Читать книгу Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète) - Морис Леблан - Страница 63

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Ils se revirent.

Le soir même, le prince Sernine invitait le baron Altenheim au Cabaret Vatel, et le faisait dîner avec un poète, un musicien, un financier et deux jolies comédiennes, sociétaires du Théâtre-Français.

Le lendemain, ils déjeunèrent ensemble au Bois, et le soir ils se retrouvèrent à l’Opéra.

Et chaque jour, durant une semaine, ils se revirent.

On eût dit qu’ils ne pouvaient se passer l’un de l’autre, et qu’une grande amitié les unissait, faite de confiance, d’estime et de sympathie.

Ils s’amusaient beaucoup, buvaient de bons vins, fumaient d’excellents cigares, et riaient comme des fous.

En réalité, ils s’épiaient férocement. Ennemis mortels, séparés par une haine sauvage, chacun d’eux, sûr de vaincre et le voulant avec une volonté sans frein, ils attendaient la minute propice, Altenheim pour supprimer Sernine, et Sernine pour précipiter Altenheim dans le gouffre qu’il creusait devant lui. Tous deux savaient que le dénouement ne pouvait tarder. L’un ou l’autre y laisserait sa peau, et c’était une question d’heures, de jours, tout au plus.

Drame passionnant, et dont un homme comme Sernine devait goûter l’étrange et puissante saveur. Connaître son adversaire et vivre à ses côtés, savoir que, au moindre pas, à la moindre étourderie, c’est la mort qui vous guette, quelle volupté !

Un jour, dans le jardin du cercle de la rue Cambon, dont Altenheim faisait également partie, ils étaient seuls, à cette heure de crépuscule où l’on commence à dîner au mois de juin, et où les joueurs du soir ne sont pas encore là. Ils se promenaient autour d’une pelouse, le long de laquelle il y avait, bordé de massifs, un mur que perçait une petite porte. Et soudain, pendant qu’Altenheim parlait, Sernine eut l’impression que sa voix devenait moins assurée, presque tremblante. Du coin de l’œil il l’observa. La main d’Altenheim était engagée dans la poche de son veston, et Sernine vit, à travers l’étoffe, cette main qui se crispait au manche d’un poignard, hésitante, indécise, tour à tour résolue et sans force.

Moment délicieux ! Allait-il frapper ? Qui remporterait, de l’instinct peureux et qui n’ose pas, ou de la volonté consciente, toute tendue vers l’acte de tuer ?

Le buste droit, les bras derrière le dos, Sernine attendait, avec des frissons d’angoisse et de plaisir. Le baron s’était tu, et dans le silence ils marchaient tous les deux côte à côte.

– Mais frappe donc ! s’écria le prince.

Il s’était arrêté, et, tourné vers son compagnon :

– Frappe donc, disait-il, c’est l’instant ou jamais ! Personne ne peut te voir. Tu files par cette petite porte dont la clef se trouve par hasard accrochée au mur, et bonjour, baron… ni vu ni connu… Mais j’y pense, tout cela était combiné… C’est toi qui m’as amené ici… Et tu hésites ? Mais frappe donc !

Il le regardait au fond des yeux. L’autre était livide, tout frémissant d’énergie impuissante.

– Poule mouillée ! ricana Sernine. Je ne ferai jamais rien de toi. La vérité, veux-tu que je te la dise ? Eh bien, je te fais peur. Mais oui, tu n’es jamais très sûr de ce qui va t’arriver quand tu es en face de moi. C’est toi qui veux agir, et ce sont mes actes, mes actes possibles, qui dominent la situation. Non, décidément, tu n’es pas encore celui qui fera pâlir mon étoile !

Il n’avait pas achevé ce mot qu’il se sentit pris au cou et attiré en arrière. Quelqu’un, qui se cachait dans le massif, près de la petite porte, l’avait happé par la tête. Il vit un bras qui se levait, armé d’un couteau dont la lame était toute brillante. Le bras s’abattit, la pointe du couteau l’atteignit en pleine gorge.

