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Une fine blessure au dos, entre les deux omoplates… Le médecin déclara :

– Exactement la même blessure que M. Kesselbach.

– Oui, fit M. Lenormand, c’est la même main qui a frappé, et c’est la même arme qui a servi.

D’après la position du cadavre, l’homme avait été surpris à genoux devant son lit, et cherchant sous son matelas l’étui à cigarettes qu’il y avait caché. Le bras était encore engagé entre le matelas et le sommier, mais on ne trouva pas l’étui.

– Il fallait que cet objet fût diablement compromettant, insinua M. Formerie, qui n’osait plus avancer une opinion trop précise.

– Parbleu ! fit le chef de la Sûreté.

– Mais on connaît les initiales, un L et un M… et avec cela, d’après ce que M. Chapman a l’air de savoir, nous serons facilement renseignés. M. Lenormand sursauta :

– Chapman ! Où est-il ?

On regarda dans le couloir parmi les groupes de gens qui s’y entassaient… Chapman n’était pas là.

– M. Chapman m’avait accompagné, fit le directeur.

– Oui, oui, je sais, mais il n’est pas redescendu avec vous.

– Non, je l’avais laissé près du cadavre.

– Vous l’avez laissé ! Seul ?

– Je lui ai dit : « Restez, ne bougez pas. »

– Et il n’y avait personne ? Vous n’avez vu personne ?

– Dans le couloir, non.

– Mais dans les mansardes voisines ou bien, tenez, après ce tournant personne ne se cachait là ?

M. Lenormand semblait très agité. Il allait, il venait, il ouvrait la porte des chambres. Et soudain il partit en courant, avec une agilité dont on ne l’aurait pas cru capable.

Il dégringola les six étages, suivi de loin par le directeur et par le juge d’instruction. En bas, il retrouva Gourel devant la grand-porte.

– Personne n’est sorti ?

– Personne.

– À l’autre porte, rue Orvieto ?

– J’ai mis Dieuzy de planton.

– Avec des ordres formels ?

– Oui, chef.

Dans le vaste hall de l’hôtel, la foule des voyageurs se pressait avec inquiétude, commentant les versions plus ou moins exactes qui lui parvenaient sur le crime étrange. Tous les domestiques, convoqués par téléphone, arrivaient un à un. M. Lenormand les interrogeait aussitôt.

Aucun d’eux ne put donner le moindre renseignement. Mais une bonne du cinquième étage se présenta. Dix minutes auparavant, peut-être, elle avait croisé deux messieurs qui descendaient l’escalier de service entre le cinquième et le quatrième étage.

– Ils descendaient très vite. Le premier tenait l’autre par la main. Ça m’a étonnée de voir ces deux messieurs dans l’escalier de service.

– Vous pourriez les reconnaître ?

– Le premier, non. Il a tourné la tête. C’est un mince, blond. Il avait un chapeau mou, noir et des vêtements noirs.

– Et l’autre ?

– Ah ! L’autre, c’est un Anglais, avec une grosse figure toute rasée et des vêtements à carreaux. Il avait la tête nue.

Le signalement se rapportait en toute évidence à Chapman. La femme ajouta :

– Il avait un air… un air tout drôle comme s’il était fou. L’affirmation de Gourel ne suffit pas à M. Lenormand. Il questionnait tour à tour les grooms qui stationnaient aux deux portes.

– Vous connaissez M. Chapman ?

– Oui, monsieur, il causait toujours avec nous.

– Et vous ne l’avez pas vu sortir ?

– Pour ça, non. Il n’est pas sorti ce matin.

M. Lenormand se retourna vers le commissaire de police :

– Combien avez-vous d’hommes, monsieur le commissaire ?

– Quatre.

– Ce n’est pas suffisant. Téléphonez à votre secrétaire qu’il vous expédie tous les hommes disponibles. Et veuillez organiser vous-même la surveillance la plus étroite à toutes les issues. L’état de siège, monsieur le commissaire…

– Mais enfin, protesta le directeur, mes clients…

– Je me fiche de vos clients, monsieur. Mon devoir passe avant tout et mon devoir est d’arrêter, coûte que coûte…

– Vous croyez donc ? hasarda le juge d’instruction.

– Je ne crois pas, monsieur… je suis sûr que l’auteur du double assassinat se trouve encore dans l’hôtel.

