Читать книгу Contes qui finissent bien - Josephine Colomb - Страница 3
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Il était une fois, il y a très longtemps, une fée dont le nom était un peu long, parce qu’il contenait l’explication de tout son caractère. On l’appelait la fée Bienintentionnée, et le fait est qu’elle n’avait jamais eu une mauvaise intention de sa vie. Mais pour faire le bien il ne suffit pas d’avoir de bonnes intentions, il faut encore avoir du jugement, et la pauvre fée n’en avait guère. Elle finit par faire tant de sottises que la reine des fées se décida à lui retirer sa baguette.
Elle la manda donc devant son tribunal, où elle était assistée des fées les plus célèbres: la fée des Lilas, Angélina, la fée des Fleurs, les marraines de Cendrillon, de Gracieuse, et même la fée Soussis et la fée Carabosse. Et là, étendant sa baguette vers la pauvre Bienintentionnée toute tremblante, elle lui dit:
«Bienintentionnée, ma fille, je vais être obligée, à mon grand regret, de vous mettre pour cent ans en pénitence....
— Oh! Madame la Reine, grâce! s’écria la bonne Angélina. C’est si long, cent ans de pénitence! Je le sais, moi qui ai été cent ans petite souris blanche!
«ACCUSÉE, QU’AVEZ-VOUS A DIRE POUR VOTRE DÉFENSE?»
— Moi, je lui ferais bien grâce, marmotta la fée Carabosse: elle travaille pour moi la moitié du temps.
— Vous, ma sœur, reprit la reine, c’est votre métier de faire du mal; mais elle en fait sans le vouloir, et c’est en quoi elle est fautive. Voyons, accusée, qu’avez-vous à dire pour votre défense?
— Hélas, Madame la Reine, je n’ai jamais que de bonnes intentions....
— Oui, et vous ouvrez la cage d’un lion, parce qu’il est malheureux en prison: le lion sort, croque une demi-douzaine de personnes et en fait mourir autant de peur. Croyez-vous qu’il n’aurait pas mieux valu le laisser en cage?»
Bienintentionnée baissa tristement la tête.
LE LION SORT ET CROQUE UNE DOUZAINE DE PERSONNES.
«Et ce brave pêcheur qui gouvernait si bien sa barque? Parce qu’il a eu la sotte vanité de souhaiter un grand navire, vous avez changé sa barque en un brick dont vous l’avez fait capitaine... et trois mois après, il était perdu corps et biens!... Et la jolie Toinon, qui rêvait de quitter e village et d’aller à la Cour, et dont vous avez fait une duchesse sans vous demander si c’était pour son bonheur? Elle a eu tant d’ennuis et de chagrins qu’elle en est morte, la pauvre enfant! Et Babette, la fille du tabellion? Elle était habituée à sa laideur, et les autres aussi; on l’aimait comme cela, et elle était douce, aimable, spirituelle, modeste, le trésor de la maison. D’un coup de baguette vous l’avez rendue belle comme le jour, et ce n’est plus qu’une coquette prétentieuse qui ne se sert de ses dix doigts que pour se parer.... Vous avez encore fait là un joli coup!
— Je n’avais pas réfléchi,... balbutia la pauvre fée.
— Eh bien, en cent ans vous aurez le temps de réfléchir.... Par la vertu de ma petite baguette....
— Oh non! grâce! dirent ensemble les bonnes fées. Laissez-lui encore un peu de temps.... Elle réfléchira désormais.
— Allons, je veux bien encore attendre. Bienintentionnée, je t’ajourne à un an. Dans un an tu seras condamnée à un siècle de pénitence, à moins que tu n’aies, une seule fois — tu vois que je ne te demande pas grand’chose — fait un bien utile à une personne qui le mérite et à qui tes dons ne nuisent pas. Tes sottises, car tu en feras, ne compteront pas. Va et tâche de ne plus agir sans réflexion.»
II
Il y avait au pays de Normandie une ferme qu’on appelait la ferme du Grand-Jars. Cela venait de ce que, bien longtemps auparavant, on y avait possédé le jars le plus beau et le plus grand du pays. Les jars sont, tout le monde sait cela, les maris des oies, comme les coqs sont les maris des poules. Le grand jars était mort depuis des années, mais il avait laissé son nom à la ferme, où l’on élevait toujours beaucoup d’oies.
