Читать книгу Perdus Pour Toujours - Nuno Morais - Страница 7

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UN

Lundi, cinq heures du matin. Je me réveille, je sors doucement du lit afin de ne pas réveiller Becca qui dort profondément à côté de moi. La pauvre, il faut qu’elle se repose, elle n’a pas eu une nuit facile. Les cauchemars continuent de lui causer des tourments. Je sors de la chambre, qui était celle de mes parents, pour aller dans la cuisine, où je me presse un jus d’orange. Ensuite, je vais sous le porche. Je change mon pyjama en coton pour un survêtement en éponge et mes chaussons pour des tennis et je monte sur ma machine Nordtrack, je mets les écouteurs au maximum et fais mes quarante minutes habituelles. J’ai réussi à faire un bon temps et à maintenir un effort constant au son de U2, Smashing ou Texas, des nombreuses publicités et d’une ou deux blagues des animateurs de l’émission de nuit. Il fait encore nuit noire, le ciel ne va s’éclaircir que vers sept heures et demie, et le panorama à travers les vitres n’est pas très réconfortant. Il pleut énormément, une de ces averses qui rend Lisbonne précisément abominable. Ces averses où il pleut à torrents et qui vous laissent trempés jusqu’aux os en quelques secondes. La circulation sur la Segunda Circular n’est pas encore dense, les embouteillages dans cette zone commencent toujours après huit heures moins le quart. C’est incroyable la manière donc tout le monde semble arriver en même temps presque tous les jours. Quelques minutes avant tout va pour le mieux, mais à partir de cette heure nous avançons tels des escargots. Et alors aujourd’hui, ça va être beau si la pluie continue. Maintenant on aperçoit même des éclairs et on entend le tonnerre tellement l’orage doit être proche. J’espère que cela ne va pas réveiller la petite, à voir si elle dort jusqu’à que je sois prêt pour compenser sa mauvaise nuit.

Je transpire déjà pas mal quand je passe du Nordtrack au banc d’abdo. Je fais quatre séries de cinquante avec torsion à quarante-cinq degrés pour commencer puis je passe aux parallèles pour travailler les abdominaux inférieurs. Encore trois séries de quarante avec lever de jambes à soixante degrés, ce qui sans équilibre n’est pas du tout agréable. Je passe ensuite à la poulie, je m’agenouille sur le sol, je prends une corde et imite le sonneur d’une cathédrale pendant quatre séries de quarante, avec des inclinaisons de chaque côté pour exercer les obliques. Quand je me lève, je sens mon torse tendu. Je fais quelques mouvements de relaxation et je continue avec les pectoraux, les épaules et les bras. Aujourd’hui je ne fais pas les jambes ni le dos.

Je termine ma séance avec quelques étirements et vais à la salle de bains qui se trouve loin de la chambre de mes parents. Je m’y rends afin d’être sûr de ne pas réveiller Becca avec le bruit de la douche. Sur le chemin je passe par le balcon de derrière et j’étends mon survêtement sur la corde à linge afin de le faire sécher – ça ne vaut pas la peine de le laver tant qu’il n’est pas assez sale pour au moins tenir debout tout seul.

Je ferme la porte de la salle de bains et tombe sur mon reflet, dans le miroir qui revêt entièrement le mur. À première vue je ne me reconnais pas, je n’ai pas la même tête que d’habitude, je parais plus vieux, fatigué, alors que je ne le ressens pas. Les cauchemars de Becca doivent commencer à m’affecter plus que ce que je pense. Un deuxième coup d’œil sur mon reflet dans le miroir et je me retrouve déjà en terrain connu – à l’exception de la barbe de trois jours qui ne fait pas partie de mes habitudes, mais que, pour l’instant, je pense laisser pousser – et ce que je vois ne me dérange pas.

Les efforts pour s’entraîner dur tous les jours durant ces dix-huit derniers mois commencent à porter leurs fruits ; mes épaules sont plus larges, mes pectoraux plus saillants, mes bras plus forts, mes abdominaux plus définis, et mes jambes ainsi que mes fessiers plus dessinés. On ne peut pas dire que j’ai mauvaise mine ; les cheveux châtains et les yeux gris, la barbe et le poil roux, je suis grand et bien proportionné. Je ne suis peut-être pas mannequin mais je ne suis quand même pas à jeter à la poubelle.

