Читать книгу Les crimes de l'amour - Маркиз де Сад - Страница 10
NOUVELLE HISTORIQUE
Оглавлениеa paix de Cateau-Cambresis n'eut pas plutôt rendu à la France, en 1559, tranquillité dont une multitude innombrable d'ennemis la privait depuis près de trente ans, que des dissensions intestines plus dangereuses que la guerre, vinrent achever de troubler son sein.
La diversité des cultes qui y régnait, la jalousie, l'ambition de la trop grande quantité de héros qui y florissait, la faiblesse du gouvernement, la mort de Henri II, la débilité de François II, toutes ces causes enfin n'étaient que trop capables de faire présumer, que si les ennemis laissaient respirer la France, elle allumerait bientôt elle-même un incendie intérieur, aussi fatal que les troubles qui venaient de la déchirer au dehors.
Philippe II, roi d'Espagne, avait envie de la paix; ne se souciant point de traiter avec les Guise, il se prêta aux arrangements relatifs à la rançon du connétable de Montmorency, qu'il avait fait prisonnier à la journée de Saint-Quentin, afin que ce premier officier de la couronne pût travailler avec Henri II à une paix désirée de toutes les puissances.
Le duc de Guise et le Connétable se trouvant donc prêts à lutter de crédit et de considération, désirèrent avant que d'employer leurs forces, de les étayer par des alliances qui les consolidassent.
Du fond de sa prison, le Connétable agissant dans ces vues, avait marié Damville, son second fils, avec Antoinette de la Mark, petite fille de la célèbre Diane de Poitiers, pour lors duchesse de Valentinois, dirigeant tout à la cour de Henri son amant.
De leur côté, les Guise conclurent dans le même dessein le mariage de Charles III, duc de Lorraine, et chef de leur maison, avec madame Claude, seconde fille du roi[1].
Henri II désirait la paix pour le moins avec autant d'ardeur que le roi d'Espagne. Prince somptueux et galant, ennuyé de guerres, craignant les Guise, voulant ravoir le Connétable qu'il chérissait, et changer enfin les lauriers incertains de Mars, contre les guirlandes de myrthes et de roses dont il aimait à couronner Diane, il mit tout en œuvre pour presser les négociations: elles se conclurent.
Antoine de Bourbon, roi de Navarre, n'avait pu obtenir d'envoyer, en son nom, des ministres au congrès; ceux qu'il avait députés avaient été obligés, pour être entendus, de prendre des commissions du roi de France; Antoine ne se consolait pas de cet affront: c'était le Connétable qui avait fait la paix, il arrivait triomphant à la cour, il y venait avec l'intention de se ressaisir des rênes du gouvernement; les Guise l'accusaient d'avoir pressé des négociations qui brisaient, à la vérité, ses fers, mais dont il s'en fallait bien que la France eût à se louer.
Tels étaient les principaux personnages de la scène, tels étaient les motifs secrets qui les animant les uns et les autres, allumaient sourdement les étincelles de haines qui allaient produire les affreuses catastrophes d'Amboise.
On le voit, l'envie, l'ambition, voilà les causes réelles des troubles dont l'intérêt de Dieu ne fut que le prétexte.
Ô religion! à quelque point que les hommes te respectent, lorsque tant d'horreurs émanent de toi, ne peut-on pas un moment soupçonner que tu n'es parmi nous que le manteau sous lequel s'enveloppe la discorde, quand elle veut distiller ses venins sur la terre. Eh! s'il existe un Dieu, qu'importe la façon dont les hommes l'adorent! sont-ce des vertus ou des cérémonies qu'il exige? S'il ne veut de nous que des cœurs purs, peut-il être honoré plutôt par un culte que par l'autre, quand l'adoption du premier au lieu du second doit coûter tant de crimes aux hommes?
Rien n'égalait pour lors l'étonnant progrès des réformes de Luther et de Calvin: les désordres de la cour de Rome, son intempérance, son ambition, son avarice avaient contraint ces deux illustres sectaires à montrer à l'Europe surprise, combien de fourberies, d'artifices, et d'indignes fraudes se trouvaient au sein d'une religion que l'on supposait venir du Ciel. Tout le monde ouvrait les yeux, et la moitié de la France avait déjà secoué le joug romain pour adorer l'Être Suprême, non comme osaient le dire des hommes pervers et corrompus, mais comme paraissait l'enseigner la nature.
La paix conclue, et les puissants rivaux dont on vient de parler n'ayant plus d'autre soins que de s'envier et de se détruire, on ne manqua pas d'appeler le culte au secours de la vengeance, et d'armer les mains dangereuses de la haine, du glaive sacré de la religion.
Le prince de Condé soutenait le parti des réformés dans le cœur de la France; Antoine de Bourbon, son frère, le protégeait dans le Midi; le Connétable déjà vieux s'expliquait faiblement, mais les Châtillon ses neveux, agissaient avec moins de contrainte. Très-bien avec Catherine de Médicis, on eut même lieu de croire dans la suite qu'ils l'avaient fort adoucie sur les opinions des réformés, et qu'il s'en fallait peu que cette reine ne les adoptât au fond de son âme.
Quant aux Guise, tenant à la cour, ils en favorisaient la croyance, et le cardinal de Lorraine, frère du duc pouvait-il, lié au saint-siège, n'en pas étayer les droits?
Dans cet état de chose n'osant encore se déchirer soi-même, on se prenait aux branches, on attaquait mutuellement les créatures du parti opposé, et pour satisfaire ses passions particulières on immolait toujours quelques victimes.
Henri II vivait encore: on lui fit voir qu'il s'en fallait bien que le parlement fût en état de juger les affaires des réformés condamnés à mort par l'édit d'Ecouen, puisque la plupart des membres de cette compagnie étaient du parti qui déplaisait à la cour.
Le roi se transporte au palais, il voit qu'on ne lui en impose point; les conseillers Dufaur, Dubourg, Fumée, Laporte, et de Foix sont arrêtés, le reste s'évade. Rome aigrit au lieu d'apaiser; la France est pleine d'inquisiteurs; le cardinal de Lorraine organe du Pape, hâte la condamnation des coupables; Dubourg perd la tête sur un échafaud; de ce moment tout s'émeut, tout s'enflamme.
Henri meurt; la France n'est plus conduite que par une italienne peu aimée, par des étrangers qu'on déteste, et par un monarque infirme, à peine âgé de seize ans: les ennemis des Guise croyent toucher à l'instant du triomphe; la haine, l'ambition et l'envie toujours à l'ombre des autels, se flattent d'agir en assurance. Le Connétable, la duchesse de Valentinois sont bientôt éloignés de la cour; le duc, le cardinal sont mis à la tête de tout; et les furies viennent secouer leurs couleuvres sur ce malheureux pays à peine relevé d'une guerre opiniâtre, où ses armées et ses finances avaient été presque entièrement épuisées.
Tel affreux que soit ce tableau, il était nécessaire à tracer avant que d'offrir le trait dont il s'agit. Avant que de dresser les potences d'Amboise, il fallait montrer les causes qui les élevaient... il fallait faire voir quelles mains les arrosaient de sang, de quels prétextes osaient se couvrir enfin les instigateurs de ces troubles.
Tout était encore à Blois dans la plus parfaite sécurité, lorsqu'une multitude d'avis différents vint réveiller l'attention des Guise.
Un courrier chargé de dépêches secrètes et relatives aux circonstances, est assassiné près des portes de Blois; un autre venant de l'inquisition, adressé au cardinal de Lorraine, éprouve à peu près le même sort; l'Espagne, les Pays-Bas, plusieurs cours d'Allemagne avertissent la France qu'il se trame une conspiration dans son sein; le duc de Savoie prévient que les réfugiés de ses états font de fréquentes assemblées, qu'il se munissent d'armes, de chevaux, et publient hautement qu'avant peu et leurs personnes et leur culte seront rétablis en France.