– Mais alors, Chapman…

– À l’heure qu’il est, je ne puis répondre que Chapman soit encore vivant. En tout cas, c’est une question de minutes, de secondes… Gourel, prends deux hommes et fouille toutes les chambres du quatrième étage… Monsieur le Directeur, un de vos employés les accompagnera. Pour les autres étages, je marcherai quand nous aurons du renfort. Allons, Gourel, en chasse, et ouvre l’œil… C’est du gros gibier.

Gourel et ses hommes se hâtèrent. M. Lenormand, lui, resta dans le hall et près des bureaux de l’hôtel. Cette fois, il ne pensait pas à s’asseoir, selon son habitude. Il marchait de l’entrée principale à l’entrée de la rue Orvieto, et revenait à son point de départ.

De temps à autre, il ordonnait :

– Monsieur le Directeur, qu’on surveille les cuisines, on pourrait s’échapper par là… Monsieur le Directeur, dites à votre demoiselle de téléphone qu’elle n’accorde la communication à aucune des personnes de l’hôtel qui voudraient téléphoner avec la ville. Si on lui téléphone de la ville, qu’elle mette en communication avec la personne demandée, mais alors qu’elle prenne note du nom de la personne. Monsieur le Directeur, faites dresser la liste de vos clients dont le nom commence par un L ou par un M.

Il disait tout cela à haute voix, en général d’armée qui jette à ses lieutenants des ordres dont dépendra l’issue de la bataille.

Et c’était vraiment une bataille implacable et terrible que celle qui se jouait dans le cadre élégant d’un palace parisien, entre le puissant personnage qu’est un chef de la Sûreté et ce mystérieux individu poursuivi, traqué, presque captif déjà, mais si formidable de ruse et de sauvagerie.

L’angoisse étreignait les spectateurs, tous groupés au centre du hall, silencieux et pantelants, secoués de peur au moindre bruit, obsédés par l’image infernale de l’assassin. Où se cachait-il ? Allait-il apparaître ? N’était-il point parmi eux ? Celui-ci peut-être ? Ou cet autre ?

Les nerfs étaient si tendus que, sous un coup de révolte, on eût forcé les portes et gagné la rue, si le maître n’avait pas été là, et sa présence avait quelque chose qui rassurait et qui calmait. On se sentait en sécurité, comme des passagers sur un navire que dirige un bon capitaine.

Et tous les regards se portaient vers ce vieux monsieur à lunettes et à cheveux gris, à redingote olive et à foulard marron, qui se promenait, le dos voûté, les jambes vacillantes.

Parfois accourait, envoyé par Gourel, un des garçons qui suivaient l’enquête du brigadier.

– Du nouveau ? demandait M. Lenormand.

– Rien, monsieur, on ne trouve rien.

À deux reprises, le directeur essaya de faire fléchir la consigne. La situation était intolérable. Dans les bureaux, plusieurs voyageurs, appelés par leurs affaires ou sur le point de partir, protestaient.

– Je m’en fiche, répétait M. Lenormand.

– Mais je les connais tous.

– Tant mieux pour vous.

– Vous outrepassez vos droits.

– Je le sais.

– On vous donnera tort.

– J’en suis persuadé.

– M. le juge d’instruction lui-même.

– Que M. Formerie me laisse tranquille ! Il n’a pas mieux à faire que d’interroger les domestiques comme il s’y emploie actuellement. Pour le reste, ce n’est pas de l’instruction. C’est de la police. Ça me regarde.

À ce moment une escouade d’agents fit irruption dans l’hôtel. Le chef de la Sûreté les répartit en plusieurs groupes qu’il envoya au troisième étage, puis, s’adressant au commissaire :

– Mon cher commissaire, je vous laisse la surveillance. Pas de faiblesse, je vous en conjure. Je prends la responsabilité de ce qui surviendra.

Et, se dirigeant vers l’ascenseur, il se fit conduire au second étage.

La besogne n’était pas facile. Elle fut longue, car il fallait ouvrir les portes des soixante chambres, inspecter toutes les salles de bains, toutes les alcôves, tous les placards, tous les recoins. Elle fut aussi infructueuse. Une heure après, sur le coup de midi, M. Lenormand avait tout juste fini le second étage, les autres agents n’avaient pas terminé les étages supérieurs, et nulle découverte n’avait été faite.

M. Lenormand hésita : l’assassin était-il remonté vers les mansardes ?

Il se décidait cependant à descendre, quand on l’avertit que Mme Kesselbach venait d’arriver avec sa demoiselle de compagnie. Edwards, le vieux serviteur de confiance, avait accepté la tâche de lui apprendre la mort de M. Kesselbach.

