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II

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Table des matières

Avant l'appareillage.—Le capitaine d'Ambrieux.—Pour la patrie!—Un brave.—Descendant des Gaulois.—Construction de la Gallia.—Equipement d'un navire.—Matériel que comporte une expédition polaire.—Soins minutieux donnés à l'approvisionnement et à l'habillement.—Equipage bigarré mais irréprochable.—Tous Français.—Instant solennel.—Départ.

«Le Havre, 1er mai 1887.

«Mes chers parents,

«Si je mets la main à la plume, c'est pour vous annoncer que nous appareillons aujourd'hui, à la marée du soir, c'est-à-dire dans deux heures, et à seule fin finale de vous donner de mes nouvelles, vu que d'ici à longtemps je ne trouverais pas de boîte aux lettres ni de facteurs.

«Pour quant à vous dire que je suis content de mon engagement, je suis content. Mais je dois vous faire part d'abord que je ne navigue ni pour l'Etat, puisque j'ai achevé mon temps, ni pour une compagnie maritime, comme qui dirait Transatlantique ou Chargeurs, ni pour le compte d'un armateur faisant pêche ou négoce.

«Je suis sur un navire appartenant à un homme riche qui voyage pour son agrément, et qui s'en va dans un endroit qu'on appelle pôle Nord, peu connu des matelots et même des amiraux.

«Mais ça ne fait rien, car paraît que nous partons en découverte. Une idée de particulier calé en monnaie, qu'a du temps à perdre et de l'argent à faire gagner à de fins matelots.

«Ainsi, moi qui vous parle, je suis engagé pour trois ans, à quatre-vingts francs par mois pour la première année, cent francs pour la seconde et cent vingt francs pour la troisième.

«Pour être une somme conséquente, on pourra pas dire que ça soit pas une somme conséquente.

«Bien mieux que ça encore. Paraît que tout un chacun touchera un dixième de sa solde en plus, à partir du jour où que le navire aura franchi le cercle polaire.

«Vous devez connaître ça, vous, mon ancien, qu'avez couru la bordée du côté des mers glaciales.

«Paraît que ce cercle polaire, c'est comme qui dirait la ligne pour les pays froids. Le maître nous a expliqué ça, rapport à la chose de la haute paye; mais, pour tant qu'à moi, je n'ai rien compris, sinon que ça me rapporterait un bitord de vingt-cinq ou trente pièces de cent sous par an.

«Mais, bien plus fort que tout le reste. Notre engagement, à tout un chacun, porte qu'au retour, il y aura pour chaque homme une prime de mille francs, si on monte à une certaine hauteur du côté de ce nommé Pôle.

«Dans ces conditions-là, c'est un vrai beurre de bourlinguer. Une campagne vous enrichit un matelot et lui permet de s'établir en rentrant.

«Faudra donc pas vous étonner si vous restez sans nouvelles, ni vous tourmenter sur mon compte.

«Pour lors, je vous annonce que je suis en bonne santé, et que je souhaite que la présente vous trouve de même, et je vous embrasse tous, le pé, la mé, les petits, en vous promettant que je ferai mon devoir de bon matelot normand.

«Votre fils et frère pour la vie,

Constant Guinard.

«Matelot à bord du navire Gallia, pour deux heures encore au bassin Bellot.»

Après avoir élaboré avec de grands gestes d'écolier malhabile cette lettre dont la forme un peu fantaisiste est scrupuleusement respectée, le marin plia le papier en quatre, l'insinua dans une enveloppe, cacheta celle-ci en appuyant de toute la force de son gros poing sur la portion gommée et se pencha au-dessus du bastingage.

«Hé!... moussaillon... dit-il en hélant un gamin qui flânait en curieux sur le quai de la première darse du bassin.

—Voilà, mon ancien.

—Prends ce bout de billet et c'te pièce de dix sous.

«Cours acheter un timbre, colle-le sur la lettre et mets-la dans le pertuis d'une boîte à poste.

«Tu boiras une bolée de cidre avec la monnaie.

—C'est inutile, mon garçon, dit un homme de haute taille, de belle et noble figure, qui, accoudé sur la lisse, a entendu la recommandation du matelot.

—A vos souhaits, capitaine, mais, pourtant, le bout de billet pour mes vieux de là-bas...

—Le maître va tout à l'heure se rendre à la poste, il emportera ta lettre avec les miennes et celles de tes camarades.»

Puis il ajoute, en s'adressant à un marin qui inspecte minutieusement les agrès du navire:

«Guénic, rassemble l'équipage.»

