Читать книгу La Deffense du poëme heroïque - Jean Desmarets De Saint-Sorlin - Страница 3

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PREFACE

Table des matières


Voicy une guerre d’esprit, bien injurieuse dans l’intention de celuy qui attaque, bien peu dangereuse pour ceux qui font attaquez,&assez divertissante pour ceux qui doivent juger du differend. Celuy qui combat la Poësie Heroïque,&qui pretend donner des loix à tous les Poëtes, s’est si bien dépeint luy-mesme par ce dernier vers de son Art Poëtique,

Plus enclin à blamer, que sçavant à bien faire, qu’il seroit difficile à un autre de le mieux dépeindre, bien qu’il veüille que l’on croye le contraire. Mais dans son emportement contre ceux qu’il a pretendu mettre en pieces, il faut l’arrester, afin qu’il reçoive à son tour des leçons, pour ne le laisser pas triompher impunément parmy ses admirateurs.

Celuy qui sçait bien qu’il n’a autre talent que la Satyre, doit au moins sçavoir ce que c’est que l’esprit&la fin de la Satyre, qui est de reprime les vices en les rendant ridicules,&de faire voir aux vicieux par des peintures generales, ce qu’ils sont,&ce qu’ils doivent estre. Pour s’élever au raisonnable esprit de la Satyre, il ne faut pas avoir un esprit malin, qui hait les personnes,&qui respecte les vices; évitant de parler des plus dangereux, ou n’en parlant que par moquerie. Il faut avoir une grande sagesse, qui est si rare, une intention droite pour la correction des hommes,& une delicatesse de sens pour bien juger,&pour toucher solidement&finement les matieres, qu’il faut traiter en Maistre&non pas en Escolier;&l’on ne doit pas se servir de la plume, comme un furieux se sert d’une épée, pour massacrer tout ce qu’il rencontre.

Celuy qui dit qu’il a entrepris d’écrire contre les vices,&qui dit d’abbord au Roy.

Moy la plume à la main je gourmande les vices, doit donc estre sage,&ne doit pas ensuite faire des Satyres contre la sagesse&contre la raison, puis que ce n’est que par la raison qu’il peut combattre les vices: Et celuy qui veut se moquer des Poëtes,&donner des preceptes pour toutes fortes de Poësies, doit estre grand Poëte, correct, avancé en âge,&en reputation, comme estoit Horace, qui estoit grand Philosophe, grand Poëte, d’un goust le plus rafiné qui fust jamais,& qui a mesme donné dans ses Satyres d’excellens preceptes de la vertu.

Il ne faut pas qu’un Poëte Satyrique se fasse voir Ecolier en sentimens,&en Poësie. Horace &Juvenal n’ont jamais rien dit qui ne fust de bon sens, n’ont jamais fait un méchant vers, n’ont rien fourré d’inutile pour achever leur mesure, n’ont jamais employé ny parole ny comparaison basse, bien que dans le stile bas de la Satyre;& n’ont point rebattu dix fois une mesme personne pour la mesme chose.

Mais il ne faut pas sous le titre de la Satyre exercer ses inimitiez,&répandre ses pensées libertines. La Satyre est contraire aux loix divines &humaines;&parmy nous elle ne doit pas s’authoriser par l’exemple de ce qui s’est fait parmy les Payens. Elle a esté supportée parmy eux, quand elle n’a pris autre licence que d’accuser les vices publics, ne nommant jamais une personne pour vicieuse, si elle n’estoit bien diffamée; comme quelque scelerat, quelque fameux débauché, ou quelque signalé avare. Horace marque les bornes de la Satyre, quand il dit, Sat. 4.

Si quis erat dignus describi, quòd malus, aut sur

Quòd mœchus foret, aut sicarius, aut alioqui

Famosus.

Enfin la Satyre n’a jamais décrié que ceux qui se décrient eux-mesmes: mais celuy qui veut faire passer pour ridicules des hommes establis en estime, croit qu’il sera jugé plus grand d’esprit, plus il se fera voir hardy à médire. Il fait bien connoistre qu’il est plus ennemy du mérité que du vice; puisqu’il ne nomme jamais un vicieux; mais seulement ceux dont les ouvrages sont estimez, les uns plus, les autres moins: car pour ceux qui n’ont pas la force de se soûtenir, c’est estre bien lâche que de les attaquer.

Il a pretendu se mettre au dessus de tous en s’établissant le censeur de tous; mais cette humeur de censurer ne convient pas à un jeune Poëte, qui dans l’impetuosité de son âge se trouve flaté en s’exerçant à la Satyre, à cause du grand avantage qu’elle luy donne parmy des esprits disposez à aimer la médisance,&souffrir les deffauts d’un Poëte, pourveu que quelqu’un soit nommé&mocqué. Mesme bien que le nom soit souvent répété par la sterilité de l’Autheur, les esprits communs ne laissent pas d’en rire toûjours: mais ceux qui ont le goust rafiné, haissent ces repetitions, qui marquent la pauvreté de l’esprit du Poëte,&sont ennuyeuses aux personnes de bon goust, qui attendent tousiours quelque chose de nouveau. Cependant les mediocres esprits, qui ont aimé la Satyre dans le temps qu’elle leur a esté prononcée d’un magnifique ton de voix avant l’impression, se trouvent obligez à maintenir leur approbation, quand la piece est imprimée; bien qu’elle ait perdu beaucoup de son agréement, estant dénuée du secours imposteur de la forte prononciation.

