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PRÉFACE
ОглавлениеVoici encore une tragédie dont le sujet est pris d’Euripide. Quoique j’aie suivi une route un peu différente de celle de cet auteur pour la conduite de l’action, je n’ai pas laissé d’enrichir ma pièce de tout ce qui m’a paru le plus éclatant dans la sienne. Quand je ne lui devrais que la seule idée du caractère de Phèdre, je pourrais dire que je lui dois ce que j’ai peut-être mis de plus raisonnable sur le théâtre. Je ne suis point étonné que ce caractère ait eu un succès si heureux du temps d’Euripide, et qu’il ait encore si bien réussi dans notre siècle, puisqu’il a toutes les qualités qu’Aristote demande dans le héros de la tragédie, et qui sont propres à exciter la compassion et la terreur. En effet, Phèdre n’est ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente : elle est engagée, par sa destinée et par la colère des dieux, dans une passion illégitime dont elle a horreur toute la première : elle fait tous ses efforts pour la surmonter : elle aime mieux se laisser mourir que de la déclarer à personne ; et lorsqu’elle est forcée de la découvrir, elle en parle avec une confusion qui fait bien voir que son crime est plutôt une punition des dieux qu’un mouvement de sa volonté.
J’ai même pris soin de la rendre un peu moins odieuse qu’elle n’est dans les tragédies des Anciens, où elle se résout d’elle-même à accuser Hippolyte. J’ai cru que la calomnie avait quelque chose de trop bas et de trop noir pour la mettre dans la bouche d’une princesse qui a d’ailleurs des sentiments si nobles et si vertueux. Cette bassesse m’a paru plus convenable à une nourrice, qui pouvait avoir des inclinations plus serviles, et qui néanmoins n’entreprend cette fausse accusation que pour sauver la vie et l’honneur de sa maîtresse. Phèdre n’y donne les mains que parce qu’elle est dans une agitation d’esprit qui la met hors d’elle-même ; et elle vient un moment après dans le dessein de justifier l’innocence, et de déclarer la vérité.
Hippolyte est accusé, dans Euripide et dans Sénèque, d’avoir en effet violé sa belle-mère : vim corpus tulit[1]. Mais il n’est ici accusé que d’en avoir eu le dessein. J’ai voulu épargner à Thésée une confusion qui l’aurait pu rendre moins agréable aux spectateurs.
Pour ce qui est du personnage d’Hippolyte, j’avais remarqué dans les Anciens qu’on reprochait à Euripide de l’avoir représenté comme un philosophe exempt de toute imperfection : ce qui faisait que la mort de ce jeune prince causait beaucoup plus d’indignation que de pitié. J’ai cru lui devoir donner quelque faiblesse qui le rendrait un peu coupable envers son père, sans pourtant lui rien ôter de cette grandeur d’âme avec laquelle il épargne l’honneur de Phèdre, et se laisse opprimer sans l’accuser. J’appelle faiblesse la passion qu’il ressent malgré lui pour Aricie, qui est la fille et la sœur des ennemis mortels de son père.
Cette Aricie n’est point un personnage de mon invention. Virgile dit qu’Hippolyte l’épousa, et en eut un fils, après qu’Esculape l’eut ressuscité[2]. Et j’ai lu encore dans quelques auteurs qu’Hippolyte avait épousé et emmené en Italie une jeune Athénienne de grande naissance, qui s’appelait Aricie, et qui avait donné son nom à une petite ville d’Italie.
Je rapporte ces autorités, parce que je me suis très scrupuleusement attaché à suivre la fable. J’ai même suivi l’histoire de Thésée, telle qu’elle est dans Plutarque.
C’est dans cet historien que j’ai trouvé que ce qui avait donné occasion de croire que Thésée fût descendu dans les enfers pour enlever Proserpine, était un voyage que ce prince avait fait en Épire vers la source de l’Achéron, chez un roi dont Pirithoüs voulait enlever la femme, et qui arrêta Thésée prisonnier, après avoir fait mourir Pirithoüs. Ainsi j’ai tâché de conserver la vraisemblance de l’histoire, sans rien perdre des ornements de la fable, qui fournit extrêmement à la poésie ; et le bruit de la mort de Thésée, fondé sur ce voyage fabuleux, donne lieu à Phèdre de faire une déclaration d’amour qui devient une des principales causes de son malheur, et qu’elle n’aurait jamais osé faire tant qu’elle aurait cru que son mari était vivant.
Au reste, je n’ose encore assurer que cette pièce soit en effet la meilleure de mes tragédies. Je laisse aux lecteurs et au temps à décider de son véritable prix. Ce que je puis assurer, c’est que je n’en ai point fait où la vertu soit plus mise en jour que dans celle-ci ; les moindres fautes y sont sévèrement punies : la seule pensée du crime y est regardée avec autant d’horreur que le crime même ; les faiblesses de l’amour y passent pour de vraies faiblesses : les passions n’y sont présentées aux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont cause ; et le vice y est peint partout avec des couleurs qui en font connaître et haïr la difformité. C’est là proprement le but que tout homme qui travaille pour le public doit se proposer ; et c’est ce que les premiers poètes tragiques avaient en vue sur toute chose. Leur théâtre était une école où la vertu n’était pas moins bien enseignée que dans les écoles des philosophes. Aussi Aristote a bien voulu donner des règles du poème dramatique ; et Socrate, le plus sage des philosophes, ne dédaignait pas de mettre la main aux tragédies d’Euripide. Il serait à souhaiter que nos ouvrages fussent aussi solides et aussi pleins d’utiles instructions que ceux de ces poètes. Ce serait peut-être un moyen de réconcilier la tragédie avec quantité de personnes célèbres par leur piété et par leur doctrine, qui l’ont condamnée dans ces derniers temps et qui en jugeraient sans doute plus favorablement, si les auteurs songeaient autant à instruire leurs spectateurs qu’à les divertir, et s’ils suivaient en cela la véritable intention de la tragédie.