Читать книгу La Flandre pendant des trois derniers siècles - Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove - Страница 4

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Sublimes reges, magni duo lumina mundi,

Cernite quam vobis subdita regna dolent;

Cernite quos motus et quas res publica clades

Marte sub assiduo sollicitata ferat;

Nusquam tuta salus, late omnia et omnia longe

Bellica tempestas, mortis et horror habet:

Adde quod in populo magnam factura ruinam

Pestis atrox bello gliscit et atra lues.

En même temps l'industrie languit, et le travail des métiers se ralentit chaque jour. Les marchands étrangers, qui envoyaient dans toutes les parties du monde les étoffes fabriquées en Flandre, ont quitté en grand nombre la ville de Bruges depuis que l'ensablement du Zwyn ne permet plus que la navigation difficile et lente de quelques alléges. Les troubles de la Flandre de 1452 avaient engagé quelques marchands à se fixer à Anvers. Ceux qui éclatèrent à la mort de Charles le Hardi, donnèrent lieu à de nouvelles émigrations, et l'on publia même, le 25 mai 1477, un avis qui portait que tous ceux qui s'étaient retirés à Anvers, seraient tenus de rentrer à Bruges dans le délai de trois jours, sous peine d'une amende de six cents livres parisis. Les discordes civiles, que vit se multiplier la mainbournie de Maximilien, furent encore plus funestes à Bruges. Au mois d'août 1493, les marchands espagnols qui s'étaient réfugiés à Anvers, refusèrent de retourner dans leur ancienne résidence. Adrien Drabbe, s'étant rendu en Espagne pour porter les plaintes des magistrats de Bruges au roi Ferdinand d'Arragon, ne reçut qu'une réponse assez vague. Les Brugeois furent plus heureux près du conseil de Malines, car ils obtinrent au mois de septembre 1494 un arrêt fondé sur leurs priviléges, qui condamnait les marchands espagnols à ne point choisir d'autre résidence dans les Pays-Bas. Les marchands espagnols revinrent; ils ne cessèrent point toutefois de murmurer de ce que chaque jour l'ensablement du Zwyn et cent autres causes rendaient leur séjour à Bruges de plus en plus défavorable aux intérêts de leur commerce.

Les relations de Bruges avec les marchands anglais n'étaient pas mieux établies. Bien qu'elles fussent réglées par le traité du 24 février 1496, elles étaient presque complètement interrompues lorsque Pierre Anchemant fut envoyé à Londres peu avant les fêtes de Pâques 1506, pour engager les marchands anglais à rentrer à Bruges, comme les marchands espagnols leur en avaient donné l'exemple. Pierre Anchemant les assurait qu'on avait, par d'utiles travaux, amélioré le havre du Zwyn et que la paix profonde qui régnait en Flandre avait à jamais éteint les vieilles rivalités de Bruges, de Gand et d'Ypres, toujours si funestes au commerce. Les marchands anglais protestaient que c'était à tort qu'on leur attribuait le projet de se fixer à Anvers; mais Pierre Anchemant ajoutait si peu de foi à ces assurances qu'il s'adressa à Henri VII, au château de Greenwich. «Je lui parlay, raconte-t-il lui-même, du fait de la ville en lui remonstrant l'amour singulière que le roy nostre seigneur son bon fils a au bien et ressource d'icelle tant pour ce qu'il en est natif comme pour la beauté, bonté, honnesteté et loyaulté de vous, messeigneurs, et des habitants, et aussi pour les grans biens et services que ses prédécesseurs en ont eu.»

Henri VII parut fort touché des souvenirs de la généreuse hospitalité que les Brugeois avaient accordée à Édouard IV, et sa réponse, conçue dans des termes très-conciliants, remplit Pierre Anchemant d'enthousiasme pour le monarque qui l'avait si bien reçu, et d'espérances pour ceux dont il était le mandataire. Malheureusement, Henri VII s'éloigna pour aller faire un pèlerinage à Notre-Dame de Walsingham, et Pierre Anchemant se vit réduit à subir, comme une nécessité dictée par les circonstances et la détresse des Brugeois, le célèbre traité du 15 mai 1506, qui réservait tous les avantages aux marchands anglais. Les Flamands (c'est Bacon qui le remarque) appelaient le traité de 1494 intercursus magnus; ils donnèrent à celui de 1506, à peine modifié par une convention du 5 juin 1507, le nom d'intercursus malus. Bruges conserva l'étape; mais elle ne parvint jamais à ressaisir le commerce même qui s'était retiré au port d'Anvers, alors si riche et si prospère que les descriptions de Guichardin nous semblent l'œuvre d'une imagination toute féerique.

Pour compléter ce tableau de la décadence de Bruges, il faut ajouter que ses magistrats chargèrent, en 1495, d'autres députés de se rendre à Lubeck pour essayer de rappeler les marchands osterlings. Vingt-quatre ans plus tard, au moment même où ils envoyaient l'abbé des Dunes exposer leur détresse en Espagne, ils adressaient les plus vives instances à une flotte vénitienne, alors à l'ancre dans les ports de l'Angleterre, afin qu'elle consentît à se diriger vers l'Écluse. Les digues du Zwartegat avaient été rétablies en 1510, et l'on venait de vérifier avec la sonde la profondeur des eaux du Zwyn pour calmer les terreurs des pilotes étrangers.

Le commerce de la Flandre, menacé de se voir privé de ses relations maritimes, tendait, sous Charles VIII et sous Louis XII, à se rapprocher de la France. Machiavel dit à ce sujet: «La France n'a rien à craindre de la part des dix-sept provinces des Pays-Bas, ce qui vient de la froideur du climat et de sa stérilité en blés et en vins, et comme on n'y recueille pas de quoi nourrir les habitants, ils sont obligés de tirer leur subsistance de Bourgogne, de Picardie et d'autres provinces de France. De plus, les habitants des Pays-Bas subsistent par des manufactures et par des merceries qu'ils débitent en France aux foires de Paris et de Lyon, car du côté de la mer ils n'en trouveraient pas le débit. Ainsi, lorsque les Flamands seront privés du commerce de la France, ils ne pourront débiter leurs marchandises, ni avoir aisément de quoi subsister; ils n'auront donc jamais de guerres avec la France que lorsqu'ils y seront forcés.» Il ne faut plus s'étonner de ce que souffrit la Flandre pendant la longue rivalité de Charles-Quint et de François Ier.

Cette malheureuse époque vit les marchands les plus riches s'éloigner à jamais de la Flandre. Ce fut ainsi que les Fugger et les Velser, si fameux en Allemagne par leur opulence, les Galteretti, de Florence, les Bonvisi, de Lucques, les Spinola, de Gênes, se retirèrent successivement à Anvers: il ne resta guère à Bruges que quelques marchands espagnols.

Près de la vieille cité des dix-sept nations, languissaient, atteintes comme elle par les coups de la fortune, ses deux filles du Zwyn et de la Reye: l'Écluse, assise au fond de son golfe, rival longtemps heureux du Rhin et de la Tamise; Damme, placée entre Bruges et l'Ecluse comme une étape sur la route des caravanes commerciales du moyen-âge. «Damme, la clef et la porte de la mer; Damme, qui ouvre ou ferme aux Brugeois l'entrée de l'Océan; Damme, autrefois si peuplée et si opulente, a vu fuir ses marchands et n'est plus qu'un village.» Trois siècles se sont écoulés depuis que Meyer écrivait ces lignes. Si le port de l'Écluse a disparu dans les sables, le port de Damme s'est effacé au niveau des joncs des marais comme Venise descendra quelque jour aussi dans ses lagunes.

Cette décadence de la Flandre paraissait aux historiens français une révélation prophétique du déclin de la puissance si formidable et si altière de Charles-Quint né dans l'une de ses villes et profondément attaché à ses mœurs. Robert Gaguin, après avoir résumé les péripéties que lui présentent les annales de la Flandre, si rapidement tombée du faîte de la prospérité et de la grandeur, ne manque point d'ajouter: «Grande leçon pour ceux qui, trop confiants dans l'éclat de leur origine et de leur puissance, peuvent aussi devenir, par une chute rapide, un enseignement pour la postérité.»

Il faut ajouter que l'absence de toute administration régulière s'était fait sentir à la fin du quinzième siècle dans l'ordre industriel aussi bien que dans l'ordre politique. Maximilien avait cru affaiblir les grandes villes qu'il combattait, en méconnaissant leurs priviléges, et la même préoccupation se fit remarquer dans quelques actes du gouvernement de Charles-Quint. Cependant, lorsqu'on reconnut que l'industrie ne présentait plus dans sa fabrication ni règles incontestables qui déterminassent les droits réciproques des maîtres et des ouvriers, ni garanties légales qui maintinssent vis-à-vis du marchand la réputation méritée par une production longtemps irréprochable, on s'efforça vainement de revenir en arrière: on multiplia les ordonnances et les règlements, mais l'on ne parvint point à rétablir la prospérité qui était due à l'ancienne organisation des métiers intimement liée à la puissance politique des grandes communes flamandes.

A Charles-Quint commence en Flandre la nouvelle draperie, c'est-à-dire la draperie alimentée par les laines d'Espagne. Le duc Philippe de Bourgogne, époux d'Isabelle de Portugal, avait déjà eu la même pensée lorsque, dans une charte du 26 octobre 1464, il se plaignait que les Anglais vendaient leurs laines si cher «qu'il en résultoit grant dommaiges et inconvéniens pour les pays de Brabant et de Flandre qui sont principalement fondés sur fait de draperie.» Charles-Quint, fils d'une princesse espagnole, devait la réaliser. Lier la Flandre à l'Espagne par les besoins de son industrie, était un acte habile au point de vue politique.

