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PROLÉGOMÈNES.

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Table des matières

LE titre seul de cet essai indique la pensée deson auteur. Il s’agit de signaler les noms et les œuvres des artistes français qui ont travaillé à l’étranger, et de préparer ainsi les matériaux qui serviront à l’histoire de l’influence que nos artistes ont exercée à plusieurs époques sur l’art des divers peuples de l’Europe.

Habitués comme nous le sommes depuis si long-temps à entendre parler de l’influence de l’art italien sur l’art français, on s’étonnera peut-être d’entendre parler ici de l’influence et des travaux des artistes français en Europe; et cependant cette influence et ces travaux ont été et sont encore considérables.

On a traité de l’influence de la France quant à la politique, à la philosophie, au droit, à la littérature, aux sciences; pourquoi donc, dans l’histoire de l’influence morale que la France a exercée sur le monde, négligerait-on l’une de ses parties, fût-ce la moindre?

ÉPOQUE DU MOYEN-AGE.

Dès le moyen-âge et peut-être sur-tout au moyen-âge, l’art fançais exerça sur l’Europe une influence considérable. Les causes de cette influence sont nombreuses. On doit d’abord signaler la puissance et la grandeur de la France de Philippe-Auguste et de saint Louis et de toutes ces dynasties françaises qui gouvernaient une partie de l’Europe, Angleterre, Portugal, Castille, Naples, Constantinople, les principautés de la Grèce, la Hongrie, la Pologne, qui régnaient en Chypre, en Syrie, c’est-à-dire, sur presque tout le bassin de la Méditerranée, qui fur vraiment alors un lac français, et qui ont répandu dans tous ces pays les usages de la France. Il faut ensuite signaler la célébrité des grandes abbayes et des écoles de Cluny, de Clairvaux, de Prémontré, etc., où les étrangers venaient s’instruire dans les sciences sacrées et puiser le goût de l’art gothique: la célébrité de l’Université de Paris, école suprême de toute l’Europe, où affluaient de tous les pays des milliers d’étudiants qui remportaient ensuite chez eux la connaissance de notre littérature, de nos poèmes de chevalerie, si universellement répandus, et de notre langue qu’on appelait au temps de saint Louis la parleure commune à tous.

Le français, la langue d’oil, était en effet parlé dans toute l’Europe; au XIII.e siècle, les seigneurs allemands avaient autour d’eux gent française pour apprendre français leurs filles et leurs fils. Le Dante pensa d’abord à écrire sa Divine Comédie en français afin qu’elle fût plus universellement connue; il avait long-temps résidé à Paris ainsi que le célèbre peintre Giotto . Brunetto Latini écrivit en français son Trésor, encyclopédie du XIII.e siècle, parce que le français était, disait-il, la langue la plus répandue.

Les étrangers venus à l’Université de Paris y puisaient le goût du gothique, et entre autres faits curieux qui se rapportent à notre sujet, il faut parler de ces étudiants suédois qui envoient Etienne Bonneuil en Suède pour y construire la cathédrale d’Upsal et lui fournissent l’argent nécessaire à son voyage.

Qu’y a-t-il d’étonnant, d’impossible, lorsque la langue française était si universellement acceptée, que l’architecture française l’ait été pareillement?

Sans vouloir écrire ici l’histoire de l’architecture gothique, il est cependant nécessaire de faire connaître les résultats des travaux les meilleurs et les plus récents qui aient été faits sur ce point d’archéologie. Il est parfaitement certain aujourd’hui que l’architecture gothique a pris naissance en France, dans l’ancienne Neustrie , qu’elle y a acquis son développement, et que de la France elle s’est répandue dans les pays voisins . En effet, l’art gothique procède de l’art roman; or, certains monuments de la France, de la Picardie, de la Champagne, présentent la transition entre les deux styles; on y remarque un mélange, une fusion des deux systèmes, tandis que partout ailleurs, au contraire, il y a une brusque substitution d’un style à l’autre. A coup sûr, il ne faudrait pas d’autres preuves de l’origine française, de la naissance en France de l’architecture gothique ou ogivale; eh bien! ces monuments de transition de la France du nord sont les plus anciens monuments à ogive, ce sont les plus incontestablement déterminés, et leurs dates indiquent qu’ils sont tous antérieurs à tous les autres monuments de style ogival construits dans les autres pays de l’Europe.