En effet, la Renaudie, l'un des chefs protestants le plus brave et le plus animé, se donnait alors un mouvement qui devait faire ouvrir les yeux: il parcourait l'Europe entière, prenant des avis, en donnant, enflammant les têtes et se disant certain d'une révolution prochaine. De retour à Lyon, il rendit compte aux autres chefs des succès de son voyage, et ce fut là que se prirent les dernières mesures, là que l'on convint de tout mettre en ordre pour commencer les opérations au printemps.
On choisit Nantes pour ville d'assemblée, et sitôt que tout le monde y fut rendu, la Renaudie, dans la maison de la Garai, gentilhomme Breton, harangua ses frères et reçut d'eux les protestations authentiques de tout entreprendre pour obtenir du roi le libre exercice de leur religion, ou d'exterminer ceux qui s'y opposeraient, à commencer par les Guise.
On régla dans cette même assemblée, que la Renaudie lèverait au nom du chef qui ne se nommait point, un corps de troupes composé de cinq cents gentilshommes à cheval et de douze cents hommes d'infanterie pris dans toutes les provinces de France, non pour attaquer, mais pour se défendre. Trente capitaines furent attachés à ce corps, dont les ordres étaient de se trouver aux environs de Blois, le 10 de mars prochain 1560; les provinces se départirent ensuite.
Le baron de Castelnau, l'un des plus illustres de la faction et dont nous allons raconter les aventures, eut pour son département la Gascogne; Mazères, le Béarn; Mesmi, le Périgord et le Limousin; Maille-Brézé, le Poitou; Mirebeau, la Saintonge; Coqueville, la Picardie; Ferriere-Maligni, la Champagne, la Brie et l'Ile-de-France; Mouvans la Provence et le Dauphiné, et Château-Neuf, le Languedoc.
Nous citons ces noms, pour faire voir quels étaient les chefs de cette entreprise, et les rapides progrès de cette réforme qu'on avait l'inepte barbarie de croire digne des mêmes supplices que le meurtre ou le parricide, tant l'intolérance était à la mode pour lors.
Quoi qu'il en fût, tout se tramait avec tant de mystère, ou les Guise étaient si mal informés, que malgré les avis qu'ils recevaient de toutes parts ils étaient au moment d'être surpris dans Blois, et ils allaient l'être assurément, sans une trahison.
Pierre des Avenelles, avocat, chez qui la Renaudie était venu se loger à Paris quoique protestant lui-même, dévoila tout au duc de Guise. On frémit.
Le chancelier Olivier reprocha aux deux frères une sécurité dans laquelle ils n'eussent pas été, si l'on avait écouté ses conseils. Catherine trembla, et dès l'instant on quitta Blois, dont la position ne paraissait pas assez sûre, pour se rendre au château d'Amboise, qui, jadis une place du premier ordre, parut suffisant pour mettre la cour à l'abri d'un coup de main.
Une fois là, l'on tint conseil; l'on fit ce que Charles XII de Suède disait d'Auguste, roi de Pologne, qui, pouvant le prendre, l'avait manqué et avait aussitôt assemblé son conseil. «Il délibère aujourd'hui, disait Charles, sur ce qu'il aurait dû faire hier.»
Il en fut de même à Amboise. Le cardinal, en zélé papiste, prétendait tout exterminer. C'était le seul argument de Rome.
Le duc, plus politique, crut qu'on perdrait beaucoup de monde en suivant l'avis de son frère et qu'on ne découvrirait rien. Il valait mieux, selon lui, faire arrêter le plus de chefs qu'on pourrait, et obtenir d'eux, par l'aspect des tourments, l'aveu de tant de manœuvres sourdes et mystérieuses, dont il était plus essentiel de dévoiler les causes et les auteurs, que d'égorger sans les entendre, ceux qui soutenaient les unes et qui servaient les autres.
Cet avis prévalut. Catherine créa sur-le-champ le duc de Guise lieutenant-général de France, malgré l'opposition du chancelier, qui, trop sage pour ne pas entrevoir le danger d'une autorité si étendue, ne voulut sceller les patentes, qu'aux conditions qu'elles seraient circonscrites au seul instant des troubles.
Le duc de Guise redoutait les Chatillon; il y avait tout à craindre pour le parti du roi, s'ils étaient malheureusement à la tête des protestants. Sachant ces neveux du connétable bien avec la reine, il engagea Catherine à les sonder. L'amiral de Coligni ne déguisa point les risques qu'il y avait, si l'on continuait d'employer avec les religionnaires la rigueur dont faisaient usage les Guise; il dit «que l'on devait savoir que les supplices et la voie des contraintes étaient plus propres à révolter les esprits, qu'à les ramener dans le droit chemin; que l'on pouvait, au surplus, compter assurément sur ses frères, et qu'il répondait à la reine, qu'eux et lui, seraient, dans tous les temps, prêts à donner au souverain les plus grandes preuves de leur zèle.»
À ces témoignages satisfaisants, il joignit le conseil d'un édit qui tolérerait la liberté de conscience; il assura que ce serait le seul moyen de tout calmer. Cet avis passa: l'édit fut publié; il accordait une amnistie générale à tous les réformés, excepté à ceux qui, sous le prétexte de religion, conspireraient contre le gouvernement.
Mais tout cela venait trop tard. Dès le 11 de mars, les religionnaires s'étaient assemblés à très peu de distance de Blois. Ne trouvant plus la cour où ils la croyaient, ils comprirent aisément qu'ils étaient trahis; cependant les préparatifs étaient faits; les différents corps attendus ne jugeant pas à propos de reculer, ils ne voulurent même admettre d'autres délais à l'entreprise, que le peu de jours qu'il fallait pour s'approcher d'Amboise et pour en reconnaître les environs.
Condé venait d'arriver dans cette ville; il lui avait été facile de voir, en y entrant, qu'il était vivement soupçonné; il crut se déguiser par des propos dont on ne fut pas dupe. Il affecta de paraître plus empressé que qui que ce fût, à l'extinction des protestants, et par cette ruse peu naturelle, il ne satisfit nullement le parti du roi, et se fit soupçonner par le sien.
Cependant les dispositions du parti opposé continuaient de se faire avec vigueur. Le baron de Castelnau-Chalosse s'approchant du coté de Tours avec les troupes de la province qui lui étaient départie, avait près de lui deux personnages, dont il est temps de donner l'idée.
L'un était Raunai, jeune héros, d'une figure charmante, plein d'esprit, d'ardeur et de zèle; il commandait sous le baron; l'autre était la fille de ce premier chef, dont Raunai, depuis l'enfance, était éperdument amoureux.
Juliette de Castelnau, âgée de vingt ans, était l'image de Bellone; grande, faite comme les Grâces, les traits nobles, les plus beaux cheveux bruns, de grands yeux noirs pleins d'éloquence et de vivacité, la démarche fière, rompant une lance au besoin comme le plus brave guerrier de la nation, se servant de toutes les armes en usage alors avec autant de dextérité que de souplesse; bravant les saisons, affrontant les dangers, courageuse, spirituelle, entreprenante, d'un caractère altier, ferme mais franc, incapable de fraude, et d'un zèle au-dessus de tout pour la religion protestante, c'est-à-dire, pour celle de son père et de son amant.
Cette héroïne n'avait jamais voulu se séparer de deux objets si chers; et le baron, lui connaissant de l'adresse, une intelligence infinie, persuadé qu'elle pourrait devenir utile aux opérations, avait consenti à lui en voir partager les risques. Ne devait-il pas, d'ailleurs être bien plus sûr de Raunai, quand ce jeune guerrier, combattant aux yeux de sa maîtresse, aurait pour récompense les lauriers que cette belle fille lui préparerait chaque jour?
Dans le dessein de reconnaître les environs, Castelnau, Juliette et Raunai s'étaient avancés un matin, suivis de très peu de gens de guerre, jusque dans l'un des faubourgs de la ville de Tours.
Le comte de Sancerre, détaché d'Amboise, venait de battre ces quartiers, lorsqu'on lui dit que quelques protestants se trouvent près de là.