Au même moment, Altenheim sauta sur lui pour l’achever, et ils roulèrent dans les plates-bandes. Ce fut l’affaire de vingt à trente secondes, tout au plus. Si fort qu’il fût, si entraîné aux exercices de lutte, Altenheim céda presque aussitôt, en poussant un cri de douleur. Sernine se releva et courut vers la petite porte qui venait de se refermer sur une silhouette sombre. Trop tard ! Il entendit le bruit de la clef dans la serrure. Il ne put l’ouvrir.

– Ah ! Bandit ! jura-t-il, le jour où je t’aurai, ce sera le jour de mon premier crime ! Mais pour Dieu !…

Il revint, se baissa, et recueillit les morceaux du poignard qui s’était brisé en le frappant.

Altenheim commençait à bouger. Il lui dit :

– Eh bien, baron, ça va mieux ? Tu ne connaissais pas ce coup-là, hein ? C’est ce que j’appelle le coup direct au plexus solaire, c’est-à-dire que ça vous mouche votre soleil vital, comme une chandelle. C’est propre, rapide, sans douleur… et infaillible. Tandis qu’un coup de poignard ?… Peuh ! Il n’y a qu’à porter un petit gorgerin à mailles d’acier, comme j’en porte moi-même, et l’on se fiche de tout le monde, surtout de ton petit camarade noir, puisqu’il frappe toujours à la gorge, le monstre idiot ! Tiens, regarde son joujou favori… Des miettes !

Il lui tendit la main.

– Allons, relève-toi, baron. Je t’invite à dîner. Et veuille bien te rappeler le secret de ma supériorité : une âme intrépide dans un corps inattaquable.

Il rentra dans les salons du cercle, retint une table pour deux personnes, s’assit sur un divan et attendit l’heure du dîner en songeant :

« évidemment la partie est amusante, mais ça devient dangereux. Il faut en finir… Sans quoi, ces animaux-là m’enverront au paradis plus tôt que je ne veux… L’embêtant, c’est que je ne peux rien faire contre eux avant d’avoir retrouvé le vieux Steinweg… Car, au fond, il n’y a que cela d’intéressant, le vieux Steinweg, et si je me cramponne au baron, c’est que j’espère toujours recueillir un indice quelconque… Que diable en ont-ils fait ? Il est hors de doute qu’Altenheim est en communication quotidienne avec lui, il est hors de doute qu’il tente l’impossible pour lui arracher des informations sur le projet Kesselbach. Mais où le voit-il ? Où l’a-t-il fourré ? Chez des amis ? Chez lui, au 29 de la villa Dupont ? »

Il réfléchit assez longtemps, puis alluma une cigarette dont il tira trois bouffées et qu’il jeta. Ce devait être un signal, car deux jeunes gens vinrent s’asseoir à côté de lui, qu’il semblait ne point connaître, mais avec lesquels il s’entretint furtivement.

C’étaient les frères Doudeville, en hommes du monde ce jour-là.

– Qu’y a-t-il, patron ?

– Prenez six de nos hommes, allez au 29 de la villa Dupont, et entrez.

– Fichtre ! Comment ?

– Au nom de la loi. N’êtes-vous pas inspecteurs de la Sûreté ? Une perquisition.

– Mais nous n’avons pas le droit…

– Prenez-le.

– Et les domestiques ? S’ils résistent ?

– Ils ne sont que quatre.

– S’ils crient ?

– Ils ne crieront pas.

– Si Altenheim revient ?

– Il ne reviendra pas avant dix heures. Je m’en charge. Ça vous fait deux heures et demie. C’est plus qu’il ne vous en faut pour fouiller la maison de fond en comble. Si vous trouvez le vieux Steinweg, venez m’avertir.

Le baron Altenheim s’approchait, il alla au-devant de lui.

– Nous dînons, n’est-ce pas ? Le petit incident du jardin m’a creusé l’estomac. À ce propos, mon cher baron, j’aurais quelques conseils à vous donner…

Ils se mirent à table.

Après le repas, Sernine proposa une partie de billard, qui fut acceptée. Puis, la partie de billard terminée, ils passèrent dans la salle de baccara. Le croupier justement clamait :

– La banque est à cinquante louis, personne n’en veut ?

– Cent louis, dit Altenheim.