Le portail de Saint-Denis est de 1140; celui de Chartres est de 1145; le chœur de Saint-Germain-des-Prés est de 1163, et celui de Notre-Dame de Paris, de 1182. Hors de France, aux mêmes dates, on chercherait en vain des monuments aussi avancés. C’est seulement en France que règne sans partage l’art ogival primitif, et c’est là qu’ont été construits les plus anciens et les plus beaux monuments gothiques, tels que les cathédrales de Soissons, de Laon, de Noyon, de Sens, de Reims, d’Amiens, de Paris, de Chartres, etc., modèles du genre, qui ont été imités dans tout le reste de la France et de l’Europe. Les savants anglais et allemands les plus estimables reconnaissent eux-mêmes que l’architecture gothique est d’origine française.

Les plus anciens monuments gothiques de l’Angleterre, de l’Espagne, de l’Italie, de la Suède, ont été bâtis par des Français dont nous donnerons plus loin les noms. Il est démontré aujourd’hui que les monuments gothiques de l’Allemagne, d’ailleurs si peu nombreux, bien loin d’avoir servi de type à ceux de la France, sont d’une époque postérieure à ceux-ci, ont été copiés sur eux ou ont été bâtis par des architectes français. Nous donnons plus loin, à propos de la cathédrale de Cologne, les pièces du procès que M. de Verneilh a gagné contre M. Boisserée; nous ne voulons pas ici redonner ces détails; il nous suffit de dire que, parmi les preuves de l’origine allemande de l’architecture gothique, on a long-temps reproduit celle-ci; on trouvait, disait-on, à Notre-Dame-de-l’Epine (en Champagne) une inscription ainsi conçue:

Guichart Anthonis. Col. Sacer Nor. Actee.

et l’on en tirait la conséquence qu’un prêtre de Cologne, Coloniensis Sacerdos, avait construit cette église, et, en outre, que le dôme de Cologne était le type du gothique. Il a été démontré depuis que l’inscription latine est une inscription en patois champenois ainsi conçue:

Guichart Anthoine tos catre nos at fet

et s’applique aux quatre piliers du rond-point de l’église que ce maçon champenois réédifia tous les quatre au XV.e siècle.

En même temps que la France créait l’architecture gothique, elle donnait un développement prodigieux à la sculpture monumentale, à la sculpture en bois, à la peinture sur verre, à la peinture sur émail, à l’art de la tapisserie et à l’art musical.

Ce grand mouvement artistique, la splendeur de toutes ces créations, expliquent très bien l’influence que l’art français exerça en Europe au moyen-âge; voici quelques détails qui compléteront l’histoire de cette influence.

«En 1025, il existait à Poitiers une manufacture célèbre de tapisseries historiées à laquelle les prélats de l’Italie adressaient eux-mêmes des demandes. Le tissu de ces tentures offrait des figures d’animaux, des portraits de rois et d’empereurs, des sujets puisés dans les histoires saintes .» Nos tapisseries françaises d’Arras, de Reims, de Beauvais et de Paris devinrent si célèbres, si recherchées et si connues, que les Italiens employèrent dès le XIV.e siècle et emploient encore le mot Arrazi pour désigner de belles tapisseries.

Les émaux de Limoges, qu’on s’est obstiné si long-temps à regarder comme byzantins, étaient, dès le XII.e siècle, recherchés dans toute l’Europe. Vers le milieu du XIII.e siècle, un émailleur français fut chargé de faire, à Limoges, une tombe émaillée pour un évêque de Rochester; Jean de Limoges accompagna son œuvre en Angleterre pour en diriger la pose. Ce monument n’existe plus; mais l’église abbatiale de Westminster en conserve un du même genre, de fabrication française, et qui représente un comte de Pembroke .

Les miniatures de l’école de Paris étaient célèbres. L’art de l’enluminure y avait pris un tel développement, que les étrangers venaient s’y instruire. Le fait est certain pour le Portugal ; M. de Santarem a clairement établi que les miniaturistes portugais s’étaient formés à l’école parisienne. Rien de plus important que ces peintures qui forment de véritables musées, dont les décorations sont si variées, si élégantes, et d’un coloris si frais.

LA RENAISSANCE.

