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CHAPITRE IV.

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Table des matières

De Cette, Montpellier, Nismes, Avignon, Aix, Marseille à Toulon.

Nous arrivons ensuite à Cette, joli port de mer très-commerçant, couvert de navires, et dont les environs sont embellis par de charmantes villas ou baraquettes. Sa population est de 7000 âmes. Sitôt qu'un habitant de Cette a fait sa fortune, il se fixe à Montpellier. À Cette, une bonne barrique de vin vaut cent francs, l'eau douce y manque; il fallait la faire venir de Montpellier mais, depuis quelques années, on convertit l'eau de mer en eau potable, par la distillation; puis on a creusé des puits à quelque distance. Notre table d'hôte fut mise en gaîté par un habitant de Castelnaudari, âgé de cinquante ans: il connaissait particulièrement M. Martin, capitaine de notre bateau de poste: Depuis qu'il n'était plus en nourrice, il quittait pour la première fois son hameau et son jardin: quarante lieues de chemin devenaient pour lui un voyage de long cours; il menait une vie réglée et douce; et, comme le magistère Mathieu, il était la plus forte tête du lieu: une feuille de rose pliée sur son fauteuil l'aurait contrarié. Ainsi étaient les habitants de Sibaris; il faisait ponctuellement sur sa couchette le tour du cadran, mollement préparé au sommeil, et couronné glorieusement, à l'instar du roi d'Yvetot,

……. Par Jeanneton,

D'un joli bonnet de coton,

Dit-on.

Il nous excitait beaucoup à rire: il était tout ébouriffé, tout haletant, tout hors de lui-même, quand il venait à nous parler de ses fatigues depuis qu'il avait quitté sa demeure. Renonçant pour toujours aux excursions et à la gloire de passer pour infatigable voyageur, il préférait mille fois, à l'exemple de Cornaro, vivre avec une once de pain et un jaune d'oeuf, pour devenir un modèle de longévité.

Au reste, dit-il, au milieu de nos éclats d'hilarité, et prenant sa montre, son seul régulateur, voici huit heures; je suis déjà en retard pour aller goûter les douceurs du sommeil; il nous souhaita le bon soir, et se retira précipitamment, ne voulant pas sacrifier un instant de repos. Nous saluons Frontignan et nous rendons hommage à Bacchus, en buvant pour un franc une excellente bouteille de vin de muscat; ce nectar encore sur les lèvres, nous arrivons enfin à Montpellier: immédiatement nous parcourons la belle promenade du Pérou, dont la vue s'étend sur la mer, le Canigou et le mont Ventoux, ayant auprès un château d'eau qui fournit tout Montpellier, dans le voisinage duquel commence le pont ou superbe aqueduc formé de deux rangs d'arcades. La porte du Pérou est magnifique, le jardin botanique rivalise un peu avec celui de Paris. La cathédrale est ordinaire. Dans le choeur, il y a un assez bon tableau qui représente Simon le magicien tombant des airs, à la prière de Saint Pierre. L'École de médecine, le Musée de peinture, la Bibliothèque augmentée du magnifique legs de M. Fabre, et la promenade esplanade sont très-importants. En général, c'est une belle ville, qui possède d'immenses fortunes; le climat y est doux et l'air très-sain; là gît plutôt le riche que le brillant, des choses de prix que du clinquant et des colifichets; c'est une ville de propriétaires.

Il y a peu de pauvres et pas de commerce.

