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PRÉFACE

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UN grand philosophe, qui a consacré soixante et dix volumes à combattre les superstitions universelles, se combattit un jour lui-même et détruisit sa destruction avec ces vers charmants sortis du cœur:

Oh! l’heureux temps que celui de ces fables,

Des bons démons, des esprits familiers!

On a banni les lutins et les fées;

Sous la raison les Grâces étouffées

Livrent nos cœurs à l’insipidité ;

Le raisonner tristement s’accrédite;

On court, hélas! après la vérité !

Ah! croyez-moi, l’erreur a son mérite!

A moins de le savoir, on ne devinerait jamais l’auteur de ce plaidoyer pour les contes de fées. On croirait volontiers que cette apologie de l’erreur est tirée d’une fable inédite de Lafontaine ou de Florian, deux écrivains intéressés personnellement dans la question du mensonge récréatif. Eh bien! ces vers sont extraits des contes de Voltaire. Ayons foi dans la parole du plus illustre des sceptiques; le grand homme se fit un jour grand enfant et se convertit à la religion des fées. En exhalant cet hélas si lamentable, Voltaire osa se reprocher à lui-même de courir après la vérité, cette invisible locataire d’un puits sans eau, et désespérant de l’extraire de son gouffre, il nous conseilla de nous livrer aux innocentes fantaisies de l’erreur.

On est fort quand on a Voltaire pour soi au chapitre des fées. Les vieillards même se croient alors autorisés à se distraire avec des contes d’enfants. Notez, en passant, que Voltaire avait reçu le titre de patriarche, lorsqu’il plaida si éloquemment la cause de l’erreur. Homère, que Pocurante avait si maltraité dans Candide, était redevenu un demi-dieu pour le vieillard de Ferney, qui faisait alors ses délices des mensonges de l’Iliade; Homère ment, s’écriait-il; il ment, mais il sait plaire. Le philosophe avait réhabilité l’erreur sur le ton léger et sérieux; le livre des fées a donc la chance de devenir la bible profane du genre humain.

Heureux les enfants d’aujourd’hui! Nous n’avons pas été favorisés, nous, comme ils le sont. Les imagiers d’Épinal gravaient alors, sur papier gris, un prince charmant, affreux à voir, et une belle aussi laide que la bête. On nous donnait pour étrennes ces hideuses ébauches d’un burin primitif, et nos yeux, se détournant des gravures du montagnard des Vosges, cherchaient l’idéal de la bonne fée dans le sourire d’une mère ou d’une sœur. Nous étions venus au monde trop tôt; il nous reste le regret de ne pas être nos enfants.

Épinal ne travaille plus que pour les chaumières de l’Alsace, et presque tous ses artistes sont employés au chemin de fer. Aujourd’hui, Paris illustre les contes de fées et traite les enfants en hommes. C’est Gavarni qui dessine les traits des princes beaux comme le jour, et de ces heureuses jeunes filles dont le berceau était visité par des fées protectrices. Le crayon de Gavarni est lui-même un don de fée; ce grand artiste a été comblé de faveurs par trois marraines: la Poésie, le Caprice et l’Imagination; son parrain fut le démon familier qu’on appelle l’Esprit; son atelier est vaste comme le Cirque pyrénéen qui porte son nom. Aussi, la source de ses créations est inépuisable; il a écrit cent comédies au crayon; il a dessiné des satires joyeuses; il a buriné des types originaux: il a égayé, il a ému, il a ravi toute une génération, et aujourd’hui, après avoir récréé ou instruit les hommes, il fait venir à lui les enfants et leur distribue les joujoux de l’esprit, de la grâce et du cœur.

