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Février 1654 à janvier 1657.

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Paris, 6 février 1654.

Le Roi! enfin, je l’ai vu, de quoi il me tardait furieusement. Hier, au Louvre, nous fûmes présentées à Leurs Majestés, ma mère, ma sœur Hortense et moi. Ma mère qui m’a en médiocre affection se raillait fort de mon désir de paraître à la cour. Elle me dit au moment de monter en carrosse:

— Ce sera, sur ma foi! un plaisant spectacle à offrir au Roi que votre vilain museau sec et noir comme un pruneau.

A quoi je repartis.

— Ma laideur vous doit mettre le cœur en joie, puisque, par le contraste, elle fera paraître dans tout son éclat la beauté de votre préférée.

Comme je suis, de longue date, accoutumée aux propos peu gracieux de ma mère, je ne m’en mets guère en peine. Et pour ce qui est d’être laide, étant un mal à quoi il n’y a pas de remède, je croyais en avoir pris bien définitivement mon parti; mais, de cette heure que j’ai vu le Roi, j’ai bien changé d’avis.

La Reine a fait à ma mère de grands compliments sur la beauté de ma sœur. Le Roi regardait Hortense avec admiration, puis reportait les yeux sur moi, tout étonné, me semblait-il, de nous trouver si différentes en beauté, et ces regards du Roi me firent tout soudainement sentir quelle disgrâce c’est d’être laide.

Suis-je donc si laide? Je viens de me le de mander debout devant mon miroir.

Je suis grande, pour mon âge, mais si maigre que mes bras et mon col paraissent trop longs et décharnés; ma peau est d’un brun jaunâtre; mes yeux, grands et noirs, n’ont pas plus d’éclat que deux charbons éteints; ma bouche est grande et plate; mes dents sont très belles, mais cela m’est de mince avantage n’étant pas, comme ma sœur Hortense, toujours en humeur de les montrer en de joyeux éclats de rire.

Donc, je suis laide! ce n’est pas d’aujourd’hui que je le sais; ma mère me le répète assez que je suis laide; mais les regards du Roi me l’ont dit avec une telle éloquence que, pour la première fois, je me désole d’être laide... laide!...

J’ai fort bien vu, par l’accueil de Leurs Majestés, que mon oncle le Cardinal est, céans, un plus grand personnage encore que je n’imaginais.

La Reine dit à ma mère qu’elle ne nous voulait pas savoir loin d’elle, et, qu’en conséquence, elle nous avait fait préparer un appartement au Louvre où mon oncle est établi depuis qu’il a quitté le Palais-Royal.

Nous sommes descendues à l’hôtel de Vendôme où la duchesse douairière nous accueillit avec de grands témoignages d’affection, principalement ma sœur, la duchesse de Mercœur, qui est sa belle-fille.

Après notre présentation à la cour, nous fûmes traitées splendidement chez la duchesse de Carignan qui nous donna tous les divertissements possibles, desquels j’ai fort bien pris ma part, encore que je sois un peu neuve dans le ton et les manières de la cour, malgré les huit mois passés à Aix, auprès de ma sœur de Mercœur, qui ne nous avait épargné, sur ce point, ni les sages avis, ni les bons exemples.

Si j’étais belle comme ma sœur Hortense, j’aimerais à la folie la Cour et les plaisirs; mais ma laideur me gâtera sans doute tous les plaisirs.

Pendant le concert de violons que nous donnait la duchesse de Carignan, je me tenais un peu à l’écart, observant tout, et invisible derrière un rideau. Le fils de la duchesse, le comte de Soissons, dit à ma sœur Olympe:

— Eh quoi, divine, se peut-il que vous ayez pour sœur un tel laideron!

Olympe répondit charitablement:

— Il est vrai que les yeux sont furieusement blessés par la vue de celte noire petite taupe.

A quoi, sortant du rideau qui me cachai, je répondis:

— J’aime encore mieux offenser les yeux par ma laideur que les oreilles par ma sottise et ma méchanceté !

Ma sœur, furieuse, se voulait aller plaindre à ma mère, mais le comte, affectant de me traiter en enfant, tourna la chose en plaisanterie.

— Eh! fit-il, point si taupe! la colère lui donne de beaux yeux de chat sauvage.

— En attendant qu’elle m’en donne les griffes, fis-je hardiement.

— Mais, dit le comte en riant, je les crois déjà poussées, les jolies griffes roses!

Il voulut prendre ma main pour la baiser, mais je la retirai brusquement et la mis derrière mon dos.

Paris, 22 février 1654.

Le contrat de mariage de ma cousine Anne-Marie Martinozzi avec le prince de Conti fut signé hier au Louvre. Ils avaient été fiancés, le même jour, dans la chambre du Roi par l’archevêque de Bourges. Le mariage a été célébré, ce matin, par le même prélat, dans la chapelle de la Reine.

La mariée, belle comme un ange, dans son habit de brocart blanc orné de perles magnifiques, a été conduite à la chapelle par Leurs Majestés, par Monsieur, par le prince de Conti, par M. le Cardinal et beaucoup d’autres des premiers de la Cour.

Le prince a une très jolie figure, mais il est bossu; pour moi, je n’aimerais pas du tout un mari bossu.

Je me réjouissais fort d’assister à ce mariage, ma mère m’ayant fait faire pour la circonstance un bel habit de satin blanc. Au moment de rejoindre le cortège, Olympe me dit obligeamment:

— Ma chère, vous avez l’air d’une mouche en train de se noyer dans un bol de lait.

— Je répliquai:

— Et vous, ma chère, vous avez l’air d’une oie.

Ce n’est pas du tout vrai; Olympe est sotte, mais elle n’en a pas l’air: sa beauté lui tient lieu d’esprit, et je vois bien que rien ne pourra, à moi, me tenir lieu de beauté.