M. Lenormand la trouva dans un des salons, terrassée, sans larmes, mais le visage tordu de douleur et le corps tout tremblant, comme agité par des frissons de fièvre.

C’était une femme assez grande, brune, dont les yeux noirs, d’une grande beauté, étaient chargés d’or, de petits points d’or, pareils à des paillettes qui brillent dans l’ombre. Son mari l’avait connue en Hollande où Dolorès était née d’une vieille famille d’origine espagnole : les Amonti.

Tout de suite il l’avait aimée, et, depuis quatre ans, leur accord, fait de tendresse et de dévouement, ne s’était jamais démenti. M. Lenormand se présenta. Elle le regarda sans répondre et il se tut, car elle n’avait pas l’air, dans sa stupeur, de comprendre ce qu’il disait. Puis, tout à coup, elle se mit à pleurer abondamment et demanda qu’on la conduisît auprès de son mari.

Dans le hall, M. Lenormand trouva Gourel, qui le cherchait, et qui lui tendit précipitamment un chapeau qu’il tenait à la main.

– Patron, j’ai ramassé ça… Pas d’erreur sur la provenance, hein ?

C’était un chapeau mou, un feutre noir. À l’intérieur, il n’y avait pas de coiffe, pas d’étiquette.

– Où l’as-tu ramassé ?

– Sur le palier de l’escalier de service, au second.

– Aux autres étages, rien ?

– Rien. Nous avons tout fouillé. Il n’y a plus que le premier. Et ce chapeau prouve que l’homme est descendu jusque-là. Nous brûlons, patron.

– Je le crois.

Au bas de l’escalier, M. Lenormand s’arrêta.

– Rejoins le commissaire et donne-lui la consigne : deux hommes au bas de chacun des quatre escaliers, revolver au poing. Et qu’on tire s’il le faut. Comprends ceci, Gourel, si Chapman n’est pas sauvé, et si l’individu s’échappe, je saute. Voilà deux heures que je fais de la fantaisie.

Il monta l’escalier. Au premier étage, il rencontra deux agents qui sortaient d’une chambre, conduits par un employé.

Le couloir était désert. Le personnel de l’hôtel n’osait s’y aventurer, et certains pensionnaires s’étaient enfermés à double tour dans leurs chambres, de sorte qu’il fallait frapper longtemps et se faire reconnaître avant que la porte s’ouvrît.

Plus loin, M. Lenormand aperçut un autre groupe d’agents qui visitaient l’office et, à l’extrémité du long couloir, il en aperçut d’autres encore qui approchaient du tournant, c’est-à-dire des chambres situées sur la rue de Judée.

Et, soudain, il entendit ceux-là qui poussaient des exclamations, et ils disparurent en courant. Il se hâta.

Les agents s’étaient arrêtés au milieu du couloir. À leurs pieds, barrant le passage, la face sur le tapis, gisait un corps.

M. Lenormand se pencha et saisit entre ses mains la tête inerte.

– Chapman, murmura-t-il, il est mort.

Il l’examina. Un foulard de soie blanche, tricotée, serrait le cou. Il le défit. Des taches rouges apparurent, et il constata que ce foulard maintenait, contre la nuque, un épais tampon d’ouate tout sanglant.

Cette fois encore, c’était la même petite blessure, nette, franche, impitoyable.

Tout de suite prévenus, M. Formerie et le commissaire accoururent.

– Personne n’est sorti ? demanda le chef. Aucune alerte !

– Rien, fit le commissaire. Deux hommes sont en faction au bas de chaque escalier.

– Peut-être est-il remonté ? dit M. Formerie.

– Non ! Non !

– Pourtant on l’aurait rencontré.

– Non… Tout cela est fait depuis plus longtemps. Les mains sont froides déjà… Le meurtre a dû être commis presque aussitôt après l’autre, dès le moment où les deux hommes sont arrivés ici par l’escalier de service.

– Mais on aurait vu le cadavre ! Pensez donc, depuis deux heures, cinquante personnes ont passé par là…

– Le cadavre n’était pas ici.

– Mais alors, où était-il ?

– Eh ! Qu’est-ce que j’en sais ? riposta brusquement le chef de la Sûreté… Faites comme moi, cherchez ! Ce n’est pas avec des paroles que l’on trouve.

De sa main nerveuse, il martelait avec rage le pommeau de sa canne, et il restait là, les yeux fixés au cadavre, silencieux et pensif. Enfin il prononça :

– Monsieur le commissaire, ayez l’obligeance de faire porter la victime dans une chambre vide. On appellera le médecin. Monsieur le Directeur, voulezvous m’ouvrir les portes de toutes les chambres de ce couloir.

