Читать книгу Le Canapé couleur de feu, par M. de *** - Louis Charles Fougeret de Monbron - Страница 3
CHAPITRE II.
Du Pays de l'inconnu, & de ce qui occasionna sa metamorphose.
ОглавлениеQuand le trio fut assis, l'inconnu se moucha, cracha & rompit le silence en ces termes: je suis un Gentilhomme des environs de Liege, allié aux meilleures Maisons du Pays. Mes biens sont situés sur les bords de la Meuse, auprès des Ardennes. Je ne vous dirai pas mon nom, parce que je ne crois point que cela soit bien essentiel; & puis il y a si long-temps que je suis canapé, que je ne sçai trop si je m'en souviendrois au juste. Ainsi je me nommerai, si vous le trouvez bon, le Chevalier Commode, à cause de la commodité que tant d'honnêtes gens, y compris Monsieur & Madame, ont trouvée chez moi, lorsque j'étois fait pour la mollesse, le repos & les plaisirs des deux sexes.
Je n'avois de passe-temps, jadis, que la chasse: dès le matin j'entrois dans la forêt, & je n'en sortois rarement que le soir; tantôt je prenois des oiseaux à la pipée, tantôt à la gluë, une autre fois aux filets: en un mot le seul amusement que j'eusse au monde je sçavois le varier, de maniére que je ne m'ennuyois jamais. Un jour que je m'étois plus fatigué que de coutume, je m'endormis sous une feuillée épaisse. De ma vie, il m'en souvient encore, je n'eus, en dormant, de songes plus agréables: à la vérité j'étois bien en état d'en avoir de semblables, n'ayant alors qu'environ 18. ans. Je m'éveillai enivré de ces plaisirs que l'on sent & que l'on ne définit pas. Mais quelle fut ma surprise lorsque je vis à côté de moi une charmante personne, dont l'image adorable m'avoit occupé si délicieusement pendant mon sommeil. Elle sçavoit trop bien lire dans les cœurs, pour ne point voir ce qui se passoit alors dans le mien: entraîné par l'amour, retenu par la crainte, je voulois parler & n'osois. Ces mouvemens divers lui expliquoient mieux ce qui se passoit dans mon ame, que tout ce que la parole auroit pû me suggerer de plus délicat & de plus tendre, & mes yeux interprétes fidéles de mes sentimens, lui tinrent un langage si pressant, qu'elle eut pitié de moi & me parla ainsi:
Vous êtes étonné, sans doute, de voir une fille de ma sorte dans ces lieux sauvages & déserts? Ma foi, Madame, dis-je en me levant, on le seroit à moins. Ce n'est guéres l'usage de trouver des personnes de votre figure, & parée comme vous l'êtes dans les Forêts: je ne sçai si ceci est un rêve. Non, reprit-elle, vous ne fûtes jamais plus éveillé; fiez-vous en à moi, je m'y connois: à la bonne heure, repartis-je, mais ne pourrois-je sçavoir à qui j'ai l'honneur de parler maintenant? A la Fée Printaniére, répondit-elle, premiere Dame de compagnie de la Fée Crapaudine, qui régne depuis six cents ans dans les Ardennes. Voilà, dis-je, pour une Souveraine, un vilain nom. Oh! si vous la voyiez, repartit Printaniére, vous trouveriez que son nom quadre assez bien avec sa figure. Mais pussiez-vous ne la voir jamais! que je meure, répondis-je, s'il m'en prend envie sur l'idée que vous m'en donnez. Ah! poursuivit-elle en soûpirant, & laissant échaper quelques larmes, vous ne la verrez peut-être que trop tôt pour votre malheur & le mien; car il est inutile de vous cacher que je vous aime; & le sort qui vous menace ne me permet pas de vous laisser ignorer plus long-temps mon ardeur.
Crapaudine vous vit ces jours passez tirer des Merles avec la Sarbacane, votre bonne mine & votre dextérité lui ont tellement gagné l'ame, qu'elle a résolu de vous enlever & de vous faire tireur ordinaire de ses plaisirs. Parbleu, répondis-je en colére, que Madame Crapaudine cherche ses tireurs où il lui plaira, je tire pour mon amusement &… Hélas! interrompit Printaniere, elle seroit femme à vous faire tirer pour le sien jusqu'à vous mettre sur les dents; car elle ménage si peu son monde! Ce ne seroit point la fatigue qui me rebuteroit à son service, repliquai-je, si elle étoit aussi aimable que vous, & je fixerois volontiers mon bonheur au plaisir d'être attaché à une personne de votre mérite. Eh! bien, reprit Printaniére, me regardant tendrement, il ne tient qu'à vous d'être heureux: Mais déterminez-vous promtement, & voyez si vous voulez me suivre, tandis qu'il est encore tems. Si Crapaudine arrivoit, je ne serois point Maîtresse de vous secourir. Ah! mon adorable Fée, m'écriai-je, pour fuïr un pareil monstre & vivre sous vos loix, j'irai, s'il le faut, dans les climats les plus éloignés. Ce n'est pas la peine, dit Printaniére, Crapaudine nous découvriroit, fussions-nous au centre de la terre; d'ailleurs ma destinée me fixe à sa cour: je ne puis m'en éloigner sans ses ordres. Mais je sçais un moyen de vous avoir toûjours auprès de moi, même à ses yeux. Il n'est question que de sçavoir si vous m'aimez assez pour vous résoudre à être métamorphosé en petit épagneüil. J'y consens, à condition, néanmoins, que quand nous serons dans votre appartement, je reprendrai ma forme ordinaire. Voilà qui est fait, repartit Printaniere: en même temps elle me donne un coup de baguette & me transporte à travers les airs sous la figure du plus joli petit chien du monde.