Il vole au faubourg indiqué, et pénétrant à la hâte dans l'appartement du baron, il lui demande ce qu'il vient faire dans cette ville... la raison qui l'y amène avec des soldats, et s'il ignore que le port d'armes est défendu?
Castelnau répond qu'il va à la cour pour des affaires dont il n'a nul compte à rendre, et que s'il était vrai que quelques motifs de rébellion l'y conduisissent, il n'aurait pas sa fille avec lui.
Sancerre, peu satisfait de cette réponse, est obligé d'exécuter ses ordres. Il commande à ses soldats d'arrêter le baron; mais celui-ci sautant sur ses armes, seulement aidé de Juliette et de Raunai, a bientôt écarté le peu de monde que lui oppose le comte. Tous trois s'évadent; et Sancerre ayant, dans ce cas-ci, préféré la sagesse et la prudence à la valeur qui le distinguait ordinairement, Sancerre, qui sait que dans des troubles intérieurs, la victoire appartient plutôt à celui qui épargne le sang qu'à l'imprudent qui le prodigue, revient sans honte dans Amboise, rendre compte aux Guise de son peu de succès.
Sancerre, vieil officier, plein de mérite, ami des Guise, mais franc, loyal, ce qu'on appelle un véritable Français, n'avait pourtant pas été assez occupé de son expédition, qu'il n'eût eu le temps d'apercevoir les attraits de Juliette; il en fit les plus grands éloges au duc.
Après avoir peint la noblesse de sa taille et les agréments de sa figure, il la loua sur son courage; il l'avait vue au milieu du feu se défendre, attaquer, n'évitant les dangers qui la menacent que pour en répandre autour d'elle, et cette vaillance peu commune, rendait assurément du plus grand intérêt celle qui joignait à toutes les grâces de son sexe, des vertus qui s'y alliaient aussi rarement.
Monsieur de Guise, curieux de voir cette femme étonnante, conçut aussitôt deux projets pour l'attirer à Amboise: la faire prisonnière, ou profiter de l'ouverture du baron de Castelnau, et lui faire dire que puisqu'il avait assuré Sancerre qu'il n'avait d'autre intention que de parler au roi, il pouvait venir en toute sûreté.
Ce dernier parti s'adopte de préférence.
Le duc écrit. Un homme adroit est chargé de la dépêche; précédé d'un trompette, il s'avance avec les formalités ordinaires, et remet sa missive au baron, dans le château de Noisai où il était logé avec les troupes de Gascogne et de Béarn, mandées pour l'expédition d'Amboise.
Quelques précautions qu'on eût prises avec l'émissaire du duc, il fut facile à celui-ci de s'apercevoir qu'il y avait beaucoup de monde à Noisai; il en rendit compte à son retour, et nous verrons bientôt ce qui en résulta.
Le baron de Castelnau résolu de profiter de la proposition du duc, tant pour déguiser ses projets que pour se ménager en agissant comme il allait le faire, une correspondance sûre dans Amboise, répondit très-honnêtement que la plus grande preuve qu'il pût donner de son obéissance et de sa soumission, était d'envoyer ce qu'il avait de plus cher au monde; qu'étant, lui personnellement, dans l'impossibilité de se rendre à Amboise, à cause d'une blessure qu'il avait reçue à l'escarmouche de Tours, il envoyait à la reine, Juliette sa fille, chargée par lui d'un mémoire dans lequel il réclamait l'édit de tolérance qui venait d'être publié, et la permission, pour ses confrères et lui, de professer leur culte en paix.
Juliette partit, munie d'instructions secrètes et de lettres particulières pour le prince de Condé; ce n'était pas sans peine qu'elle avait adopté ce projet: ce qui la séparait de son père et de son amant était toujours si douloureux pour elle que, quelque courageuse qu'elle fût, elle ne s'y résolvait jamais sans des larmes.
Le baron promit à sa fille d'attaquer quatre jours après la ville d'Amboise, si les négociations qu'elle allait entreprendre étaient infructueuses; et Raunai, aux genoux de sa maîtresse, lui jura de verser tout son sang pour elle, si on lui manquait de respect ou de fidélité.
Mademoiselle de Castelnau arrive à Amboise; elle y est reçue convenablement, et descendue chez Sancerre, ainsi qu'il avait été convenu, elle se fait aussitôt conduire chez le duc de Guise, le supplie de tenir sa parole, et de lui fournir sur-le-champ l'occasion de se jeter aux pieds de Catherine de Médicis, pour lui présenter les supplications de son père.
Mais Juliette ne pensait pas qu'elle possédait des charmes qui pouvaient faire négliger bien des engagements.
Le premier que monsieur de Guise oublia en la voyant, fut la promesse contenue dans ses dépêches au baron; séduit par tant de grâces, son cœur s'ouvrit aux pièges de l'amour, et le duc, auprès de Juliette, ne pensa plus qu'à l'adorer.
Il lui reprocha d'abord avec douceur de s'être défendue contre les troupes du roi, et lui dit agréablement que quand on était aussi sûre de vaincre, on était doublement punissable du projet de rébellion.
Juliette rougit; elle assura le duc qu'il s'en fallait bien que son père et elle eussent jamais pris les armes les premiers; mais qu'elle croyait qu'il était permis à tout le monde de se défendre quand on était injustement attaqué. Elle renouvela ses plus vives instances pour obtenir la permission d'être présentée à la reine.
Le duc qui voulait conserver à Amboise le plus longtemps possible, l'objet touchant de sa nouvelle flamme, lui dit que cela serait difficile de quelques jours.
Juliette qui prévoyait ce qu'allait entreprendre son père, si elle ne réussissait point, insista. Le duc tint ferme et la renvoya chez le comte de Sancerre, en l'assurant qu'il la ferait avertir dès qu'elle pourrait parler à Médicis.
Notre héroïne profita de ces délais pour examiner sourdement la place et pour remettre ses lettres au prince de Condé qui, toujours plus circonspect que jamais dans Amboise, et ne cherchant qu'à s'y déguiser, recommanda à Juliette, pour l'intérêt commun, de l'éviter le plus possible et de cacher surtout avec le plus grand soin, qu'elle eût jamais été chargée d'aucunes négociations vis-à-vis de lui.
Juliette comptant sur la parole du duc, fit dire à son père de temporiser. Le baron la crut, et eut tort.
Pendant ce temps, la Renaudie, dont on a vu précédemment le zèle et l'activité, perdit malheureusement la vie dans la forêt de Château-Renaud[2]. Tout fut trouvé dans les papiers de la Bigne, son secrétaire; et le duc, plus éclairé dès lors sur la réalité des projets du baron de Castelnau, bien convaincu que les démarches de Juliette n'étaient plus qu'un jeu, ayant plus que jamais le dessein de la conserver près de lui, se résolut enfin à la faire expliquer et à n'agir pour ou contre le père, qu'en raison de ce que répondrait la fille. Il l'envoie prendre.
—Juliette, lui dit-il d'un air sombre, tout ce qui vient de se passer, me convainc suffisamment que les dispositions de votre père sont bien éloignées d'être telles qu'il vous a plu de me le persuader; les papiers de la Renaudie nous instruisent. À quoi me servirait-il de vous présenter à la reine, et qu'oseriez-vous dire à cette princesse?
—Monsieur le duc, répond Juliette, je n'imaginais pas que la fidélité d'un homme qui a si bien servi sous vos ordres, qui s'est trouvé dans plusieurs combats à vos côtés, et duquel vous devez connaître les sentiments et le courage, pût jamais vous devenir suspecte.
—Les nouvelles opinions ont corrompu les âmes; je ne reconnais plus le cœur des Français; tous ont changé de caractère, en adoptant ces coupables erreurs.
—N'imaginez jamais que pour avoir dégagé votre culte de toutes les inepties dont de vils imposteurs osèrent le souiller, nous en devenions moins susceptibles des vertus qui nous viennent de la nature; la première de toutes dans le cœur d'un Français, est l'amour de son pays. On ne la perd pas, monsieur, cette sublime vertu, pour avoir ramené à plus de candeur et de simplicité, la manière de servir l'Eternel.