Sernine regarda sa montre. Dix heures. Les Doudeville n’étaient pas revenus. Donc les recherches demeuraient infructueuses.

– Banco, dit-il.

Altenheim s’assit et répartit les cartes.

– J’en donne.

– Non.

– Sept.

– Six.

– J’ai perdu, dit Sernine. Banco du double ?

– Soit, fit le baron.

Il distribua les cartes.

– Huit, dit Sernine.

– Neuf, abattit le baron.

Sernine tourna sur ses talons en murmurant :

« Ça me coûte trois cents louis, mais je suis tranquille, le voilà cloué sur place. »

Un instant après, son auto le déposait devant le 29 de la villa Dupont, et, tout de suite, il trouva les Doudeville et leurs hommes réunis dans le vestibule.

– Vous avez déniché le vieux ?

– Non.

– Tonnerre ! Il est pourtant quelque part ! Où sont les domestiques ?

– Là, dans l’office, attachés.

– Bien. J’aime autant n’être pas vu. Partez tous. Jean, reste en bas et fais le guet. Jacques, fais-moi visiter la maison.

Rapidement, il parcourut la cave, le grenier. Il ne s’arrêtait pour ainsi dire point, sachant bien qu’il ne découvrirait pas en quelques minutes ce que ses hommes n’avaient pu découvrir en trois heures. Mais il enregistrait fidèlement la forme et l’enchaînement des pièces.

Quand il eut fini, il revint vers une chambre que Doudeville lui avait indiquée comme celle d’Altenheim, et l’examina attentivement.

– Voilà qui fera mon affaire, dit-il en soulevant un rideau qui masquait un cabinet noir rempli de vêtements. D’ici, je vois toute la chambre.

– Et si le baron fouille sa maison ?

– Pourquoi ?

– Mais il saura que l’on est venu, par ses domestiques.

– Oui, mais il n’imaginera pas que l’un de nous s’est installé chez lui. Il se dira que la tentative a manqué, voilà tout. Par conséquent, je reste.

– Et comment sortirez-vous ?

– Ah ! Tu m’en demandes trop. L’essentiel était d’entrer. Va, Doudeville, ferme les portes. Rejoins ton frère et filez… À demain ou plutôt…

– Ou plutôt…

– Ne vous occupez pas de moi. Je vous ferai signe en temps voulu.

Il s’assit sur une petite caisse placée au fond du placard. Une quadruple rangée de vêtements suspendus le protégeait. Sauf le cas d’investigations, il était évidemment là en toute sûreté.

Dix minutes s’écoulèrent. Il entendit le trot sourd d’un cheval, du côté de la villa, et le bruit d’un grelot. Une voiture s’arrêta, la porte d’en bas claqua, et presque aussitôt il perçut des voix, des exclamations, toute une rumeur qui s’accentuait au fur et à mesure, probablement, qu’un des captifs était délivré de son bâillon.

« On s’explique, pensa-t-il… La rage du baron doit être à son comble… Il comprend maintenant la raison de ma conduite de ce soir, au cercle, et que je l’ai roulé proprement… Roulé, ça dépend, car enfin, Steinweg m’échappe toujours… Voilà la première chose dont il va s’occuper : lui a-t-on repris Steinweg ? Pour le savoir, il va courir à la cachette. S’il monte, c’est que la cachette est en haut. S’il descend, c’est qu’elle est dans les sous-sols. »

Il écouta. Le bruit des voix continuait dans les pièces du rez-de-chaussée, mais il ne semblait point que l’on bougeât. Altenheim devait interroger ses acolytes. Ce ne fut qu’après une demi-heure que Sernine entendit des pas qui montaient l’escalier.

« Ce serait donc en haut, se dit-il, mais pourquoi ont-ils tant tardé ? »

– Que tout le monde se couche, dit la voix d’Altenheim.

Le baron entra dans la chambre avec un de ses hommes et referma la porte.

– Et moi aussi, Dominique, je me couche. Quand nous discuterions toute la nuit, nous n’en serions pas plus avancés.

– Moi, mon avis, dit l’autre, c’est qu’il est venu pour chercher Steinweg.

– C’est mon avis, aussi, et c’est pourquoi je rigole, au fond, puisque Steinweg n’est pas là.

