Читать книгу Thérèse Raquin - Émile Zola - Страница 12
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ОглавлениеPrès de trois semaines se passèrent. Laurent revenait à la boutique tous les soirs; il paraissait las, comme malade: un léger cercle bleuâtre entourait ses yeux, ses lèvres pâlissaient et se gerçaient. D’ailleurs, il avait toujours sa tranquillité lourde, il regardait Camille en face, il lui témoignait la même amitié franche. Mme Raquin choyait davantage l’ami de la maison, depuis qu’elle le voyait s’endormir dans, une sorte de fièvre sourde.
Thérèse avait repris son visage muet et rechigné. Elle était plus immobile, plus impénétrable, plus paisible que jamais. Il lui semblait que Laurent n’existât pas pour elle; elle le regardait à peine, lui adressait de rares paroles, le traitait avec une indifference parfaite. Mme Raquin, dont la bonté souffrait de cette attitude, disait parfois au jeune homme: « Ne faites pas attention à la froideur de ma nièce. Je la connais; son visage paraît froid, mais son Coeur est chaud de toutes les tendresses et de tous les dévouements.»
Les deux amants n’avaient plus de rendez-vous. Depuis la soirée de la rue Saint-Victor, ils ne s’étaient plus rencontrés seul à seule. Le soir, lorsqu’ils se trouvaient face à face, en apparence tranquilles et étrangers l’un à l’autre, des orages de passion, d’épouvante et de désir passaient sous la chair calme de leur visage. Et il y avait dans Thérèse des emportements, des lâchetés, des railleries cruelles; il y avait dans Laurent des brutalités sombres, des indécisions poignantes. Eux-mêmes n’osaient regarder au fond de leur être, au fond de cette fièvre trouble qui emplissait leur cerveau d’une sorte de vapeur épaisse et âcre.
Quand ils pouvaient, derrière une porte, sans parler, ils se serraient les mains à se les briser, dans une étreinte rude et courte. Ils auraient voulu, mutuellement, emporter des lambeaux de leur chair, collés à leurs doigts. Ils n’avaient plus que ce serrement de mains pour apaiser leurs désirs. Ils y mettaient tout leur corps. Ils ne se demandaient rien autre chose, ils attendaient.
Un jeudi soir, avant de se mettre au jeu, les invités de la famille Raquin, comme à l’ordinaire, eurent un bout de causerie. Un des grands sujets de conversation était de parler au vieux Michaud de ses anciennes fonctions, de le questionner sur les étranges et sinistres aventures auxquelles il avait dû être mêlé. Alors Grivet et Camille écoutaient les histoires du commissaire de police avec la face effrayée et béante des petits enfants qui entendent Barbe-Bleue ou le Petit Poucet. Cela les terrifiait et les amusait.
Ce jour-là, Michaud, qui venait de raconter un horrible assassinat dont les détails avaient fait frissonner son auditoire, ajouta en hochant la tête:
– Et l’on ne sait pas tout… Que de crimes restent inconnus! Que d’assassins échappent à la justice des hommes!
– Comment! dit Grivet étonné, vous croyez qu’il y a, comme ça, dans la rue des canailles qui ont assassiné et qu’on n’arrête pas?
Olivier se mit à sourire d’un air de dédain.
– Mon cher monsieur, répondit-il de sa voix cassante, si on ne les arrête pas, c’est qu’on ignore qu’ils ont assassiné.
Ce raisonnement ne parut pas convaincre Grivet. Camille vint à son secours.
– Moi, je suis de l’avis de M. Grivet, dit-il avec une importance bête… J’ai besoin de croire que la police est bien faite et que je ne coudoierai jamais un meurtrier sur un trottoir.
Olivier vit une attaque personnelle dans ces paroles.
– Certainement, la police est bien faite, s’écria-t-il d’un ton vexé… Mais nous ne pouvons pourtant pas faire l’impossible. Il y a des scélérats qui ont appris le crime à l’école du diable; ils échapperaient à Dieu lui-même… N’est-ce pas, mon père?
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