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CHAPITRE Ier

Table des matières

CARACTÈRE DE LA GRAVURE A L’EAU-FORTE

Sur une planche de cuivre rouge parfaitement aplanie, et recouverte d’une mince couche de vernis, le graveur à l’eau-forte trace, à l’aide d’une pointe sur ce vernis, un dessin formé par une série de traits creux qui découvrent le métal, puis il soumet la planche, soit par immersion, soit par couverture, à l’action de l’eau-forte ou acide nitrique. L’acide, pénétrant dans les sillons tracés par la pointe sur le vernis, ronge le cuivre et forme ainsi une gravure en creux dont on obtient l’image renversée par une impression dite de taille douce.

Tel est le principe rudimentaire de l’opération pratique de la gravure à l’eau-forte. Mais on conçoit aisément qu’une gravure ainsi obtenue, et la pointe ayant enlevé la couche de vernis d’une façon régulière, sans entamer le métal, présenterait une image plate et sans relief, l’acide donnant une morsure égale partout, à l’instar des nielles et gravures d’armurerie, si l’artiste ne prenait soin de multiplier les morsures en modifiant la force de l’acide, et en recouvrant à nouveau d’un vernis certaines parties suffisamment atteintes, afin d’obtenir différentes profondeurs qui lui donneront, à l’épreuve, l’effet et le relief.

On voit, par ce que nous venons de dire, combien les opérations matérielles de cet art sont simples et laissent peu de place au métier proprement dit, lequel s’apprend très vite, de telle sorte que le travail du graveur à l’eau-forte est, avant tout, un ouvrage de l’esprit où l’artiste peut atteindre le premier rang, où l’amateur, si modeste qu’il soit, fait œuvre d’art, quelque imparfaite qu’elle puisse paraître au début.

Puis, n’est-ce pas un grand charme, pour l’amateur aussi bien que pour l’artiste, de pouvoir communiquer à tous sa pensée traduite en une œuvre qu’il peut répandre à profusion sans qu’elle cesse d’être l’œuvre originale? C’est là un résultat que seule la gravure peut donner, car en tous les autres arts, la reproduction est imparfaite ou sans valeur.

Mais pour entreprendre l’eau-forte, deux choses sont essentielles: être artiste, savoir dessiner. Qu’est-ce donc qu’être artiste? C’est sentir vivement les impressions de la nature, c’est éprouver le besoin de créer ou d’interpréter en un art quelconque, mais différent, et qui devient ainsi personnel, l’œuvre d’un maître; être artiste, c’est ressentir l’émotion d’une façon si vive qu’elle ait pu échapper aux autres hommes avant qu’on la leur ait communiquée: et ce sont bien là les qualités requises de qui veut se livrer à la gravure à l’eau-forte. Aussi l’a-t-on nommée gravure des peintres, pour bien exprimer que, comme en peinture, l’artiste y imprime son cachet et sa personnalité, alors que l’art du graveur au burin fait, pour ainsi dire, abnégation de lui-même pour se plier aux exigences du rendu de l’œuvre qu’il interprète.

Sans vouloir entrer ici dans aucun détail sur la gravure au burin, disons cependant qu’enserrée dans les traditions où les maîtres l’ont confinée, y ayant atteint la perfection, elle ne peut entrer en lutte avec la gravure à l’eau-forte, à moins de se mêler à elle en lui faisant des emprunts considérables, et ne peut, par conséquent, que bien rarement nous faire aimer l’artiste à travers son œuvre.

Soyez donc artiste, dirons-nous à l’amateur, comme Corot avait coutume de dire: «Soyez sincère.» Mais, me direz-vous, on naît artiste, on ne le devient point! Erreur, grande erreur! Tout est relatif et l’on peut devenir artiste par une étude intelligente et raisonnée de la nature et des maîtres; et, à moins que vous ne soyez absolument rebelle aux choses d’art, ce n’est point le cas puisque vous ouvrez ce livre, j’affirme que votre première préoccupation, avant d’acheter un cuivre et de placer devant votre fenêtre le châssis de l’aquafortiste, devra être une étude sérieuse et raisonnée de l’esthétique du graveur à l’eau-forte.

Par l’étude des maîtres et de la nature, que vous traduirez en simples croquis au crayon ou à la plume, par des notes manuscrites au besoin, vous exprimerez l’impression ressentie, l’esprit de la forme plus que la forme elle-même, que vous devez posséder et rendre au premier coup, grâce aux études antérieures de dessin.

On l’a dit avec raison, l’eau-forte est essentiellement improvisatrice: aussi l’artiste doit-il y acquérir une sûreté de main qui lui permette de rendre sa pensée sans hésitation ni repentir, en ce qui concerne la direction de sa pointe, une prescience, un coup d’œil sûr à suivre le travail de la morsure, à en calculer tous les effets. Cette expérience est longue à acquérir, sans doute, mais le commençant ne doit point se rebuter, tant le résultat final lui donne de compensation, ajoutant sans cesse au charme de la vie par la production d’œuvres qui demeurent après nous et passent de main en main, répandant ainsi, comme le livre, les efforts de notre imagination.

Donc, vos études commenceront par quelques semaines passées dans nos musées et nos bibliothèques, où vous observerez plus particulièrement les maîtres de la Hollande, à la touche fine et spirituelle, dont le génie a su tirer de la nature des scènes ou des expressions inattendues, soit dans le paysage, avec Hobbéma, Ruysdaël, Wynants, Van de Velde, Canaletti, Claude Lorrain et notre immortel Corot; soit dans la peinture de genre, avec Ostade et Teniers, Jean Steen et tant d’autres; soit enfin dans le portrait, avec Rembrandt, Rubens, Van Dyck, Tiepolo, Franz Hais et Van der Helst. Vous y apprendrez tout d’abord à reconnaître le génie de conception de ces maîtres inimitables, et lorsqu’ensuite vous étudierez leurs interprètes à l’eau-forte, ou leurs propres œuvres en cet art, comme chez Rembrandt et Tiepolo, vous apprécierez combien la pensée préside à l’exécution et guide la main de l’aquafortiste, comme elle est sœur de celle du peintre, et vous vous rendrez un compte exact de cette définition que nous donnions plus haut: l’eau-forte est la gravure des peintres.