—Je connais vos sophismes à tous, Juliette; c'est sous ces fausses apparences de vertu que vous déguisez tous les vices les plus à redouter dans un état; et dans ce moment-ci, nous le savons, vous ne prétendez à rien moins qu'à culbuter l'administration actuelle, qu'à couronner l'un de vos chefs, et qu'à bouleverser tout en France.
—Je pardonnerais ces préjugés à votre frère, monsieur; nourri dans le sein d'une religion qui nous déteste, tenant une partie de ses honneurs du chef de cette religion qui nous proscrit, il doit nous juger d'après son cœur..... Mais vous, monsieur le duc, vous qui connaissez les Français, vous qui les avez commandés dans les champs de la gloire, pouvez-vous imaginer que le refus d'admettre telle ou telle opinion, puisse jamais éteindre en eux l'amour de la patrie? Voulez-vous les ramener, ces braves gens, le voulez-vous sincèrement? Montrez-vous plus humain et plus juste; usez de votre autorité pour faire des heureux, et non pour verser le sang de ceux dont tout le tort est de penser différemment que vous. Convainquez-nous, monsieur; mais ne nous assassinez pas: que nos ministres puissent raisonner avec vos pasteurs; et le peuple, éclairé par ces discussions, se rendra sans contrainte aux meilleurs arguments. Le plus mauvais de tous est un échafaud; le glaive est l'arme de celui qui a tort, il est la commune ressource de l'ignorance et de la stupidité; il fait des prosélytes, il enflamme le zèle et ne ramène jamais. Sans les édits des Néron, des Dioclétien, la religion chrétienne serait encore ignorée sur la terre; encore une fois, monsieur le duc, nous sommes prêts à quitter les signes de ce que vous appelez la rébellion; mais si c'est avec des bourreaux qu'on veut nous inspirer des opinions absurdes et qui révoltent le bon sens, nous ne nous laisserons pas égorger comme des animaux lancés dans l'arène; nous nous défendrons contre nos persécuteurs; tout en respectant la patrie, nous plaindrons ses chefs de leur aveuglement; et toujours prêts à verser notre sang pour elle, quand elle ne verra plus dans nous que des frères, nous n'offrirons plus à ses yeux que des enfants et des soldats[3].
Ce discours, prononcé d'une voix ferme et d'un maintien assuré, soutenu des grâces nobles de cette fille intéressante, acheva d'enflammer le duc; mais cherchant à déguiser son trouble sous les apparences d'une rigidité feinte:
—Savez-vous, dit-il à Juliette, que vos discours, votre conduite... mon devoir en un mot, me contraindraient de vous envoyer à la mort? Oubliez-vous, impérieuse créature, qu'il ne tient qu'à moi de sévir?
—Avec la même facilité, monsieur le duc, qu'il ne tient qu'à moi de vous mépriser, si vous abusez de la confiance que vous m'avez inspirée par votre lettre à mon père.
—Il n'y a point de serment sacré avec ceux que l'église réprouve.
—Et vous voulez que nous embrassions les sentiments d'une église dont une des premières lois, selon vous, est d'autoriser tous les crimes, en légitimant le parjure?
—Juliette, vous oubliez à qui vous parlez.
—À un étranger, je le sais. Un Français ne m'obligerait pas aux réponses où vous me contraignez.
—Cet étranger est l'oncle de votre roi; il en est le ministre, et vous lui devez tout à ces titres.
—Qu'il en acquiert à mon estime, il ne me reprochera pas de lui manquer.
—J'en désirerais sur votre cœur, dit le duc, en se troublant encore davantage, et réussissant moins à se cacher; il ne tiendrait qu'à vous de me les accorder. Cessez d'envisager dans le duc de Guise, un juge aussi sévère que vous le supposez, Juliette, voyez-y plutôt un amant dévoré du désir de vous plaire et du besoin de vous servir.
—Vous....... m'aimer...... juste ciel! et quelles prétentions pouvez-vous former sur moi, monsieur? Vous êtes enchaîné par les nœuds de l'hymen, et je le suis par les lois de l'amour.
—La seconde difficulté est plus affreuse que l'autre; peut-être vous ferais-je bien des sacrifices.... mais vous seriez loin de vouloir m'imiter.
—Monsieur le duc oublie-t-il que je l'ai supplié de me faire parler à la reine, et que ce n'est que dans cette intention que mon père a permis que je vinsse à Amboise?
—Juliette oublie-t-elle que son père est coupable, et que je n'ai qu'un ordre à donner pour qu'il soit aujourd'hui dans les fers?
—Je me retirerai donc, si vous le permettez, monsieur; car je ne suppose pas que vous abusiez du droit des gens, au point de me retenir ici malgré moi, quand je ne m'y suis rendue que sous votre sauf-conduit?
—Non, Juliette, vous êtes libre; il n'y a que moi qui ne le suis pas devant vous... vous êtes libre, Juliette; mais je vous le redis pour la dernière fois..... je vous adore.... je puis tout pour vous.... il ne sera rien que je n'entreprenne.... ou mon amour, ou ma vengeance.... Choisissez.... Je vous laisse à vos réflexions.
Juliette rentra chez le comte de Sancerre; le connaissant pour un brave militaire, incapable d'une lâcheté ou d'une trahison, elle ne lui cacha pas ce qui venait de se passer. Elle surprit infiniment ce général; il devint prêt à se repentir de s'être mêlé de la négociation.
Juliette demanda au comte, si dans une aussi affreuse circonstance, il ne serait pas mieux qu'elle retournât près du baron de Castelnau.
Monsieur de Sancerre n'osa lui rien conseiller, de peur d'aigrir le duc de Guise; mais il lui dit qu'elle ferait bien d'en demander la permission expresse, soit au duc, soit au cardinal.
Mademoiselle de Castelnau, très-fâchée d'être venue se prendre dans un tel piège, s'adressa au prince de Condé qui, révolté des procédés du duc, lui promit de faire avertir sur-le-champ le baron de tout ce qui se passait.
Mais pendant ce temps, le duc de Guise voyant bien qu'il ne réussirait à vaincre la résistance de Juliette qu'en prenant sur elle un empire assez grand pour lui ôter possibilité des refus, profitant des lumières qu'il acquérait chaque jour sur la force et sur la conduite des réformés, prit la résolution de faire attaquer le baron de Castelnau dans son quartier de Noisai. Il ne doutait pas que s'il parvenait à s'emparer de ce chef, sa fille ne se rendît dès le même instant.
Jacques de Savoie, duc de Nemours, l'un des plus lestes et des meilleurs capitaines du parti des Guise, est aussitôt chargé de l'expédition, et le duc lui recommande, sur toutes choses, de ne blesser ni tuer Castelnau, mais de l'amener vivant dans Amboise, parce qu'étant un des principaux chefs du parti opposé, on attendait de lui les plus sérieux éclaircissements.
Nemours part, il environne Noisai, il se montre de telles forces que Castelnau conçoit l'impossibilité de se défendre; l'oserait-il d'ailleurs dans la sorte de négociation qu'il a eu l'air d'entamer, et sachant encore aux mains des Guise, sa chère Juliette, qui chaque jour lui fait dire de temporiser.
Castelnau propose une conférence, Nemours l'accorde, et demande au baron sitôt qu'il le voit, quel est l'objet de ces dispositions militaires; comment il a pu naître dans l'esprit d'un brave homme comme lui, de n'aborder la cour que les armes à la main, et de renoncer par cette imprudente démarche, à la gloire dont avait toujours joui la nation française d'être, de toutes celles de l'Europe, la plus fidèle à la patrie.
Castelnau répond que loin de renoncer à cette gloire, il travaille à la mériter, que la plus grande preuve de sa soumission est la démarche qu'il a faite en envoyant sa fille unique aux genoux de la reine, qu'un sujet qui se révolte agit rarement de cette manière.
—Mais pourquoi des armes, dit Nemours.