Les fermiers du Grand-Jars, Gilbert et Gilberte, étaient de braves gens très charitables. Un soir de printemps, une pauvre femme qui portait un enfant dans ses bras, vint tomber à leur porte, malade et n’ayant plus la force de parler. Ils la recueillirent, la couchèrent dans un bon lit et la soignèrent de leur mieux; mais ils ne purent l’empêcher de mourir dans la nuit sans avoir pu dire qui elle était.
Les fermiers adoptèrent l’enfant, qui était une petite fille; et, ne sachant point son nom, ils l’appelèrent Fleur-de-Pommier, parce que la première fleur de leurs pommiers s’épanouit le jour de son arrivée. Elle grandit, douce, gaie et jolie à ravir. Toute petite, elle montrait une âme de bonne ménagère, mettant ses joujoux en ordre dès qu’elle ne s’en servait plus, et cherchant toujours à faire quelque chose d’utile. Dès qu’elle fut assez grande pour surveiller les oies, la fermière lui mit une baguette à la main, et l’envoya les faire paître dans un grand pré d’où l’on voyait la maison. Comme cela, tout en soignant son ménage, elle pouvait voir Fleur-de-Pommier, et aller à son secours s’il fût passé par là quelque méchante personne ou quelque mauvaise bête qui eût voulu lui faire du mal.
UNE PAUVRE FEMME VINT TOMBER A LEUR PORTE.
Fleur-de-Pommier avait un petit cœur très tendre; elle aimait le fermier et la fermière, qui l’avaient élevée; et elle aimait aussi ses oies, qui la connaissaient et qui s’empressaient autour d’elle dès qu’elle paraissait avec sa baguette. Comme les journées sont longues, Fleur-de-Pommier, pour ne pas s’ennuyer, tenait à ses oies toutes sortes de discours, et elle était convaincue que ses oies la comprenaient: si elles ne lui répondaient pas, c’était faute de savoir parler.
Sa voix attira un jour l’attention de la pauvre Bienintentionnée, qui marchait les yeux baissés en laissant échapper de gros soupirs. Elle était au dernier jour de son année d’épreuve, et elle n’avait point encore rempli les conditions imposées par la reine des fées. Allait-elle donc passer cent ans en pénitence! Elle avait voulu protéger un jeune roi, très juste et très bon, et elle avait rendu ses voisins si jaloux qu’ils lui avaient déclaré la guerre: beaucoup de pauvres soldats étaient morts par sa faute, en dépit de ses bonnes intentions. Pour consoler une pauvre mère qui lui faisait pitié, elle l’avait aidée à cacher les fautes de son fils et à lui épargner le châtiment, et le fils était devenu un mauvais sujet, dont sa mère elle-même avait honte. Elle venait de donner une si belle poupée à une petite fille pauvre, que la petite fille ne pouvait plus souffrir ses simples vêtements et pleurait de n’être pas mise comme sa poupée. Du petit au grand, elle ne faisait que des sottises, la pauvre Bienintentionnée.
LA FERMIÈRE L’ENVOYA FAIRE PAÎTRE LES OIES.
Elle se mit donc à écouter Fleur-de-Pommier qui causait avec ses oies; elle faisait les demandes et les réponses, et elle se passait de réponses au besoin.
«Là là, mes jolies, mes mignonnes, ne vous bousculez pas; il y a de l’herbe pour tout le monde.... Hé ! la Grise, veux-tu bien laisser ce serpolet à Blanchette! Elle y était avant toi.... Daudine, ne dérange pas la grande blanche, elle apprend à manger à ses enfants. Oh! la bonne mère! la belle couveuse! dix fois celle-ci.... Mangez mes belles,... nous n’en aurons pas toujours, vous de l’herbe et moi du pain.... Tu ne sais pas, toi, mon vieux jars, qu’il y a des méchants qui veulent nous chasser d’ici, parce que nous n’avons pas d’argent à leur donner.... Ah! si j’en avais, moi, de l’argent! mais les petites filles n’en ont point....»
BIEN INTENTIONNÉE MARCHAIT LES YEUX BAISSÉS.
Bienintentionnée jugea le moment bon pour intervenir, et elle se montra à Fleur-de-Pommier.
