mot, auxquels le Conservateur en Chef s’ingéniait à procurer les ressources indispensables. Je me bornerai à citer l’achat mémorable de la collection Mystho et des pièces capitales de la collection Somzée.
Nos Industries d’Art possédaient, grâce à la libéralité de Mme Montefiore, quelques belles dentelles. Le Conservateur en Chef, soucieux de donner à nos collections nationales un département de la dentelle, tourna vers ce but, pendant plusieurs années, la plus grande partie de ses études et nous pouvons saisir, tout particulièrement dans ce cas, quelle était sa manière de procéder. D’abord l’outillage technique: M. Montefiore lui assura les ressources nécessaires pour constituer une bibliothèque spéciale plus riche sans doute que toute autre; van Overloop en a publié le catalogue raisonné. Ensuite, il fallait trouver, au dehors, des sympathies agissantes: Mme Kéfer-Mali, Mme Paulis, M. Georges Moens, le Comité des Amies de la Dentelle s’employèrent à découvrir, acheter, mettre en valeur des pièces de choix. Le mouvement une fois créé, les dons affluèrent; on nous confia en dépôt des pièces importantes. Et van Overloop se trouva bientôt en mesure de publier, sur les dentelles de nos musées et sur les pièces belges de grandes collections étrangères, des travaux qui font autorité dans le monde entier. Un ouvrage de premier ordre, publié par un spécialiste d’Allemagne, lui était venu, il y a quelques années, avec la dédicace: «Au meilleur connaisseur en dentelles anciennes.»
Rappelons également l’acquisition de la célèbre collection Michotte qui nous dotait d’emblée d’un riche département d’art d’Extrême-Orient, de la visite duquel le public reste, hélas! privé, par manque de locaux.
A ce point de vue, Eugène van Overloop en suivant les directives de notre grand roi Léopold II, sut également faire franchir à nos musées l’étape décisive.
C’est en 1889 qu’Auguste Beernaert décida le transfert, de la Porte de Hal au Cinquantenaire, de nos séries d’antiquités qui furent placées temporairement dans les halls d’exposition à l’aile droite de ce palais.
Lorsque van Overloop en assuma la direction, on discutait, depuis longtemps, l’installation définitive dans des bâtiments appropriés, à l’aile sud, qui, d’après les vues exprimées formellement par Léopold II, devait être réservée aux Musées Royaux du Cinquantenaire. Le temps pressait: de riches collectionneurs, Vermeersch et Evenepoel, qui avaient exprimé d’abord leur intention de léguer au pays leurs trésors, hésitaient devant le retard apporté à la construction du palais destiné à les abriter. Enfin, les Chambres accordèrent les premiers millions nécessaires; Vermeersch et Evenepoel, faisant crédit au Conservateur en Chef qui était devenu leur ami, lui confiaient leurs séries qui actuellement font l’admiration des plus riches musées étrangers.
Un trait permet de montrer combien van Overloop savait conquérir la sympathie de ceux qui entraient en rapports avec lui. Lorsque Hélène Godtschalck léguait à l’État Belge sa fortune pour instituer un hospice pour les vieux marins, et ses collections pour nos musées, c’est le Conservateur en Chef des Musées qu’elle avait désigné en qualité d’exécuteur testamentaire.
Un personnel technique, des collections, des locaux, tout cela ne suffisait pas encore à faire un musée complet. Il fallait créer ces organes de vie active que constituent les services généraux. Ici, de nouveau, l’évolution se fit sagement, en profitant de toutes les circonstances qui s’offraient, en utilisant les maigres économies qu’il y avait moyen de faire sur des budgets manifestement trop étroits. Il y a trente ans, nos musées possédaient quelques livres, assemblés par hasard dans quelques vitrines fermées, dans une salle sombre que l’on décorait pompeusement du nom de bibliothèque. Aujourd’hui nous avons plus de 50.000 volumes que le public peut consulter librement dans des salles gaies et spacieuses.
Notre service des moulages, dont la vie était restreinte par les conditions d’un monopole étroit concédé à un particulier, a conquis sa liberté et a pris un nouvel essor, depuis l’armistice, grâce à la gestion personnelle du Conservateur en Chef.