L'industrie flamande continua à fabriquer quelques étoffes précieuses; elle produisit encore quelques somptueuses tapisseries notamment celles qu'admirait la cour de Charles VIII ou celles qui furent offertes au pape par François Ier. Son activité se porta, toutefois, principalement vers des étoffes d'un genre nouveau et d'un prix moins élevé: pour les unes on appela des tisserands d'Armentières, pour d'autres des ouvriers de Hondschoote.

A la même époque, afin que la Flandre restât sans cesse une terre commerciale, s'élevait dans les campagnes l'industrie linière, héritière de l'industrie des grandes villes qui se bornait aux étoffes de laine. Liée intimement au sol qu'elle fertilisait, elle puisait dans l'agriculture, et l'agriculture puisait en elle, un mutuel et réciproque appui. Le même toit abritait la charrue et le métier du cultivateur devenu tisserand. Pendant les longues veillées de l'hiver, la moisson de l'été se métamorphosait, sous les mains qui l'avaient recueillie, en trésors mercantiles: la femme même, assise à son rouet, concourait, par son adresse, à assurer la paix et l'abondance dans le foyer domestique. «La Flandre sera riche, disait Charles-Quint, tant que l'on n'aura point coupé le pouce de ses fileuses.»

Si les relations du commerce extérieur s'éteignaient dans les villes de la Flandre, si parfois dans ses campagnes mêmes un cri de guerre semait la désolation, il faut aussi signaler, à certains intervalles, une autre source de souffrances et de détresse: l'accroissement progressif des impôts. Dès 1516, Érasme écrivait à Thomas Morus: «On réclame du peuple des sommes énormes, et la demande a été agréée par les grands et par les prélats, c'est-à-dire par ceux qui seuls ne doivent rien donner, et toutes nos campagnes sont couvertes de soldats. Trop infortuné pays! et toutefois combien ne serait-il point heureux si ses villes pouvaient s'entendre entre elles!» En 1524, la levée des impôts excita des troubles dans toutes les provinces des Pays-Bas. Les biens du clergé n'en étaient plus exempts, et sa résistance fut si vive en Flandre qu'une partie de ses domaines fut saisie; ce qui fait dire, en 1529, à Érasme: «Les exactions accablantes au delà de toute mesure sont devenues communes à tous, et nous les supportons d'autant plus impatiemment que l'argent qu'elles produisent, est porté en Allemagne et en Espagne.»

En 1536, la reine de Hongrie, sœur de Charles-Quint, qui avait succédé à Marguerite d'Autriche dans le gouvernement des Pays-Bas, avait obtenu une aide de quatre cent mille carolus d'or, dont le tiers devait être payé par la Flandre. Bruges, Ypres et le Franc obéirent, mais une vive opposition se manifesta à Gand.

Les désastres des guerres et des révolutions, qui avaient ruiné Bruges en exilant les marchands étrangers, avaient exercé moins d'influence sur la prospérité des Gantois, entretenue par l'activité intérieure du travail de leurs métiers. Les documents contemporains reproduisent encore le tableau que Froissart traçait au quatorzième siècle de la puissance de Gand et de ses richesses. Ils la nomment tour à tour «une ville fort belle, grande, puissante et ample, la plus belle et ample ville de la crestienneté, une fort belle et triomphante ville, une ville sans pair à cause des belles rivières qui y descendent de tous quartiers, au moyen desquelles tous biens et marchandises y arrivent, une ville qui n'estoit point une ville, mais ung pays, tant y avoit maisons, églises, cloistres, chapelles, hospitaulx et autres beaux et somptueux édifices.»

«Gand, dit un historien du seizième siècle, est à peu près la plus grande ville de l'Europe. Ses habitants prétendent que le circuit de ses remparts offre un développement de sept lieues. On raconte que jadis sept rois l'assiégèrent pendant sept ans et ne purent s'en emparer, et aujourd'hui encore, à côté de ses sept ponts de marbre, construits sur l'Escaut, on remarque sept églises fondées par les sept rois aux lieux mêmes ou s'élevèrent leurs camps. Une de ces églises, celle de Saint-Michel, possède, dit-on, un si grand nombre de paroissiens, que chaque année on y voit communier, aux fêtes de Pâques, vingt-huit mille personnes.»

Un même sentiment de résistance dominait chez tous les habitants de Gand. Les bourgeois, accablés de taxes, ne voulaient plus en accepter de nouvelles; les tisserands et les petits métiers rappelaient les anciens principes du droit communal sur l'obligation limitée de servir le prince pendant un certain nombre de jours. Enfin, il fut résolu, dans la collace du 14 avril 1537, «que si avant que l'Impérialle Majesté leur seigneur naturel et prince natif avoit nécessairement affaire des gens de guerre de son pays de Flandres contre le roy de France son ennemy et pour la deffense de cestuy son pays, ils présentoient à Sa Majesté volontaire assistance par gens d'iceluy pays, selon l'ancien transport et ancienne coustume et les payer, et autrement point.» Cette réponse fut portée à Bruxelles par les échevins Régnier Van Huffel, Jacques Van Melle, Jean Vanden Eeckhaute et le grand doyen Liévin Pym.

La reine de Hongrie, qui venait d'apprendre l'invasion d'une armée française en Artois, crut devoir temporiser, de crainte d'exciter trop profondément le mécontentement des Gantois. Elle leur demanda de nouvelles explications, et ce fut pour satisfaire à ce désir que les Gantois déclarèrent, dans la collace du 29 avril, «qu'ils entendoient ce faire par le grand estandart et par gens du pays comme autrefois a esté fait.» Cependant le comte du Rœulx avait déjà réussi à arrêter l'armée française, et la reine de Hongrie n'hésita plus à ordonner dans la châtellenie de Gand la levée de l'impôt qu'avait sanctionné le vote de trois membres du pays de Flandre. Il fallut cette fois recourir à des voies d'intimidation, mais les magistrats de Gand, qui semblaient peu les redouter, s'adressèrent itérativement à la reine de Hongrie pour protester contre les arrestations qui avaient eu lieu, alléguant que, d'après les priviléges du pays, «l'accord de la plus grande partie ne peult charger, ni obliger la moindre partie en la contribution d'aulcunes aides, subventions ou impositions,» et que les châtellenies, soumises à leur autorité, ne pouvaient être imposées sans leur assentiment; ils prétendaient, en conséquence, que les poursuites exercées étaient «notoirement (en parlant en toute révérence) contre toute raison, droit, priviléges, anciennes coustumes et libertés desdits de Gand, et en dehors de tout entendement raisonnable.»—«Et comme ledit maistre Liévin, ajoute le Discours des troubles de Gand, eust présenté ladite requeste et se fust retiré de la chambre, il retourna demandant de dire encore un mot, disant en tremblant avoir charge de ses maistres de déclarer que si la royne ne vouloit accomplir le contenu en ladite requeste, qu'ils estoient délibérés d'envoyer leurs députés vers l'Empereur, requérant que on ne le print de male part.»

Une démarche faite par le sire de Herbaix au nom de Charles-Quint eût pu apaiser les Gantois. Rien n'était plus propre à atteindre ce but que le discours qu'il leur adressa: «Par espécial suis chargé de faire ceste requeste à vous, messieurs de Gand, pour l'entière et totale confidence qu'il a en vous pour autant qu'il n'est point seulement vostre seigneur et prince naturel, mais est né et natif d'icelle, ce qui communément et de nature engendre quelque affection et amour espécial de l'ung à l'autre, et si depuis ung peu il porroit avoir aucune chose mal entendue, Sa Majesté ne sçauroit avoir de vous aultre ymagination sinon que ce ait esté par faute d'avoir bien comprins l'ung l'autre.»

Les Gantois aimèrent mieux recourir aux trois autres membres pour qu'ils les aidassent à soutenir leurs priviléges, et le 24 septembre 1537 les quatre membres de Flandre réclamèrent d'un commun accord, près de la reine de Hongrie, la liberté de toutes les personnes qui avaient été arrêtées. Dans ces conjonctures difficiles, la reine de Hongrie proposa aux Gantois de soumettre leurs réclamations à la décision du conseil privé ou à celle du grand conseil de Malines, ou bien à celle de l'Empereur lui-même, en consentant à ce que pendant cette procédure les prisonniers fussent provisoirement mis en liberté; mais les magistrats de Gand désiraient qu'on reconnût leurs priviléges et non point qu'on les discutât. En effet, les discuter c'était supposer qu'ils étaient sujets à contestation et qu'il était loisible de les interpréter et même de ne pas s'y conformer: ils ne répondirent pas aux propositions de Marie de Hongrie. Enfin, le 2 décembre, voyant que les prisonniers n'étaient point relâchés, ils portèrent de nouvelles plaintes à la reine, qui répliqua qu'ils avaient laissé s'écouler les délais de surséance qu'elle leur avait offerts pour qu'il fût statué sur leurs réclamations. Peu de jours après, le 31 décembre, les magistrats de Gand rédigèrent par-devant notaire un acte d'appel à l'Empereur.