Si jolie que soit Olympe, Hortense l’est bien plus qu’elle. Quand on la regarde, c’est comme si l’on entendait une musique ravissante. Elle était fraîche comme un bouton de rose dans son habit de satin blanc. Après la cérémonie elle a été baisée, mignotée; tout le monde en faisait les plus grands compliments à M. le Cardinal que cela rendait fort aise, car Hortense est présentement sa favorite.

Le Roi dit à mon oncle:

— En vérité, je ne crois pas qu’il puisse exister dans le monde entier une aussi jolie enfant.

Je me tenais près du Roi, en ce moment. Il s’avisa que j’avais entendu, et me regarda avec un peu d’embarras comme pour s’excuser de louer ma sœur devant moi et de ne me pouvoir louer moi-même. Je me sentis devenir toute rouge, de quoi je fus fort humiliée. Le Roi a dû penser que c’était par l’effet de la jalousie; pas du tout, c’était par l’effet de la colère, ne pouvant souffrir que l’on ait l’air de me prendre en pitié.

Pour le coup, si Olympe lisait ceci, elle ne manquerait pas de dire que c’est moi qui suis une oie d’imaginer sottement que le Roi peut s’occuper de ce que je pense!

De retour dans notre appartement, ma mère embrassa Hortense, lui disant:

— Ma perle, ma beauté, mon étoile, si Anne-Marie épouse un prince du sang, à quoi ne pourras-tu prétendre!

— Hé, fis-je, ma mère, vous oubliez qu’au-dessus d’un prince du sang, il n’y a que le Roi.

— Ce que je n’oublie pas, c’est que votre avenir m’est un sujet de perpétuel tourment. Anne-Marie a fait un brillant mariage, mais elle est admirablement belle, elle a beaucoup d’esprit et de raison, et avec cela un caractère d’une douceur angélique. Toutes ces qualités, ma fille, ne brillent en vous que par leur absence, aussi, tout ce que je vois ici me fait d’autant plus regretter que vous n’ayez pas suivi mes conseils et ne soyez pas demeurée auprès de votre tante au couvent de Campo-Marzio.

— Eh bien, sachez, ma mère, que, encore que Campo-Marzio fût peu agréable à habiter, étant fort malsain et soumis à une rigoureuse clôture, j’aimerais quasi mieux y être ensevelie jusqu’à la fin de mes jours que d’épouser, comme Anne-Marie, un mari bossu.

Cette réponse mit ma mère en fureur.

— Voyez-vous, fit-elle, ce laideron qui fait fi! d’un prince du sang!

— Moi, fit Hortense, c’est le Roi que je voudrais épouser.

Cela me fâcha, contre cette petite épouser le Roi! Je vous demande un peu!... Au reste, je le déteste, le Roi, avec son air de s’étonner de me voir si laide. Qu’est-ce que ça peut lui faire, que je sois laide?... Je suis sûre que, comme ma mère, il pense que la place d’une fille laide est au couvent... Eh bien, cela m’est égal, ce qu’ils pensent, et je n’entrerai pas en religion, ne fût-ce que pour faire enrager ceux qui voudraient m’y voir entrer... Vraiment, je suis sotte, qu’est-ce que cela peut bien lui faire, au Roi, que je sois laide ou jolie, au couvent ou à la Cour.

Paris, 15 mars, 1654.

Eh bien! l’avais-je pas dit qu’ils n’avaient tous en l’esprit que le désir de se débarrasser de moi!

Ma mère nous ayant menées rendre nos devoirs à M. le Cardinal, il me prit par le menton et dit à ma mère:

— M’est avis que l’air de la Cour ne vaut rien pour cette petite sauterelle. Si j’étais que de vous je la mettrais dans un couvent pour voir si elle y prendrait un peu d’embonpoint.

Ma mère fit alors, selon sa coutume, cent doléances sur mon compte: que j’étais dans une agitation continuelle provenant de mon insupportable enjouement, et que, surtout, le peu de régime que je gardais, prenant les nourritures qui me sont contraires et refusant celles qui me peuvent faire du bien, m’avait réduite à ce pitoyable état de maigreur.

A la suite de cet entretien, ma mère me vient de déclarer que j’entrerai la semaine qui vient au couvent de la Visitation du faubourg Saint-Jacques.

— Vous voulez dire: nous entrerons, dis-je, car Hortense vient sûrement avec moi?

Hortense se mit à faire les hauts cris, déclarant qu’elle ne voulait pas aller au couvent. Ma mère aussitôt de la consoler, lui disant qu’elle était sa joie, sa lumière, et qu’elle la garderait auprès d’elle.

Ma mère nous ayant menées chez la Reine lui fit part du conseil que lui avait donné M. le Cardinal, touchant notre mise au couvent, sur quoi Monsieur, le petit frère du roi, se mit à fondre en larmes.

— Je ne veux pas que ma bonne amie Hortense s’en aille au couvent, ne cessait-il de répéter.

Le Roi, survenant, s’informa de la cause des larmes de Monsieur.

— C’est, dit le prince, qu’on veut mettre ma bonne amie Hortense au couvent, n’est-ce pas que vous ne le souffrirez pas?

— Hé quoi, Madame, fit le Roi, en s’adressant à ma mère, est-ce vrai? Ce serait bien dommage!

Ma mère ayant répondu qu’il ne s’agissait que de moi, le roi fit un:

— Ah! fort bien! d’un air indifférent qui me mit dans une telle fureur que je m’écriai:

— Oui, je vais au couvent, et je suis fort aise d’y aller!

Et cela d’un air qui signifiait clairement que c’était de quitter la Cour, que j’étais fort aise.

Ma mère me reprit ensuite sévèrement sur cette réflexion.

— Quand on est si neuve dans le bel usage, me dit elle, on est assurément mieux à sa place dans un couvent qu’à la Cour.

A quoi je repartis:

— S’il ne s’agit que d’être neuve pour être enfermée dans un cloître, Hortense devrait donc suivre ma destinée, et cela avec d’autant plus de raison qu’elle est bien plus jeune que moi.