Notre service photographique a réuni des collections d’une importance exceptionnelle pour l’inventaire de nos trésors d’art. Quelques mois après la mort de van Overloop, le Gouvernement consentit à donner une suite favorable à une proposition qui lui avait tenu particulièrement au cœur: l’acquisition des 10,000 clichés, exécutés par les Allemands pendant l’occupation de la Belgique, et qui forment un répertoire absolument sans rival.
Obligé à la retraite à l’âge de soixante-dix-huit ans, à un moment où il donnait encore à son musée une activité que bien des jeunes lui eussent enviée, il consacra les derniers mois de sa vie à mettre au point l’organisation du service de documentation artistique. Cet organisme, peu connu encore des travailleurs, promet d’occuper une place importante dans le cadre de nos musées. Le Comité du Mémorial van Overloop a voulu que cette dernière création pût trouver, dans la générosité des souscripteurs, des ressources destinées à lui donner un nouvel essor. Nous pouvons compter, à l’heure présente, sur un capital de plus de trente mille francs.
Ainsi, le souvenir de van Overloop sera doublement fixé à cette maison, où il a donné le meilleur de son intelligence et de son cœur, pendant plus d’un quart de siècle. Le monument que nous devons à MM. Jules Berchmans et Henry Lacoste est incorporé pour toujours dans les pierres mêmes de l’édifice, où nos collections sont définitivement fixées. Le développement du service de documentation aura comme résultat d’unir en même temps le nom de notre ancien Conservateur en Chef à l’une des créations auxquelles il accordait le plus grand prix.
Nous pouvons être assurés que dans cette maison ne s’effacera pas, de longtemps, le souvenir de cet homme de bien, consciencieusement appliqué à sa tâche, ignorant les jours de repos comme les périodes de vacances, désireux de ne rien négliger, même les détails les plus infimes dont il aurait pu cependant remettre le soin à d’autres, préoccupé pardessus tout de dissimuler son action féconde lorsque des résultats brillants étaient acquis. A l’entendre, il ne savait rien sur aucune chose. Et cependant, lorsqu’on lui demandait conseil sur les problèmes techniques les plus divers, on sortait de son cabinet plus riche des remarques précieuses et des observations judicieuses qu’il avait présentées.
Seuls, ceux qui ont travaillé à ses côtés savent combien d’infortunés et de malheureux ont trouvé chez lui, non seulement un secours matériel, mais des raisons nouvelles de croire et d’espérer en un avenir meilleur.
La place même où se trouve gravé le monument van Overloop a pour nous la valeur d’un symbole. La guerre, en venant empêcher le développement progressif de nos constructions, ne permit pas à notre regretté Conservateur en Chef de voir ses plans réalisés. C’est à ce mur que son effort s’est arrêté. C’est au delà que doivent s’élever, dans un avenir prochain, les nouvelles galeries où nous pourrons enfin mettre en valeur toutes les riches collections rassemblées sous son impulsion.
Certes, lorsqu’il fut nommé Conservateur en Chef, van Overloop recueillait un précieux héritage, dont nous devons faire honneur à ses devanciers. Mais c’était un capital mort, comparable au trésor d’un avare. Van Overloop a su l’accroître, le faire vivre. Avant tout autre, il a doté nos musées de cours d’archéologie, il a largement ouvert nos salles aux conférences d’extension universitaire, il a organisé continuellement des expositions temporaires, dont le souvenir est conservé dans les quatorze volumes du Bulletin des Musées Royaux. Dans les dernières années de sa vie, il a encouragé de toutes manières la création et le développement de notre Service Éducatif.
Puis-je me permettre, en terminant, une comparaison? De ce trésor d’avare, van Overloop a fait l’apport de fondation d’un vaste établissement. L’or enterré sous les dalles a été remplacé par un superbe bâtiment, conçu comme la première partie d’un ensemble grandiose. La clientèle grandit tous les jours, et d’année en année, nous pouvons distribuer des dividendes intellectuels plus importants. Nous sommes en route pour faire une brillante fortune. Mais, quels que soient les résultats que l’avenir nous réserve, nous les devrons à l’homme clairvoyant, prudent ou audacieux suivant les circonstances, qui avait vu, dès la première heure, la véritable destination du trésor qui lui était échu et que personne, avant lui, n’avait su mettre en valeur au bénéfice du plus grand nombre.