—Ces armes répliqua le baron, n'ont été destinées qu'à nous ouvrir un chemin jusqu'au trône; elles sont faites pour nous venger de ceux qui veulent nous en interdire les abords; qu'on ne nous les ferme plus et nous y arriverons l'olivier à la main.
—Si c'est tout ce que vous désirez, dit Nemours, remettez-moi ces inutiles épées, et je m'offre à vous satisfaire... je me charge de vous conduire au roi.
Le baron accepte, tout se rend, on part pour le quartier royal; et malgré les représentations de Nemours qui réclame hautement devant les Guise la parole qu'il a donnée à ces braves gens, c'est au fond des cachots d'Amboise qu'on a l'infamie de les recevoir.
Heureusement, Raunai, détaché pour lors, n'était pas au château de son général lorsque tout ceci s'était passé.
Trouvant inutile d'y rentrer seul, il fut se joindre à Champs, à Coqueville, à Lamotte, à Bertrand-Chaudieu, qui conduisaient les milices de l'Ile-de-France, et concevant le danger que le baron et Juliette couraient vraisemblablement dans Amboise, il anima ces capitaines à la vengeance et les décida à une tentative dont nous apprendrons bientôt le succès.
Juliette ne tarda pas à savoir le malheureux sort de son père: elle ne douta plus qu'elle ne fût la cause des indignes procédés du duc de Guise.
—Le barbare, s'écria-t-elle, au comte de Sancerre assez généreux pour recevoir ses larmes et pour les partager, croit-il en m'enlevant ce que j'ai de plus précieux me contraindre à l'ignominie qu'il exige?... Ah! je lui prouverai quelle est Juliette; je lui ferai voir qu'elle sait mourir ou se venger, mais qu'elle est incapable de se souiller d'opprobres.
Furieuse, elle vole chez le duc de Guise.
—Monsieur, lui dit-elle fièrement, j'imaginais que la grandeur et la noblesse de l'âme devaient guider dans toutes les actions, ceux sur qui l'état se repose du soin de le conduire, et que les ressorts d'un gouvernement, en un mot, ne se confiaient qu'aux mains de la vertu. Mon père m'envoie vers vous pour négocier sa justification; non-seulement vous me fermez les avenues du trône, non-seulement vous empêchez que je ne puisse me faire entendre, mais vous profitez même de cet instant pour plonger mon malheureux père dans une affreuse prison.
Ah! monsieur le duc, ceux qui, comme lui, ont versé près de vous leur sang pour la patrie, me paraissaient mériter plus d'égards; ainsi donc pour éluder ma première demande, vous me contraignez d'en faire une seconde, et vous me précipitez dans de nouveaux malheurs, pour éteindre en moi le souvenir des premiers?... Ah! monsieur, la rigueur, toujours voisine de l'injustice et de la cruauté, énerve les âmes, leur enlève l'énergie qu'elles ont reçue de la nature, par conséquent le goût des vertus; et l'état alors, au lieu de la gloire de commander à des hommes libres, entraînés vers lui par le cœur, n'a plus sous sa verge de fer que des esclaves qui l'abhorrent.
—Votre père est coupable, Juliette, il est maintenant impossible de se faire illusion sur sa conduite; le château dans lequel il était s'est trouvé rempli d'armes et de munitions; on le croit, en un mot, le second chef de l'entreprise.
—Jamais mon père n'a changé de langage, monsieur: il a dit à Nemours, il a dit à Sancerre: «Qu'on me conduise aux pieds du trône, je ne demande qu'à être entendu. Les armes que vous me voyez, ne sont destinées que contre ceux qui veulent nous empêcher de l'être, et qui abusent d'un crédit usurpé, pour établir leur puissance sur la faiblesse et le malheur des peuples».....
Voilà ce que mon père à dit; voilà ce qu'il vous crie encore du fond de sa prison. Serais-je, en un mot, près de vous, monsieur, si mon père se croyait coupable? Sa fille viendrait-elle dresser l'échafaud qu'il aurait cru mériter?
—Un mot, un seul mot peut finir vos malheurs, Juliette.... Dites que vous ne me haïssez pas; ne détruisez point l'espoir au fond d'un cœur qui vous adore, et je serai le premier à persuader de mon mieux à la cour, l'innocence et la fidélité de votre père.
—Ainsi donc vous serez juste, si je consens à être criminelle, et je n'aurai droit aux vertus où je dois prétendre, qu'en foulant aux pieds celles qui m'enchaînent! ces procédés sont-ils équitables, monsieur? Ne rougissez-vous pas de les afficher, et voudriez-vous que je les publiasse?
—Vous comprenez mal ce que je vous offre, Juliette; je ne suppose pas votre père coupable, il l'est; tel est le point dont il faut partir. Castelnau est coupable, il mérite la mort; je lui sauve la vie si vous vous rendez à moi; je ne controuve point des crimes au baron pour avoir droit à votre reconnaissance. Ces torts existent, ils lui méritent l'échafaud, je les anéantis si vous devenez sensible à ma flamme; votre supposition me prêterait une manière de penser qui ne s'allierait pas à ma franchise: celle qui me dirige s'accorde avec l'honneur; elle prouve, au plus, un peu de faiblesse.... Mais j'ai vos attraits pour excuse.
—S'il est possible, monsieur, que mon père soit libre, tel coupable que vous le supposiez, n'est-il pas plus noble à vous de le sauver sans conditions, que de m'en imposer qu'il m'est impossible d'accepter? Dès que vous pouvez me le rendre, le croyant coupable, pourquoi ne le pouvez-vous de même, son innocence étant assurée?
—Elle ne l'est point: je veux bien passer pour indulgent, mais je ne veux pas que l'on me croie injuste.
—Vous l'êtes en n'absolvant pas un homme auquel il vous est impossible de trouver un seul tort.
—Terminons ces débats, Juliette, votre père professe le culte prescrit par le gouvernement, il est de la religion qui a mérité la mort à Dubourg; il a de plus, été trouvé en armes aux environs du quartier royal. Nous faisons mourir tous les jours des gens dont les dépositions le condamnent; le baron périra comme eux, si des réflexions plus sages de votre part ne vous déterminent promptement à ce qui peut seul le sauver.
—Oh, monsieur, daignez réfléchir au sang qui m'a donné la vie, suis-je faite pour être votre maîtresse, et tant qu'Anne d'Est existera, puis-je être votre femme?
—Ah! Juliette, assurez-moi qu'il n'est que cet obstacle à vaincre, et vous comblerez tous mes vœux.
—Oh ciel! cet obstacle n'est-il donc pas insurmontable? Envelopperez-vous votre illustre épouse dans la proscription générale? lui composerez-vous comme à mon père, des torts, pour avoir droit de l'immoler? et sera-ce au moyen de cette foule de crimes que vous croirez obtenir ma main!
—Fille adorée, dites un mot.... un seul mot; assurez-moi que je peux mériter votre cœur, et je me charge des moyens de l'acquérir. Ces chaînes indissolubles pour les mortels ordinaires, se brisent facilement chez ceux que la fortune et la naissance élèvent.... il est, sans explication, mille moyens de m'appartenir, Juliette, et c'est à vous de prononcer.
—Je vous l'ai dit, monsieur, je ne suis pas maîtresse de mon cœur.
—Et quel est donc celui que vous me préférez?
—Vous le nommer!...... Vous offrir une victime de plus!...... Ne l'imaginez pas.
—Allez, mademoiselle, allez, dit le duc irrité, je saurai punir vos refus: le spectacle de votre père aux pieds de l'échafaud, fléchira peut-être vos injustes rigueurs.
—Ah! souffrez du moins que j'aille embrasser ses genoux, ne m'empêchez pas, monsieur, d'aller arroser son sein de mes larmes; je lui ferai part de vos projets; s'il préfère la vie à l'honneur de sa fille... peut-être immolerai-je mon amour. Mon père est tout ce que j'ai de plus sacré: il n'en est aucun dans le monde dont j'aimasse mieux être la fille...... Mais, monsieur le duc, quelle action! n'aurez-vous nul remords d'une victoire acquise au prix de tant de crimes... d'un triomphe dont vous ne jouirez qu'en nous couvrant de larmes... qu'en plongeant trois mortels au sein de l'infortune? quelle différente opinion j'avais de votre âme...... je la supposais l'asile des vertus, et je n'y vois régner que des passions.