Ma mère reprit aigrement:

— Eh ne voyez-vous pas que, précisément, sa grande jeunesse la rend plus excusable dans ses manquements aux lois du bel usage; et d’ailleurs sa beauté s’explique assez pour elle.

Tout cela n’est-il pas d’une révolante injustice? Ce qui me console dans cette mortification d’entrer au couvent, c’est de penser que je ne verrai plus le Roi, car décidément, je le déteste!

Paris, 18 mai 1654.

Voilà qui est bien étonnant: je suis céans depuis deux mois, et j’y suis sans ennui.

L’Abbesse du monastère est la Mère Marie-Elisabeth de Lamoignon, sœur du premier président de Paris. Ayant bien voulu prendre la peine de m’instruire elle-même, elle m’enseigne la langue que je sais mal, et tout ce qui est nécessaire à une fille de mon âge et de mon rang. Puisque je suis dépourvue de beauté, je veux du moins, si l’on ne me peut regarder sans peine, que l’on me puisse écouter avec plaisir.

L’étude ne m’ennuie pas, ayant une facilité extrême. Les sujets les plus sérieux ne me peuvent rebuter, et j’apprends en me jouant des pages entières de tragédies. Je viens de lire Sophonisbe de M. Mairet. J’ai appris par cœur les plaintes de Massinisse devant le corps de Sophonisbe. Je goûte surtout les derniers vers de ce morceau que M. Corneille a si heureusemement imités dans les imprécations de Camille de sa belle tragédie Horace.

Cependant, en mourant, ô peuple ambitieux!

J’appellerai sur toi la colère des Cieux

Puisses-tu rencontrer, soit en paix, soit en guerre,

Toute chose contraire, et sur mer, et sur terre,

Que le Tage et le Pô, contre toi rebellés,

Te reprennent les biens que tu leur as volés;

Que Mars, faisant de Rome une seconde Troie,

Donne aux Carthaginois tes richesses en proie,

Et que dans peu de temps le dernier des Romains

En finisse la race avec ses propres mains

Si j’étais le Roi, ce serait ma folie d’accomplir d’assez grandes choses pour voir mes exploits célébrés dans les vers des poètes.

Hortense m’est venue rejoindre depuis peu, de quoi elle est fort marrie. Malgré les instances de ma mère pour la garder auprès d’elle, M. le Cardinal s’est avisé que ma sœur était trop enfant pour demeurer à la Cour où sa grande beauté la fait cependant bien venir de tous; il disait qu’elle était devenue trop obstinée, à quoi la grande liberté qu’on lui laissait n’avait pas peu contribué.

Il parait qu’elle a témoigné un déplaisir mortel de quitter la Cour, et cela a été fort bien vu par M. le Cardinal, parce que venant de sa favorite, il a voulu voir, dans ce déplaisir, un effet du chagrin qu’elle éprouvait à se séparer de lui. Le même déplaisir témoigné par moi, à mon entrée au couvent, a été pris comme une preuve de mon esprit d’insubordination, tant il est vrai que tout est pris en bonne part de ceux que l’on aime et en mauvaise de ceux que l’on déteste.

La petite me conta que Monsieur avait d’abord beaucoup pleuré en apprenant son départ, puis qu’il s’était mis en colère contre le Roi, lui disant:

— Il faut que vous soyez bien méchant! Vous êtes le maître, et vous laissez partir ma bonne amie!

Oui, le Roi est le maître de toute la France, mais on dit que M. le Cardinal est le maître du Roi. Si j’étais le Roi, je ne souffrirais pas cela.

Après avoir donné un jour de congé aux classes en l’honneur de l’arrivée d’Hortense, Mme de Lamoignon a voulu l’astreindre à un travail régulier, de quoi la petite se lamente fort. Comme Madame la reprenait avec douceur, lui disant qu’elle devait étudier pour plaire à Son Eminence:

— Voire! dit Hortense, je n’ai pas besoin de vos livres ennuyeux pour apprendre à lui plaire! je n’ai seulement qu’à le lutiner et baiser, et il se tient content!

L’autre jour, elle me vint demander de lui prêter de l’argent pour son divertissement, en attendant l’argent de la pension que M. le Cardinal lui a promis pour chaque mois. Je lui dis que je n’avais pas du tout d’argent.

— Comment, fit-elle, vous êtes depuis deux mois au couvent sans argent! Mais il n’y a qu’à écrire à notre oncle pour lui en demander.

— Ecrivez, si cela vous plaît. Pour moi, j’aime mieux me passer d’argent que de lui en demander.

Alors, de son écriture illisible, car, malgré ses neuf ans, elle écrit comme un chat, elle se mit à écrire à M. le Cardinal une lettre qu’elle me fit lire.

— Voilà, dis-je, une belle horreur, il ne pourra jamais déchiffrer cet affreux barbouillage.

— Que si! fit-elle, je lui dis que je l’aime fort, il saura très bien lire cela et en sera tout aise. Et, vous voyez, je n’ai pas manqué de demander aussi de l’argent pour vous.

Décidément, c’est une bonne petite. J’avoue que je ne serai pas fâchée d’avoir quelques pistoles à ma disposition, soit pour mon divertissement, soit pour en faire des libéralités, encore que j’eusse mieux aimé m’en passer que de les demander à M. le Cardinal.

Sainte-Marie de la Visitation, 10 juillet 1654.

C’est Hortense qui avait raison. M. le Cardinal a su fort bien déchiffrer ses tendresses et ses demandes d’argent. Il nous a mandé M. de Coutances qui nous a remis de sa part deux superbes éventails et trente pistoles.

Je serais très satisfaite de ce présent, car je n’avais pas un sol, et, à l’occasion, j’aime fort être libérale, si cela ne me mettait dans l’obligation de remercier M. le Cardinal. Le peu d’affection qu’il m’a toujours témoigné n’a pu m’en inspirer une bien vive pour lui, aussi ne puis-je qu’à grand’peine prendre sur moi de lui écrire.

Je lui fis donc hier une lettre de remerciements de laquelle Mme de Lamoignon fut fort satisfaite, à cela près que je n’y faisais pas mention de mon affection.

