Читать книгу Hier et demain - Jules Verne - Страница 13
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ОглавлениеQuel superbe sphinx, infiniment plus beau que ces sphinx d’Égype, si célèbres pourtant! Celui-là s’appelait le sphinx de Romiradour, et c’était la huitième merveille de l’univers.
La famille Raton venait d’arriver à la lisière d’une vaste plaine, entourée de forêts épaisses, que dominait en arrière une chaîne de montagnes revêtues de neiges éternelles.
Au milieu de cette plaine, figurez-vous un animal taillé dans le marbre. Il est couché sur l’herbe, la face droite, les pattes de devant croisées l’une sur l’autre, le corps allongé comme une colline. Il mesure au moins cinq cents pieds de longueur sur cent de large, et sa tête s’élève à quatre-vingts pieds au-dessus du sol.
Ce sphinx a bien l’air indéchiffrable qui distingue ses confrères. Jamais il n’a livré le secret qu’il garde depuis des milliers de siècles. Et cependant son vaste cerveau est ouvert à quiconque veut le visiter. On y pénètre par une porte ménagée entre les pattes. Des escaliers intérieurs donnent accès à ses yeux, à ses oreilles, à son nez, à sa bouche, et jusque dans cette forêt de cheveux qui hérisse son crâne.
Au surplus, pour bien vous rendre compte de l’énormité de ce monstre, sachez que dix personnes tiendraient à l’aise dans l’orbite de ses yeux, trente dans le pavillon de ses oreilles, quarante entre les cartillages de son nez, soixante dans sa bouche, où l’on pourrait donner un bal, et une centaine dans sa chevelure touffue comme une forêt d’Amérique. Aussi, de partout vient-on, non pas le consulter, puisqu’il ne veut rien répondre, de peur de se tromper, mais le visiter comme on fait de la statue de saint-Charles, dans une des îles du lac Majeur.
On me permettra, mes chers enfants, de ne pas insister davantage sur la description de cette merveille qui fait honneur au génie de l’homme. Ni les pyramides d’Égypte, ni les jardins suspendus de Babylone, ni le colosse de Rhodes, ni le phare d’Alexandrie, ni la tour Eiffel, ne peuvent lui être comparés. Lorsque les géographes seront enfin fixés sur le pays où se trouve le grand sphinx de Romiradour, je compte bien que vous irez lui rendre visite pendant vos vacances.
Mais Gardafour le connaissait, lui, et c’est là qu’il conduisait la famille Raton. En lui disant qu’il y avait grand concours de populaire dans le pays, il l’avait indignement trompée. Voilà qui allait singulièrement contrarier le paon et la perruche! Du superbe sphinx ils ne se souciaient guère.
Comme vous le pensez, il y avait eu un plan arrêté entre l’enchanteur et le prince Kissador. Aussi le prince était-il là, sur la lisière d’une forêt voisine, avec une centaine de ses gardes. Dès que la famille Raton aurait pénétré dans le sphinx, on l’y prendrait comme en une ratière. Si cent hommes ne parvenaient pas à s’emparer de cinq oiseaux, d’un rat et d’un jeune amoureux, c’est que ceux-ci seraient protégés par quelque puissance surnaturelle.
En les attendant, le prince allait et venait. Il donnait les signes de la plus vive impatience. Avoir été vaincu dans ses entreprises contre la belle Ratine! Ah! quelle vengeance il eût tiré de cette famille si Gardafour avait recouvré son pouvoir! Mais l’enchanteur était encore réduit à l’impuissance pour quelques semaines.
Enfin, cette fois, toutes les mesures avaient été si bien prises, que vraisemblablement, ni Ratine, ni les siens n’échapperaient aux machinations de leur persécuteur.
En ce moment, Gardafour se montra en tête de la petite caravane, et le prince, entouré de ses gardes, se tint prêt à intervenir.