Enfin, le livre de Madame de Beaumont a trouvé son digne imagier; il va donc recommencer sa popularité universelle avec un nouveau collaborateur. Le texte marchera auprès d’un crayon digne de lui. L’enfant verra vivre les héros et les héroïnes des contes dans des portraits, cette fois ressemblants. Les types de ses affections ne seront pas défigurés; il pourra donc sourire à ses premiers amis. Chose singulière! nous adorons l’idéal en entrant dans la vie, nous, destinés à nous débattre dans les réalités matérielles et le fracas bourgeois des cités. Il semble qu’un vague instinct nous entraîne dans la région des mensonges riants, à l’heure où des vérités trop noires vont nous être révélées. C’est toujours, du moins, un dédommagement que nous nous donnons à notre insu au sortir du berceau; autant de gagné sur l’avenir. En ces beaux jours de candeur primitive, sommes-nous heureux de croire à l’incroyable, de vivre dans un monde imaginaire, d’assister à des événements miraculeux, tous arrivés! Les grandes questions qui agitent la terre, les différends qui troublent les royaumes, les bruits qui éclatent sur la place publique sont choses nulles pour les fortunés enfants. Trop tôt viendra le jour où, chaque matin, un journal doit leur mettre les affaires du monde sur les bras. Divin privilége attaché à l’aube de la vie! Une sérénité douce règne sous les lambris maternels; on n’entend pas les murmures du dehors; on ne comprend pas la langue des hommes graves qui causent autour d’une table ou devant le foyer. La vie véritable, la vie enfantine n’est pas là, elle est dans le monde des fées; un beau jardin semé de fleurs, baigné d’eaux vives, retentissant de chants d’oiseaux; là, de belles jeunes filles, qui ont eu la bonté du cœur, laissant tomber de leurs lèvres des chapelets de pierreries; là, tous les princes sont charmants, toutes les princesses adorables, tous leurs peuples heureux; là, toutes les vertus sont récompensées sur l’heure par des dons sans prix; tous les vices trouvent leur punition sans passer devant un tribunal; c’est toujours une fée qui couronne les bonnes actions, punit les mauvaises; elle juge et ne commet jamais d’erreur; elle est l’ange tutélaire des enfants sages et la providence visible qui représente Dieu.

Ils ont raison, les enfants, ils voient la vie telle que les hommes devraient la faire; ils ont tous leur paradis terrestre au sein de leur famille; ils ne portent envie à personne, ils ne convoitent rien; la caresse d’une mère les rend joyeux, c’est la bonne fée de la maison; leurs nuits n’ont pas de rêves, leurs jours ont des rêves d’or.

L’homme est si envieux du bonheur de l’enfant, qu’il va chercher dans le domaine puéril les contes de fées pour se distraire de ses ennuis. Ah! vous croyez, mes jeunes amis, que la Belle et la Bête soit votre propriété exclusive? Détrompez-vous; les vieux enfants, vos pères, vous l’arracheront des mains, et, enlevant au conte sa naïveté primitive, son doux parfum de féerie, ils le changeront en opéra-comique pour les besoins des habitués du théâtre Feydeau. C’est indigne cela, mes jeunes amis! Vous ne prenez pas, vous, à vos pères et à vos oncles leurs chevaux de course, leurs chiens de chasse, leurs loges de théâtre pour vous amuser. De quel droit vous enlèvent-ils votre bien? et pourquoi le dénaturent-ils? Votre conte, tel que Madame de Beaumont vous l’avait donné, avait un charme exquis dans sa prose si naturelle. Savez-vous ce que les hommes ont fait? ils ont ajouté au conte un certain Ali, plus bête que la bête, et lorsque son maître Sander le réveille, en lui chantant:

Tu dormiras mieux à ton aise,

Quand tu seras rendu chez moi,

Ali lui répond:

On dort fort bien sur une chaise;

On est ici comme chez soi.