On sait que le mouvement intellectuel désigné sous le nom de Renaissance a modifié bien plus que l’architecture gothique, et que cette révolution a changé la société du moyen-âge tout entière. Un mouvement général dans les esprits les portait à sortir de l’état où ils se trouvaient: les formes politiques, la féodalité, les idées religieuses, l’art, les lettres, les sciences, tout se renouvela sous l’influence des idées nouvelles.

Vue en grand, la Renaissance est une protestation contre le Moyen-Age; l’art de la Renaissance, en particalier, est une protestation contre l’art gothique.

Le génie de Léonard de Vinci, de Michel-Ange, de Raphaël, donna à l’art italien un si brillant développement, qu’il se plaça dans l’opinion des contemporains au-dessus de tout ce qui l’avait précédé. L’Europe, avide de nouveauté, voulait un art nouveau. Elle adopta l’art italien; elle s’enthousiasma pour l’antiquité grecque et romaine, admira et adopta ses types, ses formes, et répudia ceux du moyen-âge. La France suivit le mouvement.

Ainsi ce n’est pas par un simple caprice, par mode, que la France du XVI.e siècle adopta l’art italien; ce n’est pas non plus parce qu’elle manquait d’artistes qu’elle fit venir des artistes italiens. L’adoption de l’art italien est due à des causes plus élevées.

La révolution artistique ne se fit pas brusquement; le gothique se modifia, mais persista pendant quelque temps encore (sous Charles VIII et Louis XII). Ces premières modifications du gothique par le goût italien constituent une renaissance française très remarquable, quoique négligée ou confondue avec la suivante. Puis, sous François I.er, le gothique disparaît, la renaissance française elle-même est remplaçée par un art absolument antique et italien dans ses formes, dans ses types, dans sa décoration.

Quel est le rôle, quelles sont les œuvres, quelle est l’influence des artistes italiens venus en France? Sur chacune de ces questions, il y a à réfuter un grand nombre d’erreurs, de préjugés, qui étaient il y a quelques années encore très accrédités.

En général, l’influence des Italiens venus en France ou des maîtres que nos artistes allaient étudier en Italie, en général cette influence a été immense, si grande, qu’elle a profondément modifié notre génie national à une certaine époque. Je constate le fait, je ne le juge pas.

En général on a, pendant un temps où l’on méprisait radicalement tout ce qui était antérieur au XVI.e siècle, temps qui n’est pas encore expiré pour quelques personnes, on a, dis-je, étrangement défiguré, faussé, altéré notre histoire sur le fait des artistes et des monuments. Cette altération de la vérité provient de l’ignorance des faits, d’un engouement irréfléchi pour les artistes italiens, et d’une croyance aveugle à des traditions sans valeur et démenties toutes, les unes après les autres, par l’étude des textes les plus authentiques.

On a attribué ainsi à des Italiens des œuvres dues à des Français; par exemple: on a donné à Giocondo le château de Gaillon, type de la renaissance française, œuvre de Pierre Valence et de Jean Juste; on a attribué à Vignole, le château de Chambord, œuvre de Pierre Nepveu dit Trinqueau; on a attribué à Paul Ponce Trebatti le tombeau de Louis XII, dû au ciseau de Jean Juste et de Pierre Bontemps; on a attribué à Paul Ponce Trebatti la statue de l’amiral Ph. de Chabot, œuvre de J. Cousin; on a attribué à ce même Paul Ponce les admirables bas-reliefs du tombeau de François I.er, sculptés par Pierre Bontemps; on a déclaré dans cette manie aveugle, que Jean de Vitry, qui a sculpté les ciéges ou stalles de Saint-Pierre à Saint-Claude (Jura), en 1465, était un artiste italien de 1565. Jean Juste a passé long-temps pour un artiste italien, bien qu’on sût qu’il s’appelait «Johannes, cognomine Justus et Florentinus.»

Partout l’étude attentive des actes, des comptes, des manuscrits, démontre que la plus grande partie des œuvres que des traditions sans autorité attribuaient à des Italiens étaient dues au contraire à des artistes français. L’étude attentive du château de Fontainebleau, centre principal des artistes italiens sous François Ier, l’étude sérieuse des actes et des documents a encore réduit sur ce point ce que l’on attribuait aux étrangers pour les constructions comme pour les peintures de ce palais.

Peu d’œuvres et grande influence: c’est ainsi que je résume ce qui est relatif au rôle des Italiens en France.