Charles-Quint se trouvait à Barcelonne. Il répondit le 31 janvier à la protestation des Gantois. Bien que dans sa lettre il soutienne la conduite de sa sœur en ordonnant la levée immédiate des quatre cent mille carolus, nonobstant tout appel, il leur permet d'exposer leurs griefs au grand conseil de Malines, et l'on rencontre de nouveau dans son manifeste quelques lignes où il rappelle les liens qui l'unissent à sa patrie: «Toutefois avions tousjours eu cette opinion et espoir de vous que, durant nostre absence, vous vous deviez plus employer à nous aider, assister et servir que nuls autres, à cause que sommes Gantois et avons prins naissance en nostre ville de Gand... et quant à ce que vous vous excusez sur la povreté du peuple, petite négociation et la charge des précédentes aydes qui ont esté grandes, vous pouvez bien considérer que les mêmes raisons militent aussy bien pour les trois membres de Flandres et ceux de nostre pays de Brabant que pour vous, lesquels, toutefois, considérans mieux valoir de deffendre les frontières que laisser entrer les ennemis au pays, n'ont voulu refuser à nous faire toute assistence en si urgente nécessité et extrémité, comme aussy espérons que vous, les choses bien entendues, faire ne vouldrez; et nous desplaist que les aydes ont esté si grandes, veu que ce n'a esté pour nostre prouffict particulier, mais seullement à cause des grandes affaires que avons eu pour garder et maintenir nostre estat et réputation et pour le bien et utilité de nos pays, repos, seureté et tranquillité de tous nos subjects.»

Charles-Quint croyait pouvoir calmer les Gantois par ces paroles, aussi douces et conciliantes que celles que le sire de Herbaix avait déjà fait entendre en son nom. Marie de Hongrie alla même jusqu'à suspendre la levée des quatre cent mille carolus: rien ne devait confirmer ces espérances.

Évidemment, il existait chez nos populations flamandes du seizième siècle une tendance funeste à un abaissement moral, conséquence inévitable de l'abaissement politique: «Les vieillards, écrivait Meyer, prétendent que tout est changé dans les mœurs de notre nation, et ils se plaignent qu'à des hommes simples, francs, loyaux, courageux, robustes et d'une haute stature a succédé une génération corrompue par le vice, l'oisiveté, l'ambition et l'orgueil. Les désordres se sont multipliés, la piété du clergé s'est refroidie. Autrefois il suffisait de l'arbitrage de quelques hommes sages pour éteindre de rares discussions soulevées par des achats et des ventes qui se faisaient souvent sans témoins: aujourd'hui, chacun recourt à des actes écrits, de crainte de rencontrer une mauvaise foi que ne connurent jamais nos ancêtres.»

Rien ne prouve mieux le relâchement qui régnait dans le lien social que le penchant des esprits à rompre le lien religieux consacré par le culte des générations qu'il unissait entre elles dans une pieuse communauté de traditions et de souvenirs. Les doctrines des luthériens s'étaient rapidement introduites dans les Pays-Bas, surtout dans les cités commerciales et industrielles où affluaient un grand nombre d'étrangers. Dès 1522, un an après la diète de Worms, elles avaient fait de grands progrès à Anvers; Charles-Quint y fit même brûler, en sa présence, les livres de Martin Luther, qui y avaient été envoyés d'Allemagne, et deux moines augustins de cette ville, convaincus de les avoir propagés, furent punis du dernier supplice à Bruxelles: ce qui fit dire à Luther, dans une lettre adressée aux chrétiens de la Hollande, du Brabant et de la Flandre: «Dieu soit loué de nous avoir donné de vrais saints et de vrais martyrs! Nos frères d'Allemagne n'ont pas encore été jugés dignes de consommer un si glorieux sacrifice!» Luther se montra toutefois moins admirateur du zèle des catéchumènes d'Anvers quand il apprit que presque tous s'étaient attachés à la secte des anabaptistes. «Nous avons ici, écrivait-il le 27 mars 1525, une nouvelle espèce de prophètes: ils sont venus d'Anvers et prétendent que l'Esprit Saint n'est autre chose que la raison naturelle.»

Les doctrines de la réforme s'étaient également bientôt répandues à Gand: malgré la publication de l'édit de Worms du 8 mai 1521, et des édits successifs du 17 juillet 1526, du 14 octobre 1529, du 7 octobre 1531, du 10 juin 1535, du 17 février 1535 (v. st.), elles y avaient pris un si grand développement qu'au mois de juin 1538 le président de Flandre, Pierre Tayspil, annonça à Marie de Hongrie l'existence d'une petite communauté de luthériens et d'anabaptistes aux portes mêmes de Gand. L'année suivante ces doctrines se mêlèrent aux mystères que représentaient publiquement, selon un ancien usage, les povres de sens, de Furnes, les compagnons du Saint-Esprit, de Bruges, de l'Alpha et Oméga, d'Ypres, de la Fleur de Lis, de Dixmude, et d'autres membres des innombrables sociétés de rhétorique alors établies dans les Pays-Bas.

«Plusieurs lieux pour le temps de lors estoient assez enclins à toutes séditions, commotions et hérésies, et les intentions et désirs de tels et semblables n'estoient que à pillier églises, gens nobles et autres riches, et avec eux plusieurs estrangers se y feussent boutés aians tous les mesmes voullentés et qui ne demandoient que ung tel temps troublé, et lesquels tenoient la secte luthérienne qui régnoit lors par toute la crestienté, qui aussy ne demandoient sinon faire toutes choses communes et entre autres points hérétiques qu'ils soutenoient, c'en estoit l'un... Toute la fin de leur commotion tendoit de faire les riches devenir povres et les povres devenir riches, et en effect, tous biens communs, ce qui estoit l'oppinion de plusieurs luthériens.., et quand les povres rencontroient les riches, en allant leur chemin par les rues, ils leur disoient par grant envye: Passez oultre! le temps viendra de brief que possesserons vos richesses à nostre tour, car vous les avez assez possessées et vous possesserez nos povretés à vos tours; si sçaurez que c'est d'icelles, et nous sçaurons que c'est de vos richesses, et porterons vos belles robes et tous porterez les nostres, qui sont bien laides et de petite valleur.»

Cette secte portait à Gand le nom de creesers, qu'on n'a pas mieux réussi à expliquer que celui des Huguenots.

On connaît, d'ailleurs, les projets politiques des creesers. «Toute leur affaire tendoit, porte la relation que nous venons de citer, de faire d'icelle ville de Gand une ville de commune et non subjecte à nul prince, ni seigneur, fors à elle-mesme, comme il y en a plusieurs en Allemagne et en Ytalie.»

François Ier avait soutenu les villes protestantes d'Allemagne. Les creesers espéraient trouver en lui le même appui. Au mois d'octobre 1538, Marie de Hongrie défend aux Gantois d'envoyer des députés au roi de France. Ils feignent d'obéir, mais un de leurs émissaires, Lupart Grenu, de Tournay, se rend à Fontainebleau, où le roi de France refuse de l'écouter, parce qu'en ce moment il ajoute plus de prix à l'alliance de Charles-Quint qu'au renouvellement des hostilités, quelque favorable qu'il puisse paraître. «Les Gantois, écrit Martin de Bellay, pour mieulx se fortifier et venir à l'effect de leur entreprise, envoyèrent secrètement devers le roy lui offrir de se mettre entre ses mains, comme leur souverain seigneur, et luy offrirent pareillement de faire faire le semblable aux bonnes villes de Flandres: chose que le roy refusa pour n'estre infracteur de foy envers l'Empereur, attendu a trêve jurée entre eux depuis deux ans.»

(Juillet 1539). Nouvelles remontrances des Gantois. La collace du 8 juillet demande «que l'on deffende les bourgeois et adhérités de cette ville et chastellenie, touchant l'exécution commencée.» L'agitation s'accroît. Le 17 août, les métiers refusent de procéder à l'élection de leurs doyens tant que les prisonniers n'auront point été délivrés. Ils accusent les députés, chargés l'année précédente de porter leurs réclamations à la reine de Hongrie, de ne pas s'être acquittés fidèlement de leur mission. Liévin Borluut les encourage dans leur résistance en leur rapportant que, selon une tradition qui s'était perpétuée dans sa maison, il était arrivé à un comte de Flandre de perdre son comté en jouant aux dés avec un comte de Hollande, mais qu'un de ses ancêtres avait réussi à persuader aux bourgeois de Gand de le lui racheter, et qu'ils avaient dès lors obtenu de ne pouvoir jamais être soumis à des taxes malgré leur volonté. Liévin Borluut se trompait: ses aïeux n'avaient conservé à la Flandre son indépendance et sa liberté que sur le champ de bataille de Courtray, mais le peuple n'en croyait pas moins à l'exactitude de son récit.

Le 19 août, on arrête à Gand Liévin Pym et Jean Van Waesberghe. Regnier Van Huffel fuit à Bruxelles. Quatre députés de Gand l'y suivent et l'y font arrêter, mais il se place sous la protection des lois du Brabant.

Dans la collace du 22 août, on insiste pour que l'on interroge les anciens échevins sur les actes de leur administration, sur leur réponse à Marie, et sur la disparition du privilége mentionné par Liévin Borluut, que l'on ne retrouve plus. Il faut, s'écrie-t-on de toutes parts, qu'il soit défendu de faire sortir du blé de la ville, qu'on approfondisse les fossés qui la protégent, qu'on réunisse son artillerie, qu'on arbore publiquement son étendard, qu'on remette la charte de l'achapt de Flandres indiquée par Liévin Borluut; il faut que les bourgeois adhérités dans la ville ne puissent plus se présenter dans les collaces comme membres des métiers; il faut, de plus, que l'on casse le calfvel de 1515, par lequel Charles-Quint a confirmé les conditions imposées par Maximilien aux Gantois dans le traité de Cadzand.

