Читать книгу La Faute de l'abbé Mouret - Émile Zola - Страница 10
Оглавление- Vous savez ce que je veux dire, père Bambousse. Elle est grosse, il faut la marier.
- Ah! c'est pour ça, murmura le vieux, de son air goguenard. Merci de la commission, monsieur le curé. Ce sont les Brichet qui vous envoient, n'est-ce pas? La mère Brichet va à la messe, et vous lui donnez un coup de main pour caser son fils; ça se comprend... Mais moi, je n'entre pas là dedans. L'affaire ne me va pas. Voilà tout.
Le prêtre surpris, lui expliqua qu'il fallait couper court au scandale, qu'il devait pardonner à Fortuné, puisque celui-ci voulait bien réparer sa faute, enfin que l'honneur de sa fille exigeait un prompt mariage.
- Ta, ta, ta, reprit Bambousse en branlant la tête, que de paroles! Je garde ma fille, entendez-vous. Tout ça ne me regarde pas... Un gueux, ce Fortuné. Pas deux liards. Ce serait commode si, pour épouser une jeune fille, il suffisait d'aller avec elle. Dame! entre jeunesses, on verrait des noces matin et soir... Dieu merci! je ne suis pas en peine de Rosalie: on sait ce qui lui est arrivé: ça ne la rend ni bancale, ni bossue, et elle se mariera avec qui elle voudra dans le pays.
- Mais son enfant? interrompit le prêtre.
- L'enfant? il n'est pas là, n'est-ce pas? Il n'y sera peut-être jamais... Si elle fait le petit, nous verrons.
Rosalie, voyant comment tournait la démarche du curé, crut devoir s'enfoncer les poings dans les yeux en geignant. Elle se laissa même tomber par terre, montrant ses bas bleus qui lui montaient au-dessus des genoux.
- Tu vas te taire, chienne! cria le père devenu furieux.
Et il la traita ignoblement, avec des mots crus, qui la faisaient rire en-dessous, sous ses poings fermés.
- Si je te trouve avec ton mâle, je vous attache ensemble, je vous amène comme ça devant le monde... Tu ne veux pas te taire? Attends, coquine!
Il ramassa une motte de terre, qu'il lui jeta violemment, à quatre pas. La motte s'écrasa sur son chignon, glissant dans son cou, la couvrant de poussière. Étourdie, elle se leva d'un bond, se sauva, la tête entre les mains pour se garantir. Mais Bambousse eut le temps de l'atteindre encore avec deux autres mottes: l'une ne fit que lui effleurer l'épaule gauche; l'autre lui arriva en pleine échine, si rudement, qu'elle tomba sur les genoux.
- Bambousse! s'écria le prêtre, en lui arrachant une poignée de cailloux, qu'il venait de prendre.
- Laissez donc! monsieur le curé, dit le paysan. C'était de la terre molle. J'aurais dû lui jeter ces cailloux... On voit bien que vous ne connaissez pas les filles. Elles sont joliment dures. Je tremperais celle-là au fond de notre puits, je lui casserais les os à coups de trique, qu'elle n'en irait pas moins à ses saletés! Mais je la guette, et si je la surprends!... Enfin, elles sont toutes comme cela.
Il se consolait. Il but un coup de vin, à une grande bouteille plate, garnie de sparterie, qui chauffait sur la terre ardente. Et, retrouvant son gros rire:
- Si j'avais un verre, monsieur le curé, je vous en offrirais de bon coeur.
- Alors, demanda de nouveau le prêtre, ce mariage?...
- Non, ça ne peut pas se faire, on rirait de moi... Rosalie est gaillarde. Elle vaut un homme, voyez-vous. Je serai obligé de louer un garçon, le jour où elle s'en ira... On reparlera de la chose, après la vendange. Et puis, je ne veux pas être volé. Donnant,donnant, n'est-ce pas?
Le prêtre resta encore là une grande demi-heure à prêcher Bambousse, à lui parler de Dieu, à lui donner toutes les raisons que la situation comportait. Le vieux s'était remis à la besogne; il haussait les épaules, plaisantait, s'entêtant davantage. Il finit par crier:
- Enfin, si vous me demandiez un sac de blé, vous me donneriez de l'argent... Pourquoi voulez-vous que je laisse aller ma fille contre rien!
L'abbé Mouret, découragé, s'en alla. Comme il descendait le sentier, il aperçut Rosalie se roulant sous un olivier avec Voriau, qui lui léchait la figure, ce qui la faisait rire. Elle disait au chien:
- Tu me chatouilles, grande bête. Finis donc!
Puis, quand elle vit le prêtre, elle fit mine de rougir, elle ramena ses vêtements, les poings de nouveau dans les yeux. Lui, chercha à la consoler, en lui promettant de tenter de nouveaux efforts auprès de son père. Et il ajouta qu'en attendant, elle devait obéir, cesser tout rapport avec Fortuné, ne pas aggraver son péché davantage.
- Oh! maintenant, murmura-t-elle en souriant de son air effronté, il n'y a plus de risque, puisque ça y est.
Il ne comprit pas, il lui peignit l'enfer, où brûlent les vilaines femmes. Puis, il la quitta, ayant fait son devoir, repris par cette sérénité qui lui permettait de passer sans un trouble au milieu des ordures de la chair.