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NOTICE BIOGRAPHIQUE

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Table des matières

La première partie des Mémoires de madame la duchesse d’Abrantès, ou Souvenirs historiques sur Napoléon, embrasse une période étendue; elle comprend les dernières années de la Révolution, le Directoire, le Consulat et l’Empire. Elle ne comporte pas moins de douze volumes inoctavo; et malgré certaines longueurs, malgré des redites assez nombreuses, c’est une œuvre singulièrement attachante dans son entier, d’un intérêt profond.

Élevée par une mère souverainement aimable, au milieu des traditions raffinées de cette ancienne société française où l’on savait allier les grâces de l’esprit à la simplicité des moyens pédagogiques, la duchesse d’Abrantès nous retrace ce qu’elle a vu avec une vivacité d’émotion prodigieuse. Peu soucieuse de la forme (la duchesse l’avouait ingénûment, elle ne relisait même pas ses brouillons), mieux qu’aucun écrivain elle a l’art de peindre son temps. Les nombreux détails qu’elle groupe sont le charme de son récit. Pour nous parler des héros de l’épopée impériale qui furent les amis de son mari avec une finesse d’esprit qui n’épargne pas les traits malicieux, elle conserve ce ferme jugement, cet admirable bon sens qui caractérisaient les femmes du siècle dernier. Enthousiaste et vibrante, elle marche au milieu de cette grandiose époque, partageant aux côtés de son glorieux époux son amour pour la France, soucieuse par dessus tout de gloire et de grandeur. La victoire l’exalte, les revers la frappent au fond du cœur; pour nous transmettre sa pensée elle trouve avec un naturel charmant des expressions qui atteignent au lyrisme ou de ces simples mots qui dénotent une sensibilité profonde; même après avoir connu l’amertume des jours néfastes, elle conserve sa bonne humeur, la noble sérénité des heureuses années de la jeunesse. Elle nous racontera la façon pleine de galanterie où, pendant une promenade au Raincy, le général Junot lui apprend qu’elle est désormais la châtelaine de cette splendide demeure.

«Il est des heures amères dans la vie, s’écrie

«la duchesse à ce souvenir, mais il est de ces

«minutes fugitives qui donnent pour une éternité

« de bonheur.» A propos de la mort de Bessières, frappé pendant la campagne de 1811, elle nous le montre mettant pied à terre au défilé de Rippach et enlevant ses troupes l’épée à la main. «Les hauteurs furent emportées, l’ennemi

« défoncé et le défilé en notre pouvoir.

«Ce fut en ce moment que Bessières reçut un

«boulet en pleine poitrine qui le renversa sans

«qu’il eût le temps de sentir le charme glorieux

«d’une si belle mort.» Puis, lors de la scène douloureuse pendant laquelle le duc de Rovigo vient, au nom de l’Empereur, lui annoncer que Junot, alors gouverneur de l’Illyrie, celui qui couvert de blessures a traversé tant de champs de batailles, le brave des braves, vient d’être frappé d’une attaque de folie et qu’on le ramène en France parmi les siens, très souffrante alors, mère de jeunes enfants, la duchesse, anéantie par cette épouvantable nouvelle tombe dans les bras de son frère: «Et je «pleurai, dit-elle, car il me fallait ou pleurer

«ou mourir.» Si sa manière n’échappe pas

complètement au genre ampoulé de l’époque, il garde sous sa plume une saveur originale.

Parlant du prestige, du charme de l’Empereur auquel nul ne pouvait se dérober: «Ce

«n’était parfois qu’un regard, un sourire, mais

«dans l’un était tout le feu du ciel, dans l’autre

«sa douceur.» Par une recherche généalogique peut-être un peu subtile, la duchesse d’Abrantès nous apprend qu’un lien ancien prêtait une origine commune à la famille Bonaparte et à la famille des princes de Comnène dont était sa mère. Née en 1784, la duchesse a connu Napoléon dans son enfance, à l’époque où celui qui devait occuper une si grande place dans l’histoire du monde était élève boursier à l’école militaire.

C’était chez son père, M. de Permon, qu’il sortait les jours de vacance. C’était avec madame de Permon, d’origine corse elle aussi, qu’il aimait à s’entretenir des souvenirs de sa jeunesse, de sa famille dispersée parles persécutions locales, de la signora Lœtitia, sa mère, de ses frères et sœurs, de ses amis, de l’île bienheureuse et sauvage qui gardait alors le charme exclusif de «la patrie» pour l’âme de celui à qui il devait être donné d’étendre si loin les limites de la patrie française.

La duchesse d’Abrantès nous montre le jeune Bonaparte écolier rêveur et ombrageux. Le jeune officier, hanté par les plus vastes pensées et presque adolescent encore, jugeant les événements avec la lucidité du génie. La grande figure de Napoléon nous apparaît dépouillée de ses voiles légendaires, et c’est l’homme que nous voyons, le soldat, le héros, le souverain avec ses petits côtés humains, sa grandeur surhumaine, plus élevé dans l’esprit de ses contemporains par sa gloire que par sa puissance, traçant à grands traits la carte de l’Europe comme un peintre son tableau; conquérant admirable, si grand dans sa simplicité, si glorieux dans ses revers.