Ce dernier porte à ses lèvres un sifflet d'argent, et en tire une série de sons stridents qui font surgir du panneau de la machine et de la grande écoutille les hommes occupés à l'intérieur.

En moins d'une minute tout le monde est rangé au pied du grand mât, en face du capitaine.

«Mes amis, dit-il sans préambule, quand vous vous êtes engagés pour la campagne que nous allons entreprendre, on ne vous a pas caché les dangers et les souffrances qui vous attendaient.

«Vous avez signé en toute connaissance de cause, et pourtant, j'éprouve comme un dernier scrupule, avant de vous emmener là-bas, au pays inconnu dont tant de vaillants matelots ne sont pas revenus.

«Dans deux heures et demie, le navire aura quitté la France pour deux ou trois années... peut-être pour toujours...

«Voyons, mes amis, pas de fausse honte... pas d'hésitation, car l'instant est grave... êtes-vous toujours fermement résolus à me suivre quoi qu'il arrive?...

«S'il en est quelques-uns parmi vous qui craignent les souffrances, les privations, la maladie et la mort... qu'ils parlent sans appréhension et demandent à débarquer... je romprai de bon gré leur engagement et ne conserverai nul grief contre eux.

«Bien plus, je vais remettre à chacun de vous deux cents francs, à titre de gratification pour votre excellente conduite à bord, pour les soins exceptionnels que vous avez donnés à l'armement du navire et à l'arrimage de tout le matériel; cette somme est et demeure acquise à quiconque manifesterait l'intention d'abandonner mon bord.

«Quoique vos résolutions doivent être prises depuis longtemps, réfléchissez cinq minutes encore... Consultez vos forces, faites appel à votre énergie, concertez-vous et donnez votre réponse définitive au maître d'équipage Guénic, qui me la transmettra.»

Il allait se retirer sur le gaillard d'arrière pour ne pas influencer par sa présence le groupe immobile des matelots, quand un jeune homme de moyenne taille, plutôt petit que grand, mais d'aspect singulièrement agile et vigoureux, quitte brusquement ses camarades, ôte son bonnet, salue crânement son chef et s'écrie:

«Merci pour vos bonnes paroles et vos bonnes intentions, capitaine; mais je vous déclare sans embardées, au nom de l'équipage, que nous vous suivrons partout!... fût-ce au diable s'il vous plaît d'y aller!

«Tous, tant que nous sommes ici, Provençaux et Bretons, Normands et Gascons, Flamands et Alsaciens, car il y a de tout, même des Parisiens, sur ce crâne bateau, pas un ne flanchera...

«Je vous le jure!... Pas vrai, les autres?...

—Nous le jurons!» répondent d'une seule voix les hommes en agitant leurs bonnets.

Puis éclate un immense cri: «Vive le capitaine!» qui se répercute jusqu'au fond du bassin.

«A la bonne heure, mes braves! reprend l'officier dont l'œil rayonne; voilà qui est parlé en vaillants Français.

«... L'œuvre à laquelle vous êtes associés désormais est périlleuse autant que grandiose... J'ajouterai qu'elle est en quelque sorte nationale, puisque, j'en ai le ferme espoir, nous planterons le drapeau tricolore là où jamais humain n'a mis le pied, et que l'honneur de nos découvertes rejaillira sur notre pays.

«En avant!... matelots!... En avant et pour la patrie!

«Vive la France!

—Vive la France!» rugissent en trépignant d'enthousiasme les matelots électrisés.

Un fier homme, en vérité, que cet officier vibrant de patriotisme et qui domine de toute la tête son équipage frémissant.

Oui, un fier homme, que l'on a déjà reconnu aux termes de son allocution et surtout à sa physionomie entrevue au Congrès géographique de Londres, car elle est de celles qu'on n'oublie pas.

Physionomie qui est essentiellement celle d'un Français, comme aussi le nom: d'Ambrieux.

Quarante-deux ou quarante-trois ans, mais paraissant plus jeune que son âge, une taille de géant, des membres d'athlète. Ce qui frappe tout d'abord à son aspect, c'est la coupe du visage aux traits énergiques et pleins d'audace. Par une étrange rétrogradation vers le prototype de notre race, ce visage rappelle, à s'y méprendre, celui des anciens Gaulois, nos ancêtres qui ne craignaient qu'une chose, la chute du ciel!