Même si ces derniers temps, malheureusement, je n’ai pas grand-chose à raconter en matière d’amour ou de sexe pur et simple. Je ressens le manque – et d’ailleurs qui ne le ressentirait pas. Et depuis qu’Isabel m’a dit qu’elle avait besoin de s’éloigner de moi car elle ne voulait pas assumer la responsabilité de Becca, ce qui étant donné les circonstances m’a paru un peu égoïste, je me sens seul. Il est vrai que j’aurais peu de temps à consacrer à une petite amie ou à avoir des aventures. Prendre soin de Becca est un travail à temps plein que je ne me vois pas déléguer à quelqu’un d’autre même si cela me pèse. Et il y a des moments où cela me pèse vraiment. Même si maintenant ça se passe mieux à la maternelle, je vais la chercher tous les jours et jamais après dix-sept heures.

Les moments que nous passons ensemble sont très importants pour moi, et je crois que pour elle aussi. Selon la psychothérapeute qui nous suis depuis quelques temps, c’est ce que je peux faire de mieux pour l’aider à arrêter ses cauchemars et sortir du traumatisme causé par l’accident. Rien que d’y penser j’ai les larmes aux yeux. Évidemment, moi non plus je ne me sens pas bien, je ne sais même pas si un jour je me sentirai mieux. Tous ces mois après l’accident, je viens parfois encore à penser qu’ils sont toujours vivants et qu’ils m’attendent à la maison. Mais je ne peux pas laisser Becca s’apercevoir que moi aussi je me sens perdu au milieu de toute cette tristesse. En dépit du principe que partager son chagrin le fait disparaître plus vite, je pense que quelqu’un se doit de tenir le coup, et dans notre cas je ne peux pas laisser cette tâche à une petite fille d’à peine quatre ans.

Enfin, nous laissons la philosophie de côté et nous passons au concret.

Je décide de manière définitive que ce n’est pas aujourd’hui que je vais me raser la barbe et j’entre dans la cabine de douche. Je règle la température de l’eau au robinet puis tourne la poignée pour enclencher le pommeau. Immédiatement me tombe dessus une cascade d’eau tiède qui me masse fortement les épaules et la tête et qui fait disparaître tout reste de sommeil qui pourrait avoir survécu à mon entraînement d’une heure et demie. J’adore être comme ça sous le pommeau, à vrai dire je ne comprends pas les gens qui aiment prendre des bains – seul, tout du moins. Rester là à flotter dans l’eau qui se refroidit de minutes en minutes en compagnie de notre propre saleté, ce n’est pas exactement ce qu’on peut appeler un nettoyage. En bonne compagnie c’est déjà autre chose, mais on ne peut pas dire que ce soit aussi apaisant qu’une nuit de sexe. Je laisse couler l’eau sur moi pendant dix minutes, quatre de plus que nécessaire, pendant que je respire calmement et profondément afin d’éloigner les pensées négatives qu’il y a encore peu me tourmentaient, et quand j’ouvre la porte de la cabine de douche, j’ai l’impression d’être un nouvel homme.

J’entre dans le nuage de vapeur qui s’est formé dans la salle de bains et me frotte rapidement avec une serviette toute douce jusqu’à ce que je sois complétement sec, je passe mes mains dans mes cheveux encore humides et les coiffe en arrière sans utiliser une brosse ou un peigne – l’avantage des cheveux lisses. Je me passe du déodorant neutre sous les bras, je me frictionne rapidement un peu d’Aqua di Parma et vais dans ma chambre pour m’habiller.

