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CHAPITRE QUATRE

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Godfrey chevauchait à la tête de ses hommes, flanqué de Akorth, de Fulton, de son général silésien et du commandant impérial dont il venait d’acheter généreusement la loyauté. Un large sourire éclairait son visage. Quelle satisfaction de voir la division impériale, forte de quelques milliers d’hommes, rejoindre sa cause !

Il songea à la somme qu’il venait de leur verser, ces innombrables sacs d’or, se rappela l’expression de leurs visages… Son plan avait marché ! Il en était fou de joie. Jusqu’au dernier moment, il avait douté. Maintenant que c’était fini, il respirait plus librement. Il y a bien des façons de gagner une bataille, mais il n’y en a qu’une qui permet de gagner sans verser une seule goutte de sang. Godfrey n’était peut-être pas aussi chevaleresque ou téméraire que les autres guerriers… Mais il avait réussi. N’était-ce pas tout ce qui comptait ? Il préférait sauvegarder la vie de ses hommes en payant, plutôt que voir la moitié mourir en prenant une décision risquée.

Godfrey avait beaucoup travaillé pour en arriver là. Il avait fait jouer tous ses contacts dans les bordels, les allées sombres et les tavernes pour découvrir qui couchait avec qui, quelles maisons closes les commandants impériaux fréquentaient et lequel d’entre eux accepterait de se faire soudoyer. Godfrey avait une meilleure connaissance de ces milieux-là que bien d’autres. Il avait passé sa vie à construire son réseau. Aujourd’hui, ses efforts servaient enfin. Tout comme l’or de son défunt père.

Cependant, Godfrey n’était pas sûr de pouvoir leur faire confiance, du moins pas jusqu’à la fin. Il fallait qu’il profite de son avantage tant qu’il en avait le temps. C’était comme tirer à pile ou face : ces gens étaient aussi fiables que l’or qui les avait achetés. Heureusement, Godfrey les avait payés généreusement et ces soldats impériaux étaient pour le moment encore plus utiles que prévu.

Combien de temps encore lui resteraient-ils loyaux ? Difficile à dire. Au moins, Godfrey avait échappé à la bataille et chevauchait à leurs côtés.

– Je me suis trompé à votre sujet, dit une voix.

Godfrey se tourna vers le général silésien qui le regardait avec admiration.

– J’ai douté de vous, je le reconnais, poursuivit-il. Je vous présente mes excuses. Je n’imaginais pas que vous aviez un plan. C’est très ingénieux. Je ne douterai plus de vous.

Godfrey lui sourit avec fierté. Toute sa vie, les guerriers, les soldats et les généraux l’avaient regardé avec mépris. À la cour de son père, où l’art militaire prenait une grande importance, il n’avait connu que dédain. Maintenant, les soldats voyaient enfin que sa ruse pouvait être aussi utile que leur bravoure.

– Ne vous inquiétez pas, dit Godfrey. Je doute de moi-même également. J’apprends tous les jours. Je ne suis pas un commandant et je n’ai pas d’autre plan à long terme que celui de survivre.

– Et où allons-nous à présent ?

– Rejoindre Kendrick, Erec et les autres pour soutenir leur cause.

L’improbable alliance des soldats impériaux et des hommes de Godfrey chevauchait d’un air incertain entre les collines, le long d’une plaine désertique et desséchée, vers l’endroit où Kendrick leur avait donné rendez-vous.

En chemin, un million de pensées diverses traversaient l’esprit de Godfrey. Kendrick et Erec allaient-ils bien ? S’étaient-ils retrouvés en difficulté ? Godfrey s’en sortirait-il dans une vraie bataille ? Maintenant, il ne pouvait plus l’éviter. Il avait épuisé tous ses tours de passe-passe : il n’avait plus d’or pour payer les ennemis.

Il avala sa salive avec difficulté, nerveux. Il n’était pas aussi courageux que les autres, qui semblaient êtres nés chevaliers. Tous avaient l’air de ne jamais craindre la mort. Ils étaient si téméraires… Godfrey devait le reconnaître : lui, il avait peur. Toutefois, il ne s’esquiverait pas, même s’il était maladroit, même s’il n’avait pas le talent militaire de ses frères… Il se demandait seulement combien de fois les dieux de la chance lui sauverait la vie.

Les autres ne semblaient pas se soucier de vivre ou de mourir, comme s’ils étaient toujours prêts à donner leur vie pour la gloire. Godfrey aimait la gloire, mais il aimait la vie plus encore. Il aimait la bière. Il aimait manger. Ici et maintenant, il ressentit soudain dans son estomac le désir brûlant de retrouver la sécurité d’une taverne. La bataille, ce n’était vraiment pas pour lui.