Je dois actuellement juger cette influence exercée par l’art italien sur l’école française. Je n’hésite pas à la regarder comme détestable. Notre originalité, tous les caractères de notre école, toutes ses qualités, tout a été détruit. L’exagération a, sur ce point comme sur tant d’autres, tout gâté en outrepassant le but. Il est à regretter que la France n’en soit pas restée à la renaissance française. J’oserais à peine me prononcer aussi nettement sur ce fait, si je ne pouvais appuyer mon opinion sur les autorités les plus compétentes. Je n’en citerai qu’une, Emeric David.

«Ce serait une question neuve et bien digne d’examen, dit-il, que celle de savoir si les artistes italiens employés par François 1.er à Fontainebleau, si les Rosso, les Primatrice, les Cellini, dont le dessin systématique se ressentait déjà des erreurs qui, de leur temps, commençaient à entraîner l’Italie vers sa décadence, si ces maîtres, dis-je, n’ont pas égaré notre école au lieu d’améliorer ses principes, en l’induisant à abandonner sa manière simple et franche pour y substituer le style de convention qu’ils avaient eux-mêmes mis à la place de la grâce naturelle de Raphaël. Quant à moi, je crois qu’il est résulté de cette révolution un mal réel pour la France .

Quoi qu’il en soit, pendant la Renaissance, nos artistes étaient accueillis par les étrangers, par les Italiens mêmes avec empressement; on leur confiait l’exécution d’œuvres importantes qui prouvent que notre école n’avait rien perdu de sa supériorité.

Ainsi, pendant le X VI.e siècle, nous trouvons Louis de Foix, employé par Philippe Il à la construction de l’Escurial; Coldoré gravant le portrait d’Elisabeth, reine d’Angleterre; nos verriers travaillant en Espagne, en Italie; Jacques d’Angoulême luttant contre Michel-Ange, et remportant le prix sur lui au jugement des Italiens; Richard Taurigny, Richier, Jean de Bologne, Pierre de Franqueville, Nicolas Cordier Lorrain, travaillant en Italie et y faisant de nombreux ouvrages. Nos musiciens créaient à cette époque l’école de musique italienne. Claude Goudimel est le plus illustre de ces artistes, il a eu pour élèves Palestrina, Nanini. A cette époque, tous les maîtres de chapelle de l’Italie étaient Français; lorsque le Pape envoie, en 1545, des chanteurs apostoliques au concile de Trente, pour donner leur avis sur ce qui concernait le chant et la musique d’église, tous ces chanteurs sont Français. Nos peintres mêmes, Fréminet, Jacques Blanchard, étaient, à la fin du XVI.e siècle, recherchés et employés par les princes italiens.

Il est donc évident qu’au moment même où l’école française subissait l’influence de l’Italie, nos artistes trouvaient encore le moyen, par leur génie et les grandes qualités non encore anéanties de notre école, de briller en Italie même. L’un d’eux, Jacques d’Angoulême, eut même l’honneur de se montrer supérieur au plus grand génie de l’Italie. Malheureusement, ni les œuvres ni la vie de ce grand artiste ne sont connues; l’indifférence de la France l’a laissé dans un profond oubli. Que n’était-il Italien?

LOUIS XIV ET LOUIS XV,

Je n’ai pas à faire ici l’histoire ni à examiner la valeur esthétique de l’école française aux temps de Louis XIV et de Louis XV; j’ai seulement à constater l’acceptation universelle de ses principes, de son goût et de ses artistes.

L’influence de la France de Louis XIV, influence continuée au XVIII.e siècle, est tellement considérable, qu’il est essentiel de l’établir d’abord par le témoignage des contemporains. Je citerai Leibnitz pour le XVII.e siècle, et Fréderic-le-Frand pour le XVIII.e.

«Après la paix de Munster et celle des Pyrénées, dit Leibnitz , la puissance et la langue française l’emportèrent. La France se vantait d’être le siége de toute l’élégance; nos jeunes gens, sur-tout notre jeune noblesse, qui n’avaient jamais connu leur patrie et admiraient tout chez les Français, non contents de la rendre méprisable auprès des étrangers, les aidaient à la décrier, et prenaient du dégoût pour leur langue et pour leurs propres mœurs qu’ils ignoraient; ils eurent bien de la peine à déposer cette aversion après être parvenus à l’âge de maturité et de jugement. Plusieurs de ces jeunes gens..... étant parvenus ensuite aux dignités et aux emplois, gouvernèrent l’Allemagne pendant un assez long espace d’années, et s’ils ne la rendirent pas tributaire de la puissance française, il ne s’en fallut pas de beaucoup, et ils la soumirent du moins presque entièrement à la langue et aux modes de cette nation.»