Même front de statue antique, même chevelure fauve, mêmes yeux couleur d'aigue-marine, même nez à la fière courbure aquiline, rien ne manque à ce masque d'une époque héroïque, pas même les longues moustaches, fauves comme la chevelure, et qui retombent en deux pointes jusqu'au-dessous de la mâchoire.

Issu d'une opulente famille ardennaise, dont l'origine se perd dans la nuit des siècles, puisqu'elle remonte, dit-on, à Ambiorix, dont le nom se retrouve presque lettre pour lettre dans le sien [1], il venait d'être promu enseigne de vaisseau quand éclata la guerre franco-allemande.

Envoyé à l'armée de la Loire, il fut, après des prodiges de valeur, décoré à la bataille d'Arthenay. Blessé grièvement à la retraite du Mans, le gouvernement de la Défense nationale le nomma lieutenant de vaisseau à titre auxiliaire.

Remis simple enseigne, alors qu'il méritait mieux, par la commission de révision des grades, il fut tellement exaspéré de cette injustice, qu'il fit un coup de tête et donna sa démission, malgré les instances de l'amiral Jauréguiberry qui, ayant pu apprécier ses hautes capacités, l'affectionnait particulièrement.

Rendu maître d'une fortune colossale par la mort prématurée de ses parents, il se garda bien de verser dans l'ornière où trop souvent s'abattent les désœuvrés de notre époque.

Ayant conservé, fort heureusement, de son ancienne profession qu'il regrettait toujours, le goût de l'étude et des voyages, il se passionna pour la géographie et devint un de nos plus vaillants explorateurs.

Délégué par la Société de Géographie de France au Congrès international de Londres, on sait comment il brûla la politesse à ses collègues, à la suite du dîner offert par sir Arthur Leslie.

Comme il l'avait dit en prenant congé, le temps pressait, car on était au 13 mai, et la future expédition polaire n'existait encore qu'à l'état de projet, ou plutôt de défi.

Mais que ne peut l'argent, surtout quand il est mis en œuvre par un homme de la trempe de l'ancien officier de marine!

Il prit sans désemparer le train de Southampton, puis le bateau du Havre, débarqua douze heures après et courut d'une haleine aux chantiers de M. Normand.

Il lui fallait, coûte que coûte, un navire spécial, et dans le plus bref délai. Ainsi pris à l'improviste, mais jugeant aussitôt de l'envergure de l'homme à la grandeur de l'entreprise, l'éminent constructeur se mit à l'œuvre sans perdre un instant.

Ayant reçu carte blanche pour la dépense, il étudia minutieusement, avec d'Ambrieux, les plans du bâtiment à improviser et fit telle diligence, que trois semaines après, ces plans étaient établis, ainsi que le devis.

Le vingt-deuxième jour, on mettait en chantier la Gallia.

Sur ces entrefaites, l'ancien officier, qui s'occupait déjà de recruter des hommes pour son équipage, retrouva le capitaine au long cours Berchou qu'il avait eu sous ses ordres, comme sergent d'armes, à l'armée de la Loire.

Devenu capitaine de la marine marchande, Berchou, fin manœuvrier, homme de haute probité, d'action et de résolution, accepta avec enthousiasme la place de second.

Il entra aussitôt en fonctions et fut d'un précieux secours à son chef, très ferré sans doute en théorie nautique, mais ignorant maintes questions pratiques familières à Berchou qui avait l'œil à tout et ne passait sur aucun détail.

Quatre mois après sa mise en chantier, la Gallia était lancée. On était alors à la mi-septembre. Après deux autres mois, elle était pourvue de sa machine, de ses mâts, de ses agrès, et toute prête à être approvisionnée en vue de sa destination.

C'est un superbe spécimen d'architecture navale, malgré ses dimensions relativement restreintes, et son apparence un peu massive, sous laquelle un observateur superficiel ne soupçonnerait pas des qualités de premier ordre. Tout le superflu de l'élégance a été sacrifié à la solidité, car la Gallia doit, le cas échéant, résister comme un bloc plein aux terribles pressions des glaces. Elle est gréée en goélette, jauge seulement trois cents tonneaux, et porte une machine de deux cents chevaux, qui a fourni aux essais une vitesse de dix nœuds à l'heure; vitesse et capacité suffisantes, car s'il importe peu de posséder une rapidité plus ou moins grande, entre les chenaux encombrés de glaçons, il n'est pas besoin d'un emplacement bien considérable pour transporter, sur le lieu de l'hivernage, les membres et le matériel de l'expédition.