Cela ne vous ferait pas sourire, mes jeunes amis. Eh bien! les hommes ont ri aux larmes de cette plaisanterie, parce qu’elle était dite par un acteur mélancolique chargé d’égayer le public. L’opéra de Zémire et Azor, avec sa jolie musique de Grétry, a fait le tour du monde, et quoique né dans l’autre siècle, il a été rajeuni, ces jours derniers, pour amuser encore les vieux Parisiens. En 1788, votre Belle et la Bête passionna tellement les pères marseillais qu’ils s’insurgèrent au théâtre contre l’autorité locale, parce qu’ils demandaient deux représentations par jour; une seule ne suffisait pas à l’avidité du public. On fut obligé de faire intervenir la force armée sur le théâtre, au moment où la Belle chantait un duo avec la Bête. Le parterre insulta les soldats, qui ripostèrent par des coups de fusil dont la détonation fit taire l’orchestre. Il y eut des morts et des blessés. Le lendemain on défendit les représentations de Zémire et Azor.

Voyons; devinez ce que cela prouve, mes enfants? Le voici. Ceux qui travaillent pour vous, comme Perrault et madame de Beaumont, savent très-bien qu’ils travaillent pour tout le monde, et plus encore pour les pères que pour les fils. Vous autres, du moins, vous n’êtes pas hypocrites; vous avouez hautement tout le plaisir que vous donnent les contes de fées; mais les hommes dissimulent par gravité le même bonheur ressenti. Ils feuillètent le livre d’une main dédaigneuse devant vous; mais, quand ils sont seuls, ils s’en donnent à cœur joie de vos princes charmants et de vos princesses des contes bleus. Le monde est rempli de vieillards fort ignorants sur l’histoire des Romains et des Grecs, mais ils savent tous par cœur la Belle et la Bête. Ils s’en divertissent à leurs derniers jours, et ce qu’ils ont aimé sous leurs cheveux blonds, ils l’aiment encore sous leurs cheveux blancs. Vous comprendrez mieux cela en avançant sur le chemin de la vie. L’homme, toujours affligé par le spectacle du réel, a besoin de se retremper dans l’idéal à chaque pas; c’est pour lui que la fée de l’air a écrit cette leçon:

Ma vie est faite de songes

Inconnus de vos cités;

J’aime mieux leurs doux mensonges

Que vos tristes vérités.

Et quand madame de Beaumont écrivait son célèbre Magasin, elle ajoutait en marge cette annotation pour ses amis: Ce livre est destiné aux enfants de dix ans, et au-dessus.

Ce dessus n’a pas de limites!

On peut contester l’existence des fées; que ne conteste-t-on pas aujourd’hui? Les fées, comme toutes les choses mystérieuses, sont soumises au libre examen, bien que Voltaire les ait prises sous sa protection; mais il y a pourtant deux fées réelles qui font la destinée des enfants, l’une bonne, l’autre mauvaise, et dont personne ne met en doute l’existence. Ces deux fées se nomment la bonne et la mauvaise éducation; elles appartiennent à l’histoire. Leur pouvoir est très-grand, mais il est, par bonheur, subordonné au pouvoir d’une mère, l’excellente fée du berceau. Celle-là, Madame de Beaumont ne l’a pas oubliée, car elle était mère aussi, et, en écrivant ses livres pour ses enfants, elle songeait aux enfants des autres. La morale qui se dégage de tous les contes de ce maternel écrivain est toujours pure, instructive, charmante; elle fonde par ses allégories la base d’une bonne éducation. Bien commencer la vie est chose importante; c’est le seul moyen à prendre pour bien la finir. Tout dépend des impressions premières. Quand l’aurore du jour est sereine, on peut prédire l’éclat de midi et le calme azuré du soir. C’est surtout avec d’excellentes lectures que l’enfant doit se préparer à devenir un homme, dans l’acception antique du mot; et, pour donner de bonne heure aux jeunes familles le goût de la saine instruction, il faut, comme dit le poëte, emmieller le bord de la première coupe où de vierges lèvres s’abreuvent; le doux souvenir des contes de fées conduira plus tard l’adolescent aux bons ouvrages sérieux.

MÉRY.

Les contes de fées

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