Le duc promit à Juliette qu'il lui serait permis de voir son père, et elle se retira dans le plus grand accablement.
Cependant, disent nos historiens, «tout prenait dans Amboise le train de la plus excessive rigueur; les capitaines envoyés par le duc de Guise, ne furent pas moins heureux que Nemours; cachés dans des ravines ou dans des broussailles, aux endroits où les conjurés devaient passer, ils les enlevaient sans résistance, et les amenaient par bandes dans la ville d'Amboise; on mettait en prison les plus apparents; les autres étaient jugés prévôtalement, et pendus tout bottés et éperonnés, aux créneaux du château ou à de longues perches scellées dans les murailles».
Ces rigueurs révoltèrent.
Le chancelier Olivier, qui, dans le fond de l'âme, penchait pour le nouveau culte, fit entrevoir que des malheurs sans nombre pouvaient devenir la suite de ces cruautés. Il proposa d'accorder des lettres de rémission à tous ceux qui se retireraient paisiblement.
Le duc de Guise n'osait trop combattre cet avis: peu sûr des dispositions de la reine toujours livrée aux Chatillon qu'il soupçonnait les secrets moteurs des troubles, craignant l'inquiétude du roi qui, malgré les chaînes dont on l'entourait, ne pouvait s'empêcher de témoigner que tant d'horreurs ne lui plaisaient pas; le duc accepta tout, bien sûr que Castelnau pris en armes, ne pourrait pas lui échapper, et qu'il serait toujours le maître de Juliette, en tenant dans ses mains la destinée du baron. L'édit se publia: on se crut tranquille à Amboise; les troupes se dispersèrent dans les environs, et cette sécurité pensa coûter bien cher.
Tel fut l'instant que Raunai crut propice pour se rapprocher de Juliette. Il enflamme ses camarades; il leur fait voir qu'Amboise, dégarnie, n'est plus en état de tenir contre eux; qu'il est temps d'aller délivrer la cour de l'indigne esclavage où la tiennent les Guise, et d'obtenir d'elle, non de vaines lettres de rémission, sur lesquelles il est impossible de compter, et qui ne servent qu'à prouver et la faiblesse du gouvernement et l'excessive crainte qu'on a d'eux, mais l'exercice assuré de leur religion, et la pleine liberté de leurs prêches.
Raunai, bien plus excité par l'amour que par quelque autre cause que ce pût être, empruntant l'éloquence de ce dieu pour convaincre ses amis, trouva bientôt dans leur âme la même vigueur dont il leur parut embrâsé; tous jurent de le suivre, et dès la même nuit, ce brave lieutenant de Castelnau les mène sous les remparts d'Amboise.
—Ô murs, qui renfermez ce que j'ai de plus cher, s'écrie Raunai en les apercevant, je fais serment au ciel, ou de vous abattre ou de vous franchir; et, quels que soient les obstacles qui puissent m'être opposés, l'astre du jour n'éclairera plus l'univers sans me revoir aux pieds de Juliette.
On se dispose à la plus vigoureuse attaque: un malentendu fait tout perdre. Les différents corps des conjurés n'arrivent pas ensemble aux rendez-vous qui leur sont indiqués; les coups ne peuvent se porter à la fois; on est averti dans Amboise; on se tient sur la défensive, et tout manque. Le seul Raunai, avec sa troupe, pénètre jusque dans les faubourgs; il arrive à l'une des portes; il la trouve fermée et bien défendue. Pas assez fort pour entreprendre de l'enfoncer, exposé au feu du château qui lui tue beaucoup de monde, il ordonne une décharge d'arquebuserie sur ceux qui gardent les murailles, laisse fuir sa troupe, et lui seul, se débarrassant de ses armes, se jette dans un fossé, franchit les murs et tombe dans la ville.
Connaissant les rues, les soupçonnant désertes à cause de la nuit et d'une attaque qui doit avoir appelé tout le monde au rempart, il vole chez le comte de Sancerre, où il sait bien qu'est logée celle qu'il aime.
Il ose, à tout événement, se fier à la noblesse, à la candeur de ce brave militaire. Il arrive chez lui.... Juste ciel!.... on rapportait le comte blessé des coups de celui qui venait l'implorer.......
—Ô! monsieur, s'écrie Raunai, en mouillant de ses pleurs la blessure du comte, vengez-vous, voilà votre ennemi, voilà celui qui vient de verser votre sang.... ce sang précieux que je voudrais racheter au prix du mien...... Grand dieu! c'est donc ainsi que ma main barbare a traité le bienfaiteur de celle qui m'est chère!
Je viens me rendre à vous, monsieur, je suis votre prisonnier. La malheureuse fille de Castelnau, à laquelle votre générosité donne asile, vous a dit ses malheurs et les miens; je l'adore depuis mon enfance; elle daigne m'estimer un peu... je venais la trouver... recevoir ses ordres... mourir après, s'il l'eût fallu. Vous voyez, aux périls que j'ai franchis, qu'il n'est rien qui puisse m'être plus cher qu'elle.... Je sais ce qui m'attend.... ce que je mérite.
Chef de l'attaque qui vient de se faire, je sais que des chaînes et la mort vont devenir mon partage; mais j'aurai vu ma Juliette, je serai consolé par elle, et les supplices ne m'effrayent plus si je les subis sous ses yeux.
Ne trahissez point votre devoir, monsieur; voilà mes mains; enchaînez-les.... vous le devez; votre sang coule, et c'est moi qui l'ai répandu!
—Infortuné jeune homme, dit le brave Sancerre, console-toi; ma blessure n'est rien; ce sont des périls que tu as courus comme moi; nous avons tous deux fait notre devoir. Quant à ton imprudence, Raunai, n'imagine pas que j'en abuse; apprends que je ne compte au rang de mes prisonniers, que ceux que ma valeur enchaîne sur le champ de bataille. Tu verras celle que tu adores; ne crains point que je manque aux devoirs de l'hospitalité; tu les réclames chez moi, tu y seras libre comme dans ta propre maison; trouve bon, seulement, que pour ton repos, comme pour le mien, je t'indique un logement plus sûr.
Raunai se précipite aux genoux du comte; les termes manquent à sa reconnaissance... à ses regrets; et Sancerre le prenant aussitôt par la main, tout affaibli qu'il est de sa blessure, le relève et le conduit dans l'appartement de sa femme que Juliette partageait depuis qu'elle était dans Amboise.
Il faudrait d'autres pinceaux que les miens pour rendre la joie de ces deux fidèles amants quand ils se revirent. Mais ce langage de l'amour, ces instants qui ne sont connus que des cœurs sensibles.... ces moments délicieux, où l'ame se réunit à celle de l'objet qu'on adore, où l'on se tait, parce qu'on sent bien qu'aucun mot ne rendrait ce qu'on éprouve, où l'on laisse au sentiment le soin de se peindre lui-même, ce silence, dis-je, n'est-il pas au-dessus de toutes les phrases? Et ceux qui se sont enivrés de ces situations célestes, oseraient-ils dire qu'il puisse en exister de plus divines au monde.... de plus impossibles à tracer?
Cependant Juliette fit bientôt taire les accents de l'amour pour se livrer à ceux de la reconnaissance.
Inquiète de l'état de monsieur de Sancerre, elle voulut partager avec la comtesse et les gens de l'art, le soin de veiller à sa sûreté.
La blessure se trouvant sans aucune sorte de conséquence, le comte exigea alors de Juliette d'aller employer près de son amant des instants aussi précieux.
Mademoiselle de Castelnau obéit, et ayant laissé la comtesse avec son mari, vint retrouver Raunai. Elle lui apprit tout ce qui s'était passé depuis leur séparation, elle ne lui cacha point les vues de monsieur de Guise.