(23 août.) Tous les métiers prennent les armes. Liévin Pym est conduit vers midi au Gravesteen. Il déclare que la réponse qu'il a adressée à la reine de Hongrie, était conforme aux instructions des échevins des deux bancs. Après l'avoir soumis deux fois à la torture, on obtient de lui cet unique aveu qu'il avait un jour déposé à l'hôtel des échevins, pour qu'elle servît aux serruriers de modèle pour faire une autre clef, celle du secret des priviléges qui lui était confiée. Le 26 août, Liévin Pym est de nouveau soumis à la torture: sa fermeté reste inébranlable, et le grand bailli François Vander Gracht demande, en alléguant le grand âge et les infirmités de l'ancien doyen des métiers, qu'il soit reconduit dans la prison de la ville pour être jugé par les magistrats.

Cependant les métiers restent assemblés. Ils ne voient qu'un sortilége dans le courage que Liévin Pym a montré; c'est peu qu'ils aient déjà exigé qu'on le rasât, afin de retrouver plus aisément le sceau mystérieux des sorcières et des nécromanciens; ils arrêtent un homme et une femme qu'ils accusent d'avoir exercé sur lui une influence magique. Enfin, le 28 août, ils obtiennent des échevins de la keure, intimidés par leurs menaces, la condamnation de Liévin Pym, et le même jour celui-ci est porté sur un fauteuil, comme le sire d'Humbercourt, sous la hache du bourreau: c'est au pied de cet échafaud que les membres des métiers jurent de nouveau de ne point se séparer tant que le calfvel de 1515 n'aura point été révoqué, serment prononcé sous de tristes auspices, qui ne présageait que la mort à ceux qui invoquaient la mort à témoin de leurs fureurs.

Tandis que les bourgeois se séparaient avec effroi d'une résistance qui cessait d'être légitime dès qu'elle ne s'appuyait plus sur leurs priviléges, les métiers s'engageaient de plus en plus dans cette voie sanglante, où l'anarchie est invinciblement poussée vers l'abîme par les passions mêmes qui sont son élément et sa vie. Non-seulement ils demandaient que l'on chargeât de chaînes les magistrats qui avaient adhéré au calfvel de 1515; ils voulaient également que l'on supprimât un autre calfvel, celui de 1531, qui réglait les attributions du conseil de Flandre. Le 2 septembre 1539, le cloître des Jacobins, où devait s'assembler la collace, est envahi par quatre ou cinq cents de ces obscurs disciples des théories à demi politiques et à demi religieuses, qui s'appuyaient sur la Bible pour combattre à la fois l'État et l'Église, le prince et le prêtre, ces deux colonnes de la vieille société qu'ils condamnaient. «Nous voulons, répètent-ils, que l'on annule les deux calfvel et le traité de Cadzand, que l'on juge tous ceux qui y ont adhéré, qu'on approfondisse les fossés de la ville, que le guet veille désormais sur les remparts.» En vain le grand bailli, François Vander Gracht, leur représenta-t-il qu'il ne pouvait, sans mériter le dernier supplice, consentir à la révocation d'actes qui émanaient de l'Empereur: ils ne voulurent rien entendre, et il fallut que les trois pensionnaires élus par les bourgeois, les tisserands et les petits métiers, leur livrassent le calfvel de 1515. Les uns le déchirèrent et le jetèrent dans la boue, les autres en recueillirent les lambeaux pour les porter orgueilleusement à leurs chapeaux, comme leurs pères s'étaient parés, en 1467, des débris de l'aubette des commis de la gabelle.

La reine de Hongrie avait inutilement cherché à sauver Liévin Pym en lui adressant une déclaration justificative, dont il n'avait pas même osé faire usage; elle crut prudent de surseoir à la levée de l'impôt, mais elle donna aussi des ordres pour que l'on gardât avec soin les forteresses les plus voisines de Gand, et elle exposa en même temps, dans une lettre adressée aux trois autres membres de Flandre, les nombreux attentats qu'elle reprochait aux Gantois.

Les Gantois venaient d'arrêter Guillaume de Waele, garde des chartes de Flandre, et trois échevins de 1515, Jean de Wyckhuuse, Gilles Stalins et Jean De Vettere, ainsi qu'un ancien échevin de la keure, qui fuyait déguisé en femme: puis on les vit demander la révocation de tous les magistrats de la keure sans exception. Ils se montraient si orgueilleux qu'ils refusaient de payer les droits de tonlieu établis sur l'Escaut, se prétendant citoyens d'une ville libre; ils maintenaient, d'ailleurs, que, selon leurs priviléges, ils avaient le droit, après six semaines de délibérations stériles dans la salle de la collace, de convoquer la wapening sur la place du marché. On s'attendait même à voir reparaître les chaperons blancs. Adolphe de Beveren et Lambert de Briarde, que Marie de Hongrie avait envoyés à Gand, lui mandèrent que leurs vies étaient en danger s'ils n'autorisaient pas le renouvellement immédiat de la keure, et le grand bailli François Van der Gracht lui adressa également une lettre qui signalait la même gravité dans la situation des choses: «Madame, je supplie très-humblement Vostre Majesté estre record que par diverses lettres m'avez escrit de point avoir intention de modérer ce trouble que en toute douceur: ce seroit petit inconvénient d'espandre mon sang au service de l'Empereur et de Vostre Majesté, mais par dessus cela voir la desconfiture de tant de gens de bien, la démolition d'une si notable ville, la destruction de tous ces pays, il me semble que Vostre Hauteur en seroit grandement diminuée.» La reine hésitait encore. Les messages devenaient de plus en plus pressants; mais elle ne céda qu'après avoir fait rédiger une protestation par laquelle elle déclarait ne donner qu'un consentement forcé et motivé par le salut de ses serviteurs, et en écrivant au-dessous de la commission de renouvellement des échevins: «Par force et pour éviter plus grand mal, ay consenti cette commission. Marie.»

Le renouvellement de la keure avait été un succès pour les mécontents, mais il est rare que les succès calment et modèrent ceux qui les obtiennent. On racontait tantôt que Charles-Quint avait rendu le dernier soupir, tantôt qu'il était porté à donner raison à ses concitoyens dans leur lutte contre la reine de Hongrie. Les souvenirs des temps glorieux qui avaient précédé le honteux traité de 1453, habilement exploités pour exciter de plus en plus l'effervescence populaire, portaient surtout les esprits à des rêves de grandeur et de prospérité que le passé ne devait point léguer à l'avenir. Quelques-uns, plus imprudents ou plus impatients, eussent voulu recommencer une guerre qui avait été si fatale à leurs pères: leurs vœux semblèrent exaucés lorsqu'on apprit que les sires d'Escornay et de Lalaing s'étaient enfermés dans la citadelle d'Audenarde et qu'une troupe de paysans, commandée par Yvain de Vaernewyck, assiégeait le château de Gavre.

Le 11 octobre 1539, la collace décide que le payement des impôts sera suspendu jusqu'à ce que la reine de Hongrie ait livré les magistrats fugitifs, que les élections des doyens des métiers auront lieu conformément aux anciens usages, que l'on chassera les hommes d'armes du plat pays en sonnant le tocsin dans toutes les campagnes, que l'on écrira aux magistrats de Bruges, d'Ypres, d'Audenarde, de Courtray et d'Alost pour qu'ils ne leur permettent point de se réunir contre les Gantois. Six jours après, le grand bailli, François Van der Gracht, s'enfuit de Gand, «accoustré en guise de serviteur.»

Le mouvement insurrectionnel avait atteint son point culminant: nous touchons à la période où il cédera à la régression la plus énergique et la plus sévère, répression qu'excusent à peine deux années d'une patience et d'une longanimité mises à toute épreuve.

Le 30 octobre, un envoyé de Charles-Quint, muni de pouvoirs fort étendus, arrive à Gand: c'est Adrien de Croy, comte du Rœulx. Le lendemain, «il remonstra aux bourgeois le grand dangier ouquel ils se mettoient, que pour le présent l'Empereur estoit le plus puissant et bien fortuné prince de toute la chrestienté, et que jamais ils n'avoient eu ung tel conte ayant la puissance et noblesse de luy, lequel ils devoient partant bien aymer, et meismes plus que nuls de ses autres subjects, en tant qu'il estoit natif de la ville de Gand, et pour ces causes et autres devroient estre des plus obéissans, et meismes que, si aucuns autres de sesdits subjects se vouloient eslever à l'encontre de sadite Maigesté, qu'ils devroient estre ceulx qui de tous leurs pouvoirs devroient soustenir icelle, et meismement pour ce que l'Empereur estoit le premier conte de Flandres qui se povoit intituler conte, prince et seigneur souverain du pays de Flandres, laquelle souveraineté Sa Maigesté avoit conquise à l'encontre du roy de Franche, par la prinse que son armée fist dudit roy, nommé Franchoys premier de ce nom, à la journée devant Pavye, ce qui a esté et est ung grant bien et honneur pour lesdits de Gand, et conséquemment pour tout ledit pays et conté de Flandres, de quoy sera mémoire à tousjours, et partant le devroient aymer souverainement par-dessus tous autres ses subjects... Aussy leur mist en mémoire comment ils devoient avoir souvenance que leurs prédécesseurs avoient esté sy griefvement pugnis d'avoir rebellé à l'encontre de leurs contes par cy-devant, lesquels n'estoient en riens à rapporter à la puissance de leur conte présent, et sy devoient aussy avoir mémoire des deux journées de bataille qui furent, la première à Rosebecke et la seconde à Gavre, lesquelles deux batailles lesdit Ganthois eurent à l'encontre de leurs contes, et y furent occis, de la partie desdits Ganthois, plus de trente à quarante mil hommes, et bien peu de la partie desdits contes de Flandre, par quoy est bien démonstré que les mauvais rebelles et désobéissans subgects n'ont jamais droit de victoire à l'encontre de leurs bons princes.»

