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II

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Louise s’affaissa sur une chaise, en entrant dans la chambre; la surexcitation de la journée avait pris fin; elle se sentait excédée, le cerveau désert, les moelles lasses.

Jacques prépara les couvertures pour qu’elle put se coucher, puis il mit sa valise sur la table et, assis devant elle, tria ses papiers, se réservant de les ficeler et de les ranger, le lendemain, dans un placard.

Malgré la longue course qu’il avait faite, il n’éprouvait point cet épuisement qui tiédit les membres, mais il défaillait, assommé par une fatigue spirituelle infinie, par un découragement sans borne.

Le coude sur la table, il regardait la bougie dont la courte flamme ne parvenait pas à percer la nuit de la chambre, et une indéfinissable sensation de malaise l’obséda; il lui semblait avoir derrière lui, dans l’obscurité, une étendue d’eau dent le souille clapotant le glaçait.

Il se leva, se secoua les épaules, s’expliquant ce frisson par la permanente humidité, par l’imperméable froid de cette pièce.

Il contempla sa femme; elle était étendue, décolorée, sur le grabat, les yeux mi-clos, vieillie de dix ans par la brusque détente de ses nerfs.

Il alla visiter les portes; les pênes ne marchaient pas et, malgré ses efforts, les clefs s’entêtaient a ne point tourner; il finit par adosser une chaise contre la porte d’entrée pour empêcher le battant de s’ouvrir, puis il revint à la fenêtre, sonda les ténèbres des vitres et, harassé d’ennui, se coucha.

Le lit lui parut rugueux et le traversin aiguillé par des barbes trop pointues de paille; il se tassa dans la ruelle, afin de ne pas éveiller sa femme qui s’assoupissait, et, à plat sur le dos, il examina avant que d’éteindre la bougie, le mur de l’alcôve, tapissé comme ceux de la chambre de papier treille.

Il s’appliquait à engourdir ses angoisses par des occupations mécaniques et vaines; il compta les losanges du panneau, constatant avec soin les morceaux rapportés du papier de tenture dont les dessins ne joignaient pas; soudain un phénomène bizarre se produisit: les bâtons verts des treilles ondulèrent, tandis que le fond saumâtre du lambris se ridait tel qu’un cours d’eau.

Et ce friselis de la cloison jusqu’alors immobile s’accentua; le mur, devenu liquide, oscilla, mais sans s’épandre; bientôt, il s’exhaussa, creva le plafond, devint immense, puis ses moellons coulants s’écartèrent et une brèche énorme s’ouvrit, une arche formidable sous laquelle s’enfonçait une route.

Peu à peu, au fond de cette route, un palais surgit qui se rapprocha, gagna sur les panneaux, les repoussant, réduisant ce porche fluide à l’état de cadre, rond comme une niche, en haut, et droit, en bas.

Et ce palais qui montait dans les nuages avec ses empilements de terrasses, ses esplanades, ses lacs enclavés dans des rives d’airain, ses tours à collerettes de créneaux en fer, ses dômes papelonnés d’écaillés, ses gerbes d’obélisques aux pointes couvertes ainsi que des pics de montagne d’une éternelle neige, s’éventra sans bruit, puis s’évapora, et une gigantesque salle apparut pavée de porphyre, supportée par de vastes piliers aux chapiteaux fleuronnés de coloquintes de bronze et de lys d’or.

Derrière ces piliers, s’étendaient des galeries latérales, aux dalles de basalte bleu et de marbre, aux solivages de bois d’épine et de cèdre, aux plafonds caissonnés, dorés comme des châsses; puis, dans la nef même, au bout du palais arrondi tel que les chevets à verrières des basiliques, d’autres colonnes s’élançaient en tournoyant jusqu’aux invisibles architraves d’un dôme, perdu, comme exhalé, dans l’immesurable fuite des espaces.

Autour de ces colonnes réunies entre elles par des espaliers de cuivra rose, un vignoble de plerreries se dressait en tumulte, emmêlant des cannetilles d’acier, tordant des branches dont les écorces de bronze suaient de claires gommes de topazes et des cires irisées d’opales.