– Mais, enfin, où est-il ? Qu’est-ce que vous avez pu en faire ?

– Ça, c’est mon secret, et tu sais que, mes secrets, je les garde pour moi. Tout ce que je peux te dire, c’est que la prison est bonne et qu’il n’en sortira qu’après avoir parlé.

– Alors, bredouille, le prince ?

– Je te crois. Et encore, il a dû casquer pour arriver à ce beau résultat. Non, vrai, ce que je rigole !… Infortuné prince !…

– N’importe, reprit l’autre, il faudrait bien s’en débarrasser.

– Sois tranquille, mon vieux, ça ne tardera pas. Avant huit jours, je t’offrirai un portefeuille d’honneur, fabriqué avec de la peau de Lupin. Laisse-moi me coucher, je tombe de sommeil.

Un bruit de porte qui se ferme. Puis Sernine entendit le baron qui mettait le verrou, puis qui vidait ses poches, qui remontait sa montre et qui se déshabillait.

Il était joyeux, sifflotait et chantonnait, parlant même à haute voix.

– Oui, en peau de Lupin… et avant huit jours… avant quatre jours ! Sans quoi c’est lui qui nous boulottera, le sacripant !… Ça ne fait rien, il a raté son coup ce soir… Le calcul était juste, pourtant… Steinweg ne peut être qu’ici… Seulement, voilà…

Il se mit au lit et tout de suite éteignit l’électricité. Sernine s’était avancé près du rideau, qu’il souleva légèrement, et il voyait la lumière vague de la nuit qui filtrait par les fenêtres, laissant le lit dans une obscurité profonde.

« Décidément, c’est moi la poire, se dit-il. Je me suis blousé jusqu’à la gauche. Dès qu’il ronflera, je m’esquive… »

Mais un bruit étouffé l’étonna, un bruit dont il n’aurait pu préciser la nature et qui venait du lit. C’était comme un grincement, à peine perceptible d’ailleurs.

– Eh bien, Steinweg, où en sommes-nous ?

C’était le baron qui parlait ! Il n’y avait aucun doute que ce fût lui qui parlât, mais comment se pouvait-il qu’il parlât à Steinweg, puisque Steinweg n’était pas dans la chambre ? Et Altenheim continua :

– Es-tu toujours intraitable ?… Oui ?… Imbécile ! Il faudra pourtant bien que tu te décides à raconter ce que tu sais… Non ?… Bonsoir, alors, et à demain…

« Je rêve, je rêve, se disait Sernine. Ou bien c’est lui qui rêve à haute voix. Voyons, Steinweg n’est pas à côté de lui, il n’est pas dans la chambre voisine, il n’est même pas dans la maison. Altenheim l’a dit… Alors, qu’est-ce que c’est que cette histoire ahurissante ? »

Il hésita. Allait-il sauter sur le baron, le prendre à la gorge et obtenir de lui, par la force et la menace, ce qu’il n’avait pu obtenir par la ruse ? Absurdité ! Jamais Altenheim ne se laisserait intimider.

« Allons, je pars, murmura-t-il, j’en serai quitte pour une soirée perdue. »

Il ne partit point. Il sentit qu’il lui était impossible de partir, qu’il devait attendre, que le hasard pouvait encore le servir.

Il décrocha avec des précautions infinies quatre ou cinq costumes et paletots, les étendit par terre, s’installa, et, le dos appuyé au mur, s’endormit le plus tranquillement du monde.

Le baron ne fut pas matinal. Une horloge quelque part sonna neuf coups quand il sauta du lit et fit venir son domestique.

Il lut le courrier que celui-ci apportait, s’habilla sans dire un mot, et se mit à écrire des lettres, pendant que le domestique suspendait soigneusement dans le placard les vêtements de la veille, et que Sernine, les poings en bataille, se disait :

« Voyons, faut-il que je défonce le plexus solaire de cet individu ? »

À dix heures, le baron ordonna :

– Va-t’en !

– Voilà, encore ce gilet…

– Va-t’en, je te dis. Tu reviendras quand je t’appellerai pas avant. Il poussa la porte lui-même sur le domestique, attendit, en homme qui n’a guère confiance dans les autres, et, s’approchant d’une table où se trouvait un appareil téléphonique, il décrocha le récepteur.