Adrien de Croy ne fut pas écouté: les Gantois ne s'agitèrent que plus violemment en sentant vibrer dans leur âme cette triste évocation de la mémoire de leurs aïeux morts pour leur liberté; mais combien les temps n'étaient-ils point changés! et qu'il y avait loin des mémorables assemblées où Nicolas Bruggheman annonçait la croisade, aux sombres conciliabules où les disciples de Luther prêchaient la destruction de l'autel et du temple! Quel lien politique ou religieux pouvaient invoquer les creesers de 1539 pour se croire les dépositaires des immortelles traditions des pieux et héroïques clauwaerts du quatorzième siècle?

Le 3 novembre 1539, la cloche du travail cessa de sonner; toutes les maisons, tous les ateliers, toutes les boutiques se fermèrent, et les bourgeois se réunirent au couvent des frères prêcheurs pour se défendre contre les attaques insensées des creesers, auxquels on attribuait on ne sait quel horrible projet de saccager et de piller toute la ville. Bien que rien ne vint justifier ces craintes, l'inquiétude était générale et profonde. Telle était la situation de Gand au moment où l'on attendait la décision que prendrait l'Empereur.

Charles-Quint avait compris toute l'importance de la sédition des Gantois, qui comptaient sur l'appui des mécontents d'Allemagne et qui, tôt ou tard, pouvaient espérer celui du roi de France. Une plus longue absence devait, en lui enlevant le pays qui était son berceau et le patrimoine de ses ancêtres, briser le nœud qui retenait dans la même main tant d'États différents de mœurs et d'intérêts. La route du Rhin était trop longue; les tempêtes de l'hiver, qui n'était plus éloigné, ne permettaient point de songer à celle de l'Océan. «C'est en traversant la France que je me rendrai en Flandre,» dit-il à ses conseillers, et quelque vives que fussent leurs représentations, il quitta la Castille pour se diriger vers les Pyrénées.

François Ier avait lui-même engagé Charles-Quint à prendre la voie la plus courte et la plus favorable; il lui avait offert ses fils comme otages, afin de garantir la sincérité de ses intentions; mais Charles-Quint les avait refusés, croyant que dès qu'il se reposait dans la loyauté du roi de France, la confiance qu'il lui témoignait, devait être complète et entière.

L'harmonie politique qui régnait entre Charles et François Ier, paraissait solidement affermie. «J'aime tant le roy mon frère, disait Charles-Quint, et me sens ai fort obligé à luy du bon recueil qu'il me faict, du bon visage qu'il me porte et du bon traict qu'il m'a fait de n'avoir entendu à ces marauts de Gand, que jamais plus je ne retourneray à lui faire la guerre; et désormais il faut que nous demeurions perpétuellement bons amis et frères.» Il ajoutait qu'il souhaitait cette paix pour repousser les Turcs et les Algériens de nouveau hostiles, et pour apaiser en Allemagne les troubles religieux.

En ce moment, d'importantes négociations étaient entamées entre les deux monarques. Elles étaient relatives à l'abandon définitif de leurs prétentions mutuelles qu'ils eussent abdiquées au profit du duc d'Orléans, second fils du roi de France, appelé à épouser une fille de Charles-Quint.

L'historien espagnol Sandoval fait adresser ce discours par Charles-Quint au connétable de Montmorency:

«De deux filles que j'ai, je veux donner l'aînée au duc d'Orléans et lui donner, avec elle, les États de Flandre avec le titre et le nom de roi, si bien que le roi François aura de cette sorte deux fils, tous deux rois, si voisins et si limitrophes, qu'ils pourront se voir tous les jours et communiquer ensemble, comme vrais et bons frères. Et comme nous sommes tous mortels, il pourrait arriver, ce que Dieu ne veuille pas permettre, que le dauphin, son fils aîné, vînt à mourir, et qu'aussi le prince don Philippe, mon fils, vînt à manquer, et alors le duc d'Orléans et ma fille deviendraient les plus grands seigneurs du monde, car ils seraient rois d'Espagne, de France et de Flandre et de tous mes autres royaumes et seigneuries, de manière qu'on peut dire que je donne pour dot un royaume considérable, qui est celui de Flandre, et une espérance très-grande et assez bien fondée de parvenir à d'autres royaumes encore plus puissants.»

Martie du Bellay accuse injustement Charles-Quint d'avoir manqué à sa promesse. Le connétable de Montmorency engagea, plus que personne, François Ier à ne pas l'accepter: «Comme sage et bien advisé, il remonstra au roy, dit Brantôme, que deux frères si grands, si puissants et si près les uns des autres et fort chatouilleux, se pourroient un jour entrer en picque, se faire la guerre et se deffaire les uns les autres, et qu'il ne falloit pas les approcher de si près, mais les reculer au loin vers Milan, qui ne seroient si voisins et hors de toutes commodités à ne se rien demander.»

L'ambition de la France devait, pendant trois siècles, s'égarer au delà des Alpes. Il semblait que l'honneur de ses armes s'opposât à ce qu'on laissât reposer à l'ombre des bannières étrangères tous ces héros morts aux journées de Pavie, de Novarre, de Ravenne et de Cérisoles.

Le 1er janvier 1539 (v. st.), Charles-Quint entra à Paris par la porte Saint-Antoine où l'on avait écrit ces deux vers:

Ouvre, Paris, ouvre tes haultes portes:

Entrer y veult le plus grant des crestiens.

On voyait ailleurs les armes impériales et royales «liées ensemble par cordons et nœuds d'amour.» Les échevins de Paris offrirent à Charles-Quint un Hercule d'argent doré, allusion ingénieuse à sa devise. Hercule avait écrit sur les rivages de la Lusitanie, au pied de l'immobile colonne de Gades: Nec plus ultra. Charles-Quint, roi de cette même contrée baignée par des mers dont ses vaisseaux avaient dévoilé les trésors et les mystères, avait le droit de répéter: Plus oultre. Enfin, le 7 janvier l'Empereur quitta Paris, et quatorze jours après, il s'arrêta à Valenciennes, où l'attendait la reine de Hongrie.

L'on persistait à Gand à croire Charles-Quint retenu en Espagne par ses guerres contre les Turcs et les corsaires des États barbaresques, lorsqu'on y apprit tout à coup, avec une stupeur profonde, qu'il était arrivé aux frontières des Pays-Bas, après avoir confirmé l'alliance qui l'unissait au roi de France. La crainte de sa colère que les bourgeois et les gens des métiers avaient successivement bravée, les uns en favorisant le commencement de la rébellion, les autres en la poussant aux dernières limites, se présentait à tous les esprits, et il semblait qu'en se révélant si inopinément elle parût plus redoutable. Une députation, composée de Josse Uutenhove, de Charles de Gruutere, de Nicolas Triest, de Louis Bette et de quelques délégués des métiers, s'était dirigée vers Valenciennes; mais on leur enjoignit de ne pas aller plus loin que Saint-Amand, afin d'y attendre les ordres de l'Empereur. «Le temps commenchoit à venir que on ne les voulloit plus complaire: de quoy ils furent mal contents et murmuroient entre eulx que on leur devoit incontinent donner bonne audience, pour ce qu'ils estoient les seigneurs et députés de ceulx de Gand, et cuydoient que l'Empereur se contenteroit bien d'eulx et de leurs excuses, et leur sembloit que le comte de Flandres ne pouvoit riens lever oudit pays sans leur consentement.» Il était aisé de comprendre pourquoi Saint-Amand avait été assigné comme résidence momentanée aux députés gantois. «La cause pour qu'il fut défendu aux Ganthois de non venir jusques en ladicte ville de Valenchiennes, c'estoit pour ce que les princes et seigneurs de Franche estoient encoires en ladicte ville et qu'il n'estoit besoing que les estrangiers sceussent au vray les affaires d'iceulx de Gand, combien qu'ils en sçavoient assez, car on n'avoit parlé plus de demy auparavant par tout le pays d'autre chose que d'eulx.»

Le 25 janvier, les députés de Gand sont appelés à Valenciennes et reçus par l'Empereur, «lequel, après les avoir quelque peu oys, leur imposa silence à leurs excuses et propositions longues et bien prolixes, et leur dist, pour toute résolution, que à ces fins il estoit venu en ses pays de pardechà en bonne diligence et au grand travail et dangier de sa personne par temps d'yver, pour mettre et donner bon ordre et pollice ès affaires de sa ville de Gand et y venir faire les pugnitions et corrections des mésus commis: ce qu'il feroit de telle sorte qu'il en seroit mémoire et que autres ses villes, pays et subgects y prendroient exemple de non faire le semblable. Et autre response ne sceurent avoir lesdits députés de Gand.»

Déjà les bandes d'hommes d'armes du duc d'Arschoot, du prince d'Orange, des comtes d'Hoogstraeten et du Rœulx s'assemblaient à Halle, à Malines, à Enghien, et le 14 février 1539 (v. st.), Charles-Quint se présenta, à la tête de cette armée réunie à la hâte, aux portes de Gand, qui étaient restées ouvertes, «et dura icelle entrée plus de six heures sans le carroy et bagaiges, qui dura tout le jour. Il y avoit à icelle entrée huit cens hommes d'armes desdites ordonnances, qui sont pour le moings, y comprins les archiers, de trois à quatre mil chevaux, et estoient tous en armes, la lanche au poing, les picquenaires ayans la picque sur l'espaulle, les hallebardiers ayans aussi leurs hallebardes, et les hacquebuttiers ayans chascun en sa main la hacquebutte, laquelle gendarmerie estoit toute preste et appareilliée d'entrer en combat. Et en telle compaignie, puissance et estat entra en ville de Gand, de quoy les habitants d'icelle furent bien fort esbahis et estonnés.»