Godfrey pensa alors à Thor, tout seul, là-bas, prisonnier. Il pensa à sa famille qui se battait pour une juste cause. Son honneur, quoique souillé, lui commandait de ne pas faire demi-tour.

Ils chevauchèrent longtemps quand, soudain, atteignant le sommet d’une crête, ils eurent une vue plongeant sur la vallée. Ils s’arrêtèrent. Godfrey plissa les yeux devant le soleil aveuglant, pour comprendre ce qui se passait en contrebas. Il leva une main en visière et contempla la scène, confus.

Alors, à sa grande horreur, tout s’éclaira et son cœur manqua un battement : en contrebas, les milliers d’hommes de Kendrick, Erec et Srog étaient emmenés ailleurs, ligotés comme des prisonniers. Voilà les soldats qu’il était censé rejoindre : cernés de tous les côtés par des divisions impériales dix fois plus nombreuses. Ils étaient à pied, liés par les poignets, et suivaient leurs vainqueurs. Godfrey savait que ni Kendrick, ni Erec n’aurait accepté de se rendre sans une très bonne raison. Selon toute vraisemblance, ils étaient tombés dans une embuscade.

Godfrey resta un instant pétrifié, le souffle coupé par la panique. Comment était-ce possible ? Il avait cru les trouver au milieu d’une bataille féroce mais sensiblement équilibrée. Au lieu de cela, il les voyait disparaître à l’horizon. Il ne faudrait pas moins de quelques heures pour les rattraper.

Le général impérial se porta à la hauteur de Godfrey, sourcils froncés.

– On dirait que vos hommes ont perdu la bataille, dit-il. Cela ne faisait pas partie du marché.

Godfrey se tourna vers lui et vit qu’il était anxieux.

– Je vous ai payés généreusement, dit-il en prenant soin de prendre l’air assuré malgré sa nervosité. Vous avez promis de rejoindre ma cause.

Mais le général secoua la tête.

– J’ai promis de combattre à vos côtés, pas d’effectuer une mission suicidaire. Mes quelques milliers d’hommes ne font pas le poids devant l’armée de Andronicus. Notre marché vient de changer. Vous les combattrez tout seul. Et je garde l’or.

Le général se retourna, poussa un cri et éperonna sa monture pour cavaler dans la direction opposée, ses hommes sur ses talons. Bientôt, ils disparurent de l’autre côté de la vallée.

– Il a notre or ! dit Akorth. On ne devrait pas le prendre en chasse ?

Godfrey secoua la tête, tout en regardant le groupe s’éloigner.

– Pour quoi faire ? Ce n’est que de l’or. Je ne vais pas risquer nos vies pour ça. Qu’il s’en aille. On peut trouver autre chose.

Godfrey se tourna vers l’horizon, où disparaissaient les hommes de Kendrick et de Erec. Maintenant, il n’avait plus de renforts et il était encore plus isolé qu’avant. Toute sa stratégie tombait à l’eau.

– Et maintenant ? demanda Fulton.

Godfrey haussa les épaules.

– Je n’en ai aucune idée, avoua-t-il.

– Tu n’es pas censé dire ça, commenta Fulton. Tu es commandant, maintenant.

Mais Godfrey se contenta de hausser les épaules une fois encore.

– C’est pourtant la vérité.

– C’est pas facile, les trucs de guerriers, dit Akorth en se gratouillant le ventre et en retirant son heaume. Ça ne se goupille pas bien comme tu le voulais, hein ?

Godfrey se tassa sur la selle de sa monture, en secouant la tête. Que pouvait-il faire, à présent ? La tournure des événements le prenait par surprise et il n’avait aucun plan de secours.

– On fait demi-tour ? demanda Fulton.

– Non, s’entendit dire Godfrey, surpris lui-même par son assurance.

Tous tournèrent vers lui des regards stupéfaits et se pressèrent pour écouter son plan.

– Je ne suis peut-être pas un guerrier, dit Godfrey, mais ce sont mes frères. Ils ont été emmenés. Nous ne pouvons pas faire demi-tour. Même si cela veut dire courir à notre mort.

– Êtes-vous fou ? s’exclama le général silésien. Tous ces braves guerriers de l’Argent, de l’armée MacGil, des Silésiens, tous ensemble, ils n’ont pu repousser l’Empire. Comment croyez-vous que quelques milliers de nos hommes pourraient y parvenir sous votre commandement ?

Godfrey lui jeta un coup d’œil agacé. Il commençait à en avoir marre que l’on doute de lui.

– Je n’ai jamais dit que nous allions gagner, rétorqua-t-il. J’ai seulement dit que c’était la bonne chose à faire. Je ne les abandonnerai pas. Mais si vous souhaitez rentrer chez vous, allez-y. Je les attaquerai tout seul.