Partout grimpaient des pampres découpés dans d’uniques pierres; partout flambait un brasier d’incombustibles ceps, un brasier qu’alimentaient les tisons minéraux des feuilles taillées dans les lueurs différentes du vert, dans les lueurs vert-lumière de l’émeraude, prasines du péridot, glauques de l’aigue-marine, jaunâtres du zircon, céruléennes du béryl; partout, du haut en bas, aux cimes des échalas, aux pieds des tiges, des vignes poussaient des raisins de rubis et d’améthystes, des grappes de grenats et d’amaldines, des chasselas de chrysoprases, des muscats gris d’olivines et de quartz, dardaient de fabuleuses touffes d’éclairs rouges, d’éclairs violets, d’éclairs jaunes, montaient en une escalade de fruits de feu dont la vue suggérait la vraisemblable imposture d’une vendange prête à cracher sous la vis du pressoir un moût éblouissant de flammes!

Çà et là, dans le désordre des frondaisons et des lianes, des ceps fusaient, à toute volée, se rattrapant par leurs vrilles à des branches qui formaient berceau et au bout desquelles se balançaient de symboliques grenades dont les hiatus carminés d’airain caressaient la pointe des colonnes phalliques jaillies du sol.

Cette inconcevable végétation s’éclairait d’elle-même; de tous côtés, des obsidianes et des pierres spéculaires incrustées dans des pilastres, réfractaient, en les dispersant, les lueurs des pierreries qui, réverbérées en même temps par les dalles de porphyre, semaient le pavé d’une ondée d’étoiles.

Soudain la fournaise du vignoble, comme furieusement attisée, gronda; le palais s’illumina de la base au faîte, et, soulevé sur une sorte de lit, le Roi parut, immobile dans sa robe de pourpre, droit sous ses pectoraux d’or martelé, constellés de cabochons, ponctués de gemmes, la tête couverte d’une mitre turriculée, la barbe divise et roulée en tube, la face d’un gris vineux de lave, les pommettes osseuses, en saillie sous des yeux creux.

Il regardait à ses pieds, perdu dans un rêve, absorbé par un litige d’âme, las peut-être de l’inutilité de la toute-puissance et des inaccessibles aspirations qu’elle fait naître; dans son œil pluvieux, couvert tel qu’un ciel bas, l’on sentait la disette de toute joie, l’abolition de toute douleur, l’épuisement même de la haine qui soutient et de la férocité dont le régal continué s’émousse.

Lentement enfin, il leva la tête et vit, devant un vieillard au crâne en œuf, aux yeux forés de travers sur un nez en gourde, aux joues sans poils, granulées ainsi qu’une chair de poule et molles, une jeune fille debout, inclinée, haletante et muette.

Elle avait la tête nue et ses cheveux très blonds pâlis par des sels et nuancés par des artifices de reflets mauve coiffaient son visage comme d’un casque un peu enfoncé, couvrant le sommet de l’oreille, descendant tel qu’une courte visière sur le haut du front.

Le cou dégagé restait nu, sans un bijou, sans une pierre, mais, des épaules aux talons, une étroite robe la précisait, serrant les bulles timorées de ses seins, affûtant leurs pointes brèves, lignant les ambages ondulés du torse, tardant aux arrêts des hanches, rampant sur la courbe exiguë du ventre, coulant le long des jambes indiquées par cette gaine et rejointes, une robe d’hyacinthe d’un violet bleu, ocellée comme une queue de paon, tachetée d’yeux aux pupilles de saphir montées dans des prunelles en satin d’argent.

Elle était petite, à peine développée, presque garçonnière, un tantinet dodue, très amenuisée, toute frêle; ses yeux bleu flore étaient reculés vers les tempes par des tirets de teinture lilas et estompés en dessous pour les faire fuir; ses lèvres fardées crépitaient dans une pâleur surhumaine dans une pâleur définitive acquise par un décolorement voulu du teint; et la mystérieuse odeur qui émanait d’elle, une odeur aux âmes liées et discernables, expliquait ce blanc subterfuge par les pouvoirs des parfums de décomposer les pigments de la peau et d’altérer pour jamais le tissu du derme.

Cette odeur flottait autour d’elle, l’auréolait, pour ainsi dire, d’un halo d’aromes, s’évaporait de sa chair par bouffées tantôt agiles et tantôt lourdes.