Mme de Lamoignon me reprit sur cela. Elle me représenta avec beaucoup de force toutes les obligations que ma famille avait à M. le Cardinal, que ma destinée tout entière était entre ses mains et que, en conséquence, non seulement je ne devais rien faire qui le pût désobliger, mais qu’encore je devais saisir avec empressement toutes les occasions de lui témoigner le plus tendre attachement. Je me décidai donc à ajouter ceci à ma lettre: «Je n’ai point de paroles pour témoigner les sentiments de respect et de reconnaissance que j’ai des bontés et des soins que Votre Eminence a pour nous.» Mais en vérité, je le fis plutôt pour être agréable à Mme de Lamoignon que pour me pousser dans les bonnes grâces de M. le Cardinal, et pour ce qui est de l’affection, je ne me pus résigner à en souffler mot.

Je suis contente que, à part ce détail sur mes sentiments, Mme de Lamoignon ait été satisfaite de ma lettre. Je sais que M. le Cardinal ne manque pas de montrer à Leurs Majestés les lettres que nous lui écrivons; si le Roi voit la mienne, je ne veux pas qu’il ait le plaisir d’en faire des railleries... Je ne sais même pourquoi je m’arrête à cette idée. L’opinion du Roi m’importe peu, ne m’étant jamais souciée- que de celle des personnes que j’aime, qui, à vrai dire, ne sont pas fort nombreuses et, pour ce qui est du Roi; je suis bien aise d’être céans, bien loin de sa présence.

Sainte-Marie de la Visitation, 15 juillet 1654.

Cette petite Hortense est insupportable. Ce mâtin j’entre dans sa chambre: elle jouait avec la petite de Vardes à se jeter une bourse d’un bout de la chambre à l’autre. J’attrape, au vol, la bourse pleine de pistoles.

— Pourquoi ne faites-vous pas votre page, Hortense?

— C’est trop difficile; je ne sais pas faire les s, et justement j’ai pour modèle: Massinissa se redressa.

— Ce n’est pas en jouant à la balle que vous apprendrez à faire vos s. Et puis qu’est-ce que cette façon de jouer à la balle avec une bourse... Elle est du reste fort laide, cette bourse.

— Fort laide, ma bourse! C’est la bourse du Roi, ainsi!...

— La bourse du Roi? Comment avez-vous la bourse du Roi?

— Oh! c’est bien simple; un jour qu’il se jouait avec moi, il me voulut embrasser. Je lui dis, en badinant: «Je ne vous embrasserai que si vous me donnez la bourse ou la vie. — Oh! bien, fit-il, j’aime mieux encore vous donner ma bourse.» Il m’embrassa, ensuite de quoi il me donna sa bourse qui contenait quatre pistoles.

— Et vous avez aussi gardé les pistoles?

— Voire! que je les lui aurais rendues! Il a tout l’argent du royaume, le Roi, moi je n’en suis guère bien pourvue.

Je l’aurais battue, cette petite, d’avoir ainsi fait preuve de rapacité. Certainement, le Roi n’a pas regretté ses pistoles, il est à cent piques au-dessus de cela. Mais pour ce qui est d’avoir à sa disposition tout l’argent du royaume, comme il serait juste, étant le maître, il s’en faut de beaucoup. J’entendis M. le Cardinal dire un jour à ma mère qu’il tenait le Roi très serré sur la question argent, de quoi je fus bien révoltée. Ce n’est pas une raison, parce que je déteste le Roi, pour approuver une telle injustice.

Je ne sais comment il me vint la fantaisie d’avoir la bourse d’Hortense.

— Vous me la devriez donner, lui dis-je. Si vous voulez, en échange, vous prendrez mon coffret en bois de calambourg.

— Votre coffret que vous aimez tant parce qu’il ferme à clef et que vous y cachez tous les tendres secrets de votre cœur, comme disait notre oncle?

— Oui, mon coffret qui ferme à clef; je vous le vais quérir.

— Minute, lit Hortense, comment pouvez-vous me promettre ce coffret précieux pour une bourse que vous ne trouvez pas jolie? C’est donc que ma bourse vous paraît encore plus précieuse, alors je la veux garder pour moi.

Et j’eus beau lui promettre, avec mon coffret, toutes mes pistoles et même mon bel éventail, elle n’en voulut pas démordre, et refusa de me céder sa bourse.

Je ne sais vraiment pas pourquoi je m’obstinai à la vouloir, cette bourse, car elle est, comme je l’ai dit, fort laide, et, de fait, je ne m’en soucie pas du tout.

Sainte-Marie de la Visitation, 18 juillet 1654.

Je suis furieusement fâchée contre cette sotte Hortense. J’étais au lit, hier, par suite d’un peu de fièvre. Elle me vint voir, et, me trouvant la mine fort bonne, ce qui n’était qu’un effet de l’animation de la fièvre, elle se mit à me lutiner et, tout soudain, se saisit d’une façon de sachet qu’elle aperçut par l’ouverture de mon manteau de nuit.

— Ah! ah! dit-elle, ma bourse! Moi qui croyais l’avoir perdue!... C’est donc vous qui me l’avez volée. Vous me l’allez rendre tout de suite, sans quoi je me vais plaindre à Mme de Lamoignon.

Je dois dire que, ayant vu la bourse d’Hortense sur sa table à écrire, je m’en étais emparée, puis, laissant sur la table l’unique pistole qu’elle contînt, je l’avais emportée pour l’examiner à loisir; enfin, je ne sais comment il me vint à l’idée qu’elle serait fort propre à me faire un sachet.

— Vous voyez, dis-je à Hortense, j’en ai fait un sachet pour y mettre de la bergamote.

Mais, elle, fourrant son nez sur la bourse.

— De la bergamote? Il n’y en a trace, pas plus que d’aucun autre parfum, alors, à moins que cette bourse ne soit pour vous un fétiche...

