Читать книгу L'épouvante - Maurice Level - Страница 8

29, BOULEVARD LANNES

Оглавление

Onésime Coche jeta un long regard autour de lui, s'assura que les rideaux des fenêtres étaient bien fermés, prêta l'oreille afin d'être certain que nul ne viendrait le déranger dans sa besogne, puis, rassuré, il enleva son pardessus, le déposa sur une chaise avec sa canne et son chapeau, et réfléchit.

Il s'agissait maintenant de créer de toutes pièces la mise en scène du Crime d'Onésime Coche, et pour ce, tout d'abord, il fallait faire disparaître tout ce qui pouvait mettre sur la trace des vrais coupables.

Le cadavre découvert, ce qui, dans cette pièce, retenait d'abord l'attention, c'étaient les trois verres oubliés sur la table. En omettant de les faire disparaître, les assassins avaient commis une faute grave. Leur négligence suffisait à donner à la justice un renseignement précieux. Un homme seul passe inaperçu là où trois hommes se font arrêter. Il lava donc les trois verres, les essuya, et avisant un placard ouvert où d'autres verres étaient rangés, les remit à leur place. Ensuite il prit la bouteille entamée, éteignit l'électricité afin qu'aucun de ses gestes ne pût être vu du dehors, tira les rideaux, ouvrit la fenêtre, les volets, et la lança de toutes ses forces. Il la vit tournoyer en l'air et retomber de l'autre côté de la chaussée. Le bruit du verre brisé éveilla pendant une seconde le silence. Il se rejeta en arrière, et se mordit les lèvres:

— Si quelqu'un avait entendu?… Si l'on venait?… Si l'on me trouvait là, dans cette chambre?…

La peur qu'il éprouva n'avait rien de comparable à toutes celles qu'il avait connues jusqu'alors. Rapide, incisive, elle le clouait sur place, arrêtant sa respiration. Il eut, en moins d'une seconde, très chaud et très froid… Il fouilla la nuit, guetta le silence… Rien. Alors, il referma les voleta, la fenêtre, tira les rideaux, revint à tâtons jusqu'au commutateur, et donna de la lumière.

Chose étrange! L'obscurité seule l'effrayait. La lumière faisait s'enfuir toutes ses angoisses. Il connut à cela qu'il n'était pas un vrai criminel, car l'aspect de la victime, loin de grandir son effroi, l'apaisa. Dans le noir, il en arrivait presque à se sentir coupable; bien éclairés, les objets, malgré l'horreur du lieu, n'avaient plus rien de terrible pour ses regards. Il réfléchit que, la peur, le remords, devaient être d'atroces choses, et qu'il allait lui falloir une rare force d'âme pour en grimacer les tourments.

«Je vais, pensa-t-il, être obligé de me combattre et de me vaincre pour ne pas laisser deviner mon innocence, autant qu'un coupable, pour cacher son crime.»

La table débarrassée, il se dirigea vers la toilette. Là, le désordre était si flagrant qu'il était impossible d'admettre qu'il fût l'oeuvre d'un seul.

Les objets portent en eux le secret des doigts qui les ont maniés. Rien qu'à voir la position des serviettes, on sentait qu'elles avaient été jetées là par des mains différentes: un criminel ne déplace pas pour son seul usage tant d'objets. L'instinct, à défaut de tout autre raisonnement, l'oblige à faire vite. Par ailleurs — et puisqu'à l'occasion tout indice devait être interprété contre lui — il était nécessaire que l'homme d'ordre qu'il était reparût jusque dans le crime. Un être méticuleux comme lui n'aurait pas bousculé ainsi les serviettes. Un obscur besoin de rectitude, de netteté, demeure, même dans les folies passagères, chez ceux qu'une longue habitude des soins de chaque jour a faits soigneux et délicats: le crime d'un homme du monde ne saurait être semblable à celui d'un rôdeur. L'être bien né se retrouve en toutes choses à d'infimes détails. Il se souvint de l'aventure de ce Ci-devant, attablé, sous la Terreur, dans une auberge, au milieu de massacreurs, de tricoteuses, et trahissant son identité, malgré un déguisement savant, par la façon dont il tenait sa fourchette. On pense à tout… sauf à la petite chose indispensable. Le faussaire déguise son écriture, masque sa personnalité, mais un oeil exercé retrouve parmi les lettres contournées, les lignes déviées, les barres volontairement changées, la «lettre type», la façon de placer une virgule, qui suffit à faire tomber le masque…

Méthodiquement, il mit de l'ordre dans le désordre, effaça la main sanglante étalée sur l'étoffe tendue le long du mur, gratta sur un tiroir la marque qu'avait gravée un coup de talon ferré, mais se garda bien de toucher aux éclaboussures de sang. Plus il y en aurait, plus la lutte semblerait avoir été longue. Rien ne subsista bientôt des traces laissées par «les autres». Le crime, dans ce décor arrangé, était le meurtre anonyme, où ne subsiste pas le moindre indice, où rien ne peut servir la justice. Il s'agissait maintenant d'en faire le crime d'un individu déterminé, de lui donner une physionomie spéciale, en un mot d'oublier dans cette chambre un objet qui suffit à servir de base aux recherches. Là encore, là surtout, il importait d'agir avec prudence, de ne pas se livrer à un truquage grossier, facile à éventer: il fallait que l'objet ait pu être oublié… Coche prit son mouchoir et le jeta au pied du lit, puis, se ravisant, le ramassa, et en vérifia la marque: Dans un coin, un M et un L entrelacés. Il réfléchit: M.L.?… Ce n'est pas à moi, puis sourit, se souvenant que les mouchoirs sont des objets d'échange, et que l'on peut presque compter le nombre de ses relations, par celui des mouchoirs dépareillés que l'on possède dans son armoire… Sa canne, un jonc à pomme d'argent, cadeau d'un parent revenu du Tonkin, était trop spéciale, trop personnelle…

Il regarda autour de lui, sur lui. Il ne portait pas de bague; les boutons de sa chemise étaient de porcelaine imitant la toile, de ces boutons que l'on trouve dans tous les bazars. Il y avait bien ses boutons de manchette, mais il y tenait, non pour leur valeur qui était minime, mais comme on tient à des bibelots portés depuis longtemps et qui deviennent de vieux amis. Et puis, on n'oublie pas des boutons de manchette… Il faut une secousse violente pour les arracher…

Il se frappa le front:

— Une secousse! Parfait! Qu'on ramasse l'un d'eux sur le tapis, on se dira: «Au cours de la lutte, la victime, accrochée aux bras de l'assassin, a déchiré les poignets de sa chemise, arraché la chaînette du bouton, et, dans sa fuite, le meurtrier ne s'est aperçu de rien. Il s'est sauvé, sans se douter qu'il laissait derrière lui cette pièce accusatrice.»

Ainsi tout est respecté, tout est vraisemblable!

Le poignet rabattu, il prit le bord intérieur de la manchette gauche entre ses doigts, saisit le bord extérieur de sa main droite restée libre, et d'un coup sec, fit sauter la chaînette qui tomba à terre avec une petite olive d'or portant en son centre une turquoise. L'autre moitié était restée engagée dans la boutonnière; il la mit dans la poche de son gilet. Mais, dans sa hâte à accomplir ce geste, il ne remarqua point qu'il avait du sang aux doigts, qu'il salissait sa chemise et son gilet blanc de taches rouges. De la poche intérieure de son habit, il retira une enveloppe à son nom, et la déchira en quatre morceaux inégaux.

L'un portait:

Monsieur On 22, R L'autre:

ési ue de

Le troisième:

L'épouvante

Подняться наверх