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PRÉFACE

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Table des matières

Monsieur,

Peu d’admirateurs ont rendu au peintre immortel de la chapelle Sixtine un hommage aussi convaincu et aussi éclatant que vous l’avez fait, en consacrant tant d’années à étudier, à pénétrer, à comprendre et à rendre visibles jusque dans leurs plus délicates nuances, les pensées, les sentiments, les mouvements doux et terribles, joyeux et désespérés, des trois cents personnages qui s’agitent, prient, pleurent, s’épanouissent dans l’éternelle allégresse, ou se débattent dans le désespoir sans fin, sur le mur du grand autel de la chapelle.

Vous avez eu une ambition encore plus haute. Après avoir interprété le chef-d’ œuvre par le burin, vous l’avez commenté par la plume et vous ne remplissez pas cette seconde tâche moins bien que la première.

Vous avez compris d’abord que, dans un être de la complexité grandiose de Michel-Ange, une œuvre, quelque colossale qu’elle soit, ne saurait être comprise si on l’isole de l’ensemble de la conception esthétique de l’artiste, et qu’ainsi complétée, cette œuvre elle-même se rattache par la loi historique de la continuité aux manifestations antérieures des maîtres renommés.

Dans cette étude vous vous astreignez parfois un peu trop, à mon gré, aux inexactitudes de Vasari et aux imaginations de Condivi. Par exemple, après avoir noté l’influence décisive et constante de Dante, des grandes hymnes liturgiques et de la Bible, vous accordez trop d’importance inspiratrice à Savonarole, au supplice duquel Michel-Ange n’assista point puisqu’il était à Rome en ce moment, et dont l’esprit fanatique et étroit ne méritait pas d’asservir à une perpétuelle admiration le poète sublime d’Adam. Dans l’ensemble néanmoins, vos appréciations sont aussi judicieuses qu’exactes.

En quelques traits sobres et sûrs, aussi précis que ceux de votre crayon, vous commencez par caractériser le mouvement de la Renaissance, puis les vicissitudes personnelles, politiques et esthétiques de l’existence de Michel-Ange, jusqu’au jour où, dans l’extrême plénitude de ses forces et de son génie, il est monté sur les échafaudages de la Sixtine. Le grand artiste gagne beaucoup à cette vue rétrospective. Dans les sites poétiques d’où je vous adresse ces lignes, il est un beau golfe entouré de douces collines, qui, peu à peu s’élargissant, deviennent plus amples à mesure qu’elles s’avancent vers la haute mer. Il en est ainsi de Michel-Ange.

Éclos dans l’élégante, forte, mais un peu étroite Florence, il élargit aussi son âme à Rome et il l’amène à une ampleur inconnue lorsqu’il touche enfin à la grande mer de l’être, selon la parole de son poète «la gran mare dell’ essere».

Dès que vous avez suivi le Grand Maître au bord de cet horizon infini, vous vous arrêtez et vous contemplez. Aucun des aspects de la composition ne vous échappe. Vous l’examinez en homme du métier et en critique, en poète et en dessinateur; vous la disséquez et vous la chantez; vous la montrez à vol d’oiseau et vous descendez jusqu’à son plus petit détail.

Vous marquez d’une touche légère la différence qui existe entre les trois parties distinctes. Vous montrez joyeuse la troupe triomphante qui s’élève vers les douces symphonies du Paradis, «laissant briller sa vertu au travers de son corps purifié, comme la pupille vive fait éclater la joie .»

Vous dépeignez désespérée la tourbe maudite qui, entraînée par des démons furieux, descend dans cette barque, où l’on apprend ce qu’il en coûte de ne pas suivre le Christ, et combien pèsent sur les épaules opulentes les fardeaux qui dans la vie n’avaient été portés que par les pauvres.

Vous analysez les béatitudes des Apôtres et des Martyrs, des docteurs et des rachetés avec autant d’exactitude que les abaissements des orgueilleux, les tortures des luxurieux, les déboires de l’avare, les confusions de l’envieux, les hontes du gourmand, les résistances vaines des emportés.

Votre commentaire ajoute une grande lumière à votre gravure, et l’une et l’autre vous acquerront un grand honneur. Les femmes oisives, qui essayent de distraire leur ennui par les obscénités des romans documentés, ou par les mièvreries des romans analytiques; les bourgeois qui se croient artistes parce qu’ils vont étaler leur importance au vernissage; les artistes voués uniquement à la perfection du procédé matériel et qui ne cherchent qu’à grossir l’achalandage de leur boutique, goûteront peu votre gravure et pas davantage son commentaire. Mais les délicats, les penseurs, les fervents de la Beauté, ceux que hantent les visions de l’Idéal; ceux qui, de temps en temps, pour reprendre courage, relèvent la tête de dessus leur sillon, et regardent en haut; ceux-là vous liront, vous étudieront et vous seront reconnaissants d’avoir rendu accessible aux yeux et compréhensible à l’esprit la plus prodigieuse conception du plus prodigieux des maîtres du grand art.

ÉMILE OLLIVIER.

La Moutte, 22 février 1892.

Le Jugement dernier de Michel-Ange

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