«L’Europe, dit Frédéric-le-Grand , enthousiasmée du caractère de grandeur que Louis XIV imprimait à toutes ses actions, de la politesse qui régnait à sa cour et des grands hommes qui illustraient son règne, voulait imiter la France qu’elle admirait; toute l’Allemagne y voyageait; un jeune homme passait pour un imbécile s’il n’avait séjourné quelque temps à la cour de Versailles; le goût des Français régla nos cuisines , nos meubles, nos habillements et toutes ces bagatelles sur lesquelles la tyrannie de la mode exerce son empire; cette passion, portée à l’excès, dégénéra en fureur. Les femmes, qui outrent souvent les choses, la poussèrent jusqu’à l’extravagance.»

Que si l’on recherche les causes de cette influence exercée aux XVII.e et XVIII.e siècles par la France, on les trouvera toutes dans la puissance et la gloire de Louis XIV, dans l’élégance et la délicatesse des mœurs de la cour de Versailles, dans l’éclat de notre littérature, dans le charme et la séduction de l’esprit et du goût français.

Nos ambassadeurs pendant la paix, nos officiers pendant la guerre, plusieurs princesses françaises mariées à des princes étrangers , répandirent en Europe les mœurs de la France. La révocation de l’édit de Nantes y contribua également. Pierre-le-Grand vint à Paris, ses sujets l’imitèrent, et la société russe se modela sur la société française. De partout on venait se maniérer à Paris et à Versailles, c’est-à-dire étudier notre esprit de société, les usages de la bonne compagnie, notre politesse et sur-tout notre art de la conversation.

La philosophie, les lettres, nos journaux littéraires, nos chansons, nos modes mêmes complétaient cette influence qui francisa l’Europe pour long-temps, jusqu’aux jours où la France, renonçant d’elle-même à cet empire, crut devoir adopter les mœurs anglaises.

Il était impossible que l’école française ne prît pas une large part dans cette influence générale de la France sur l’Europe. De grands artistes, auxquels Louis XIV fit faire de magnifiques travaux, illustrèrent le règne du grand roi et donnèrent à l’art français une illustration d’autant plus vive que les écoles voisines étaient tombées plus bas. Tout en ayant perdu sous, Louis XV, quelques-unes des qualités du siècle de Louis XIV, la grandeur majestueuse, la sévérité, l’école française brilla par la grâce et l’esprit.

Les étrangers trouvaient ravissante cette peinture française, vive, spirituelle, élégante, d’un coloris naturel, d’un dessin correct et gracieux, reproduisant les caractères de la beauté française; et, bien qu’il ait été un instant de mode de proscrire en masse et sans distinction tous les maîtres de l’école de Louis XV, la France et l’Europe entière du XVIII.e siècle, et beaucoup de personnes aujourd’hui, ont porté un tout autre jugement sur cette école.

Nos peintres, nos sculpteurs étaient partout, aux XVII.e et XVIII.e siècles, admirés, appelés et employés. Plusieurs ont exercé une influence considérable; tout le monde sait que le Poussin a relevé l’école italienne qui était en pleine décadence.

Tous les souverains de l’Europe, au XVIII. e siècle, eurent pour premiers peintres, pour premiers sculpteurs, pour premiers architectes des artistes français. Toutes les académies de peinture, de sculpture et d’architecture fondées au XVIII. e siècle ont été créées et dirigées par des Français; nous pouvons citer celles de Vienne, de Berlin, de Dresde, de Copenhague, de Madrid, de Saint-Pétersbourg. Les souverains étrangers envoyaient des pensionnaires étudier à Paris. Comme on le verra dans la suite de ces recherches, le nombre des œuvres d’art faites par nos artistes à l’étranger est extrêmement considérable et la plupart sont des ouvrages de premier ordre.

Etre reçu membre de l’Académie de Peinture et de Sculpture de Paris, était l’honneur le plus ambitionné par les artistes étrangers.