Paul Jove raconte que lorsque Charles-Quint arriva aux portes de Gand, on eût cru, à voir les impressions qui se produisaient sur son visage, que la cité qui le recevait, n'était pas celle qui lui avait donné le jour et qui avait nourri sa jeunesse, mais une cité ennemie et détestée. Il ajoute que les Gantois se repentirent bientôt de ne pas avoir fermé leurs portes et de ne pas avoir pris les armes pour se défendre, car il eût été impossible de les soumettre ou de les réduire par la force, puisque leur ville est si vaste qu'elle peut armer aisément, par un mouvement inopiné, plus de quarante mille hommes.

Toutes les places et toutes les rues de Gand étaient occupées «par bandes et compaignies de gendarmerie qui faisoient grand guet, tant de jour comme de nuit,» et ce fut sous ces formidables auspices que l'on procéda lentement à une enquête sur les causes et les progrès des troubles qui avaient eu lieu. Après une longue attente, tantôt assombrie par les inquiétudes, tantôt éclairée de quelques lueurs d'espérances, tous les échevins furent mandés par l'Empereur «en l'une des plus grandes chambres de sa court, laquelle estoit toute ample ouverte,» et là, maître Baudouin Le Cocq, procureur général au grand conseil de Malines, prononça un réquisitoire aussi long dans ses prémisses que terrible dans ses conclusions. Il commença par combattre les efforts qu'avaient faits les Gantois pour se justifier par les principes du droit communal, et prétendit que le privilége du comte Gui de Dampierre concernait les impôts qui atteindraient spécialement et uniquement les habitants de Gand, que celui de Louis de Nevers ne s'appliquait qu'à ceux qui auraient été illégalement établis, que la charte de Marie de Bourgogne qu'ils invoquaient, n'avait aucune autorité, puisqu'elle avait été obtenue par violence et même formellement révoquée en 1485 et en 1515. Il représenta que si, au grand regret de l'Empereur, les impôts avaient été si élevés, les Gantois n'y avaient toutefois jamais contribué que selon leur quote-part déterminée depuis longtemps. Puis abordant un autre ordre d'idées, il raconta les outrages par lesquels les Gantois avaient répondu aux propositions réitérées de l'Empereur et de la reine de Hongrie, et exposa les nombreux méfaits par lesquels les Gantois s'étaient rendus coupables du crime de lèse-majesté qui entraînait la confiscation de leurs franchises, de leurs corps et de leurs biens.

La réponse des Gantois fut plus fière qu'on n'eût pu le prévoir. Ils placèrent la source de toutes les émeutes «dans le petit et sobre gouvernement qui avoit esté ès pays de pardechà durant son absence: au moyen de quoy les biens et les revenus de la ville de Gand avoient esté mal conduys et gouvernés, dont le commun peuple et les autres avoient fort murmuré, disans qu'ils estoient mengiés et les biens de ladite ville publiés par les gouverneurs d'icelle, lesquels n'avoient aucun soin du bien de la chose publicque.» On les vit même maintenir, en présence de l'Empereur, le droit qu'ils prétendaient posséder de ne pas être liés en matière d'impôt par le vote des autres membres de Flandre; mais leur justification ne fit que provoquer une plus violente réplique du procureur général qui, par une exagération tout opposée, ne trouva, dans la proposition que les Gantois avaient faite à la reine de Hongrie de prendre les armes contre les Français, «que le moyen de eulx rassembler en nombre pour après courre et pillier le pays.» Quoi qu'il en fût, Charles-Quint avait résolu d'ajourner encore pendant quelque temps sa sentence.

Le supplice des coupables devait précéder la condamnation de la cité, moins criminelle qu'imprudente dans le développement de ses griefs, dont mille passions factieuses exploitaient, à leur profit, la justice et la légitimité. Le 17 mars 1539 (v. s.), sept habitants de Gand furent décapités devant le Gravesteen, aux lieux mêmes où s'était élevé l'échafaud de Liévin Pym. Les principaux étaient Simon Borluut, «fils d'un riche bourgeois de l'ancienne bourgeoisie de la ville,» et deux anciens grands doyens, Liévin Dherbe et Liévin Hebscap. L'auteur de la Relation anonyme des troubles de Gand ajoute: «Il n'y vint guères de Gantois voir faire ladite exécution, qui se faisoit bien au grand regret de la pluspart d'eulx. Combien qu'ils l'avoient bien mérité et desservy, c'estoit une grande pitié de les voir ainsi morir l'un après l'autre.» Parmi les accusés fugitifs ou frappés de peines moins sévères se trouvaient: Yvain de Vaernewyck, Liévin Borluut, François de Baronaige, représentants de la vieille liberté gantoise restés fidèles à sa décadence et à ses malheurs, en même temps que purs de tous les excès qui l'avaient compromise en la déshonorant.

Le 21 mars, les magistrats de Gand, cette fois plus humbles et plus timides, tentèrent un nouvel effort pour obtenir l'oubli complet du passé: «A quoy l'Empereur respondit, meismes de sa bouche, qu'il n'avoit autre désir en ce monde, que tant qu'il plairoit à Dieu le y laissier, de user de grâce et miséricorde et aussi de faire justice, et que, entre autre prières qu'il faisoit journellement à Dieu, c'estoit qu'il lui pleust donner sa grâce de ainsy le faire. Mais leur dist après qu'il estoit bien adverty qu'ils ne se repentoient d'autre chose qu'ils n'avoient, dès le commencement de leurs commotions, mis du tout à exécution leurs mauvaises voullentés et n'avoient d'autre regret; que au plaisir de Dieu, il y mettroit remède et les empescheroit bien à jamais de mettre leurs mauvaises voullentés à exécution.»

Peu de jours s'étaient écoulés, lorsque Charles-Quint commença à donner suite à ses menaces en arrêtant la construction d'une citadelle «au lieu et plache où estoit située l'église et monastère de Saint-Bavon, ouquel lieu y avoit eu ung petit chasteau fait par les Romains du temps de Julius César.» Les tristes images de la guerre pénétraient dans l'asile de la religion et de la paix. Des hommes d'armes allaient chasser les religieux de leurs paisibles cellules. Plus de prières, plus d'hymnes sacrées sous ces antiques arceaux que sanctifiaient les noms vénérés de saint Bavon, de saint Liévin et de saint Amand. «Ce chasteau tiendra à jamais les Gantois en bonne obéissance, mais leur sembloit ce plus griefve pugnition que d'avoir perdu en bataille huit ou dix mille hommes.» Adrien de Croy et Jean-Jacques de Médicis sont chargés de présider aux travaux de quatre mille ouvriers qui, en moins de six mois, mettront les remparts qu'ils construisent, en état de défense.

Le 24 avril, Charles-Quint a posé la première pierre du château de Gand: quatre jours après, il prononce la sentence dont ce château est destiné à assurer l'exécution. A un long exposé des «mésus» des Gantois et de leurs moyens de justification, qui ne suffît pas pour établir l'impartialité du juge, succède un arrêt que Gand, après trois siècles, ne relit encore qu'avec effroi.

«Nous disons et déclairons que le corps et communaulté de nostre ville de Gand sont escheus ès crimes de desléaulté, désobéyssance, infraction de traictiés, sédition, rébellion et lèze-maigesté, et que partant ils ont fourfait tous et quelconques leurs priviléges, droicts, franchises, coustumes et usaiges emportans effects de priviléges, jurisdiction ou auctorité compétens tant au corps de nostre ditte ville de Gand que aux mestiers, et d'iceulx les avons privé et privons à perpétuité, et ensuyvant ce tous lesdits priviléges seront apportés en nostre présence pour d'iceulx estre fait et ordonné à nostre bon plaisir sans que, en temps à venir, ils les puissent alléguer, ne aussy tenir, ne garder coppie ou extraict, sur paine d'encourir nostre indignation et de nos successeurs.

«Nous déclairons aussy confisqués tous et quelconques les biens, rentes, revenus, maisons, artilleries, munitions de guerre, la cloche nommée Roland et aultres choses que le corps de la ville ou les mestiers ont en publicq et commun, leur deffendant de doresenavant avoir artillerie... Et par dessus ce condamnons lesdits de nostre ville de Gand à faire amende honorable, à sçavoir que les eschevins estant à présent des deux bancqs de nostre dicte ville de Gand avecq leurs pensionnaires, clercqs et commis, trente notables bourgeois que dénommerons, le doyen des tisserans et le desservant du grand doyen, vestus de robes noires, deschaints et à teste nue, ensemble de chascun mestier six personnes et des tisserans cinquante, aussy cinquante de ceulx qui, en l'esmotion, se nommoient cresers, et iceulx cresers le hard au col et tous estans en linge, compareront par-devant nous, eulx partans de la maison eschevinale de nostre dicte ville, en dedens trois jours, à telle heure et en tel lieu que leur commanderons et en l'estat que dessus, mis à genoulx, feront dire, à haulte et intelligible voix, par l'un de leurs pensionnaires, que grandement leur desplait des dites desléaultés, désobéissances et rébellions, et prieront, en l'honneur de la passion de Nostre-Seigneur, que nous les veullons recevoir à grâce et miséricorde. Et pour réparation prouffitable, les condempnons de nous payer, par-dessus leur quote et portion de l'ayde de quatre cent mil karolus d'or, la somme de cent cinquante mil karolus d'or pour une fois, et chascun an six mil semblables karolus d'or de rente perpétuelle... Aussy les condempnons de faire remplir à leurs despens la rytgracht, et avec ce les douves et fossés, depuis la porte d'Anvers jusques à l'Escault, en dedens deulx mois prochains. Et si réservons et déclairons de faire démolir aulcunes vielles portes, tours et murailles pour les matériaux estre employés au chasteau de Saint-Bavon, et moyennant ce, leur quittons et remettons de grâce espéciale tous les susdits mésus et délicts, saulf et exceptés les réfugiés et aultres ayant délinqué depuis que sommes en ceste nostre ville et les particuliers estans encoires de présent prisonniers, la pugnition desquels réservons à nous.»