Sur une première couche de myrrhe, au relent résineux et brusque, aux effluences amères presque hargneuses, à la senteur noire, une huile de cédrat s’était posée, impatiente et fraîche, un parfum vert, qu’arrêtait la solennelle essence du baume de Judée dont la nuance fauve dominait, à son tour contenue, comme asservie, par les rouges émanations de l’oliban.

Ainsi debout dans sa robe égrenée de flammes bleues, imbibée d’effluves, les bras ramenés derrière le clos, la nuque un peu renversée sur le cou tendu, elle demeurait immobile mais, par instants, des frissons passaient sur elle et les yeux de saphir tremblaient, en pétillant, dans leurs prunelles d’étoffe remuées par la hâte des seins.

Alors l’homme à la tête glabre, au crâne en œuf, s’approcha d’elle, des deux mains saisit la robe qui glissa et la femme jaillit, complètement nue, blanche et mate, la gorge à peine sortie, cerclée autour du bouton d’une ligne d’or, les jambes fuselées, charmantes, le ventre gironné d’un nombril glacé d’or, moiré au bas comme les cheveux de reflets mauve.

Dans le silence des voûtes, elle fit quelques pas, puis s’agenouilla et la pâleur inanimée de sa face s’accrut encore.

Reflété par le porphyre des dalles, son corps lui apparaissait tout nu; elle se voyait, telle qu’elle était, sans étamine, sans voile, sous le regard en arrêt d’un homme; le respect épeuré qui, tout à l’heure, la faisait frémir devant le muet examen d’un Roi, la détaillant, la scrutant avec une savourante lenteur, pouvant, s’il la congédiait d’un geste, insulter à cette beauté que son orgueil de femme jugeait indéfectible et consommée, presque divine, se changeait en la pudeur éperdue, en l’angoisse révoltée d’une vierge livrée aux mutilantes caresses du maître qu’elle ignore.

La transe d’une irréparable étreinte, rudoyant sa peau anoblie par les baumes, broyant sa chair intacte, descellant, violant, le ciboire fermé de ses flancs, et, surgissant plus haut que la vanité du triomphe, le dégoût d’un ignoble holocauste, sans attache d’un lendemain peut-être, sans balbuties d’un personnel amour leurrant par d’ardentes simagrées d’âme la douleur corporelle d’une plaie, l’anéantirent;–et la posture qu’elle gardait écartant ses membres, elle aperçut devant elle, dans la glace du pavé noir, les couronnes d’or de ses seins, l’étoile d’or de son ventre et sous sa croupe géminée, ouverte, un autre point d’or.

L’œil du Roi vrilla cette nudité d’enfant et lentement il étendit vers elle la tulipe en diamant de son sceptre dont elle vint, défaillante, baiser le bout.

Il y eut un vacillement dans l’énorme salle; des flocons de brume se déroulèrent, ainsi que ces anneaux de fumée qui, à la fin des feux d’artifice, brouillent les trajectoires des fusées et dissimulent les paraboles en flammes des baguettes; et, comme soulevé par cette brume, le palais monta s’agrandissant encore, s’envolant, se perdant dans le ciel, éparpillant, pèle-mêle, sa semaille de pierreries dans le labour noir où scintillait, là-haut, la fabuleuse moisson des astres.

Puis, peu à peu, le brouillard se dissipa; la femme apparut, renversée, toute blanche, sur les genoux de pourpre, le buste cabré sous le bras rouge qui la tisonnait.

Un grand cri rompit le silence, se répercuta sous les voûtes.

–Hein? quoi!

La chambre était noire comme un cul de four.

–Jacques restait abasourdi, le cœur battant, le bras pétri par des mains crispées.

Il écarquillait les yeux dans l’ombre; le palais, la femme nue, le Roi, tout avait disparu.

Il reprit ses sens, tâta auprès de lui sa femme qui grelottait.

–Mais qu’est-ce qu’il y a?

–Il y a quelqu’un dans l’escalier.

Du coup, il rentra dans l’absolue réalité; c’était pourtant vrai, il se trouvait au château de Lourps.

–Écoute!

