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Arsène Lupin !

Gourel répétait ces deux mots fatidiques d’un air absolument pétrifié. Ils résonnaient en lui comme un glas. Arsène Lupin ! Le bandit-roi ! L’aventurier suprême ! Voyons, était-ce possible ?

– Mais non, mais non, murmura-t-il, ce n’est pas possible, puisqu’il est mort !

Seulement, voilà, était-il réellement mort ?

Arsène Lupin !

Debout près du cadavre, il demeurait stupide, abasourdi, tournant et retournant la carte avec une certaine crainte, comme s’il venait de recevoir la provocation d’un fantôme. Arsène Lupin ! Qu’allait-il faire ? Agir ?

Engager la bataille avec ses propres ressources ? Non, non il valait mieux ne pas agir… Les fautes étaient inévitables s’il relevait le défi d’un tel adversaire. Et puis le Chef n’allait-il pas venir ? Le Chef va venir ! Toute la psychologie de Gourel se résumait dans cette petite phrase. Habile et persévérant, plein de courage et d’expérience, d’une force herculéenne, il était de ceux qui ne vont de l’avant que lorsqu’ils sont dirigés et qui n’accomplissent de bonne besogne que lorsqu’elle leur est commandée.

Combien ce manque d’initiative s’était aggravé depuis que M. Lenormand avait pris la place de M. Dudouis au service de la Sûreté ! Celui-là était un chef, M. Lenormand ! Avec celui-là, on était sûr de marcher dans la bonne voie ! Si sûr, même, que Gourel s’arrêtait dès que l’impulsion du Chef ne lui était plus donnée.

Mais le Chef allait venir ! Sur sa montre, Gourel calculait l’heure exacte de cette arrivée. Pourvu que le commissaire de police ne le précédât point et que le juge d’instruction, déjà désigné sans doute, ou le médecin légiste, ne vinssent pas faire d’inopportunes constatations avant que le Chef n’eût eu le temps de fixer dans son esprit les points essentiels de l’affaire !

– Eh bien, Gourel, à quoi rêves-tu ?

– Le Chef !

M. Lenormand était un homme encore jeune, si l’on considérait l’expression même de son visage, ses yeux qui brillaient sous ses lunettes ; mais c’était presque un vieillard si l’on notait son dos voûté, sa peau sèche comme jaunie à la cire, sa barbe et ses cheveux grisonnants, toute son apparence brisée, hésitante, maladive.

Il avait péniblement passé sa vie aux colonies, comme commissaire du Gouvernement, dans les postes les plus périlleux. Il y avait gagné des fièvres, une énergie indomptable malgré sa déchéance physique, l’habitude de vivre seul, de parler peu et d’agir en silence, une certaine misanthropie et, soudain, vers cinquante-cinq ans, à la suite de la fameuse affaire des trois Espagnols de Biskra, la grande, la juste notoriété. On réparait alors l’injustice, et, d’emblée, on le nommait à Bordeaux, puis sous-chef à Paris, puis, à la mort de M. Dudouis, chef de la Sûreté. Et, en chacun de ces postes, il avait montré une invention si curieuse dans les procédés, de telles ressources, des qualités si neuves, si originales, et surtout il avait abouti à des résultats si précis dans la conduite des quatre ou cinq derniers scandales qui avaient passionné l’opinion publique qu’on opposait son nom à celui des plus illustres policiers. Gourel, lui, n’hésita pas. Favori du Chef, qui l’aimait pour sa candeur et pour son obéissance passive, il mettait M. Lenormand au-dessus de tous. C’était l’idole, le dieu qui ne se trompe pas.

M. Lenormand, ce jour-là, semblait particulièrement fatigué. Il s’assit avec lassitude, écarta les pans de sa redingote, une vieille redingote célèbre par sa coupe surannée et par sa couleur olive, dénoua son foulard, un foulard marron également fameux, et murmura :

– Parle.

Gourel raconta tout ce qu’il avait vu et tout ce qu’il avait appris, et il le raconta sommairement, selon l’habitude que le Chef lui avait imposée.

Mais quand il exhiba la carte de Lupin, M. Lenormand tressaillit.

– Lupin ! s’écria-t-il.

– Oui, Lupin, le voilà revenu sur l’eau, cet animal-là.

– Tant mieux, tant mieux, fit M. Lenormand après un instant de réflexion.

– évidemment, tant mieux, reprit Gourel, qui se plaisait à commenter les rares paroles d’un supérieur auquel il ne reprochait que d’être trop peu loquace, tant mieux, car vous allez enfin vous mesurer avec un adversaire digne de vous… Et Lupin trouvera son maître… Lupin n’existera plus… Lupin…

– Cherche, fit M. Lenormand, lui coupant la parole.