Elle nous montre Junot, le jeune sergent du siège de Toulon, «la Tempête» comme l’avaient surnommé ses camarades, devenu le frère d’armes de son général, partageant avec lui les modestes ressources qui sont la base de leur existence commune, et lui vouant dès lors cet attachement fanatique qui eut une si grande influence sur sa destinée. A la suite d’une dénonciation de Salicetti et de quelques autres de ses compatriotes corses, persécuteurs de sa famille, le général Bonaparte est déclaré suspect, emprisonné, traduit à la barre du comité de salut public. Junot veut partager sa captivité ; et l’emprisonnement alors c’est presque toujours la mort obscure et ignominieuse. Bonaparte lui ordonne de rester libre afin de le servir plus efficacement. Puis, lorsque par l’autorité de sa parole le jeune général a surmonté la haine de ses adversaires, qu’il est remis en liberté, qu’il va pouvoir enfin organiser cette admirable expédition d’Egypte par laquelle il rêve d’abattre la puissance grandissante de l’Angleterre en Orient, Junot devient son premier aide de camp. C’est là, parmi cette légion de jeunes héros, qu’il s’immortalise au glorieux combat de Nazareth.

Après la période où Junot étant gouverneur de Paris, sa jeune femme «madame la gouverneuse », ainsi que se plaisait à l’appeler Napoléon, faisait les honneurs de l’Hôtel de ville, c’est en Portugal comme ambassadrice que la duchesse d’Abrantès prend une part personnelle à la carrière politique de son mari: ce sont des fêtes élégantes, des relations intimes nouées avec le corps diplomatique étranger; des observations fines et pittoresques sur ce beau pays livré au fanatisme, dont le gouvernement chancelle et va s’écrouler sous le souffle puissant de celui qui transforme l’Europe à son gré.

Les détails de son mariage, la demande de Junot, les présents, la corbeille, le cérémonial des fêtes et des présentations en usage à cette époque, tout cela est raconté avec un charme plein d’intérêt; l’apparat que les femmes mettaient alors dans les préparatifs de leur toilette, le soin avec lequel certains usages étaient observés et qui devenaient comme la consécration des grands événements de la vie. Tous les détails en étaient réglés à l’avance et la duchesse d’Abrantès nous apprend qu’une jeune femme bien née ne pouvait se dispenser, eu 1800, de danser le menuet de la Reine à son bal de noces.

Sans être régulièrement jolie, la duchesse d’Abrantès était très attrayante. Une belle miniature précieusement conservée dans sa famille nous la montre avec de fort beaux yeux, la physionomie animée et spirituelle, le teint mat des brunes, un tour de visage agréable rehaussé par la jeunesse dans tout son éclat, par une élégante parure. Une fine silhouette tracée par elle-même complète ce portrait. Embarrassée par les toilettes à paniers depuis longtemps passées de mode en France, mais que l’étiquette imposait aux femmes présentées à la cour de Portugal, et dans lesquelles elle perd l’équilibre, elle se confie à la comtesse de Lebzeltern, l’ambassadrice d’Autriche.

«Comment, ma chère ambassadrice, lui dit

«cette aimable femme, vous êtes légère, bien

«faite, vous dansez comme une fée au clair de

«la lune, et vous ne me semblez pas maladroite.

« Le mal doit venir de vos paniers!

«Envoyez-les moi.»

Mais bientôt l’horizon s’obscurcit! Aux difficultés diplomatiques suscitées par l’Angleterre, succède son intervention armée. Le génie de l’empereur, dans ses vastes combinaisons, créait souvent des difficultés inouïes à ses lieutenants chargés d’exécuter au loin une œuvre immense dont il fallait assurer le succès avec des moyens souvent insuffisants! A la tête d’une faible armée décimée par la maladie, Junot se voit contraint à évacuer le Portugal.

La convention de Cintra est conclue avec les Anglais, signée par lord Wellington. On a pu dire que les avantages de cette convention étaient dus presque exclusivement à la terreur inspirée par les armées françaises, à la fermeté du commandant en chef, aussi brave, aussi énergique dans la situation diplomatique la plus critique, qu’il le fut à Nazareth.

Cependant, lors de la guerre d’Espagne, Junot est replacé dans l’armée de la Péninsule «afin «de lui permettre de faire oublier Lisbonne,» a dit Napoléon à son ancien ami, avec cette sévérité qui n’admettait pas la disgrâce des combats. Junot craint que les sentiments de l’empereur pour lui ne soient altérés. Il en ressent une peine mortelle. La duchesse d’Abrantès veut soutenir, encourager cette âme ulcérée! Elle n’hésitera pas à accompagner son époux. Elle partagera ses fatigues, ses dangers à travers un pays ravagé par les armées, livré au fanatisme le plus violent. Elle le suivra en frère d’armes.