Pour les mêmes motifs, vous devez rechercher en l’un et l’autre art, dans les œuvres de l’italien Canaletti et de notre Claude Lorrain, dans celles de P. Potter et de Callot, le génie propre de chacun d’eux.

UN COIN DE VENISE.

Reproduction dune eau-forte originale du Maître.


Vous reconnaîtrez en ces observations combien l’esthétique du graveur à l’eau-forte est spéciale, libre, indépendante. Ici nulle contrainte, nulle attache au beau classique et reconnu, l’idéal est individuel, et, plus qu’en tout autre art, c’est le génie du maître que nous aimons dans son œuvre, quelque sujet qu’il lui plaise d’aborder, que ce sujet soit pris dans le rêve d’une légende religieuse ou qu’il nous montre une scène réaliste prise en un faubourg de Harlem, c’est toujours sa finesse d’observation, sa puissance d’effet et de rendu à l’aide de ce trait de pointe d’autant plus énergique qu’il sera simple et juste, et qu’il laissera au spectateur sa part d’interprétation personnelle dans une œuvre où tout cependant lui est indiqué, mais par des traits qui semblent indéfinis.

Ce qu’il y a de merveilleux dans l’eau-forte, c’est cette conception primesautière qui enserre en si peu de traits, j’allais dire en si peu de mots, une pensée vibrante et forte, fermement et largement exprimée, qui laisse un vaste champ aux rêveries du spectateur, ainsi qu’un monument dont on ne nous montrerait que les grandes lignes, un tableau dont nous aurions l’esquisse sous les yeux et que nous nous plaisons à habiller nous-mêmes de toutes les perfections qui n’y paraissent qu’indiquées.

Que dire des graveurs du XVIIIe siècle dont la pointe a si bien rendu l’esprit du temps et dont la finesse d’observation est traduite par la finesse même du trait, et qui ont poussé si loin les procédés de la gravure à l’eau-forte, qu’ils l’ont adaptée même à la reproduction de ces pièces en couleur si rares et si recherchées aujourd’hui!

«Parler des desssins de G. de Saint-Aubin, dit de Goncourt, c’est faire l’éloge de la moitié de son talent, aussi faut-il parler de ses eaux-fortes, de ces planches charmeresses qui font du petit maître du XVIIIe siècle le seul, l’unique aquafortiste français.

«Ce que nous avons dit de ses dessins dit assez que le dessinateur était né pour l’eau-forte. L’eau-forte est l’œuvre du démon et de la retouche. Le primesaut, le premier coup, la vivacité, le diable au corps de la verve et de la main, il faut avoir toutes ces grâces, être plein du Dieu..... et de patience. Gabriel était l’homme de ce procédé libre, courant, volant, rempli de caprice et d’imprévu, avec sa cuisine empoignante, avec ses mystères de chimie, avec les surprises ou les déceptions de la morsure, avec les dégoûts et les reprises de goût pour une planche qu’on jette et qu’on reprend dix fois. Il se jeta au cuivre, et se trouva aussitôt une pointe à lui, allante et venante, et toute fourmillante d’amusants travaux, brouillée parfois, mais se retrouvant toujours et presque insolente de furia et de brio dans des égratignures fines comme des cheveux, douces comme des rayures de pointes sèches et, toute menue même qu’elle est, elle griffe, quand elle veut, profondément le cuivre et pousse aux noirs de Rembrandt sans aucun souci de la propreté et du brillant de la gravure de commerce.»

Je cite ici ce passage bien qu’il appartienne plutôt à notre résumé historique, parce qu’il contient implicitement la définition la plus vive et la plus pittoresque de la gravure à l’eau-forte, et qu’il montre bien l’esprit dont doit être animé tout amateur qui veut progresser en cet art.

Aujourd’hui, d’ailleurs, comme le disait déjà W. Burgers il y a quelques années, la conquête est faite. L’eau-forte presque abandonnée depuis le XVIIIe siècle est redevenue une des expressions de l’art français, grâce à l’impulsion considérable que lui a donnée la Société des Aquafortistes français, et si l’on songe à quel degré de perfection l’ont portée les Chauvel, les Waltner, les Bracquemond, les Flameng, les Gaucherel et tant d’autres (il faudrait citer tous les membres de la Société).

On se demande vraiment s’il est bien nécessaire de remonter aussi loin pour chercher des enseignements qui sont si près de nous, si pleins de notre siècle qui ne le cède en rien à ceux qui l’ont précédé, tant nos artistes ont reculé les limites d’un art qu’ils ont fait revivre à force d’esprit et de talent.

Aussi dirai-je une dernière fois à l’amateur et au jeune artiste: étudiez les maîtres anciens pour vous former un fond de savoir, mais aussi et surtout, suivez nos expositions pour y observer les maîtres modernes parmi lesquels vous vivez: prenez d’eux les meilleurs conseils, c’est là que votre jugement et votre goût se formeront plus sûrement encore, que vos idées s’éclairciront et qu’enfin naîtra votre personnalité, faisant de vous un artiste bien de votre temps et de votre époque, apportant la modeste pierre à l’édifice social du XIXe siècle.

Traité pratique de la gravure à l'eau-forte (paysage et figure)

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