Son avant renforcé d'une façon extraordinaire au moyen de pièces de bois ingénieusement disposées, est recouvert en outre d'une plaque d'acier qui se termine en un coin aigu formant l'étrave. L'élancement de cette étrave est nul, en ce sens qu'elle forme un angle droit avec la quille, de façon à permettre au navire de se frayer, sous l'impulsion de sa machine, un chemin à travers les glaces.

L'hélice et le gouvernail ont été disposés de façon à pouvoir être facilement ramenés à bord, au cas où une circonstance fortuite menacerait de mettre hors d'usage ces organes si essentiels.

En plus d'une petite chaloupe à vapeur bien saisie sur ses dromes, la Gallia possède trois baleinières et un bateau plat, de sept mètres de long sur un mètre quarante de large, pouvant contenir vingt hommes avec quatre tonnes de vivres et que quatre matelots peuvent transporter sur les épaules.

Le navire avant été construit en vue de plusieurs hivernages consécutifs sous des latitudes où la vie semble de prime abord impossible, les précautions les plus minutieuses ont été prises pour combattre le froid, l'implacable et mortel ennemi.

Le logement de l'équipage, fractionné en trois chambres, est placé à l'avant et reçoit la chaleur d'un calorifère chauffé à la houille. Entre la paroi extérieure de ces chambres, garnies d'un épais revêtement de feutre, et la paroi intérieure de la coque, se trouve un espace libre rempli de sciure de bois pour empêcher l'invasion du froid et de l'humidité. Et toutes les issues par où pourrait s'introduire le plus léger souffle de la bise glacée, sont hermétiquement closes.

Les soutes aux vivres, qui regorgent littéralement, sont approvisionnées pour quatre ans. Peu de viande et de poisson salé. Mais en revanche, de véritables montagnes de conserves en boîtes, qui donnent presque l'illusion des vivres frais et permettent de varier l'ordinaire; sans omettre le pemmican, d'une conservation si facile, et particulièrement nutritif sous un petit volume. Les vins et les spiritueux, tous de premier choix, surabondent, comme aussi le thé et le café, ces toniques par excellence.

Notons en passant le jus de citron en tablettes, les pastilles de chaux et de chlorate de potasse, des graines de cresson et de cochléaria, et autres antiscorbutiques destinés à combattre l'éventualité du scorbut, cet autre ennemi des expéditions polaires.

Puis le matériel scientifique, très complet, ainsi que la pharmacie; puis la bibliothèque, un piano et divers instruments de musique; puis encore un assortiment d'explosifs les plus énergiques, une puissante batterie d'accumulateurs Planté, plusieurs centaines de mètres de fils métalliques enduits de gutta-percha, des scies à glace, des tarières immenses, des haches énormes, un appareil d'éclairage électrique, une vaste poche en caoutchouc que l'on gonfle en insufflant de l'air, et qui se transforme en radeau, bref, tout un monde.

Enfin, la sollicitude éclairée du chef n'a pas négligé l'importante question de l'habillement qui, sous la zone hyperboréenne, est affaire de vie ou de mort.

Le magasin spécial renferme une collection réellement incomparable d'étoffes de laine et de fourrures. Epais gilets de tricots ouatés et doublés de flanelles, chemises, caleçons et pantalons de laine douce, pourvus de boutons en ivoire végétal, et cousus avec du fil en poil de chèvre, parce que la soie ou le lin deviennent cassants sous l'influence du froid. Bottes en toile à voile, bien préférables au cuir qui se racornit et se fendille dans la neige, bachelicks en fourrure couvrant complètement la tête, le cou et les épaules, gants en peau de loutre de mer, montant jusqu'au coude, et assez amples pour recouvrir la main déjà munie d'un gant de laine, casaques, pelisses en peau de mouton, d'élan et de bison, et pour finir, de grands sacs fourrés sur les deux faces, dans lesquels trois hommes peuvent se blottir côte à côte, pour bivouaquer en plein air.

Bref, le capitaine a su pourvoir à tout et procurer à son équipage un nécessaire à un point surabondant, que des gens inexpérimentés pourraient le regarder comme superflu.

Un exemple, entre cent, de cette sollicitude qui n'a omis aucun détail: toutes les cuillères sont en corne, de façon à éviter aux matelots de la Gallia, le contact de leur bouche avec le métal!

... Tous ces préparatifs, malgré leur longueur, leur multiplicité, leur minutie, n'avaient pas duré plus de onze mois, y compris l'établissement des plans, la construction du navire, son équipement, ses essais et jusqu'au recrutement du personnel.