L’établissement des expositions publiques qui ne devinrent régulières que sous Louis XV, exerça une action considérable; en effet «c’est aux expositions publiques, dit un contemporain, que les ambassadeurs apprécient nos artistes et de là portent leur réputation à l’étranger. »

Si nous passons à l’architecture, nous trouverons d’abord que les grands bâtiments de Louis XIV furent des modèles que l’on s’empressa de copier ou d’imiter partout, ainsi que les jardins de Le Nôtre. A Stuttgard, à Rastadt, à Manheim, à Nymphenbourg, à la Granja, à Peterhof, on fit des imitations de Versailles, de son château et de ses jardins. Le Nôtre alla lui-même, en 1678, dessiner les plus beaux jardins de Rome pour le pape Innocent XI .

Après avoir imité, au XVII.e siècle, l’architecture française dans ses palais et dans ses jardins royaux, l’Europe, au XVIII.e siècle, l’imita dans son architecture civile. Contant, Cartaud, de Cotte, Boffrand et quelques autres, avaient modifié complètement les distributions et la décoration des intérieurs des hôtels et des maisons; ils s’étaient efforcés de rendre les habitations commodes, comfortables comme l’on dirait aujourd’hui; ils n’employaient que les décorations les plus légères, les boiseries sculptées et dorées, et les glaces . Les étrangers accueillirent avec empressement notre nouveau système d’architecture. Voici ce que disait sur ce sujet, en 1765, un architecte qui est en même temps un écrivain distingué :

«Les étrangers sont dans la plus grande admiration en voyant nos hôtels modernes, distribués avec tant d’intelligence, décorés avec tant d’agréments, et meublés avec tant de goût et d’élégance. Toutes ces inventions heureuses valurent la réputation la plus brillante à l’architecture française. La plupart des souverains, pour en profiter, se sont empressés d’attirer dans leurs Etats des architectes de notre nation. Parcourez la Russie, la Prusse, le Danemark, le Wurtemberg, le Palatinat, la Bavière, l’Espagne, le Portugal et l’Italie, vous trouverez partout des architectes français qui occupent les premières places, indépendamment de nos peintres et de nos sculpteurs. Paris est à l’Europe ce qu’était la Grèce lorsque les arts y triomphaient: il fournit des artistes à tout le reste du monde .»

La gravure française, qui atteignit sous Louis XIV un si haut degré de perfection, servit de modèle à toutes les autres nations. L’école anglaise dérive en entier de l’école française; elle a été fondée par des graveurs français appelés en Angleterre; les grands graveurs anglais du XVIII.e siècle sont tous élèves de la France; c’est à Paris qu’ils sont venus apprendre les principes de l’art. La galerie de Dresde a été presque tout entière gravée à Paris. C’est par des graveurs de Paris que l’empereur de la Chine fit graver les seize estampes connues sous le nom de Batailles de la Chine.

Rameau a fait faire à l’art musical de très grands progrès et a exercé une influence qu’on est trop disposé à oublier aujourd’hui. C’est en 1722 que ce grand compositeur publia son Traité d’Harmonie, ouvrage qui créa la science de l’harmonie . «Grimm dont la mauvaise foi égale l’ignorance des faits, assure que les écoles d’Italie et d’Allemagne n’ont jamais entendu parler des livres de Rameau concernant l’harmonie . Or, il est précisément démontré, dit M. Fétis , que ces ouvrages ont fait naître les premières idées de théorie d’harmonie en Allemagne et en Italie, comme ils donnèrent naissance à des multitudes de Systèmes chez les Français. La seule pensée de la possibilité d’une théorie scientifique de l’harmonie fut un trait de génie qui remua le monde musical, et qui même encore aujourd’hui exerce son influence: Le Traité de l’Harmonie a été l’origine du Tentamen d’Euler et du système de Tartini. Ce fut le système de la basse fondamentale que Marpurg introduisit en Allemagne dans son Manuel de la Basse continue, et dans la traduction des Eléments de Musique de d’Alembert.

«Sorge, bien qu’il eût fait choix d’un autre principe, se rallia à l’idée suivie par Rameau de la nécessité d’une base scientifique pour la théorie des accords. Martini, dès 1757, discutait, dans le premier volume de son Histoire générale de la Musique, les opinions de Rameau... Enfin, la formation des accords dissonnants par des additions de tierces, et l’extension du principe du renversement des accords, ont été les sources du système de Valotti et de Sabbatini.»

