Читать книгу Le Mystère d'un vieux château - Jeanne France - Страница 3
PRÉFACE
ОглавлениеO débris, ruines de France,
Que notre amour en vain défend,
Séjours de joie ou de souffrance,
Vieux monuments d’un peuple enfant!
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Oui, je crois, quand je vous contemple,
Des héros entendre l’adieu.
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Je demande, oubliant les heures,
Au vieil écho de leurs demeures,
Ce qui lui reste de leurs voix.
(Victor Hugo.–Ode III.)
Les riches plaines du Bourbonnais venaient d’être parcourues par un jeune voyageur. Il s’était arrêté ici et là, cherchant quelques souvenirs historiques. Le dernier qui reçut sa visite, le laissa mécontent et intrigué. Las de ne pouvoir se renseigner à son sujet, il allait s’éloigner, lorsque le souvenir d’un ami de collège, fixé dans cette contrée, l’arrêta soudain, et il résolut d’aller le surprendre.
Après les premiers épanchements, son ami le présenta à une vénérable parente, qui, malgré un âge fort avancé, ne paraissait souffrir d’aucune infirmité.
Elle reçut l’étranger avec bienveillance; la netteté et l’enjouement de sa conversation annonçaient que son esprit ne s’était pas éteint sous le poids des années.
Une charmante famille l’entourait avec empressement.
Bientôt un jeune père vint lui apprendre qu’il était né une enfant à l’aînée de ses arrière-petites-filles.
La pieuse femme remercia Dieu, qui lui permettait ainsi de bénir sa quatrième génération.
–Quel nom lui donne sa trisaïeule? demanda-t-on.
–Le vôtre, dit-elle à l’une de ses filles.
–Geneviève! firent plusieurs voix.
Et l’on sourit d’un air qui voulait dire: «Nous comprenons.»
Le voyageur se souvint d’avoir vu le nom de Geneviève gravé sur une plaque de marbre, dans la tour ruinée de cet ancien château sur le passé duquel nul n’avait pu l’instruire.
–Après-demain, continua la vieille dame, nous ferons le baptême; vous savez que j’ai plus de motifs de chérir ce jour-là que celui même de ma naissance. Dans trois jours en revient le centième anniversaire.
Cent ans! Elle avait traversé tout un siècle!
Doucement émue, la digne femme fit d’autres allusions aux événements d’autrefois; le mot de Sérigny se trouva sur ses lèvres.
Le voyageur tressaillit. C’était ce nom-là qui suivait celui de Geneviève, sur l’inscription dos ruines.
–Vous connaissez ces lieux? demanda-t-il avidement.
–J’y ai vécu près de vingt ans, répondit la centenaire.
–Cette Geneviève de Sérigny?
–Geneviève de Sérigny fut ma protectrice, ma seconde mère, l’une des trois marraines qui entourèrent mon berceau. Elle a été la plus sainte, la plus éprouvée de toutes, et aussi la plus dévouée à la pauvre orpheline.
–Et vous connaissez le mystère de cette tour surnommée la Maudile? interrompit le touriste curieux.
–Je le connais. Jetée par une circonstance providentielle au milieu des acteurs de ce drame, j’y ai joué un rôle inconscient.
Un geste de surprise échappa à l’étranger.
–J’ai cent ans, Monsieur, reprit-elle doucement, et alors je ne comptais que des semaines. Je n’ai su toute la vérité que beaucoup plus tard, quand je suis devenue Mme Hubert Larrey.
Vous voudriez bien la savoir aussi? interrogea-t –elle, et une pointe de malice brilla dans ses yeux encore vifs. Soit; je vous conterai tout. Il m’est ag réable de satisfaire l’ami de mon petit-fils; et
d’ailleurs, j’éprouve un orgueil bien légitime, toutes les fois que je donne un admirateur de plus à la sainte qui fut Geneviève de Sérigny.
Le froid récit qui va suivre ne peut rendre le palpitant intérêt qui s’attachait aux causeries de la centenaire. Durant huit soirées consécutives, ses paroles charmèrent le voyageur.
Elle avait connu tous ces personnages, elle les faisait tous revivre.
Ce n’était plus une vieille femme, sur le seuil de la tombe, remuant les souvenirs du passé, c’étaient tous les héros de cette tragédie domestique, reparaissant à l’heure du crépuscule, comme reparais
sait, au dire des superstitieux, Sévig-le-Terrible, le héros de la fantastique légende de Sérigny.