– Allô !… mademoiselle, je vous prie de me donner Garches… C’est cela, mademoiselle, vous me sonnerez…

Il resta près de l’appareil.

Sernine frémissait d’impatience. Le baron allait-il communiquer avec son mystérieux compagnon de crime ?

La sonnerie retentit.

– Allô, fit Altenheim… Ah ! C’est Garches… parfait… Mademoiselle, je voudrais le numéro 38… Oui, 38, deux fois quatre…

Et au bout de quelques secondes, la voix plus basse, aussi basse et aussi nette que possible, il prononça :

– Le numéro 38 ?… C’est moi… pas de mots inutiles… Hier ?… Oui, tu l’as manqué dans le jardin… Une autre fois, évidemment… mais ça presse… il a fait fouiller la maison le soir… je te raconterai… Rien trouvé, bien entendu… Quoi ?… allô… ! Non, le vieux Steinweg refuse de parler… les menaces, les promesses, rien n’y a fait… Allô… Eh oui, parbleu, il sait que nous ne pouvons rien… Nous ne connaissons le projet de Kesselbach et l’histoire de Pierre Leduc qu’en partie… Lui seul a le mot de l’énigme… Oh ! Il parlera, ça j’en réponds… et cette nuit même… sans quoi… Eh ! Qu’est-ce que tu veux, tout plutôt que de le laisser échapper ! Vois-tu que le prince nous le chipe ! Oh ! Celui-là, dans trois jours, il faut qu’il ait son compte… Tu as une idée ?… En effet… l’idée est bonne. Oh ! Oh ! Excellente… je vais m’en occuper… Quand se voit-on ? Mardi, veux-tu ? Ça va. Je viendrai mardi… à deux heures…

Il remit l’appareil en place et sortit. Sernine l’entendit qui donnait des ordres.

– Attention, cette fois, hein ? Ne vous laissez pas pincer bêtement comme hier, je ne rentrerai pas avant la nuit.

La lourde porte du vestibule se referma, puis ce fut le claquement de la grille dans le jardin et le grelot d’un cheval qui s’éloignait.

Après vingt minutes, deux domestiques survinrent, qui ouvrirent les fenêtres et firent la chambre.

Quand ils furent partis, Sernine attendit encore assez longtemps, jusqu’à l’heure présumée de leur repas. Puis, les supposant dans la cuisine, attablés, il se glissa hors du placard et se mit à inspecter le lit et la muraille à laquelle ce lit était adossé.

« Bizarre, dit-il, vraiment bizarre… Il n’y a rien là de particulier. Le lit n’a aucun double fond… Dessous, pas de trappe. Voyons la chambre voisine. »

Doucement, il passa à côté. C’était une pièce vide, sans aucun meuble.

« Ce n’est pas là que gîte le vieux… Dans l’épaisseur de ce mur ? Impossible, c’est plutôt une cloison, très mince. Sapristi ! Je n’y comprends rien, moi. »

Pouce par pouce, il interrogea le plancher, le mur, le lit, perdant son temps à des expériences inutiles. Décidément, il y avait là un truc, fort simple peut-être, mais que, pour l’instant, il ne saisissait pas.

« À moins que, se dit-il, Altenheim n’ait positivement déliré… C’est la seule supposition acceptable. Et, pour la vérifier, je n’ai qu’un moyen, c’est de rester. Et je reste. Advienne que pourra. »

De crainte d’être surpris, il réintégra son repaire et n’en bougea plus, rêvassant et sommeillant, tourmenté, d’ailleurs, par une faim violente.

Et le jour baissa. Et l’obscurité vint.

Altenheim ne rentra qu’après minuit. Il monta dans sa chambre, seul cette fois, se dévêtit, se coucha, et, aussitôt, comme la veille, éteignit l’électricité.