Raunai s'en alarma. Un rival de cet ordre est fait pour inquiéter un amant, et un amant coupable, qu'un seul mot de ce rival terrible peut à l'instant couvrir de chaînes.
Le lendemain, monsieur de Sancerre qui allait beaucoup mieux, les rassura l'un et l'autre; il promit même de parler au duc; mais il fut résolu qu'on cacherait les démarches de Raunai qui, dès le même instant, irait vivre ignoré chez un particulier de la même religion que lui, et que chaque soir, dans un cabinet du jardin du comte, ce valeureux amant pourrait entretenir sa maîtresse.
Tous deux tombèrent encore une fois aux pieds de Sancerre et de son épouse; des larmes s'exprimèrent pour eux; et sur le soir, Raunai, conduit par un page, fut s'enfermer dans son asile.
L'attaque de la nuit précédente suffit à persuader aux Guise qu'ils ne devaient plus se croire engagés par l'édit qu'on venait de publier.
Le sang recommence donc à couler dans Amboise; des échafauds dressés dans tous les coins, offrent à chaque instant de nouvelles horreurs; des troupes répandues dans les environs, font main basse sur tous les protestants; ou on les égorge sur l'heure même, ou on les précipite pieds et mains liés dans la Loire; les capitaines seuls, et les gens de marque, sont réservés aux tourments de la question, afin d'arracher de leur bouche le nom des vrais chefs du complot.
On soupçonnait le prince de Condé; mais on n'osait pas se l'avouer. Catherine frémissait de l'obligation de trouver un tel coupable; et les Guise sentaient bien que l'ayant découvert, il fallait l'immoler ou le craindre.
Que d'inconvénients dans l'un ou dans l'autre cas.
Mais plus les protestants montraient d'énergie, plus le duc voyait de moyens à la condamnation de Castelnau, et plus, par conséquent, l'espoir d'obtenir Juliette s'allumait doucement dans son âme. Celui qui a le malheur de projeter un crime, ne voit pas, sans une joie secrète, les événements secondaires concourir au succès de ses desseins.
Il n'y avait plus d'autres amusements à Amboise que ceux de ces horribles meurtres. La tyrannie, qui effraie d'abord les souverains, ou plutôt ceux qui les gouvernent, finit presque toujours par leur composer des jouissances. Toute la cour assistait régulièrement à ces actes sanglants, comme celle de Néron autrefois aux exécutions des premiers chrétiens.
Les deux reines, Catherine de Médicis, et Marie Stuart, étaient avec les dames de la cour, dans une galerie du château d'où l'on découvrait toute la place; et, pour amuser davantage les spectateurs, les bourreaux avaient soin de varier les supplices, ou l'attitude des victimes.
Telle était l'école où se formait Charles IX; tel était l'atelier où s'aiguisaient les poignards de la Saint-Barthélemi.
Grand Dieu! voilà comme on a souillé plus de deux cents ans tes autels; voilà comme des êtres raisonnables ont cru devoir t'honorer; c'est en arrosant ton temple du sang de tes créatures, c'est en se souillant d'horreurs et d'infamies, c'est par des férocités dignes des cannibales, que plusieurs races d'hommes sur la terre ont cru remplir tes vœux, et plaire à ta justice. Être des êtres, pardonne-leur cet aveuglement; il fut la peine dont tu crus devoir punir leur dépravation et leurs crimes; tant d'atrocités ne peuvent naître dans le cœur de l'homme, que, lorsqu'abandonné de tes lumières, il est comme Nabuchodonosor, réduit par ta main même au stupide esclavage des bêtes.
La seule Anne d'Est cette respectable épouse du duc de Guise, cette femme intéressante qu'il était prêt de sacrifier à ses passions, elle seule eut l'horreur de ces monstrueuses barbaries.
Elle s'évanouit un jour dans les gradins de la sanglante arêne, on la rapporta chez elle baignée de larmes; Catherine y vole, elle lui demande la cause de son accident.
—Hélas! madame, répondit la duchesse, jamais mère eut-elle plus de raison de s'affliger. Quel affreux tourbillon de haine, de sang et de vengeance s'élève sur la tête de mes malheureux enfants[4].
Le comte de Sancerre dont la blessure n'était rien, et qui allait mieux de jour en jour, tint à mademoiselle de Castelnau la parole qu'il lui avait donnée; il fut trouver le duc de Guise, dont il était chéri, et dont il devait être respecté à toute sorte d'égards, et ne lui déguisant que le séjour de Raunai dans Amboise, il ne lui cacha rien de ce qu'il avait appris de Juliette.
—Quel est votre objet, monsieur, lui dit fermement le comte: est-ce à celui qui gouverne l'état de se livrer à des passions.... toujours dangereuses, quand on a la possibilité de faire autant de mal? Oserez-vous immoler Castelnau pour vous rendre maître de Juliette? et ferez-vous dépendre le sort de ce malheureux père de l'ignominie de la fille?
Le duc un peu surpris de voir monsieur de Sancerre si parfaitement au fait, lui fit entrevoir, que quoiqu'il eût des enfants d'Anne d'Est, il pourrait néanmoins trouver des moyens de rupture à son mariage avec elle....
—Ô mon cher duc! interrompit le comte, voilà comme les passions déraisonnent toujours! Quoi! vous romprez l'alliance contractée avec une princesse, pour épouser la fille d'un homme, contre lequel vous faites la guerre; vous vous brouillerez avec François II, dont ces nœuds vous rendent l'oncle; avec le duc de Ferrare dont ils vous font devenir le gendre, vous culbuterez l'édifice d'une fortune où vous travaillez depuis tant d'années, et tout cela pour le vain plaisir d'un moment, pour une passion qui s'éteindra sitôt qu'elle sera satisfaite, et qui ne vous laissera que des remords? Sont-ce là les sentiments qui doivent animer un héros? Est-ce à l'amour à nuire à l'ambition? vous avez déjà beaucoup trop d'ennemis, monsieur; ne cherchez point à en accroître le nombre. Excusez ma franchise, j'ai acquis le droit, par mon âge et par mes travaux, de vous parler comme je le fais; l'estime dont vous m'honorez m'y autorise......
Ah! croyez-moi, gardez-vous de laisser soupçonner que l'amour puisse entrer pour quelque chose dans les troubles que vos rigueurs excitent. Le Français courbe avec peine sous le joug d'un ministre étranger; quelque grand que vous puissiez être, le sang de sa nation ne coule pas dans vos veines, et c'est un grand tort à ses yeux quand on veut prétendre à le régir; amis, ennemis, tout vous condamne, tout attribue au désir de vous élever les malheurs dont vous affligez la France.
On connaît vos prétentions à vous dire issu de la seconde race de nos rois, et à revendiquer la couronne à ce titre sur les descendants de Hugues Capet. Admettons un instant cette idée, la favoriserez-vous en rompant d'illustres alliances pour en contracter une si forte au-dessous de vous?
Ainsi, soit que vous aspiriez au plus haut degré de gloire, soit que vous vous contentiez de celui où vous êtes, dans tous les cas, vos projets sont indignes de vous; monsieur le duc, vous devez aux Français l'exemple des vertus, peut-être avez-vous besoin d'en montrer plus qu'un autre pour effacer les torts dont on vous accuse. Que ce ne soit donc pas dans un moment tel que celui-ci, où la plus répréhensible des faiblesses vienne achever de répandre sur vos actions, un louche, dont vos ennemis ne profiteraient que trop vite. C'est à la postérité, monsieur, qu'un homme comme vous répond de ses démarches, et il ne doit pas en être une seule dans tout le cours de sa vie qui puisse le faire rougir un instant.