On eût dit l’ordre d’un chasseur à son chien. Et, de fait, ce fut à la manière d’un bon chien, vif, intelligent, fureteur, que chercha Gourel sous les yeux de son maître. Du bout de sa canne, M. Lenormand désignait tel coin, tel fauteuil, comme on désigne un buisson ou une touffe d’herbe avec une conscience minutieuse.

– Rien, conclut le brigadier.

– Rien pour toi, grogna M. Lenormand.

– C’est ce que je voulais dire… Je sais que, pour vous, il y a des choses qui parlent comme des personnes, de vrais témoins. N’empêche que voilà un crime bel et bien établi à l’actif du sieur Lupin.

– Le premier, observa M. Lenormand.

– Le premier, en effet… Mais c’était inévitable. On ne mène pas cette vie-là, sans, un jour ou l’autre, être acculé au crime par les circonstances. M. Kesselbach se sera défendu…

– Non, puisqu’il était attaché.

– En effet, avoua Gourel déconcerté, et c’est même fort curieux… Pourquoi tuer un adversaire qui n’existe déjà plus ?… Mais n’importe, si je lui avais mis la main au collet, hier, quand nous nous sommes trouvés l’un en face de l’autre, au seuil du vestibule…

M. Lenormand avait passé sur le balcon. Puis il visita la chambre de M. Kesselbach, à droite, vérifia la fermeture des fenêtres et des portes.

– Les fenêtres de ces deux pièces étaient fermées quand je suis entré, affirma Gourel.

– Fermées ou poussées ?

– Personne n’y a touché. Or, elles sont fermées, chef…

Un bruit de voix les ramena au salon. Ils y trouvèrent le médecin légiste, en train d’examiner le cadavre, et M. Formerie, juge d’instruction.

Et M. Formerie s’exclamait :

– Arsène Lupin ! Enfin, je suis heureux qu’un hasard bienveillant me remette en face de ce bandit ! Le gaillard verra de quel bois je me chauffe !… Et cette fois il s’agit d’un assassin !… À nous deux, maître Lupin !

M. Formerie n’avait pas oublié l’étrange aventure du diadème de la princesse de Lamballe, et l’admirable façon dont Lupin l’avait roulé, quelques années auparavant. La chose était restée célèbre dans les annales du Palais. On en riait encore, et M. Formerie, lui, en conservait un juste sentiment de rancune et le désir de prendre une revanche éclatante.

– Le crime est évident, prononça-t-il de son air le plus convaincu, le mobile nous sera facile à découvrir. Allons, tout va bien… Monsieur Lenormand, je vous salue… Et je suis enchanté…

M. Formerie n’était nullement enchanté. La présence de M. Lenormand lui agréait au contraire fort peu, le chef de la Sûreté ne dissimulant guère le mépris où il le tenait. Pourtant il se redressa, et toujours solennel :

– Alors, docteur, vous estimez que la mort remonte à une douzaine d’heures environ, peut-être davantage ?… C’est ce que je suppose… nous sommes tout à fait d’accord… Et l’instrument du crime ?

– Un couteau à lame très fine, monsieur le juge d’instruction, répondit le médecin… Tenez, on a essuyé la lame avec le mouchoir même du mort…

– En effet… en effet… la trace est visible… Et maintenant nous allons interroger le secrétaire et le domestique de M. Kesselbach. Je ne doute pas que leur interrogatoire ne nous fournisse quelque lumière.

Chapman, que l’on avait transporté dans sa propre chambre, à gauche du salon, ainsi qu’Edwards, était déjà remis de ses épreuves. Il exposa par le menu les événements de la veille, les inquiétudes de M. Kesselbach, la visite annoncée du soi-disant colonel, et enfin raconta l’agression dont ils avaient été victimes.

– Ah ! Ah ! s’écria M. Formerie, il y a un complice ! Et vous avez entendu son nom… Marco, dites-vous… Ceci est très important. Quand nous tiendrons le complice, la besogne sera avancée…

– Oui, mais nous ne le tenons pas, risqua M. Lenormand.

– Nous allons voir… chaque chose à son temps. Et alors, monsieur Chapman, ce Marco est parti aussitôt après le coup de sonnette de M. Gourel ?

– Oui, nous l’avons entendu partir.

– Et après ce départ vous n’avez plus rien entendu ?

– Si… de temps à autre, mais vaguement… La porte était close.

– Et quelle sorte de bruit ?

– Des éclats de voix. L’individu…

– Appelez-le par son nom, Arsène Lupin.