Même attente anxieuse. Même petit grincement inexplicable. Et, de sa même voix railleuse, Altenheim articula :

– Et alors, comment ça va, l’ami ?… Des injures ?… Mais non, mais non, mon vieux, ce n’est pas du tout ce qu’on te demande ! Tu fais fausse route. Ce qu’il me faut, ce sont de bonnes confidences, bien complètes, bien détaillées, concernant tout ce que tu as révélé à Kesselbach… l’histoire de Pierre Leduc, etc. C’est clair ?…

Sernine écoutait avec stupeur. Il n’y avait pas à se tromper, cette fois : le baron s’adressait réellement au vieux Steinweg. Colloque impressionnant ! Il lui semblait surprendre le dialogue mystérieux d’un vivant et d’un mort, une conversation avec un être innommable, respirant dans un autre monde, un être invisible, impalpable, inexistant.

Le baron reprit, ironique et cruel :

– Tu as faim ? Mange donc, mon vieux. Seulement, rappelle-loi que je t’ai donné d’un coup toute ta provision de pain, et que, en la grignotant, à raison de quelques miettes en vingt-quatre heures, tu en as tout au plus pour une semaine… Mettons dix jours ! Dans dix jours, couic, il n’y aura plus de père Steinweg. À moins que d’ici là tu aies consenti à parler. Non ? On verra ça demain… Dors, mon vieux.

Le lendemain, à une heure, après une nuit et une matinée sans incident, le prince Sernine sortait paisiblement de la villa Dupont et, la tête faible, les jambes molles, tout en se dirigeant vers le plus proche restaurant, il résumait la situation :

« Ainsi, mardi prochain, Altenheim et l’assassin du Palace-Hôtel ont rendez-vous à Garches dans une maison dont le téléphone porte le numéro 38. C’est donc mardi que je livrerai les deux coupables et que je délivrerai M. Lenormand. Le soir même, ce sera le tour du vieux Steinweg, et j’apprendrai enfin si Pierre Leduc est, oui ou non, le fils d’un charcutier, et si je peux dignement en faire le mari de Geneviève. Ainsi soit-il ! »

Le mardi matin, vers onze heures, Valenglay, président du Conseil, faisait venir le préfet de Police, le sous-préfet de la Sûreté, M. Weber, et leur montrait un pneumatique, signé prince Sernine, qu’il venait de recevoir.

« Monsieur le Président du Conseil,

« Sachant tout l’intérêt que vous portiez à M. Lenormand, je viens vous mettre au courant des faits que le hasard m’a révélés.

« M. Lenormand est enfermé dans les caves de la villa des Glycines, à Garches, auprès de la maison de retraite.

« Les bandits du Palace-Hôtel ont résolu de l’assassiner aujourd’hui à deux heures.

« Si la police a besoin de mon concours, je serai à une heure et demie dans le jardin de la maison de retraite, ou chez Mme Kesselbach, dont j’ai l’honneur d’être l’ami.

« Recevez, Monsieur le Président du Conseil, etc.

« Signé : Prince SERNINE. »

– Voilà qui est extrêmement grave, mon cher monsieur Weber, fit Valenglay. J’ajouterai que nous devons avoir toute confiance dans les affirmations du prince Paul Sernine. J’ai dîné plusieurs fois avec lui. C’est un homme sérieux, intelligent…

– Voulezvous me permettre, monsieur le Président, dit le sous-chef de la Sûreté, de vous communiquer une autre lettre que j’ai reçue également ce matin ?

– Sur la même affaire ?

– Oui.

– Voyons.

Il prit la lettre et lut :

« Monsieur,

« Vous êtes averti que le prince Paul Sernine, qui se dit l’ami de Mme Kesselbach, n’est autre qu’Arsène Lupin.

« Une seule preuve suffira : Paul Sernine est l’anagramme d’Arsène Lupin. Ce sont les mêmes lettres. Il n’y en a pas une de plus, pas une de moins.

« Signé : L. M. »

Et M. Weber ajouta, tandis que Valenglay restait confondu :

– Pour cette fois, notre ami Lupin trouve un adversaire à sa taille. Pendant qu’il le dénonce, l’autre nous le livre. Et voilà le renard pris au piège.

– Et alors ? dit Valenglay.

– Et alors, monsieur le Président, nous allons tâcher de les mettre d’accord tous les deux… Et, pour cela, j’emmène deux cents hommes.

Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète)

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