Il entendit, dans l’escalier, au travers de la porte mal jointe, un bruit de pas, frôlant d’abord légèrement les marches, puis titubant presque, se cognant enfin avec lourdeur contre les barreaux de la rampe.

Il sauta du lit, saisit une boîte d’allumettes. Il avait dû longtemps dormir car la bougie qui avait éclairé la chambre était usée; le lumignon gisait, la mèche noyée dans sa pâte qui larmait en de vertes stalactites le long du chandelier de cuivre; il prit une autre bougie dans un paquet heureusement apporté dans les malles, la ficha dans lé bobéchon et empoigna sa canne.

Sa femme s’était levée aussi, avait enfilé ses jupes et ses pantoufles.

–Je vais avec toi, dit-elle.

–Non, reste,–et dérangeant la chaise, il ouvrit la porte.

Voyons, se dit-il, scrutant l’étage au-dessus, il ne faudrait pourtant pas se faire couper la retraite. Il hésitait; un bruit bref qu’il entendit en dessous, dans le vestibule, le décida; il s’avança, étreignant sa canne et, au tournant de l’escalier, il plongea en bas.

Rien.–Dans les lueurs louvoyantes de la bougie, son ombre seule remuait, éborgnant la voûte, se couchant tête en bas, sur les marches.

Il atteignit les derniers degrés, longea le corridor d’entrée, poussa vivement une grande porte à deux battants dont le bruit roula comme un coup de tonnerre dans la maison vide et il entra dans une longue pièce.

Il était dans une salle à manger en ruine; le poêle avait été arraché de sa niche dont le hourdage, feutré de poussière, s’émiettait dans d’énormes toiles d’araignées accrochées, comme des petits sacs, à tous les angles: des fleurs de moisissure jaspaient les cloisons arborisées par des fissures et les dalles alternées, blanches et noires, du pavé, se délitaient, tantôt bossuées et tantôt creuses.

Il ouvrit encore une autre porte, pénétra dans un salon immense, sans meubles, percé de six fenêtres barricadées de volets autrefois peints; l’humidité avait positivement éboulé les lambris de cette pièce; des boiseries entières tombaient en poudre; des éclats de parquets gisaient par terre dans de la sciure de vieux bois semblable a de la cassonade; des pans de cloisons se lévigeaient, descendaient en sable fin, rien qu’en frappant le plancher d’un coup de botte; des fentes lézardaient les panneaux, craquelaient les frises, zigzaguaient du haut en bas des portes, traversaient la cheminée dont la glace morte coulait dans son cadre dédoré, devenu rouge, presque friable.

Par endroits, le plafond crevé décelait ses bardeaux pourris et ses lattes; par d’autres, il gardait son crépi, mais les infiltrations y avaient dessiné, ainsi qu’avec des traînées d’urine, d’improbables hémisphères où des crevasses simulaient, de même que sur un plan en relief, des rivières et des fleuves et les renflements écaillés du plâtre, des pitons de Cordillères et des chaînes d’Alpes.

Par instants, tout cela craquait. Jacques se retournait précipitamment, éclairant le côté d’où partait le bruit, mais les coins sombres de la pièce qu’il explorait ne cachaient personne, et, de tous les côtés, les portes qu’il entr’ouvrait laissaient voir des enfilades de chambres muettes et chancies, sentant la tombe, se pulvérisant lentement, sans air.

Il revint sur ses pas, se réservant, dès qu’il ferait jour, de visiter chacune de ces pièces en détail, se proposant de les condamner, s’il était possible. Il repassa dans les salles qu’il avait parcourues, se retournant, à chaque enjambée, car les murs s’étiraient et de nouveaux craquements se faisaient entendre.

Il s’énervait dans cette tension d’une recherche qui n’aboutissait point; la lamentable solitude de ces chambres le poignait et, avec elle, une peur inattendue, atroce, la peur non d’un danger connu, sûr, car il sentait que cette transe s’évanouirait devant un homme qu’il trouverait tapi dans un coin, là, mais une peur de l’inconnu, une terreur de nerfs exaspérés par des bruits inquiétants dans un désert noir.