Un fétiche, je vous demande un peu!... Comme si l’on pouvait faire un fétiche d’une si laide bourse... un fétiche!... Je crois que je l’aurais battue, cette sotte Hortense. C’est qu’elle est bien capable d’aller raconter cette ridicule histoire, et cela me ferait mourir de confusion. Mais, après y avoir rêvé un moment, elle me dit:

— Ecoutez, je ne sais toujours pas faire les s et Mme Sainte-Victoire me donne des modèles d’écriture où il y a des mots comme duchesse, succession, sérénissime, alors, comme je les fais fort mal, je suis punie et c’est bien ennuyeux. Si vous me promettez de me faire chaque jour ma page d’écriture, je vous laisserai ma bourse.

— Si vous croyez que c’est le moyen d’apprendre à les faire, vos s!

— Alors rendez-moi à ma bourse!

Comme ce débat me rompait la tête, je finis par lui promettre de faire ses pages d’écriture, non que je tienne à garder la bourse, mais pour être sûre, sachant la petite très bavarde, qu’elle n’irait pas raconter cette ridicule histoire.

23 juillet 1634.

Il n’est question céans que du sacre du Roi qui a eu lieu à Reims, le 7 juin; le Roi étant pour lors âgé de quinze ans.

Mon frère Philippe figurait parmi les otages de la sainte Ampoule. Je m’étonne bien que M. le Cardinal ait demandé pour lui cette faveur, car, en toute circonstance, il a témoigné pour lui autant d’aversion qu’il témoignait de tendresse pour notre frère Paul qui mourut, il y a deux ans, des suites de la blessure qu’il reçut au combat du faubourg Saint-Antoine.

On dit merveilles de cette cérémonie, et de l’acclamation de tout le peuple, et de l’air de majesté du Roi. Entendant cela, Hortense me vint dire:

— Je suis bien fâchée de toutes ces cérémonies.

— Pourquoi cela?

— Mais parce qu’il me semble que je n’oserai plus me jouer avec le Roi comme devant, puisqu’il est maintenant tout à fait le Roi.

Pour moi, il a toujours été tout à fait le Roi, je suis bien assurée qu’il ne pouvait avoir pendant la cérémonie plus grand air qu’il ne l’a naturellement. Parce que je le déteste, ce n’est pas une raison pour ne pas reconnaître qu’il a l’air d’être le maître de tous.

Sainte-Marie de la Visitation, 25 août 1655.

Comme j’ai fait de grands progrès en dessin, Mme de Lamoignon m’a engagée à faire le portrait d’Hortense, afin de l’offrir à M. le Cardinal pour sa fête. Elle ne laisse passer aucune occasion de me gagner ses bonnes grâces, et rien, m’assurait-elle, ne lui serait plus agréable que de recevoir le portrait de sa favorite.

Je crois que j’ai attrapé assez bien la ressemblance de mon joli modèle. Hortense frappait dans ses mains et disait:

— Je ne savais pas du tout que j’étais si jolie! Je suis bien curieuse de savoir si mon bon ami (c’est Monsieur qu’elle appelle ainsi) me reconnaîtra.

M. le Cardinal a écrit qu’il était très satisfait du portrait et que le Roi, à qui il l’avait montré, n’avait jamais voulu croire que je l’eusse fait toute seule.

Naturellement! je sais bien que de moi il ne peut rien attendre qui soit à mon avantage; aussi bien, l’opinion du Roi ne m’importe guère!

La Fère, 19 octobre 1655.

Me voici présentement à La Fère, M. le Cardinal m’ayant, la semaine passée, envoyé quérir par Mme de Venel, dame d’honneur de ma sœur, la duchesse de Mercœur.

Malgré mon attachement pour Mme de Lamoignon, c’est avec une vive satisfaction que j’ai quitté le couvent, y laissant Hortense que mon départ a plongée dans le plus amer désespoir à cause de ses pages d’écriture qui la vont mettre en grand embarras.

M. le Cardinal me reçut fort bien, mais sans me parler du motif qui l’avait déterminé à me rappeler à la Cour. Ma mère s’est chargée de me mettre au courant.

Il paraît qu’il était question de me- faire épouser le fils du maréchal de la Meilleraye, Armand-Charles de la Porte, marquis de la Meilleraye, grand maître de l’artillerie. Toutes les questions relatives au mariage avaient été réglées entre M. le Cardinal et le Maréchal. Ils n’avaient négligé qu’un point: celui de consulter les deux intéressés. Or, il se trouve que, lors de notre première apparition à la Cour, le marquis de la Meilleraye fut si charmé par la beauté d’Hortense, qu’il en devint éperdument amoureux. Il répondit donc aux ouvertures qu’on lui fit, touchant notre-mariage:

— Je me suis sacrifié à Mlle Hortense de Mancini dès l’instant que je la vis, et cela avec une constance si particulière, que je me jetterai dans un cloître si je ne la puis épouser.

Ce qu’ayant appris, ma mère me dit avec aigreur:

— Je suis au désespoir de ce que, à cause de vous, mon frère a eu l’affront de ce refus. Je vous l’ai toujours dit, du reste, que votre établissement serait des plus difficiles.

A quoi je repartis:

— L’affront de voir l’une de vos filles recherchée en la place de l’autre, au cas où il pourrait être sensible à quelqu’un, ne le devrait être qu’à moi; or, il se trouve que je n’en ai nul souci, n’ayant, Dieu merci! pas plus d’inclination pour le marquis de la Meilleraye qu’il n’en à pour moi.

Ma mère, trouvant fort mauvaise ma réponse reprit:

— Vraiment! ne faudrait-il pas se mettre en peine de votre inclination! Vous ne seriez que sage de la tourner vers le couvent, cette inclination!

La Fère, 25 octobre 1655.

Je suis outrée de colère contre le Roi. Afin de faire sa cour à M. le Cardinal, Mme d’Aiguillon lui dit, devant le Roi et sans paraître s’apercevoir que je la pouvais entendre.