– Arsène Lupin a dû téléphoner.

– Parfait ! Nous interrogerons la personne de l’hôtel qui est chargée du service des communications avec la ville. Et plus tard, vous l’avez entendu sortir, lui aussi ?

– Il a constaté que nous étions toujours bien attachés, et, un quart d’heure après, il partait en refermant sur lui la porte du vestibule.

– Oui, aussitôt son forfait accompli. Parfait… Parfait… Tout s’enchaîne… Et après ?…

– Après, nous n’avons plus rien entendu… la nuit s’est passée… la fatigue m’a assoupi… Edwards également… et ce n’est que ce matin…

– Oui… je sais… Allons, ça ne va pas mal… tout s’enchaîne…

Et, marquant les étapes de son enquête, du ton dont il aurait marqué autant de victoires sur l’inconnu, il murmura pensivement :

– Le complice… le téléphone… l’heure du crime… les bruits perçus… Bien… Très bien… il nous reste à fixer le mobile du crime. En l’espèce, comme il s’agit de Lupin, le mobile est clair. Monsieur Lenormand, vous n’avez pas remarqué la moindre trace d’effraction ?

– Aucune.

– C’est qu’alors le vol aura été effectué sur la personne même de la victime. A-t-on retrouvé son portefeuille ?

– Je l’ai laissé dans la poche de la jaquette, dit Gourel.

Ils passèrent tous dans le salon, où M. Formerie constata que le portefeuille ne contenait que des cartes de visite et des papiers d’identité.

– C’est bizarre. Monsieur Chapman, vous ne pourriez pas nous dire si M. Kesselbach avait sur lui une somme d’argent ?

– Oui ; la veille, c’est-à-dire avant-hier lundi, nous sommes allés au Crédit Lyonnais, où M. Kesselbach a loué un coffre…

– Un coffre au Crédit Lyonnais ? Bien… il faudra voir de ce côté.

– Et, avant de partir, M. Kesselbach s’est fait ouvrir un compte, et il a emporté cinq ou six mille francs en billets de banque.

– Parfait… nous sommes éclairés.

Chapman reprit :

– Il y a un autre point, monsieur le juge d’instruction. M. Kesselbach, qui depuis quelques jours était très inquiet – je vous en ai dit la cause… un projet auquel il attachait une importance extrême – M. Kesselbach semblait tenir particulièrement à deux choses : d’abord une cassette d’ébène, et cette cassette il l’a mise en sûreté au Crédit Lyonnais, et ensuite une petite enveloppe de maroquin noir où il avait enfermé quelques papiers.

– Et cette enveloppe ?

– Avant l’arrivée de Lupin, il l’a déposée devant moi dans ce sac de voyage.

M. Formerie prit le sac et fouilla. L’enveloppe ne s’y trouvait pas. Il se frotta les mains.

– Allons, tout s’enchaîne… Nous connaissons le coupable, les conditions et le mobile du crime. Cette affaire-là ne traînera pas. Nous sommes bien d’accord sur tout, monsieur Lenormand ?

– Sur rien.

Il y eut un instant de stupéfaction. Le commissaire de police était arrivé et, derrière lui, malgré les agents qui gardaient la porte, la troupe des journalistes et le personnel de l’hôtel avaient forcé l’entrée et stationnaient dans l’antichambre.

Si notoire que fût la rudesse du bonhomme, rudesse qui n’allait pas sans quelque grossièreté et qui lui avait déjà valu certaines semonces en haut lieu, la brusquerie de la réponse déconcerta. Et M. Formerie, tout spécialement, parut interloqué.

– Pourtant, dit-il, je ne vois rien là que de très simple : Lupin est le voleur…

– Pourquoi a-t-il tué ? lui jeta M. Lenormand.

– Pour voler.

– Pardon, le récit des témoins prouve que le vol a eu lieu avant l’assassinat. M. Kesselbach a d’abord été ligoté et bâillonné, puis volé. Pourquoi Lupin qui, jusqu’ici, n’a jamais commis de crime, aurait-il tué un homme réduit à l’impuissance et déjà dépouillé ?

Le juge d’instruction caressa ses longs favoris blonds d’un geste qui lui était familier quand une question lui paraissait insoluble. Il répondit d’un ton pensif :

– Il y a à cela plusieurs réponses…

– Lesquelles ?

– Cela dépend… cela dépend d’un tas d’éléments encore inconnus… Et puis, d’ailleurs, l’objection ne vaut que pour la nature des motifs. Pour le reste, nous sommes d’accord.

– Non.