«Quelles sinistres décorations la guerre jetait

«sur ces contrées jadis si riantes et si

«paisibles!» nous dit-elle.

Madame Junot faisait partie de l’entourage intime de la famille de l’empereur. Elle a connu madame de Beauharnais; sa fille, la «ravissante sylphide» qui devint la reine Hortense. Les belles princesses, sœurs de Napoléon, ont été ses compagnes d’enfance. Elle a fréquenté tous les souverains, tous les diplomates, tous les savants, tous les artistes de son temps. Elle a joué aux barres à la Malmaison avec le premier consul, qui trichait pour atteindre le but. Elle a assisté à toutes les fêtes, partagé toutes les splendeurs de la cour impériale. Elle a vu tomber, le jour du couronnement, une toute petite pierre détachée des voûtes de Notre-Dame, qui est venue frapper l’empereur pendant la cérémonie. Sa maison a été une des plus fréquentées, des plus luxueuses de la société impériale.

L’empereur comblait ses lieutenants de gloire et de fortune, mais il entendait que les hauts dignitaires de sa cour eussent une représentation en rapport avec leur rang. Madame Junot nous parle de ses robes brodées d’or et de saphirs, de ses manteaux de cour lamés en plein, dont le poids était si lourd que les jeunes femmes fléchissaient sous leur parure. Elle a vu couler les larmes silencieuses de l’impératrice Joséphine lorsque la résolution de divorcer fut arrêtée dans l’esprit de Napoléon! Elle nous peint sa douleur, sa dignité dans l’exil de la Malmaison, ce lieu si cher par les déchirants souvenirs du bonheur perdu. L’arrivée en France de la jeune archiduchesse Marie-Louise accompagnée de son petit chien, de ses oiseaux dont elle n’a pu se résoudre à se séparer. La naissance du roi de Rome. Il y a des pages adorables sur la tendresse que l’empereur montrait à son fils, cet enfant beau comme l’Amour, qui apportait toues les ivresses, toutes les douleurs de la paternité à ce cœur de héros.

Le récit des actes de Napoléon pendant les Cent-Jours. par madame d’Abrantès. est l’un des plus dramatiques qui aient été faits sur cette courte période marquée par des triomphes inouïs, par les plus terribles revers.

Après la mort de Junot, après la chute de l’Empire, la duchesse d’Abrantès vit sa fortune décliner. Des habitudes de grand luxe, qu’il est toujours difficile d’enrayer à temps, une certaine insouciance dans l’administration de ce qui lui restait, de grandes charges de famille amenèrent progressivement une situation fort embarrassée qui alla jusqu’à la gêne. La duchesse d’Abrantès habita pendant plusieurs années l’Abbaye-au-Bois où se trouvait madame Récamier, son amie intime. Toujours très entourée, elle conserva toute sa vie l’attrait d’un esprit séduisant et tout à fait supérieur.

La duchesse d’Abrantès eut de nombreux enfants. Plusieurs moururent en bas âge. Sa fille aînée Joséphine, la filleule de l’impératrice, était née en 1802; mariée à M. James Amet, elle avait hérité des grâces de sa mère et écrivait avec talent. Sa seconde fille Constance, née en 1804, avait épousé M. Aubert. Son fils aîné Napoléon était né en 1807. Par une fatalité remarquable son second fils, Alfred d’Abrantès, né sur le champ de bataille en 1809, pendant la campagne d’Espagne, fut tué en 1859 à la bataille de Solferino. Il avait épousé successivement les deux filles du général baron Lepic. Sa veuve fut nommée dame d’honneur de la princesse Clotilde, au moment de son mariage avec le prince Napoléon. Le duc n’ayant laissé que deux filles, le nom de Junot est éteint.

Napoléon III releva le titre de duc d’Abrantès en faveur de M. Le Ray, secrétaire d’ambassade et conseiller général de la Mayenne, qui a épousé mademoiselle Jeanne Junot, la fille aînée du duc, et qui vit noblement, suivant la juste expression des anciens ouvrages héraldiques. La seconde fille du duc a épousé le vicomte de Laferrière, neveu du premier chambellan de Napoléon III.

La fille de madame Amet, la petite-fille de madame la duchesse d’Abrantès, auteur de ces Mémoires, est la charmante comtesse de Mouy, la femme du diplomate distingué qui fut ambassadeur à la cour d’Italie et à la cour de Grèce. La duchesse d’Abrantès mourut à Paris, rue de Navarin, en 1838, âgée de 54 ans.

Ses Mémoires parurent en 1831, après la Restauration, sous le gouvernement de Juillet, à l’époque où la gloire de Napoléon semblait resplendir d’un nouvel éclat! Ils eurent un immense succès. La dernière édition fut publiée chez Mame, en 1835. En dehors des bibliothèques d’érudition ils sont aujourd’hui à peu près introuvables.

CARETTE, née BOUVET.

Choix de mémoires et écrits des femmes françaises au XVIIe, XVIIIe et XIXe siècle

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