—Comte, répondit monsieur de Guise, si vous aviez jamais éprouvé les sentiments que Juliette m'inspire, vous auriez un peu plus d'indulgence pour moi: jamais, mon ami, jamais aucune passion ne s'introduisit plus vivement dans un cœur; ses yeux ont changé mon existence entière, il n'est pas une seule minute dans la journée où je ne sois rempli de son image; et si quelquefois la reine ou son époux veulent trouver en moi le ministre, anéanti du trouble qui me presse, je ne leur montre plus que l'amant. Avec l'âme que vous me connaissez, Sancerre, cette passion peut-elle être soumise à des devoirs? Et vous étonnerez-vous de tous les moyens que je prendrai pour m'assurer l'objet de mon idolâtrie?...... Non, il n'en sera aucun que je n'emploie pour devenir l'amant ou le mari de Juliette; fortune, honneur, considération, crédit, espoir, hymen, enfants, tout...... tout s'immolera dans l'instant aux genoux de celle que j'adore, je ne me plaindrai que de la médiocrité des sacrifices; et si comme vous le dites l'ambition pouvait me donner des remords, ce serait tout au plus ceux de ne pouvoir lui offrir que la seconde place de l'état.
Sancerre combattit vivement ces résolutions du délire, il employa tout ce qu'il crut de plus persuasif, et de plus éloquent; mais, monsieur de Guise fut inébranlable; et le comte n'osant plus insister se retira, content de rapporter au moins à sa protégée, la permission de voir le baron de Castelnau, promise depuis plusieurs jours, et retardée par les nouveaux troubles.
Juliette versa des larmes bien amères, en apprenant que rien au monde ne pouvait changer les résolutions de monsieur de Guise.
—Ô mon ami, dit-elle le même soir à Raunai! il n'est donc que trop sûr que le Ciel ne nous avait pas destinés l'un à l'autre! Quel horrible avenir se présente à mes yeux! il faudra que je devienne la femme de cet homme barbare, souillé du meurtre de nos frères!... Je serai réduite à l'horreur de partager son lit!.... Infortunée! il faut que je perde mon amant ou mon père; il faut que j'immole ou mon amour ou l'être précieux qui m'a donné la vie! voilà donc l'usage que ces hommes d'état font des pouvoirs qui leur sont confiés! et ces fers qui s'appesantissent sur nous, tous ces fléaux qui nous accablent...... au nom d'un souverain...... à chaque instant trompé lui-même, ne sont donc que les moyens des passions de ces hommes puissants.... que les armes secrètes dont ils usent pour les assouvir!..... Il faut qu'elles le soient ou que nous gémissions...; il faut qu'ils deviennent heureux, ou que le sang coule!..... Je voudrais que mes jours... Hélas! ils ne sauveraient rien.... nous n'en péririons pas moins tous les deux.
—Juliette, répondit Raunai, mille sentiments confus m'animent à la fois.... Je puis sortir d'Amboise comme j'y suis entré.... je puis rejoindre mes amis, revenir avec eux sous ces remparts délivrer et ton père et toi, trancher sans aucune pitié les jours de ces cruels despotes qui se font un jeu d'abréger les nôtres, les pulvériser tous au pied du trône que leur tyrannie déshonore, et mériter enfin ton cœur, après avoir immolé nos bourreaux.
L'inaction où je reste pendant que l'on s'abreuve du sang de nos frères m'avilit à mes propres yeux; je voulais embrasser tes genoux.... J'ai réussi... Laisse-moi revoler au combat...... laisse-moi fuir les murs de cette ville odieuse, je ne veux plus y revenir que triomphant; je ne veux plus que tu m'y voyes, qu'apportant à tes pieds la tête de nos persécuteurs.
—Non, calme-toi Raunai, je verrai demain mon père..... Je l'entendrai... peut-être après, te communiquerai-je un dessein plus sûr pour finir nos maux personnels, puisque nous ne pouvons aspirer à l'honneur de terminer ceux de nos compagnons d'infortune.... calme-toi, cher et unique amant, aime Juliette, que l'idée d'en être adoré te console, et sois sûr que qui que ce soit dans l'univers n'acquerra sur son cœur, des droits.... qui ne peuvent appartenir qu'à toi seul.
Mademoiselle de Castelnau ne tarda point à profiter de la permission qu'elle avait obtenue de voir son père; elle vole à la prison. Le baron n'était point prévenu; cette surprise pensa lui coûter la vie; il fut quelques instants sans connaissance dans les bras de Juliette.
—Oh! chère fille, s'écria-t-il, dès que ses yeux furent rouverts au jour, je craignais bien que les barbares ne me traînassent à l'échafaud sans qu'il me fût possible de t'embrasser pour la dernière fois.
—Vous ne mourrez point, mon père, répondit Juliette; je suis la maîtresse de vos jours; un mot de moi peut vous les conserver.
—Un mot! que veux tu dire?... Si ce mot te coûtait l'honneur, Juliette, je ne voudrais point d'une vie payée de ton opprobre.
—Ô! mon père, ce n'est pourtant qu'à ces conditions que je puis vous arracher des mains de nos ennemis... Le duc de Guise.... Il veut que je cède à sa passion; et dès qu'il est enchaîné par l'hymen, ce qu'il exige peut-il avoir lieu sans qu'il en coûte un crime, à lui, ou l'honneur à votre malheureuse fille?
—Ah! Juliette, reprit fermement Castelnau, laisse-moi périr; j'ai vécu; ce serait acheter trop cher le peu de jours que je dois languir ici-bas.... Non, mon enfant, non; je ne les paierai point au prix de ton honneur et de ta félicité. Je le savais trop bien que ces tyrans n'étaient mus que par l'égoïsme, et que l'ambition était l'unique cause de leurs crimes. Mais il est un Dieu juste qui nous vengera, chère fille, un Dieu puissant aux yeux duquel les malheurs sont des droits, et les vertus des titres. Élevée dans la plus pure des religions, garde-toi d'en oublier les principes; qu'ils te servent à jamais d'égide contre les séductions de ces idolâtres, et puisque ma vie ne peut plus garantir ta jeunesse, que ma mort au moins t'encourage.... Tu la verras, ma fille, oui, je demanderai de mourir dans tes bras, et mon âme, bientôt aux pieds de l'Eternel, obtiendra de lui cette protection, que mes revers m'empêchent de t'accorder....
Et Juliette, anéantie dans les bras de son père, ne pouvait que gémir et répandre des larmes.
—Ne pleurs pas, chère fille, reprit le baron, ne t'afflige pas; tu le retrouveras dans le ciel ce père infortuné que l'on t'enlève sur la terre; il va préparer l'Être Suprême à te faire jouir des faveurs que ta conduite et ta religion doivent te faire espérer de lui.... il va t'attendre dans le sein d'un Dieu.... Ô! ma fille, voilà donc ce que c'est que le monde.... ses espérances.... et ses biens!... Élevé à la cour, fait pour prétendre à tout, l'ami, le compagnon de ces gens-ci, ayant versé près d'eux mon sang pour la patrie.... parce que je ne veux pas adopter leurs erreurs...... parce que je hais leurs sacrilèges et leur impiété...... que je veux en un mot, adorer Dieu dans la pureté de l'Evangile.... tous ces amis.... tous ces camarades sont aujourd'hui mes juges, et demain seront mes bourreaux. Eh! qui leur a donc dit que leur cause est la bonne? Ont-ils entendu mieux que moi la parole divine? Fut-il même vrai que je me trompasse...... une erreur dans le culte doit-elle être mise au rang des crimes? L'Eternel peut-il être honoré par du sang; et ceux qui, pour le servir, osent lui sacrifier des hommes, ne sont-ils point, par cela seul, dans l'erreur et le mauvais chemin?.... N'importe, ma fille, n'importe; je mourrai, puisqu'il le faut...... Oui, je mourrai certainement, puisque je ne pourrais conserver la vie qu'aux dépens de ton honneur.... Mais le brave Raunai, chère fille, qu'est-il devenu dans ce tumulte?
Mademoiselle de Castelnau apprit à son père tout ce qui concernait son amant... elle lui dit qu'il était dans Amboise; elle lui conta comme il s'y était introduit, et l'envie qu'il avait d'en sortir pour tenter un nouveau coup de main.