Nous visitons ensuite Nîmes, qui possède un ancien débris de la grandeur romaine, une arène de la plus imposante magnificence; elle pouvait contenir 17,000 spectateurs. Le temple de Diane ou la Maison Carrée, qui a servi de modèle pour la construction de la bourse de Paris. Dans le Jardin Public tracé en amphithéâtre aux pieds de la Tour Magne, est un second temple de Diane, bâti depuis 2,500 ans, en pierres très-grosses du pays, sans chaux ni ciment; les oracles y rendaient leurs augures en trompant la crédulité par des souterrains et des conduits cachés, encore très-visibles. Quelle honteuse profession que de faire le métier, la jonglerie et le trafic d'abuser à son profit de l'ignorance des peuples! Présentement, les mystères d'Isis, les prestiges fantasmagoriques, sont dévoilés. À côté est une galerie où l'on égorgeait les victimes, puis un jet d'eau pour laver le sang. Le temple de Diane est soutenu par des colonnes en pierres du pays d'un seul morceau; auprès sont les Bains romains, objet d'un prix infini, aussi curieux dans leur genre que les chefs-d'oeuvre de Saint-Cloud. La mer, qui était à trois lieues de distance, est actuellement retirée à quelques milles d'Aigues-Mortes, où Saint Louis s'embarqua pour la Terre-Sainte, et à six lieues de Montpellier. Le moite élément quitte donc peu à peu un continent, et s'empare progressivement d'un autre; car aux inondations générales qui ont dû envahir le globe, et qui laissent tant de vestiges de leur existence, il est certain que les eaux dégradent et détériorent sans cesse les montagnes; que ces débris minéralogiques et végétaux, se déposant dans le bassin des mers, forment des continents, en exhaussent le fond, et obligent l'eau à se refouler sur d'autres plages, par conséquent, à faire des envahissements: aussi le fond des mers redevient, par suite, montagnes et terre habitable, montagnes que les volcans et les eaux, par des dégradations, peuvent élever à la hauteur des Andes et des Cordilières. La tour Magne, qui s'élève en forme de pyramide, servit jadis de phare aux navires; présentement, on y voit un télégraphe. C'est proche le coteau voisin du temple de Diane que jaillissent les sources d'eau qui alimentent les fontaines de la ville et le joli canal qui fait le tour du jardin. Les promenades sont charmantes, les églises n'ont rien de remarquable. Tout le monde admire la modération du jeune maire, qui, par sa conciliation et la sagesse de ses lumières, a su réunir les partis dissidents, et empêcher des flots de sang de couler.

Nous voici à Avignon; si calme, et dont l'existence a été si orageuse. La ville est belle et en général bien bâtie; son principal commerce est le produit des vers à soie, qu'on y élève avec succès. Napoléon a répandu partout les trésors de son génie, il est peu d'endroits qui ne se ressentent de ses munificences; c'est encore lui qui a fait construire le fameux pont en bois d'Avignon, mais, qui aujourd'hui a peu de solidité: les voituriers sont obligés d'user de beaucoup de précautions. Nous avons été parfaitement accueillis par les Invalides, en visitant leur établissement. Ces vieux défenseurs de la patrie, couverts de lauriers, n'ont rien conservé de la sévérité qu'impose l'habitude de la victoire; ils sont pleins de modestie, de courtoisie, et se plaisent à associer les vertus civiles aux vertus guerrières; la ville et la Cathédrale renferment beaucoup d'antiquités; la Cathédrale a le tombeau de Jean XXII; le Palais où résidèrent une longue suite de Papes ressemble à une forteresse, vaste bâtiment irrégulier flanqué de hauts donjons: nous y avons joui d'un magnifique panorama. Les rues sont sinueuses, étroites et pavées de silex aigu. Nous examinâmes avec curiosité le beau système militaire des remparts. La nouvelle salle de spectacle et l'aspect du jardin des plantes sont fort beaux. La fontaine de Vaucluse, à peu de distance de la route, immortalisée par Pétrarque, est située dans une gorge profonde, surmontée d'énormes rochers d'une couleur argileuse; ces eaux limpides mugissent et roulent avec beaucoup de vitesse dans un petit bassin dont la surface est unie, et semble un lac que nul souffle n'effleure, empruntant au ciel les plus belles couleurs, le vert pâle et l'azur.

Nous sommes à Aix; aux fontaines d'eau chaude, très-remarquables, ainsi que les bains à vapeur de Sextius, si propices intérieurement et extérieurement aux affections cutanées et rhumatismales. L'humanité consacre un de ces bassins aux misères et aux infirmités: là les disgraciés et les malades se livrent à de sanitaires immersions. Les bains de Marius, anciens vestiges romains, sont très-curieux. L'eau traverserait-elle des charbons de terre enflammés par du soufre et du bitume, traces volcaniques non encore épuisées?

La façade de la Cathédrale est fort belle. On voit dans cette église le tombeau de saint Mitre: le baptistère est formé par huit gracieuses colonnes antiques de marbre et de granit, qui ont appartenu à un temple d'Apollon bâti sur le même emplacement. La place des palais de justice a une belle fontaine ornée d'un obélisque surmonté par un aigle. La tour de l'horloge a des ressorts qui mettent en mouvement différentes figures, chaque fois que le marteau fait retentir le timbre. Les rues sont bien percées en général, ainsi que le quartier d'Orbitelle; le cours est décoré de trois fontaines, celle du milieu donne de l'eau chaude, et, à l'extrémité de la promenade, est la statue du roi René, si cher aux Provenceaux. Les contadines ont sur leurs coiffes de larges chapeaux de feutre, qui les préservent de l'action des vents. Le pain est le meilleur que nous ayons mangé, ayant été fabriqué avec de l'eau thermale. Une partie des rues macadamisées, ne sont pas cahoteuses. La route d'Aix, quoique mal entretenue, est très-pittoresque. Le voisinage de Marseille réduit beaucoup son commerce. On traverse des montagnes au milieu de cascades, de jets d'eau formés par la nature, et de belles maisons de campagne. Quelques filles d'Arles, sur la route, attendent les voitures, comme Ruth allait à la conquête du coeur de Booz; elles sont belles et ont des cotillons simples et courts pour laisser admirer la beauté de leurs pieds; un bonnet de mousseline caché à demi sous un bandeau de velours, encadre leur front, et laisse sortir de jolies boucles de cheveux; leur corsage est d'un beau velours; leur carnation, d'un blanc mat légèrement rosé: leur taille est svelte, et les contours de leur visage sont d'un gracieux infini: on dirait que la race sarrasine s'est mêlée à la race des francs dans les temps antiques. Arles, située dans une immense plaine, entre le Cran et la Carmargue, était l'ancienne capitale de Constantin: il ne reste plus de sa splendeur passée qu'un vaste colysée et les ruines de son théâtre. On traverse des bois d'oliviers et de mûriers; les montagnes continuent d'offrir en abondance des pierres calcaires.