Un Satyrique croit estre en seureté,&asseuré de son merite, en recitant devant plusieurs personnes, qui par faute de sçavoir&de lecture, croyent que ce qu’ils loüent est de l’invention de celuy qui recite,&ne sçavent pas que la pensée est souvent d’un Poëte ancien. Toutefois celuy qui en reçoit les loüanges ne sort point de sa gravité, quoy qu’il sente bien qu’il est le plus loüé de ce qui n’est pas de luy;&il est si injuste,&si aveuglé par son amour propre, qu’il enfle sa vanité à proportion de l’applaudissement, qui appartient à Horace, ou à quelque autre Poëte, dont la richesse peut servir encore à revestir la nudité des steriles Ecrivains.

Pour le guerir de sa presomption excessive, il est besoin de luy faire connoistre qu’il n’est pas si grand Poëte qu’il pense: car la parfaite Poësie demande tant de talens divers, tant de connoissances,&tant d’experiences, que ce n’est pas un fruit de la jeunesse. Le Prin-temps ne porte que des fleurs legeres&passageres,&l’Automne porte des fruits de bon goust,&dont plusieurs passent la rigueur des Hyvers. Il faut avoir fait autre chose que des Satyres, avant que de donner des preceptes aux Poëtes. Horace avant que de faire son Art Poëtique en faveur des jeunes Pisons, avoit fait des Odes admirables;&il a bien fait voir que la Satyre n’est pas une Poësie, quand il a dit.

Neque si quis scribat uti nos

Sermoni propiora, putes hunc esse Poëtam.

Ingenium cui sit, qui mens divinior, atque os

Magna sonaturum, des nominis hujus honorem.

C’est à dire.

N’estimez pas Poëte un qui fait comme nous

En des termes de prose un vers facile&doux;

Mais celuy dont l’esprit divinement invente,

Et qui semble chanter d’une bouche tonnante,

Tousiours d’un vol égal soutenant son renom,

Celuy-là de Poëte a mérité le nom.

On commence la Satyre, on la poursuit,&on la finit comme on veut. Il n’y a ny regle, ny invention, ny ordre, ny élevation d’esprit, ny ce que l’on appelle transport Poëtique: tout cela ne convient point à la Satyre. Il a beau s’y relever par fois en termes, pour faire croire qu’il est Poete, ce n’est point là le lieu de s’élever, il faut qu’il retombe tousiours dans le bas,&il ne doit point le quitter, selon le precepte d’Horace son Maistre.

Versibus exponi tragicis res comica non vult.

C’est à dire.

Nul ne doit par un vers tragique

Traiter une chose comique.

Or la Satyre est sans doute un sujet comique. Aussi Horace ne s’y est point élevé en diction ny en grandes figures, comme dans ses Odes:&il dit que dans les satyres il faut extenuer ses paroles.

Extenuantis eas consutlò.

Car il faut donner à chaque chose la façon de les exprimer qui luy convient. Il faut entreprendre de grands sujets, pour faire voir de quoy l’on est capable: Il ne suffit pas d’avoir leu Horace,& d’en traduire quelques preceptes, pour s’eriger en Maistre des Poetes. Il faut avoir un genie inventif, élevé, iudicieux&fin, pour faire toutes fortes de Poesies, à une seule desquelles ce prétendu Maistre n’a osé toucher, n’estant pas mesme capable de faire un Sonnet, ny d’arrondir une Stance.

Si la Comedie des Visionnaires estoit encore sur le point d’estre conceuë, on y pourroit adiouster un assez plaisant personnage d’un Docteur Ecolier, qui voudroit enseigner à faire ce qu’il n’a iamais fait,&ce qu’il ne sçauroit faire: qui pretendroit se mettre au dessus de tous les Poetes en disant du mal de tous: qui pour se faire estimer un esprit sublime, auroit cru qu’il suffiroit de traduire un ancien traité du sublime;&qui instruiroit un Poete pour conduire par ses vers un Roy Tres-Chrestien aux bords du Rhin, avec le seul secours des Fables Payennes, pour en combattre le Dieu limonneux, pour mettre en suite toutes ses Naïades,&pour effrayer encore&mettre en deroute toutes celles de la Meuse, de la Moselle, du Doux,&&tant d’autres.

On a iugé à propos de déffendre la Poesie He-roïque contre les réveries d’un tel Docteur,& de faire une legere Censure de toutes ses Satyres: car on ne peut donner un autre nom à toutes les Oeuvres de son Recüeil, puis qu’il n’y a ny Epistre, ny Art Poetique, ny Lutrin, qui ne soit une Satyre;&il s’y pourra voir luy-mesme comme dans un miroir, qui ne le flatera point, qui ne se laissera pas étourdir par sa voix,&qui luy fera connoistre quelles font les bornes de sa capacité&de son merite.

La Deffense du poëme heroïque

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