– Vous n’avez pas d’expérience, grogna son interlocuteur. Vous ne savez pas ce que vous dites. Vous menez les hommes à une mort certaine.

– C’est vrai, dit Godfrey, mais vous avez promis de ne plus douter de moi. Et je ne me détournerai pas.

Godfrey talonna sa monture pour la conduire vers une élévation. D’ici, tous les hommes le verraient.

– SOLDATS ! cria-t-il d’une voix tonnante. Je sais que vous ne me considérez pas comme un commandant aussi admirable que Kendrick, Erec ou Srog. Et vous avez raison. Je n’ai pas leur talent. Mais j’ai du cœur et du courage, du moins à l’occasion. Tout comme vous. Ce que je sais, c’est que nos frères sont retenus prisonniers. Quant à moi, je préfère mourir plutôt que vivre en les sachant loin de nous, mourir plutôt que retourner à la maison comme des chiens en attendant que l’Empire nous abatte. Car, soyez-en sûrs : ils nous tueront un jour. Nous pouvons mourir maintenant, sur le champ de bataille, à la poursuite de l’ennemi. Ou bien nous pouvons mourir dans la honte et le déshonneur. Le choix vous appartient. Chevauchez à mes côtés et, que vous viviez ou non, vous chevaucherez vers la gloire !

Une acclamation s’éleva parmi les hommes, si enthousiaste qu’elle prit Godfrey par surprise. Tous levèrent leurs épées haut vers le ciel et ce spectacle lui redonna de l’espoir.

Il réalisait seulement ce qu’il venait de dire. Il n’avait pas vraiment réfléchi aux mots qu’il avait employés : tout était arrivé si vite. À présent, sa promesse et sa propre bravoure le stupéfiaient.

Comme les hommes préparaient leurs chevaux et leurs armes pour charger vers une mort certaine, Akorth et Fulton s’approchèrent.

– À boire ? proposa Akorth.

Godfrey baissa les yeux et vit son compagnon mettre la main sur une outre à vin. Il s’en saisit vivement et renversa la tête pour boire, boire, boire, jusqu’à presque finir l’outre, avant de reprendre bruyamment sa respiration. Enfin, il s’essuya la bouche et rendit le vin à ses amis.

Qu’ai-je fait ? se demanda-t-il. Il venait de promettre qu’il mènerait son armée dans une bataille qu’ils ne pourraient pas gagner. Avait-il seulement réfléchi aux conséquences ?

– Je ne savais pas que tu avais ça en toi, dit Akorth en lui envoyant une bourrade dans le dos tout en rotant. Très beau discours. Mieux que dans les théâtres !

– On aurait dû vendre des tickets ! renchérit Fulton.

– Je suppose que tu n’as qu’à moitié tort, dit Akorth. Mieux vaut mourir debout que sur le dos.

– Mais sur le dos, ce ne serait pas si mal, si c’est dans le lit d’un bordel, ajouta Fulton. Oh oui ! Ou bien avec une chope de bière dans les bras et la tête sous le robinet !

– Ce ne serait pas si mal, en effet, acquiesça Akorth en buvant un coup.

– Mais je suppose qu’on s’ennuierait au bout d’un moment, dit Fulton. Combien de chopes de bière un homme peut-il boire dans une vie et combien de femmes peut-il baiser ?

– Eh bien, beaucoup, si l’on y pense…, dit Akorth.

– Quand bien même, je suppose que c’est plus drôle de mourir d’une autre façon. Plus divertissant.

Akorth soupira.

– En tout cas, si on survit à ça, nous aurons au moins une bonne raison de boire un coup. Pour une fois, on l’aura bien mérité !

Godfrey se détourna du bavardage de Akorth et de Fulton. Il fallait qu’il se concentre. Il était temps pour lui de devenir un homme et de laisser derrière les blagues de tavernes. Il était temps qu’il prenne de vraies décisions, qui auraient une incidence sur de vrais hommes, dans le vrai monde. Il se sentit soudain écrasé par le poids de la responsabilité. Il ne put s’empêcher de se demander si son père avait connu la même pression. D’une certaine façon, malgré sa rancœur, Godfrey commençait à éprouver de la compassion en pensant à son père. Et peut-être même qu’à sa grande horreur, il commençait à l’aimer.

Oublieux du danger, Godfrey eut l’impression qu’une vague d’assurance le submergeait. Il éperonna sa monture en poussant un cri de guerre et dévala le coteau.

Derrière lui, ses hommes firent écho à son cri et les cavalcades de leurs chevaux résonnèrent.

Godfrey se sentit soudain très léger, comme le vent battait ses cheveux, comme le vin lui tournait la tête, comme il chevauchait vers une mort certaine en se demandant ce qui l’avait poussé dans cette folie…

Une Concession d’Armes

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