Читать книгу Grand'mère avait des défauts! - Louis Morin - Страница 4
ОглавлениеPROLOGUE
La vieille maison de campagne où Georgette, Jeanne et Rose vont passer la belle saison, c’est la maison de grand’ mère, toute pareille à elle. Lorsque grand’mère est assise sur la terrasse, dans son vieux fauteuil à oreilles, entre les caisses d’orangers et les grands pots de lauriers, et que son visage pâle, abrité par un grand bonnet de jardin, sourit doucement, avec ses yeux restés si jeunes, il y a, entre elle et la vieille maison au capuchon d’ardoises, qui rit, elle aussi, par ses fenêtres brillantes, une étrange ressemblance.
Pour les trois fillettes, grand’mère, et sa maison, ce sont des personnes très respectables, très vieilles — qui ont toujours été sages et vieilles — et très bonnes aussi. Grand’mère n’est là vraiment que pour donner à ses petites filles le bon air, les amusements des champs, les gâteries de sa table où les gâteaux abondent et, quand elles sont punies, la câlinerie de ses consolations, les douces exhortations qui font que l’on cède peu à peu et qu’on oublie ses bouderies. C’est la raison d’être de grand’mère.
Car Georgette, Jeanne et Rose, étant si gâtées, si dorlotées, sont pleines de défauts affreux et ridicules. Georgette est vaniteuse, Jeanne est colère, Rose est gourmande et grand’mère a beau faire, ces défauts là ne vont pas en s’atténuant.
Or, grand’mère a pris une décision. Un après-midi de réflexions graves, sur la terrasse, après quelque orage qui a bouleversé la matinée de pleurs et de désespoirs futiles, grand’mère prend texte d’une exclamation de Georgette: —«Mais, grand’mère, vous n’avez pas eu de peine à être bonne et sage, vous, vous n’avez jamais eu de défauts!» — pour détromper les fillettes.
— Ah, mes pauvres petites, que me dites-vous là ! j’ai eu comme vous des cheveux blonds et des joues roses, mais j’ai eu aussi plus de défauts encore que vous n’en avez. J’étais vaniteuse, colère et gourmande, et, de plus, paresseuse, envieuse, désobéissante, etc., etc. J’avais, hélas tous les défauts. Mais la vie est là pour nous corriger, durement, et les gronderies des parents, dont vous vous plaignez si amèrement, ne sont que pour vous éviter ces terribles leçons de la réalité dont je vous parle.
Et, toutes ces leçons, je les ai eues, l’une après l’autre, sans atténuation, car je n’avais plus de maman; mon père, tout occupé de me préparer une petite fortune, et qui m’aimait aveuglément ne pouvait s’apercevoir de tous mes travers. J’avais donc fini par loger auprès de moi la troupe entière de ces vilains personnages que vous savez, et que. nous ne voyons pas, si nous n’y prenons pas grande attention: les Défauts.
Tantôt ils m’escortaient tous ensemble, attentifs à me faire commettre des sottises, quitte à se moquer de moi après: tantôt l’un d’eux m’entreprenait en particulier et n’avait de cesse qu’il ne m’eût lancée dans quelque fâcheuse aventure. Voyez-vous, petites filles, mes yeux sont exercés depuis plus longtemps que les vôtres, je vois, très distinctement, à certaines heures, rôder autour de vous des figures, impalpables, et que pourtant je reconnais bien, pour les avoir fréquentées autrefois.
Derrière toi, Georgette, j’ai vu se dresser souvent le mannequin de l’Orgueil, coiffé d’un feutre orné de plumes de paon et vêtu très magnifiquement, quoique son pourpoint soit marqué par derrière de l’usure de nombreux coups de pied (tu as des amis bien vêtus!) Il te soufflait, sans que tu y prisses garde, de trop bonnes opinions sur toi-même et l’envie démesurée de paraître ce que tu n’es pas.
Jeanne a pour compagne favorite, à son insu, une personne vêtue de couleur ponceau, la Colère, dont le teint est fort rouge, la coiffure étrangement dérangée, et qui a toujours la bouche ouverte, les yeux hors de la tête et la trace d’un soufflet sur la joue droite. C’est elle qui lui conseille de ne pas se laisser marcher sur les pieds et lui énumère toutes les raisons de son légitime ressentiment.
Rose a une amie plus avenante, la Gourmandise, une amie grassouillette à lard, mais, quand elle rit, on s’aperçoit qu’elle n’a plus de dents, à force de manger des sucreries, ce qui est bien vilain. Cette amie-là a une robe vert de mer brodée de vagues et de petits poissons, pour rappeler qu’elle est sujette au mal de mer, et elle porte, vous le dirai-je, une seringue en sautoir, accompagnée de quelques flacons d’huile de ricin et d’émétique.
Si vous voulez, mes petites, je vous raconterai, à raison d’une après-midi par mésaventure, comment j’ai dû me séparer de ces amis déplorables, — après, hélas! qu’ils m’eurent entraînée aux pires catastrophes.