Le lendemain, une ordonnance spéciale détermina les règles de l'administration de la ville de Gand. Les formes anciennes des institutions municipales étaient conservées, mais l'intervention du prince se trouvait substituée dans les dispositions les plus essentielles à l'élection populaire. Le nombre des métiers était réduit à vingt et un. Les doyens, désormais supprimés, étaient remplacés par des supérieurs «bourgeois de la ville, non faisant aulcun mestier.» Il faut aussi remarquer l'abolition «du guet de la mi-quaresme qui se nomme «l'auwet, du voyaige et portaige de sainct Liévin à Houltem, des deux confrairies de sainct Liévin, de l'assemblée des tisserans de layne à la procession de Nostre-Dame, et de toutes assemblées quelconques avec port d'armes ou bastons invasibles.»

Ce fut ainsi que les Gantois perdirent «ce qu'ils avoient tant aymé et bien gardé par si longues années, qui estoient leurs priviléges, et avec ce toutes leurs anchiennes coustumes et usaiges, et aussy toutes autres auctorités, franchises et libertés, desquels les Gantois avoient usé en grande présomption, en n'extimant autres villes que la ville de Gand, de telle sorte qu'il leur sembloit qu'il n'y avoit prince sur la terre, tant fust grand et puissant, qui les eust sceu dompter, et meismement que le conte de Flandres povoit bien peu au pays sans eulx.»

L'acte d'amende honorable eut lieu, le 3 mai 1540, à l'hôtel de Ten Walle. «Il y avoit, entre lesdits de Gand, plusieurs qui pleuroient, car ladicte réparation se faisoit à leur fort grand regret, et principallement de ainsy avoir le hart au col, qui leur estoit dur à passer, et s'ils n'eussent esté ainsy domptés, ils ne l'eussent jamais fait pour morir.»

Le 3 mai 1382, Philippe d'Artevelde, représentant des libertés communales de Gand menacées des mêmes atteintes par Louis de Male, triomphait au Beverhoutsveld. Si les Gantois avaient réussi, en 1542, à se séparer de la faction désordonnée des creesers, comme ils secouèrent, en 1452, le joug de la dictature anarchique de Jean Willaey, on les eût vus, sans doute, aller chercher la route du Beverhoutsveld, ne dût-elle être que celle de Gavre, plutôt que de s'humilier dans une poussière qui n'était point celle du champ de bataille. Vainqueurs, ils eussent, par une révélation imprévue, forcé l'histoire à reconnaître que les temps des libertés communales du moyen-âge n'étaient point accomplis. Vaincus, ils se seraient inclinés sous une main qui, si elle ne leur était pas étrangère, était du moins digne, par sa gloire, de clore leurs destinées.

Charles-Quint quitta Gand le 19 juin 1540, après y avoir passé quatre mois. Au lieu des acclamations populaires qui avaient tant de fois retenti autour de lui, il ne recueillait à son départ que les silencieux témoignages d'une douleur profonde. La vieille cité de Jean Yoens et de Jacques d'Artevelde avait trouvé dans les ruines de sa puissance et de sa liberté cette voix désolée de la patrie qui s'adressait à Coriolan pour lui rappeler qu'il était fils de Rome, comme Charles-Quint était fils de Gand: Potuisti populari hanc terram quæ te genuit atque aluit? N'avait-elle pas entouré son berceau de prières dictées par l'allégresse la plus vive? Charles-Quint n'avait-il pas été comte de Flandre avant d'être empereur et roi? Ne l'avait-on pas entendu dire aux cardinaux, en parlant de ses concitoyens: «mes Flamands?»

Le 24 février 1500, Charles naissait au milieu d'une fête et sous l'influence favorable des astres, qui du haut des cieux saluaient sa venue; le 24 février 1515, il était inauguré à Gand; le 24 février 1525, la victoire de Pavie lui livrait le roi de France prisonnier et le rendait l'arbitre des destinées de l'Europe; le 24 février 1530, le pape Clément VII le couronnait à Bologne. Les premiers vœux de Gand, mère de Charles-Quint, ne lui tenaient-ils point lieu du sourire de la fortune?

Tout était bien changé lorsque, le 24 février 1540, les envoyés des princes protestants d'Allemagne, prêts à se confédérer contre lui, le trouvèrent, entouré lui-même de soldats allemands, dictant, dans sa propre patrie, la sentence dont il devait la frapper. Gand lui annonça ses triomphes, elle ne lui présage plus que des revers.

Le 24 février 1557, un monastère de l'Estramadure s'ouvrira devant lui comme son dernier asile, et il y cherchera en vain, comme une consolation aux soucis qu'il n'aura pu rejeter loin de lui avec la pourpre impériale, l'image fugitive de sa cité natale, jadis si fière de ses franchises séculaires, désormais triste, abattue, humiliée, prête à passer des larmes à la haine.

C'était de Gand que Charles-Quint avait poursuivi les négociations relatives à la cession des Pays-Bas au profit du duc d'Orléans en échange du Milanais, du Piémont et de la Savoie, que lui aurait faite le roi de France; mais elles amenèrent peu de résultats. D'une part, Charles-Quint exigeait que l'abandon du Milanais fût définitif et celui des Pays-Bas subordonné au mariage du duc d'Orléans avec une de ses filles, avec droit de réversion à défaut de postérité à naître de ce mariage. D'autre part, François Ier rappelait ses prétentions de suzeraineté sur la Flandre, et bientôt le connétable termina ces pourparlers par un refus formel adressé aux ambassadeurs français qui avaient suivi Charles-Quint à Gand. L'ambition de la dauphine, fille de Laurent de Médicis, avait puissamment contribué à faire rejeter ces négociations, trop favorables à un prince puîné de la maison royale de France.

Il semble que tous les projets que forme Charles-Quint, depuis la confiscation des priviléges de Gand, soient condamnés à de stériles résultats. Il se rend en Allemagne sans réussir à y calmer les dissensions religieuses, et, lorsqu'il tente une seconde expédition en Afrique, il n'y trouve plus que des revers.

Charles-Quint n'avait pas même atteint en Flandre le but qu'il se proposait: la soumission complète des Gantois. Dès 1541, le comte de Rœulx se plaignait des discours séditieux qui se tenaient à Gand. En 1542, on y découvrit une conspiration dirigée par Guillaume Goethals et d'autres bannis, qui s'étaient réfugiés dans le pays de Clèves. Dix ans plus tard, le duc de Florence avertissait Charles-Quint que le roi de France avait des intelligences à Gand et à Bruges.

En 1542, le dauphin s'empara du comté de Luxembourg, tandis que le duc de Gueldre confiait à Martin de Rossem le commandement d'une armée qui menaça Anvers, où vinrent s'enfermer à la hâte douze cents paysans du pays de Waes. Une autre armée française s'avança rapidement jusqu'aux portes de Mons et de Valenciennes en ravageant les campagnes, d'où les laboureurs n'avaient pu fuir, parce qu'ils n'avaient point prévu la guerre.

Cependant Charles-Quint réunissait de nombreux hommes d'armes en Allemagne. Réduit à la fois à tolérer les insurrections des protestants et à accepter l'alliance de Henri VIII, qui avait accablé sa famille d'outrages, il se hâtait de marcher à des victoires placées à un tel prix: déjà le duc de Clèves avait été forcé de se soumettre, et bientôt l'Empereur suivi de 14,000 Allemands, de 9,000 Espagnols ou Italiens, de 6,000 Wallons, de 10,000 Anglais, de 12,000 Flamands et de 13,000 cavaliers de diverses nations, vint mettre le siége devant la ville de Landrecies, que les Français avaient fortifiée avec soin. L'artillerie de l'Empereur était formidable. Elle tarda peu à faire une large brèche dans les remparts; néanmoins, afin d'éviter toute effusion inutile de sang, aucun assaut ne fut tenté. On savait que la garnison manquait de vivres et que la famine y faisait de nombreux ravages (premiers jours de novembre 1543). François Ier, après avoir reculé d'abord devant Charles-Quint, avait rassemblé à Saint-Quentin une nouvelle armée qui campait à Cambray. Il s'avança même jusqu'à Châtillon, et l'Empereur, croyant qu'il cherchait une bataille décisive, passa la Sambre avec toute son armée pour le rejoindre. Il s'aperçut trop tard que le mouvement des Français n'était qu'une ruse. Un convoi important, commandé par le comte de Saint-Pol et Claude d'Annebaut, avait profité de l'éloignement des Impériaux pour s'introduire dans Landrecies, et tandis que Charles-Quint recevait de nouveaux renforts de Saxe et du pays de Clèves, l'armée française se retira pendant la nuit dans la forêt de Guise.

L'approche de l'hiver termina la campagne de 1543. Lorsque la guerre recommença au printemps, les Français étaient victorieux en Italie. Les chances de la guerre ne changèrent que lorsque l'Empereur parut lui-même à la tête de ses armées des Pays-Bas. Au même moment le roi d'Angleterre abordait en France, mais au lieu de suivre Charles-Quint en Champagne, il s'arrêta à Marquion, pour assiéger Boulogne.