— Vraiment, on n’a jamais vu une inclination aussi violente que celle du marquis de la Meilleraye. Hier encore il me disait: «Pourvu que j’épouse l’adorable Hortense, je ne me soucie pas de mourir trois mois après.»

Mme d’Aiguillon répétait ce propos afin de flatter M. le Cardinal dans son affection bien connue pour ma sœur; mais il se trouva qu’il le prit fort mal et s’écria:

— Et moi je suis outré du refus qu’il fait de la main de ma nièce, et pour ce qui est d’Hortense, je la donnerai plutôt à un valet que de la lui laisser épouser.

Le Roi s’étant pour lors avisé que je pouvais entendre, se tourna vers moi et me regarda d’un air de compassion. Je rougis et perdis contenance au point que des larmes jaillirent de mes yeux, dont je fus au désespoir. Je m’éloignai, et vis bien, à l’air dont il lui parlait, qu’il reprochait son indiscrétion à Mme d’Aiguillon.

Cette indiscrétion m’avait pourtant laissée bien indifférente. Ce que je ne puis supporter, c’est l’insultante pitié du Roi. C’étaient des larmes non d’humiliation mais de colère que je versais à l’idée qu’il s’imaginait que je me pouvais affliger de ce mariage rompu. Le fait est que je ne m’en soucie mie de ce marquis de la Meilleraye, pas plus du reste que je ne me soucie du Roi. Mais pour ce dernier je ne puis souffrir sa manière d’avoir toujours l’air de me prendre en compassion.

Olympe, qui ne laisse passer aucune occasion de m’être désagréable, me dit ensuite que le Roi était bien fâché de la mortification à laquelle m’avait exposée Mme d’Aiguillon. Ensuite de quoi, elle m’assura qu’elle déplorait vivement la rupture de mon mariage.

— Souffrez, lui dis-je, que je ne m’associe point à vos regrets, attendu que si la rupture n’était point du fait du marquis elle le serait du mien.

Se voyant ainsi repoussée avec perte, Olympe n’eut d’autre ressource que de se lamenter avec ma mère sur les difficultés, qu’après un si fâcheux début n’allait pas manquer de rencontrer mon établissement.

Paris, 15 novembre 1655.

Nous voici céans à Paris où nous avons suivi le Roi et la Cour qui y sont venus passer l’hiver. Olympe a un appartement séparé, Hortense demeure chez ma sœur de Mercœur, et moi avec ma mère.

Ce n’est point par un effet de sa tendresse qu’elle me garde auprès d’elle, et l’on se peut étonner, à bon droit, que celle de ses cinq filles qu’elle aime le moins soit précisément celle dont elle fait son habituelle société. Elle en agit ainsi, assure-t-elle, afin de mater ce qu’elle appelle ma nature rebelle. Tl est facile d’imaginer si je lui puis savoir beaucoup de gré d’une sollicitude qui se trahit de si obligeante façon.

Grâce aux soins que Mme de Lamoignon a pris de moi et qui m’ont donné quelques lumières, je trouve au commerce de la Cour des charmes que je n’y avais point encore découverts. Ce m’est donc une dure contrainte de n’en pouvoir goûter librement les plaisirs, ma mère me tenant à l’écart le plus qu’elle le peut, et me gardant de si près que je ne sors jamais qu’avec elle: Le plus souvent même, elle me laisse seule dans ma chambre avec Rose, sa femme de chambre, qui est bien la vieille la plus grognon et la plus acariâtre qui se puisse imaginer, et pendant que je jouis de cette aimable société, mes sœurs gaies et bien parées se divertissent de tout leur cœur.

Le plus dur à supporter, c’est qu’avant de rentrer chez elle, Olympe se fait une maligne joie de me venir conter les plaisirs qu’elle a eus et, en particulier, les attentions dont, à l’en croire, le Roi ne cesse de la combler.

Comme les maux et les biens naissent en notre esprit par la comparaison, mon chagrin augmente beaucoup par celle que je fais de la contrainte où je vis avec la liberté qu’on donne à mes sœurs; et j’avoue que je n’envisage les divertissements qu’elles ont à la Cour et dont je suis privée qu’avec un dépit et un ressentiment incroyable.

Il n’est bruit à la Cour que de la représentation des Noces de Thétis et de Pélée qui doit comprendre dix entrées; c’est un ballet où dansera le Roi, Olympe y doit aussi paraître dans un costume de brocatel feuilles de roses, tout brodé de perles. J’ai supplié ma mère de me permettre d’assister à cette fête.

— Vous y feriez, en effet, belle figure, à côté de vos sœurs! me dit-elle, avec son aigreur habituelle.

— Eh! je ne demande pas à faire figure, mais seulement à me divertir, car il m’ennuie fort de vivre à la Cour dans une retraite quasi aussi rigoureuse que celle de la Visitation.

— Plût au ciel, répliqua ma mère, que le désir vous prît d’y retourner, dans cette pieuse retraite. Si j’en crois l’horoscope qu’à ma demande Misraïm vient de tirer pour vous, vous vous épargneriez bien des peines.

— Il ne tiendrait qu’à vous, Madame, lui dis-je, que les plus dures de ces peines me fussent épargnées. Groyez-vous qu’il me soit bien agréable de me morfondre dans ma chambre pendant que mes sœurs se divertissent à la Cour!

— Vous n’avez point à vous comparer à vos sœurs. Olympe est votre aînée, et quant à Hortense...

— Si la beauté d’Hortense lui donne des droits à votre préférence, vous ne devriez pourtant pas oublier que de même qu’Olympe est mon aînée, je suis, moi, l’aînée d’Hortense.

Ma mère se mit en grand courroux de ce que je lui avais osé parler avec une telle liberté. M. le Cardinal survenant, elle se mit à larmoyer, et, sur ce qu’il lui demandait la cause de son chagrin, elle s’empressa de lui dire:

— C’est cette malheureuse qui abrège ma vie. Je suis à bout de forces, je ne puis plus vivre avec elle. Je n’y vois d’autre remède que de l’obliger d’entrer en religion, car je prévois qu’elle aura beaucoup à souffrir dans le monde, n’ayant point de docilité ni de déférence pour ceux à qui elle en doit le plus.