Il tenta de se raisonner, se moqua, sans y réussir, de cette défaillance, en s’imaginant le château hanté, allant du coup aux idées les plus impossibles, les plus romanesques, les plus folles, exprès pour se rassurer, en se démontrant d’une façon péremptoire l’inanité de ses craintes. Quoi qu’il fît, son trouble s’accentuait. Il le refoula pourtant, durant une minute, par la vision qu’il se suggéra d’un péril immédiat, d’une lutte corps à corps, subite; il entra dans le couloir, le fouilla fiévreusement, jurant de colère, voulant à tout prix découvrir pour se sauver de la peur un danger vrai.

Découragé, il se décidait à remonter quand un bruit d’orage retentit soudainement au-dessus de sa tête dans l’escalier; il s’avança. En l’air quelque chose d’énorme emplissait, en la ventilant, la cage.

La bougie, comme secouée par une bourrasque, coucha sa flamme, dardant d’âcres jets de fumée, éclairant à peine; il n’eut que le temps de se reculer, de s’arc-bouter sur une jambe, de cingler à toute volée, de sa canne d’épine dure à côtes, la masse tourbillonnante qui s’affaissa dans un cri strident.

Un autre cri répondit, celui de Louise, sortie, épouvantée, penchée sur la rampe.

–Prends garde! Prends garde!

Dans un souffle ronflant de forge, deux rouelles de phosphore en flamme se jetaient sur lui.

Alors, il recula et frappa, piquant comme avec une épée dans les deux trous de feu, coupant comme avec un sabre, tapant de toutes ses forces sur la masse hurlante qui se débattait, butant contre les murs, ébranlant la rampe.

Il s’arrêta exténué enfin, regarda, stupide, le cadavre d’un énorme chat-huant dont les serres crispées rayaient le bois ensanglanté de gouttes.

–Ouf! fit-il, s’essuyant les mains tigrées de points rouges, heureusement que j’avais ma canne; et il remonta près de sa femme tombée, plus blanche qu’un linge, sur une chaise. Il lui aspergea la face d’eau, l’aida à se recoucher, lui expliquant mal, d’une voix saccadée, que le château était désert, que ce bruit de pas entendus au loin était un bruit d’ailes effleurant les parois de l’escalier, cognant ses balustrades, éraillant sa voûte. Elle sourit doucement et s’étendit, brisée, sur le grabat.

Lui, n’éprouvait plus aucun besoin de sommeil. Bien que ses jambes tremblassent et qu’il fût incapable de serrer le poing, tant ses doigts étaient engourdis et mous, il préféra rester habillé et attendre le jour sur une chaise.

Et il eut alors un inexplicable tohu-bohu de réflexions, un chapelet d’idées aux grains diligents et divers qui se dévida, grêlant dans sa cervelle, sans aucun fil d’attache, sans aucune suite.

Il pensa d’abord à la chance qu’il avait eue de perforer le crâne de la bête et de ne pas s’être laissé dévorer les yeux par elle.–Et cette femme nue et glacée d’or, maintenant effacée par le réveil ainsi qu’un dessin frotté avec une gomme? comment avait pu se produire un tel rêve?–Ah! le jour tardait à venir!–Comme cette arrivée à la campagne débutait mal!– Décidément, il aurait bien de la peine à s’installer, car, à en juger par un premier coup d’œil, ce château isolé, loin d’un village, ne présentait aucune ressource!–Quelle situation que la sienne, tout de même, et comment ferait-il, une fois revenu à Paris, pour gagner son pain?– C’est égal, la tante Norine avait de bien singuliers yeux!–Mais enfin de quelle façon expliquer cet étrange rêve?–Si seulement cet ami qu’il avait jadis obligé lui avait rendu un peu d’argent, mais non, rien!–Pauvre femme! se dit-il, regardant Louise, blanche dans le lit, les yeux clos, les lèvres lasses.

Puis, debout, il regarda par la fenêtre; le jour se levait enfin, mais si crépusculaire et si pâle! Pour dérouter l’incohérence de ces idées tristes, il s’astreignit à ranger ses papiers, à les ficeler en liasses; il finit enfin par sommeiller, la tête sur la table, et il se réveilla dans un sursaut.

Le soleil était mûr;–la montre marquait cinq heures. Il eut un soupir de soulagement, prit son chapeau et descendit sur la pointe des pieds, afin de ne point réveiller sa femme.

En rade

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