Charles-Quint, réduit à ses propres forces, n'en continuait pas moins sa marche victorieuse. Il ne s'arrêta qu'à deux journées de Paris, pour conclure une paix qui reproduisait, comme les traités de Madrid et de Cambray, la pensée constante de l'Empereur, qui ne voyait en lui que le chef de la grande confédération de tous les princes chrétiens. Le roi de France s'engageait à placer sous ses ordres un corps de troupes toutes les fois que la guerre sainte serait proclamée contre les infidèles.

Les autres articles du traité de Crespy se rapportaient à l'accomplissement d'un projet que François Ier avait repoussé en 1540. Charles-Quint promit au duc d'Orléans ou sa fille Marie ou l'une de ses nièces. La première eût reçu pour dot les Pays-Bas, la Bourgogne et le comté de Charolais; la seconde, le Milanais, qui n'en serait pas moins resté soumis à l'investiture impériale. Le duc d'Orléans devait lui-même obtenir pour apanage les duchés d'Orléans, de Bourbon et de Châtellerault, et le comté d'Angoulême. Le roi de France s'engageait de plus à restituer la Savoie et renonçait à toutes prétentions de suzeraineté sur la Flandre et sur l'Artois.

Pendant l'audacieuse expédition de l'Empereur, les Anglais poursuivaient le siége de Boulogne. Ils avaient appelé de Flandre un renfort de cinq cents hommes commandés par le capitaine Taphoorn et cent artilleurs espagnols. Boulogne capitula le 14 septembre, et peu de jours après Henri VIII s'embarqua précipitamment, n'y laissant qu'une garnison pour repousser les attaques des Français.

Charles-Quint ne s'était pas éloigné des Pays-Bas. Il reconnut le zèle qu'avait montré la Flandre à l'aider de ses milices et de ses subsides, par une déclaration ainsi conçue:

«Charles, par la divine clémence, empereur des Romains, toujours auguste, roy de Germanie, de Castille, de Léon, de Grenade, d'Arragon, de Navarre, de Naples, de Sicile, de Mayorque, de Sardaigne, des isles et terre ferme de la mer Océane, dominateur en Asie et en Afrique:

«Veuillans user de bonne foy envers les estats et membres de Flandres, déclairons que nostre intention n'a esté, comme encoires n'est, ne changer ou altérer la manière d'accorder aydes en nostre dict pays de Flandres, ains que l'accord et levée desdits deux dixiesmes est et sera sans préjudice de leurs priviléges et coutumes, et ne pourra cy-après estre tiré en conséquence par nous, nos hoirs et successeurs comtes et comtesses de Flandres.

«Donné en nostre ville de Gand, le 10 décembre 1544.»

Charles-Quint pressait l'exécution du traité de Crespy, lorsqu'on apprit tout à coup que le duc d'Orléans était mort subitement, le 8 septembre 1545, à l'abbaye de Farmoutier, près d'Abbeville. On assurait que la peste l'avait emporté; cependant la voix populaire continuait à accuser d'un nouveau crime la femme du dauphin, Catherine de Médicis. Les princes protestants furent vaincus à Muhlberg: l'un d'eux, le landgrave de Hesse, reçut pour prison la forteresse d'Audenarde, mais leur parti ne tarda point à se relever. Les guerres intérieures et étrangères se perpétuaient sans qu'il fût permis d'espérer la paix, si nécessaire aux intérêts et aux besoins de l'Europe. Le trésor de Charles-Quint était épuisé; les vétérans de ses armées (perte irréparable) disparaissaient chaque jour, et avec eux les illustres capitaines qui leur avaient appris à vaincre: leurs glorieux débris, épars sur les champs de bataille, rappelaient ces monuments funèbres placés par les anciens au bord des routes que suivaient les triomphateurs.

Si parmi eux il en était quelques-uns à qui il fût donné de finir, à l'ombre du foyer domestique, une vie abrégée par les fatigues, leur mort même empruntait aux souvenirs de leurs exploits un caractère héroïque et belliqueux qui commandait l'admiration.

L'antiquité ne nous a rien laissé de plus beau que ce récit de Brantôme:

«Les Flamans et Bourguignons ont fort estimé leur M. de Bure [1] et tenu pour bon capitaine. Ce comte de Bure mourut à Bruxelles et fit la plus belle mort de laquelle on ouyt jamais parler au monde. Ce chevalier de la Toison d'or tomba soudainement malade au lict, de quelque effort qu'il eust faict en avallant ces grands verres de vin à la mode du pays, carrousant à outrance, fust que les parties de son corps fussent vitiées ou autrement. André Vesalius, médecin de l'empereur Charles, l'alla incontinent visiter et luy dict franchement, après luy avoir tasté le pouls, que dans cinq ou six heures, pour le plus tard, il lui falloit mourir, si les règles de son art ne falloient en luy, par quoy luy conseilla, en amy juré qu'il luy estoit, de penser à ses affaires: ce qui advint comme le médecin l'avoit prédict. Tellement que Vesalius fut cause que le comte fit la plus belle mort de laquelle on ayt jamais ouy parler depuis que les roys portent couronnes; car le comte, sans s'estonner aucunement, fit appeller les deux plus grands amis qu'il eust, à sçavoir l'évesque d'Arras, despuis cardinal de Granvelle, qu'il appelloit son frère d'alliance, ensemble le comte d'Aremberg, son frère d'armes, pour leur dire adieu. En ces cinq ou six heures, il fit son testament, il se confessa et receut le Saint Sacrement. Puis, se voulant lever, fit apporter les plus riches, les plus beaux et les plus somptueux habits qu'il eust, lesquels il vestit; se fit armer de pied en cap des plus belles et riches armes qu'il eust, jusques aux esperons; chargea son collier et son grand manteau de l'ordre, avec un riche bonnet à la polacre, qu'il portoit en teste pour l'aymer plus que toute autre sorte de chapeau, l'espée au costé; et ainsy superbement vestu et armé, se fit porter dans une chaire en la salle de son hostel, où il y avoit plusieurs couronnels de lansquenets, gentilshommes, capitaines et seigneurs flamans et espagnols, qui le vouloient voir avant mourir, parce que le bruit vola par toute la ville que, dans si peu de temps, il devoit estre corps sans âme. Porté en sa salle, assis en sa chaire, et devant luy sa salade enrichie de ses panaches et plumes, avec les gantelets, il pria ses deux frères d'alliance de vouloir faire appeler tous ses capitaines et officiers, qu'il vouloit voir pour leur dire adieu à tous, les uns après les autres: ce qui fut faict. Vindrent maistres d'hostel, pages, valets de chambre, gentilshommes servans, pallefreniers, lacquais, portiers, sommeliers, muletiers et tous autres, auxquels à tous (plorans et se jettans à ses genoux) il parla humainement, recommandant ores cestuy-cy, ores cestuy-là, à M. d'Arras, pour les récompenser selon leurs mérites, donnant à l'un un cheval, à l'autre un mullet, à l'autre un lévrier ou un accoustrement complet des siens, jusques à un pauvre fauconnier, chassieux, bossu, mal vestu, qui ne sçavoit approcher de son maistre pour luy dire adieu, comme les autres de la maison avoient faict, pour estre mal en ordre, fut aperçeu par le comte, dernier les autres, plorer chaudement le trespas de son bon maistre et fut appelé pour venir à luy: ce que fit le faulconnier, lequel son maistre consola; et si l'interrogea particulièrement comme se portoient tels et tels oiseaux qu'il nourrissoit, puis, tournant sa face vers l'évesque d'Arras, luy dict: Mon frère, je vous recommande ce mien fauconnier; je vous prie de mettre sur mon testament que j'entends qu'il ayt sa vie en ma maison tant qu'il vivra. Hélas! le petit bonhomme m'a bien servy, comme aussy il avoit faict service à feu mon père, et a esté mal récompensé. Tous les assistans, voyans un si familier devis d'un si grand seigneur à un si petit malotru, se mirent à plorer de compassion. Puis, ayant dict adieu à tous ses officiers et serviteurs et leur avoir touché en la main, il demanda à boire en ce godet riche où il faisoit ses grands carroux avec les couronnels quand il estoit en ses bonnes; et de faict voulut boire à la santé de l'Empereur son maistre. Fit lors une belle harangue de sa vie et des honneurs qu'il avoit receus de son maistre, rendit le collier de la toison au comte d'Aremberg pour le rendre à l'Empereur, beut le vin de l'estrier et de la mort, soutenu soubs les bras par deux gentilshommes, remercia fort l'Empereur, disant, entre autres choses, qu'il n'avoit jamais voulu boire en la bouteille des princes protestans, ny volter face à son maistre, comme de ce faire il en avoit esté fort sollicité; et plusieurs autres belles parolles, dignes d'éternelle mémoire, furent dictes et proférées par ce bon et brave capitaine. Finalement, sentant qu'il s'en alloit, il se hasta de dire adieu à l'évesque d'Arras et au comte d'Aremberg, les remerciant du vray office d'amy que tous deux luy avoient faict à l'article de la mort, pour l'avoir assisté en ceste dernière catastrophe de sa vie. Il dict adieu de mesme à tous ces braves capitaines et gentilshommes qui là estoient. Puis, tournant la teste, apercevant M. Vesalius, l'embrassa et le remercia de son advertissement. Finalement, dict: Portez-moi sur le lict, où il ne fut pas plus tost posé, qu'il mourut entre les bras de ceux qui le couchoient. Ainsy, superbement vestu et armé, mourut ce grand cavalier flamand: mort de grand capitaine qui, certes, mérite d'estre posée à la veue des princes, roys et gouverneurs de province, pour leur servir de patron de bravement et royallement mourir.»

La Flandre pendant des trois derniers siècles

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