Cette fois encore, ce fut net, coupant, presque impoli, au point que le juge, tout à fait désemparé, n’osa même pas protester et qu’il resta interdit devant cet étrange collaborateur. À la fin il articula :

– Chacun son système. Je serais curieux de connaître le vôtre.

– Je n’en ai pas.

Le chef de la Sûreté se leva et fit quelques pas à travers le salon en s’appuyant sur sa canne. Autour de lui, on se taisait et c’était assez curieux de voir ce vieil homme malingre et cassé dominer les autres par la force d’une autorité que l’on subissait sans l’accepter encore.

Après un long silence, il prononça :

– Je voudrais visiter les pièces qui touchent à cet appartement. Le directeur lui montra le plan de l’hôtel. La chambre de droite, celle de M. Kesselbach, n’avait point d’autre issue que le vestibule même de l’appartement. Mais la chambre de gauche, celle du secrétaire, communiquait avec une autre pièce. Il dit :

– Visitons-la.

M. Formerie ne put s’empêcher de hausser les épaules et de bougonner :

– Mais la porte de communication est verrouillée et la fenêtre close.

– Visitons-la, répéta M. Lenormand.

On le conduisit dans cette pièce qui était la première des cinq chambres réservées à Mme Kesselbach. Puis, sur sa prière, on le conduisit dans les chambres qui suivaient. Toutes les portes de communication étaient verrouillées des deux côtés.

Il demanda :

– Aucune de ces pièces n’est occupée ?

– Aucune.

– Les clefs ?

– Les clefs sont toujours au bureau.

– Alors, personne ne pouvait s’introduire ?

– Personne, sauf le garçon d’étage chargé d’aérer et d’épousseter.

– Faites-le venir.

Le domestique, un nommé Gustave Beudot, répondit que la veille, selon sa consigne, il avait fermé les fenêtres des cinq chambres.

– À quelle heure ?

– À six heures du soir.

– Et vous n’avez rien remarqué ?

– Non, rien.

– Et ce matin ?

– Ce matin, j’ai ouvert les fenêtres, sur le coup de huit heures.

– Et vous n’avez rien trouvé ?

– Non… rien… Ah ! cependant…

Il hésitait. On le pressa de questions, et il finit par avouer :

– Eh bien, j’ai ramassé, près de la cheminée du 420, un étui à cigarettes que je me proposais de porter ce soir au bureau.

– Vous l’avez sur vous ?

– Non, il est dans ma chambre. C’est un étui en acier bruni. D’un côté, on met du tabac et du papier à cigarettes, de l’autre des allumettes. Il y a deux initiales en or… Un L et un M.

– Que dites-vous ?

C’était Chapman qui s’était avancé. Il semblait très surpris, et, interpellant le domestique :

– Un étui en acier bruni, dites-vous ?

– Oui.

– Avec trois compartiments pour le tabac, le papier et les allumettes… du tabac russe, n’est-ce pas, fin, blond ?…

– Oui.

– Allez le chercher… Je voudrais voir… me rendre compte moi-même…

Sur un signe du chef de la Sûreté, Gustave Beudot s’éloigna. M. Lenormand s’était assis, et, de son regard aigu, il examinait le tapis, les meubles, les rideaux. Il s’informa :

– Nous sommes bien au 420, ici ?

– Oui.

Le juge ricana :

– Je voudrais bien savoir quel rapport vous établissez entre cet incident et le drame. Cinq portes fermées nous séparent de la pièce où Kesselbach a été assassiné.

M. Lenormand ne daigna pas répondre.

Du temps passa. Gustave ne revenait pas.

– Où couchet-il, monsieur le Directeur ? demanda le chef.

– Au sixième, sur la rue de Judée, donc, au-dessus de nous. Il est curieux qu’il ne soit pas encore là.

– Voulezvous avoir l’obligeance d’envoyer quelqu’un ? Le directeur s’y rendit lui-même, accompagné de Chapman. Quelques minutes après, il revenait seul, en courant, les traits bouleversés.

– Eh bien ?

– Mort…

– Assassiné ?

– Oui.

– Ah ! Tonnerre, ils sont de force, les misérables ! proféra M. Lenormand. Au galop, Gourel, qu’on ferme les portes de l’hôtel… Veille aux issues… Et vous, monsieur le Directeur, conduisez-nous dans la chambre de Gustave Beudot.

Le directeur sortit. Mais, au moment de quitter la chambre, M. Lenormand se baissa et ramassa une toute petite rondelle de papier sur laquelle ses yeux s’étaient déjà fixés.

C’était une étiquette encadrée de bleu. Elle portait le chiffre 813. À tout hasard, il la mit dans son portefeuille et rejoignit les autres personnes.

LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur

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