Cette dernière opération, dont le second Berchou s'était tiré à son honneur, n'était pas une petite affaire, étant donné que le capitaine d'Ambrieux voulait des sujets d'élite, moralement et physiquement irréprochables.

Tous Français, d'ailleurs, c'était là une condition indispensable, car la Gallia ne devait, à aucun prix, embarquer d'étranger à bord.

Donc, tous Français, mais pris un peu de tous côtés et offrant les échantillons les plus divers des races composant notre population maritime.

Témoin la liste suivante, dressée par le maître d'équipage: 1o (A tout seigneur tout honneur) Guénic Trégastel, 46 ans, Breton.—2o Fritz Hermann, 40 ans, Alsacien, maître mécanicien.—3o Justin Henriot, 26 ans, Parisien, second maître mécanicien.—4o Jean Itourria, 27 ans, charpentier, Basque.—5o Pierre Le Guern, 35 ans, matelot baleinier, Breton.—6o Michel Elimberri, 35 ans, matelot baleinier, Basque.—7o Elisée Pontac, 33 ans, matelot baleinier, Gascon.—8o Constant Guignard, 26 ans, matelot, Normand.—9o Joseph Courapied, dit Marche-à-Terre, 29 ans, matelot, Normand.—10o Julien Montbartier, 30 ans, matelot, Gascon.—11o Chéri Bédarrides, 27 ans, matelot, Provençal.—12o Isidore Castelnau, 31 ans, armurier, Gascon.—13o Jean Nick, dit Bigorneau, 24 ans, chauffeur, Flamand.—14o Arthur Farin, dit Plume-au-Vent, 25 ans, chauffeur, Parisien.—15o Abel Dumas, dit Tartarin, cuisinier, Provençal.

De cette collection très hétérogène de braves gens, tous francs matelots, avaient surgi, dès le premier jour, des types extraordinaires, comiques volontaires ou inconscients, qui promettaient à leurs camarades quelques bonnes heures de douce gaieté. Entre autres, Jean Nick, dit Bigorneau, un ancien mineur têtu, naïf, n'aimant rien au monde que sa chaufferie, heureux de tripoter le charbon, et avalant par douzaines les bourdes les plus insensées. Il y a encore Arthur Farin, dit Plume-au-Vent, un ancien virtuose de café-concert, cœur d'or et caractère de fer, mais blagueur enragé, mystificateur à froid, et cet épique Abel Dumas, dit Tartarin!... Mossieu Dumasse!... qui, comme le héros de Tarascon, court d'abord les aventures par gloriole, croit, en fin de compte, que c'est arrivé, s'emballe et accomplit des prodiges.

On a pu voir précédemment combien, en dépit de la diversité de leur origine, ces hommes sont unis déjà dans une même pensée d'abnégation, et prêts, comme l'a déclaré Farin, dit Plume-au-Vent, l'orateur de l'équipage, à suivre toujours et quand même leur capitaine.

Il est temps, pour finir ce rapide exposé, de présenter en deux mots le second capitaine, M. Berchou, un Havrais de 41 ans, le lieutenant, M. Vasseur, un Charentais de 32 ans, et le docteur Gélin, petit homme sec, grisonnant, vif comme un salpêtre, médecin distingué, chasseur intrépide, naturaliste éminent et connaissant à fond les questions polaires étudiées sur nature, soit à Terre-Neuve soit au Groenland, où il a longtemps stationné.

Cependant, les dernières minutes s'écoulent, et la Gallia, dont la machine est en pression, frémit sur ses câbles d'amarrage. Guénic vient d'arriver du bureau de poste et rapporte une volumineuse correspondance. Il s'enlève à bord d'un seul élan par les tire-veilles et va prendre son poste.

L'instant solennel est arrivé, car la mer est étale.

Le capitaine fait hisser au mât de misaine le pavillon du Yacht-Club de France, une flamme tricolore avec une étoile blanche dans le bleu et le pavillon national à la corne, puis remet le commandement au pilote qui doit conduire le bâtiment en pleine mer.

Les amarres sont larguées, un coup de sifflet strident retentit, la machine pousse un long halètement et la Gallia s'avance avec une prudente lenteur vers l'écluse qui s'ouvre devant elle.

Elle traverse en biaisant le bassin de l'Eure, s'écluse de nouveau, gagne l'avant-port, accélère son allure, franchit l'entrée de la jetée, puis s'élance vers la haute mer, traînant à sa remorque le cotre du pilote qui bondit derrière elle sur les lames.

Les français au pôle Nord

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