Avant d'entrer à Marseille, on aperçoit le château du conventionnel Barras, qui domine une immense quantité de Bastides ou maisons de campagne, séjour les dimanches de récréation et de repos pour les habitants de Marseille.

On parle dans ces lieux l'idiôme provençal; si on demande la Cathédrale, à Avignon, il faut dire la métropole; à Aix, la commune, et non la mairie. Les douanes, aux portes de Marseille, nous font éprouver de minutieuses et inutiles difficultés; nous perdons au moins une demi-heure; la modeste carriole, le simple cavalier, ainsi que les valises, sont exactement visités. Déjà, nous apercevons le Lazaret de Marseille, autrefois puissante barrière contre les invasions des épidémies, mais, qu'aujourd'hui révoque en doute la science si conjecturale de la médecine, qui donne la santé, tout en consommant trop souvent des victimes. Cette ville est encaissée entre des montagnes qui communiquent à la Méditerranée par un port que défendent deux forts et qui contient environ 1,200 navires. La promenade des quais est des plus curieuses; on y voit une immense variété de nations, de costumes, de manières: ce sont des Génois, des Indiens, des Anglais, des Turcs, des Cabyles, des Grecs, des Américains, des flots de population, qui se promènent avec la plus grande décence, malgré la diversité des moeurs. Tant il est vrai que plus les hommes se communiquent et ont des moyens de relation, plus ils sont civilisés, et moins il y a besoin de gendarmes. La religion a peu de pompe à Marseille; nulle part les églises n'ont moins d'importance et d'ornements: c'est une ville toute d'argent et de plaisir; le commerce l'occupe entièrement, puis le luxe et la gastronomie. Il y a cessation complette de travail le dimanche, au point qu'un étranger pressé ne pourrait pas faire viser son passeport et repartir. La basse classe aime le luxe et l'extérieur; ils ont des appartements superbes; le beau sexe est affublé de chaînes et de montres d'or; il est vrai qu'un manouvrier peut gagner dix francs par jour. La vieille ville a des rues inégales et étroites; la nouvelle, des rues et des maisons fort belles.

Comme dans le Midi, les maisons sont couvertes en tuiles d'une grande solidité contre les tempêtes, et n'ont pas besoin de réparations; la tuile est mastiquée avec la chaux. Ce que nous avons eu peine à trouver, c'est la Cathédrale, située près de la mer, dans le plus vilain quartier, celui de Messaline; c'était un dimanche, très-peu de personnes assistaient à l'office, et l'église est bien dénuée d'ornements. L'Entrepôt est d'une grande magnificence, les rues sont larges, alignées et garnies de trottoirs; surtout celle de la Cannebière, bordée de belles maisons et de riches magasins, ainsi que celles de Montgrand, de Rome, d'Aix; le cours, la promenade autour du port, l'un des plus beaux du Royaume, et la vue du Château d'If, ancienne prison d'état, forment un ensemble aussi agréable qu'imposant; partout des fontaines ornées de jets d'eau. Dans aucun lieu l'immoralité ne se couvre de moins de voiles pour multiplier les jouissances; aussi disent-ils, la ville est très-charmante. L'air y était froid; nous avions senti à Toulouse et à Marmande une douce haleine du printemps; mais le mistral ou vent du nord durait depuis quatre jours, et multipliait les grippes; ce n'est pas dans l'atmosphère qu'est le principe épidémique de la maladie; ce qui la détermine, ce sont les inclémences et les variations de l'air; ainsi l'air glacial du printemps, sans être une cause morbide et efficiente, a provoqué ces grippes ou phlegmasies des membranes muqueuses et pulmonaires, qu'une température plus douce aurait évitées.