M. le Cardinal se mit alors en grande colère contre moi, me disant:

— Je n’ai jamais vu un esprit plus emporté que le vôtre, plus rude, plus libertin et plus éloigné de toutes sortes de civilités et de politesse.

Il me dit encore cent autres choses si mortifiantes que le rouge me monte au visage d’y seulement penser, et tout cela accompagné de tant d’aigreur et de termes si sensibles que tout autre que moi en tomberait malade de déplaisir. Mais Dieu merci, je ne prends guère cela à cœur, et toutes les choses désobligeantes dont M. le Cardinal est si libéral envers moi font une impression profonde sur ma mémoire sans en faire aucune sur mon esprit.

Paris, 3 décembre 1655.

J’étais couchée et dormais sans doute depuis longtemps lorsqu’Olympe entra dans ma chambre, s’assit au chevet de mon lit, et m’éveilla sans plus de façon, me disant.

— Vous êtes bien heureuse de dormir si paisiblement. Pour moi j’ai un tel tumulte de pensées dans la tête que je ne pourrai sûrement fermer l’œil de la nuit.

— Je suis très obligée de votre visite à votre future insomnie, lui dis-je d’un ton maussade.

Mais sans se laisser rebuter par mon peu aimable accueil Olympe continua:

— Je voudrais que vous eussiez été témoin de l’air d’admiration avec lequel le Roi m’a fait son compliment, et de toutes les attentions qu’il a eues pour moi pendant toute la soirée. Il est même allé jusqu’à me dire... Mais en vérité, je ne sais si je dois... Me promettez-vous le secret?... Vous ne dites rien?... Dormez-vous?

— Quoi donc? Qu’est-ce qu’il y a? fis-je avec l’effarement d’une personne réveillée en sursaut.

— Vous dormiez, fit Olympe avec dépit, et moi qui voulais vous confier ce que le Roi...

— Eh! qu’est-ce que cela me peut faire, ce que vous disait le Roi; il n’y a vraiment pas de quoi m’empêcher de dormir!

Je me retournai vers ma ruelle comme pour reprendre mon somme pendant qu’Olympe furieuse me quittait en disant:

— C’est une vraie souche! Rien ne l’émeut, rien ne l’intéresse!

— Rien ne m’émeut! Qu’est-ce donc qui pourrait m’émouvoir? Ses coquetteries avec le Roi? C’est vrai qu’elle est avec lui d’une coquetterie outrée. Je n’en suis pas à remarquer les manèges par lesquels elle cherche à attirer son attention, et l’empressement qu’elle met à l’amuser des saillies de son esprit mordant et moqueur.

Pour moi, si je prétendais aux bonnes grâces du Roi, ce ne serait point par de tels moyens mesquins et bas que je les voudrais obtenir. Je voudrais... Mais quelle ridicule supposition, et qu’ai-je à faire avec les bonnes grâces du Roi! Si je n’ai pu fermer l’œil de la nuit, c’est tout uniment par suite du regret de n’avoir pu assister à cette représentation des Noces de Thétis et de Pélée.

Paris, 10 janvier 1656.

Ma petite sœur Marianne est ici depuis quelques jours. Ma mère l’avait laissée à Rome chez ma tante Cleria.

Le duc et la duchesse de Noailles qui avaient accompagné en Italie ma cousine Laure Martinozzi après son mariage avec Alphonse d’Este, fils unique et héritier du duc de Modène, avaient aussi reçu de M. le Cardinal mission de conduire cette petite en France.

Marianne n’a que six ans, mais elle est très développée pour son âge. Elle parut sans embarras devant Leurs Majestés, et répondit avec beaucoup d’aplomb au compliment que lui fit le Roi sur son heureuse arrivée. Elle parle un langage de sa façon qui est une espèce de jargon mêlé d’italien et de français.

Sa gentillesse, sa gaieté et ses étonnantes reparties divertissent tout le monde. Elle est devenue la favorite de la Reine et de M. le Cardinal, qui se jouent d’elle comme d’une poupée ou d’un petit chat. Ma mère, si sévère pour moi, permet à cette petite de faire ses cent volontés et consent même à l’envoyer seule chez la Reine pendant des journées entières.

Paris, 15 octobre 1656.

Me voilà plus que jamais au régime de clôture. Ma mère est malade depuis quelques jours déjà, et, bien que son mal n’ait rien de dangereux, elle ne laisse pas pour cela de m’interdire toute distraction, prétendant que ce serait une grande dureté d’âme de songer à me divertir pendant que la maladie la retient dans son lit.

Il paraît toutefois que ce désir de divertissement, très blâmable chez moi, n’a rien que de licite chez mes sœurs, car elles continuent à être de toutes les fêtes et n’apportent que bien rarement à ma mère ce qu’elle appelle le rayon de soleil dé leur présence.

Le plus triste, c’est que son mal la rend d’une si méchante humeur qu’elle est tout à fait insupportable, si bien que je passe très mal mon temps avec elle et que rien n’égale mes déplaisirs.

Ce qui a porté à ce dernier degré l’humeur naturellement chagrine de ma mère c’est la persuasion où elle est que cette maladie lui sera fatale.

Mon père qui non seulement s’occupait comme elle d’astrologie, mais encore la pratiquait lui-même, lui a prédit, à diverses reprises, des choses qui se sont vérifiées par la suite, notamment la mort de mon frère Paul dans les circonstances où elle s’est produite, et sa propre mort, pour le jour même où elle lui advint.

Il lui prédit aussi qu’elle mourrait dans sa quarante-deuxième année, or, comme elle vient précisément d’y entrer, sa maladie, si peu grave soit-elle, lui fait craindre que cette prédiction ne reçoive, comme les autres, son accomplissement.

