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LIVRE PREMIER
XXXVII
Denise à Philippe

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1er juillet.

Eh quoi, mon cher clair obscur, vous m'écrivez presque une lettre d'amour pour laquelle je m'apprête à vous bien gronder, puis vous disparaissez: ni lettre, ni visite pendant douze jours!

Durant ce siècle, vous comprenez bien, ma colère est tombée; ne parlons donc plus de la lettre, je l'ai oubliée. Seulement, comme je quitte Paris dans quelques jours, je viens obligeamment vous le dire, afin qu'un ami un peu bizarre que je possède dans les abords de l'avenue de Messine ne vienne pas frapper à mon huis pour apprendre que j'en suis bien loin… ce qui donnerait peut-être trop d'importance à un léger ressentiment…

Je devrais même être partie; mais comme j'avais eu l'intention louable de révérender ma vieille tante de Giraucourt avant mon départ pour Nimerck, elle m'a invitée à dîner. Je n'ai pu refuser: cela aurait fait de la peine à ma mère qui, étant donnée la grande différence de leur âge, considère un peu cette sœur aînée comme sa mère.

C'est cette tante-là que mon frère Gérald, mes cousins et moi, avons irrévérencieusement baptisée: l'habitude des cours. Et ce que ce nom lui sied bien! une merveille! Elle sait, je crois le Gotha par cœur, et c'est à peine si elle ne libelle pas ses invitations: d'ordre de la baronne de Giraucourt, etc., etc.

Elle a un tempérament de ralliée. Elle était royaliste – de par les sentiments paternels, – mais elle n'a pas su résister à l'entraînant second empire; elle deviendrait, je crois, républicaine, si les républicains s'avisaient d'avoir une cour et surtout beaucoup de décorum.

C'est un type, ma tante. Je vous la ferai connaître. Grande, encore belle sous ses cheveux blancs, généreuse, intelligente et fantasque, elle dépense tous ses revenus en bonnes œuvres. Elle déteste ma belle-mère et l'intimide; c'est curieux et amusant à voir. Quand ses réceptions de famille sont émaillées de quelques étrangers, le maître des cérémonies – lisez valet de chambre – passe discrètement entre les groupes, au salon, avant le dîner, pour remettre une carte sur laquelle est écrit: «Monsieur du Rand» – ma tante ne peut se résoudre à ne pas ennoblir tous les gens qu'elle fréquente – «est prié de se mettre à table à la droite de madame da Borde et d'offrir son bras à madame de Nières».

Et M. Durand, madame Deborde, madame Danières, l'espagnolisée pour un soir, se troublent, se perdent en lisant trop attentivement leurs petites pancartes; cela amène les confusions les plus drolatiques, tandis que ma tante, très digne, froissée de leurs maladresses, murmure: «Pas l'habitude des cours…» et que nous faisons des efforts surhumains, nous autres jeunes, pour ne pas mourir de fou rire.

Une idée? Si vous veniez à Nimerck avec nous? Gérald nous quittera là pour aller s'embarquer à Cherbourg.

Cela distraira un peu ma pauvre maman de son chagrin, d'avoir à s'occuper d'un hôte.

Je serais ravie de voyager ces quelques heures avec vous; mais ça ne s'arrange pas, hein? Avez-vous remarqué comme rien n'est favorable à nos désirs, à nos joies dans la vie? Quel dommage de passer son temps à dire: quel dommage!

Adieu; je me fais l'effet d'un Jérémie de poche. Adieu. Vraiment, vous ne pouvez pas partir vendredi?

Me voilà subissant envers vous une loi d'attraction bien extraordinaire… ne devrais-je pas être un peu fâchée, indiscipliné ami? Adieu, adieu. Ce sentiment peut durer indéfiniment entre nous – je veux dire l'espace d'un matin, ce qui est énorme.

Adieu, adieu, adieu! cette fois, c'est sérieux. Adieu, monsieur mon ami, pensez, travaillez; ne vous contentez pas de traîner votre nonchalance dans des lieux selects, et d'accrocher des cœurs de femme au bout de vos éperons; ne donnez ni votre âme, ni votre esprit à la foule, cette cohue insupportable, sans cœur, sans bonté, sans distinction et sans joie.

C'est la grâce que je vous souhaite en vous disant amen et en serrant affectueusement votre main.

Amitié amoureuse

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