Fleur-de-Pommier fut éblouie de sa beauté, mais elle n’eut pas peur et comprit tout de suite à-qui elle avait à faire. Dans ce temps-là, on parlait très souvent des fées, de sorte que les petites filles pouvaient les reconnaître sans en avoir jamais vu.
«Bonjour, madame la fée! dit Fleur-de-Pommier en faisant une belle révérence.
— Bonjour, petite. Tu me plais, et j’ai envie de te faire du bien. Veux-tu devenir comtesse, comme la dame du château que l’on voit là-bas?
— Oh non! madame la fée! Je ne veux pas quitter le bon fermier et la bonne fermière qui m’ont élevée.
— Mais ils seraient comte et comtesse, et tu ne les quitterais pas.»
Fleur-de-Pommier réfléchit un instant.
«Non,... ils ne sauraient pas ce métier-là.... J’y ai été, moi, au château: la petite comtesse m’avait fait venir pour l’amuser.... Ils ont des manières de parler, de remuer, de marcher qui ne sont pas comme les nôtres: cela doit être bien ennuyeux!»
«Je crois que j’allais encore faire une sottise! se dit tout bas Bienintentionnée, et cette petite fille ferait une meilleure fée que moi.»
«Si vous vouliez..., reprit timidement Fleur-de-Pommier.
— Oui, je veux bien: demande-moi ce que tu désires.
— Voilà : on va nous renvoyer parce que le maître est mort, et qu’on vend ses biens pour partager l’argent entre ses enfants. Papa Gilbert expliquait cela à maman Gilberte, et il disait: «Qui sait quels maîtres
«nous allons avoir à présent! Si j’avais de l’argent,
« j’achèterais la ferme, et nous serions si heureux,
« avec Fleur-de-Pommier qui ferait une si
«bonne petite fermière!»
Bienintentionnée éleva sa baguette et traça trois cercles en l’air.
«Rentre tes oies, ma fille, et va demander à Gilberte les vêtements que tu portais quand tu es arrivée ici. Tu y trouveras ce qu’on n’y a jamais trouvé. »
Elle disparut, et Fleur-de-Pommier se hâta de rentrer ses oies. On obéissait toujours aux fées: on savait qu’elles ne trompaient jamais.
«BONJOUR, MADAME LA FÉE.»
Gilberte pourtant secoua la tête; elle avait bien savonné et plié les pauvres petits vêtements de Fleur-de-Pommier, et elle savait bien qu’il ne s’y trouvait rien. Cependant elle atteignit le petit paquet et le tendit à Fleur-de-Pommier.
«Oh! comme il est lourd, maman Gilberte!» s’écria l’enfant; et elle le déposa sur la table, où il rendit un son de métal. Elle le défit: il était plein de pièces d’or et d’argent qui se mirent à rouler de tous les côtés. On appela le fermier pour en faire le compte.
«IL Y A DE QUOI ACHETER LA FERME.»
«Il y de quoi acheter la ferme et remplacer les outils usés! dit-il tout joyeux. C’est toi qui seras la maîtresse, Fleur-de-Pommier; la bonne petite maîtresse que nous aurons là !
— Je suis votre petite fille, et la ferme est à nous trois!» dit l’enfant en serrant dans ses bras caressants le fermier et la fermière.
III
Cette nuit-là, Bienintentionnée comparut devant le Conseil des fées. Mais la reine n’avait plus son air sévère, et toutes les fées lui firent fête. Il n’y avait que la fée Carabosse qui grognait dans un coin en compagnie de la fée Soussis et de quelques autres maussades personnes; mais c’était dans leurs habitudes, et l’on ne s’en étonna pas.
La ferme du Grand-Jars continua de prospérer, et Fleur-de-Pommier, quoiqu’elle en fût devenue la mai-tresse, y garda ses oies comme si de rien n’était. Pourquoi pas? Elle les aimait, ses oies; et puis elle était encore trop petite pour faire beaucoup d’ouvrage dans la maison, et elle n’avait pas de goût pour la fainéantise. Elle conserva une grande reconnaissance à la bonne fée qui l’avait faite propriétaire; mais elle aurait été bien étonnée si on lui eût dit que la fée lui devait encore bien plus de reconnaissance. C’était pourtant la vérité.