Il y avait à gauche trois chambres et deux salons qui composaient un appartement inoccupé, et que M. Lenormand visita. À droite, quatre chambres. Deux étaient habitées par un M. Reverdat et un Italien, le baron Giacomici, tous deux sortis à cette heure-là. Dans la troisième chambre, on trouva une vieille demoiselle anglaise, encore couchée, et dans la quatrième un Anglais qui lisait et fumait paisiblement et que les bruits du corridor n’avaient pu distraire de sa lecture. Il s’appelait le major Parbury.

Perquisitions et interrogatoires, d’ailleurs, ne donnèrent aucun résultat. La vieille demoiselle n’avait rien entendu avant les exclamations des agents, ni bruit de lutte, ni cri d’agonie, ni querelle ; le major Parbury non plus.

En outre, on ne recueillit aucun indice équivoque, aucune trace de sang, rien qui laissât supposer que le malheureux Chapman eût passé par l’une de ces pièces.

– Bizarre, murmura le juge d’instruction Tout cela est vraiment bizarre…

Et il ajouta naïvement :

– Je comprends de moins en moins. Il y a là une série de circonstances qui m’échappent en partie. Qu’en pensez-vous, monsieur Lenormand ?

M. Lenormand allait lui décocher sans doute une de ces ripostes aiguës par quoi se manifestait sa mauvaise humeur ordinaire, quand Gourel survint tout essoufflé.

– Chef on a trouvé ça en bas dans le bureau de l’hôtel sur une chaise…

C’était un paquet de dimensions restreintes, noué dans une enveloppe de serge noire.

– On l’a ouvert ? demanda le chef.

– Oui, mais lorsqu’on a vu ce qu’il contenait, on a refait le paquet exactement comme il était… serré très fort, vous pouvez le voir.

– Dénoue !

Gourel enleva l’enveloppe et découvrit un pantalon et une veste en molleton noir, que l’on avait dû, les plis de l’étoffe l’attestaient, empiler hâtivement.

Au milieu, il y avait une serviette toute tachée de sang, et que l’on avait plongée dans l’eau, sans doute, pour détruire la marque des mains qui s’y étaient essuyées.

Dans la serviette, un stylet d’acier, au manche incrusté d’or. Il était rouge de sang, du sang de trois hommes égorgés, en quelques heures, par une main invisible, parmi la foule des trois cents personnes qui allaient et venaient dans le vaste hôtel. Edwards, le domestique, reconnut aussitôt le stylet comme appartenant à M. Kesselbach. La veille encore, avant l’agression de Lupin, Edwards l’avait vu sur la table.

– Monsieur le Directeur, fit le chef de la Sûreté, la consigne est levée. Gourel va donner l’ordre qu’on fasse les portes libres.

– Vous croyez donc que ce Lupin a pu sortir ? interrogea M. Formerie.

– Non. L’auteur du triple assassinat que nous venons de constater est dans l’hôtel, dans une des chambres, ou plutôt mêlé aux voyageurs qui sont dans le hall ou dans les salons. Pour moi, il habitait l’hôtel.

– Impossible ! Et puis, où aurait-il changé de vêtements ? Et quels vêtements aurait-il maintenant ?

– Je l’ignore, mais j’affirme.

– Et vous lui livrez passage ? Mais il va s’en aller tout tranquillement, les mains dans ses poches.

– Celui des voyageurs qui s’en ira ainsi, sans ses bagages, et qui ne reviendra pas, sera le coupable. Monsieur le Directeur, veuillez m’accompagner au bureau. Je voudrais étudier de près la liste de vos clients.

Au bureau, M. Lenormand trouva quelques lettres à l’adresse de M. Kesselbach. Il les remit au juge d’instruction.

Il y avait aussi un colis que venait d’apporter le service des colis postaux parisiens. Comme le papier qui l’entourait était en partie déchiré, M. Lenormand put voir une cassette d’ébène sur laquelle était gravé le nom de Rudolf Kesselbach.

Il ouvrit. Outre les débris d’une glace dont on voyait encore l’emplacement à l’intérieur du couvercle, la cassette contenait la carte d’Arsène Lupin.

Mais un détail sembla frapper le chef de la Sûreté. À l’extérieur, sous la boîte, il y avait une petite étiquette bordée de bleu, pareille à l’étiquette ramassée dans la chambre du quatrième étage où l’on avait trouvé l’étui à cigarettes, et cette étiquette portait également le chiffre 813.

LUPIN: Les aventures complètes

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