Le Roi ayant l’obligeance de la venir visiter, elle l’entretient de ses appréhensions au sujet de l’issue de sa maladie et aussi de la prédiction me concernant, et d’après laquelle il me doit advenir d’étranges malheurs si je ne me décide à entrer en religion. Comme elle lui faisait ses doléances sur le peu d’inclination que je témoigne pour la vocation religieuse, je ne me pus tenir de lui dire.

— Eh! Madame, je serais bien difficile en fait de clôture et de mortification si je ne m’accommodais de la part qui m’est faite auprès de vous!

Et sur le champ, je sortis de la chambre.

Le Roi quitta ma mère quasi tout de suite après moi, et ainsi il me surprit dans la salle qui précède sa chambre où je m’étais arrêtée, ne songeant point qu’il dût ainsi abréger sa visite. Le Roi hésita un instant, comme se demandant s’il passerait outre, puis venant à moi, il me dit:

— Vous vous plaignez de votre retraite, pourquoi donc ne vous voit-on pas chez la Reine avec vos sœurs?

— Eh! dis-je, s’il ne tenait qu’à moi, Sire, peut-être m’y verrait-on plus souvent.

— Je croyais que vous aviez peu de goût pour les divertissements de la Cour, votre sœur m’ayant assuré que rien ne vous paraît plus ennuyeux que les récits qu’elle vous en fait.

Sur ce, il se mit à m’entretenir d’Olympe et, sans que je puisse comprendre pourquoi, cela me mit dans un tel dépit que je lui dis brus-, quement:

— Ma sœur n’a-t elle point assez souvent l’honneur de vous approcher, sans que vous veniez encore me parler d’elle en son absence!

Et, lui faisant une révérence, je feignis d’être rappelée par ma mère, et le quittai, le laissant tout déconcerté.

Quand je revins près de ma mère, elle me dit:

— Avec qui donc causiez-vous, tout à l’heure?

— Avec le Roi.

— Avec le Roi! Vous avez osé retenir le Roi, lui faire des plaintes peut-être!... Vraiment il doit paraître fort plaisant au Roi de causer avec vous!... Comme je ne veux plus être exposée publiquement à vos impertinences, désormais vous resterez chez vous à l’heure où le Roi me fait l’honneur de sa visite.

Cette défense d’entretenir le Roi me laisse bien indifférente; j’étais moi-même résolue à éviter sa présence, n’ayant nulle envie d’entendre encore de sa bouche l’éloge d’Olympe. Ce qui me fâche, c’est que ma mère lui dira sans doute que c’est elle qui me tient éloignée. Je voudrais qu’il sût bien que c’est de ma propre volonté que je fuis l’occasion de l’entretenir... Cela n’est-il pas vraiment- très fou d’imaginer que le Roi s’apercevra seulement de mon absence.

24 octobre 1656.

Ayant quelque chose à chercher dans le secrétaire de la salle attenant à la chambre de ma mère, je ne sais comment il se fit que je m’y trouvai juste au moment où le Roi se se rendait chez elle.

Je rougis en le voyant. Il se mit à rire et me dit:

— Pour cette fois, vous avez mal calculé l’heure, et vous voilà, bon gré, malgré obligée de subir ma présence importune.

Je vis par là que ma mère avait mis mon absence pendant ses visites sur le compte de ma sauvagerie, et quoique ce ne fut point du tout la vérité, je ne laissai pas de m’en réjouir et n’eus garde de m’en défendre, voulant que le Roi fût bien persuadé que s’il est, lui, très porté à rechercher la société d’Olympe, je ne le suis pas du tout, moi, à rechercher la sienne.

Malgré la froideur dont je m’étais bien promis de ne me pas départir pendant cet entretien, et à laquelle je me tins d’abord assez exactement, je me trouvai bientôt à parler avec le Roi avec une entière confiance. Il me demanda à quoi je pouvais bien employer mes longues heures de solitude.

— Oh! dis-je, ce n’est pas l’embarras, et je ne m’ennuie pas comme vous le pourriez imaginer: j’écris, je lis, j’étudie. Grâce à la bibliothèque que M. le Cardinal a constituée peu à peu, les livres ne me manquent pas.

— Ah! fit le Roi, vous étudiez encore? Cela me paraîtrait à moi une contrainte bien ennuyeuse!

— Eh! repris-je, avec une liberté dont je suis encore confondue, quand vous régnerez vraiment, Sire, vous pourriez regretter de ne vous être pas plus ennuyé sur les livres.

Paris, 8 novembre 1656.

Ma mère va beaucoup mieux et commence à espérer que l’issue de sa maladie ne lui sera pas fatale ainsi qu’elle l’avait d’abord redouté.

Lui ayant voulu témoigner ma satisfaction de son rétablissement, elle me dit sèchement:

— Par le peu d’affliction que vous causait ma maladie, je puis juger de la joie que vous fait éprouver mon rétablissement.

Depuis que ma mère va mieux, le Roi a cessé ses visites. J’imaginais qu’il avait quelque plaisir à nos entretiens particuliers, j’avais pris l’habitude de venir dans la petite salle au moment qu’il la devait traverser; lui, de son côté, avançait l’heure de sa visite, si bien qu’il passait près d’une demi-heure à causer avec moi avant d’entrer chez ma mère. Mais le plaisir de ces entretiens n’était sans doute que pour moi seule, puisque le Roi y a si aisément renoncé.

Le lendemain du jour où, pour la première fois, depuis sa maladie, le Roi ne fit pas à ma mère l’honneur de sa visite, je ne me pus tenir de dire à Olympe:

— Vous savez que le Roi ne vint pas, hier, voir notre mère.

— Eh! pensez-vous que visiter une malade soit bien divertissant pour le Roi. Il passa, hier, à badiner avec moi, l’heure de sa visite.

Ces mots me percèrent le cœur. Il est surprenant que n’ayant jamais rencontré autour de moi que dédains et mortifications, je sois si prompte à espérer des bonheurs chimériques, des choses absurdes...

Sur les marches du trône

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