On voit à Marseille les vaches et les chèvres boire aux fontaines publiques. Les quais, comme à Toulouse, sont pavés de briques placées debout pour éviter la dégradation: dès notre arrivée à Marseille, nous fûmes voir M. Gouin, négociant qui, sur l'affectueuse recommandation de M. son père, un des premiers banquiers de Nantes, nous fit un accueil de dévouement; il nous procura sans peine une lettre de crédit sur les maisons de banque les plus considérables de l'Italie, entr'autres chez le millionnaire duc de Torlonia de Rome. Jusqu'à notre départ, il n'a cessé de nous prodiguer des marques de cordialité; en cas de difficulté, dans les pays étrangers que nous allions parcourir, il nous a invités avec beaucoup de bienveillance, à nous adresser à lui.

C'est à Marseille que nous avons eu à nous occuper de nouveau de la grande affaire de nos passeports. À Nantes, on avait exigé que je prisse un passeport, un autre pour ma femme; on en aurait exigé pour chacun de nos enfants et de nos domestiques, si nous eussions formé un cortège. On nous donnait ces passeports séparés dont le coût est de dix francs chaque, pour nous procurer une plus grande sécurité en Italie. À Marseille, on a été étonné de cette mesure divisionnaire et dispendieuse; divisionnaire, en ce qu'on sépare deux personnes que la loi a rendues inséparables jusqu'à la mort; dispendieuse, en ce qu'un passeport coûte au moins deux cents francs de droits dans toute l'Italie, et qu'il n'est pas nécessaire de dissiper l'argent français, ayant déjà un assez gros budget à combler; eh bien! nous nous étions donc munis de nos deux passeports consciencieusement et religieusement, lorsqu'à la Préfecture de Marseille, on n'a pas jugé nécessaire de grossir le fisc étranger: M. le Préfet a eu l'extrême bonté de retenir le passeport de Mme Mercier, et de la mettre sur le mien. Ainsi journellement se délivrent les passeports à Marseille. Quotidiennement les Anglais, nos devanciers dans le régime constitutionnel, voyagent avec leur nombreuse famille, un pompeux domestique et un seul passeport; cette jurisprudence est tellement admise en Italie, que comme Mme Mercier, par cet incident, n'était pas portée au lieu ordinaire des passeports, mais bien dans un autre endroit qui demandait plus de recherches, on ignorait d'abord avec qui je voyageais. Pourquoi une semblable construction de passeport; ils croyaient que cela provenait de ce que notre pays, refoulé dans les départements de l'Ouest, était arriéré et avait peu de relations avec l'Étranger. Quoi!

Les Armoricains malheureux,

Séparés du reste du monde,

Ne connaîtront donc que l'onde,

Ne seront connus que des Cieux!

On trouvait extraordinaire et tout-à-fait métallique, d'avoir deux passeports pour une simple conjugalité.

N'ayant point fait viser nos passeports à Paris, ce qui est fort inutile quand on va à Marseille, nous nous bornâmes, pour simplifier l'opération, à le faire viser au vieux Consul Sarde, pour aller à Gênes, afin, à Gênes, de le faire régulariser au Consul de Toscane; à Florence, au Consul Pontifical; à Rome, au Consul Napolitain, etc., et non à tous les Consuls à la fois, ce qui aurait exigé dans chaque ville, la répétition de formalités dispendieuses à tous les consulats.

La gendarmerie, dans la route, ne nous a demandé notre passeport qu'à

Bourbon-Vendée et à Marseille.

Deux moyens se présentaient d'aborder l'Italie: celui de prendre le littoral de la mer par le Luc et Antibes, contrées si riches en beautés de la nature, ou de monter un bateau à vapeur, et de voguer pour la première fois sur les côtes. Comme nous voyagions dans le but d'admirer les merveilles du pays, la navigation sur la mer ne remplissait pas nos projets: aussi, malgré la recommandation que M. De La Borde avait eu l'honnêteté de nous donner auprès de M. Bazin, son beau-frère, propriétaire des, bateaux à vapeur de Marseille pour l'Italie, nous nous déterminons à prendre la grande route de Toulon.

La voie publique n'est pas soignée, elle est même fort cahoteuse à travers de hautes montagnes couvertes d'oliviers. Autrefois, le brigand attendait le voyageur, mais la sollicitude du gouvernement a installé des corps-de-garde de gendarmerie: des mannequins mécaniques mus par un voleur expérimenté, ne viennent plus inspirer la terreur.

Souvenirs de voyage dans le midi de la France, la Ligurie, à Gênes, Rome, Naples, sur l'Adriatique,

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