Kirnberger, élève de Sébastien Bach, compositeur théoricien allemand, a, dit la Biographie universelle, simplifié et réduit le système des accords de Rameau. La simplicité de sa méthode l’a fait adopter généralement en Allemagne. Le livre de Kirnberger a exercé depuis 1754 une grande influence en Allemagne, et je tiens à bien établir que Rameau est pour beaucoup dans ce grand mouvement harmonique que Haydn, Mozart et Beethoven devaient mener si loin.

Non seulement Rameau exerça une grande influence sur la composition musicale par ses Traités d’Harmonie, mais encore par ses œuvres, dont le style fut un modèle pour plus d’un grand maître étranger. Les symphonies, les airs de danse, les opéras de Rameau se jouaient sur tous les théâtres étrangers.

Plusieurs compositeurs allemands imitèrent Rameau; Jean-Bernard Bach, mort en 1749, a composé, dit M. Fétis, de bonnes ouvertures dans le style français de son temps. On pourrait multiplier de pareilles indications.

Nos opéras-comiques du XVIII.e siècle étaient partout représentés; partout on entendait avec plaisir cette musique spirituelle et mélodique, où l’esprit français se révèle tout entier, et nulle part on ne parvenait à l’imiter. Il en était de même de nos opéras-ballets, de nos décors d’opéras.

Les industries qui emploient les arts du dessin avaient autant de célébrité et d’influence que les arts eux-mêmes.

Charles-André Boule donna à notre ébénisterie des formes gracieuses; il l’orna de bronzes élégants et de riches mosaïques. Boule a travaillé pour presque tous les souverains de l’Europe.

Les orfèvres, qui ne sont en réalité que des sculpteurs en métaux précieux, étaient aussi célèbres que nos autres artistes, soit par le bon goût de leurs œuvres, soit par les importants perfectionnements apportés à la partie matérielle de leur art. Claude Ballin 2, orfèvre de Louis XV, a sur-tout travaillé pour l’étranger; les cours de Portugal, d’Espagne, d’Italie, de Saxe, de Bavière, de Russie, le prince Eugène à Vienne, le Grand Turc lui-même possédaient des œuvres importantes de Ballin. Toutes les tables des souverains de l’Europe étaient ornées des chefs-d’œuvre de Pierre Germain et de Thomas Germain.

La serrurerie, véritable sculpture en fer, avait autant de réputation que l’orfèvrerie. Destriches de Paris, sous Louis XV, exécutait pour le Portugal des grilles dont les contemporains vantent l’élégance.

Les porcelaines de Sèvres, modelées sur les dessins de Falconnet, peintes par Boucher ou par Bachelier, ont eu une réputation méritée qu’elles ont conservée jusqu’à nous. Tout le monde recherche encore le vieux Sèvres.

Les tapisseries des Gobelins, de Beauvais, de la Savonnerie, d’Aubusson, exécutées sur les cartons des peintres les plus renommés, étaient des modèles pour toute l’Europe. Les riches étoffes de Lyon, exécutées d’après les dessins de Revel et de Philippe de Lasalle (né en 1723, mort en 1804), ont fait l’ornement des palais de tous les souverains de l’Europe.

L’art du fondeur avait reçu de tels perfectionnements par les procédés de Gor, commissaire des fontes de l’Arsenal, qu’on imita partout ses procédés, et qu’on l’appela à Copenhague pour couler la statue de Frédéric V, modelée par Saly.

2

ÉCOLE DE DAVID.

L’art français exerçait dans toutes ses parties une influence incontestée en Europe, lorsqu’une révolution artistique s’accomplit dans notre école et en modifia tous les caractères. On sait quelles sont les causes et le caractère de la révolution que commença Vien et que David accomplit. Loin de diminuer, l’influence de l’école française sur l’Europe s’augmenta. Partout David devint le maître dont on suivait les leçons et les exemples; peinture, sculpture, gravure, arts industriels, modes, tout subit l’influence du réformateur, et l’Europe, s’accommodant au goût de notre école, en suivit l’impulsion.

En architecture, Percier exerça le même empire que David sur les arts du dessin; tout ce qu’il y a maintenant d’habiles architectes en Europe, dit son biographe, est sorti de l’école de Percier.

Ainsi rien ne fut changé dans l’influence que l’école française exerçait sur l’Europe depuis le milieu du XVII.e siècle.

Les artistes français à l'étranger

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