Cela peut paraître étrange d’entrer ici sachant que je dors dans la chambre de mes parents depuis des mois – et que je continue d’appeler « la chambre de mes parents » alors qu’ils n’y dorment plus ni n’y reviendront. Je ne sais pas, c’est sûr qu’il y a une explication mais je ne préfère pas y penser maintenant. J’allume la télévision pour regarder Euronews pendant que je m’habille. Le monde est comme d’habitude dans la confusion : le conflit israélo-palestinien redouble ses forces, après un énième cesser le feu que personne n’a respecté ; hier on a encore changé les pierres par des balles sur les territoires palestiniens occupés et quatre palestiniens sont morts en tentant de passer le mur. Encore trois attentats en Irak, montant le total à douze depuis vendredi. De nouvelles mutineries au Guatemala – images de magasins saccagés. Des protestations aux États-Unis contre la déclaration d’État d’urgence dans trois villes – images de manifestations à Salt Lake City et à Boston. Les signataires de la lettre d’indépendance des Açores ont organisé une manifestation devant l’ambassade du Portugal à Washington. L’AMFC, l’association mondiale de fabricant de cassettes, CD et DVD et les groupes de défense des consommateurs ont enfin réussi à trouver un accord quant aux délais de maintenance des enregistrements privés qui passera à cinq ans, après que ces derniers se seront automatiquement effacés – images d’accord signé et de manifestants qui protestent devant le siège de l’AMFC. Augmentation du sous-emploi au Royaume-Uni, malgré le taux de croissance économique le plus haut de toute l’Union – images du Premier-Ministre qui se prend une tarte au visage devant le 10 Downing Street. L’information a été confirmée hier, les corps mutilés découverts jeudi dernier à Manaus, sont ceux d’Elisa Ferrara, médecin italien et de Konrad Lentz, journaliste suisse – photo d’une femme et d’un homme devant un paysage tropical. Images de l’acteur Mark Deforges, parlant de sa bataille contre le cancer et de sa théorie selon laquelle tout dépend de l’état d’esprit : « Si vous voulez vaincre le cancer, vous pouvez. Regardez-moi », dit-il d’un air souriant. L’Espagne et la Suède éliminées du tournoi international de Beach Soccer qui se déroule à Póvoa de Varzim.

Enfin bref, tant de bonnes nouvelles pour bien commencer la journée…

J’enfile des sous-vêtements et un tricot en coton puis mets des chaussettes montantes grises, une chemise bleu clair en coton au col français, une cravate piquée Marinella que m’a envoyé mon arrière-grand-père, et après plusieurs tentatives je réussis finalement à enfiler mes boutons de manchette en nacre. Pour terminer, je mets un costume gris clair de mi-saison avec une veste à trois boutons. Je mets les chaussures marrons que j’ai cirées hier soir et une ceinture dans les mêmes tons. Je jette un regard dans le miroir pour voir si tout va bien. J’aime ce que je vois, mais je m’arrange une fois de plus la cravate, et me dis finalement que c’est la bonne, puis, content de moi je fais demi-tour pour aller réveiller Becca.

Dans l’obscurité de la chambre, amplifiée par mon accoutumance à la lumière, j’arrive à distinguer le blanc des draps du lit ainsi qu’une petite forme qui se niche plus ou moins au milieu des deux mètres de large de celui-ci. Elle respire si calmement et tranquillement que je me sens mal de devoir la réveiller, mais pas le choix, aujourd’hui je suis obligé d’aller au bureau, et je dois y être tôt pour terminer les dossiers qui me restent de vendredi. Sur la pointe des pieds, je vais jusqu’à la fenêtre et ouvre les volets tout doucement en essayant de faire le moins de bruit possible. Avec la faible luminosité provenant de la rue qui entre dans la chambre, elle ne bouge pas, elle dort avec une expression de repos total sur son visage. Ceux qui l’auraient vu pendant la nuit au sommet des cauchemars et des pleurs, diraient qu’il ne s’agit pas là de la même enfant. Je m’assois sur le lit et commence à lui passer la main dans les cheveux, tout doucement, afin de la laisser se réveiller calmement. Petit à petit, elle bouge un peu, en premier un bras, ensuite l’autre, elle s’étire, et passe sa petite main dans ses cheveux presque blancs pour les enlever de son visage, comme on ouvre les volets pour laisser entrer le jour. Tout d’un coup elle ouvre les yeux, elle me voit et dit en souriant : « Hej, Kalle! Ja’ sovit » – le suédois est toujours la langue qu’elle utilise lorsqu’elle se réveille. C’est celle qu’elle apprenait avec sa mère et sa grand-mère depuis toute petite et même si maintenant elle ne le parle qu’avec moi et avec l’enseignante que j’ai pu trouver. La seule école maternelle suédoise est dans le secteur de Cascais, et cela aurait été compliqué pour moi de l’y emmener tous les jours puisque les trajets en bus ne sont pas du tout envisageables, du moins pour le moment.

« Bra, lilla gumman ; et maintenant tu es prête pour te lever ? » Elle hoche la tête, sans remarquer le changement de langue et continue à parler en portugais. « Tu sais, aujourd’hui nous allons nous promener avec l’école. »

« C’est vrai ? Cela va être génial, n’est-ce pas ? » À nouveau elle hoche la tête pour dire oui. « Est-ce que tu sais où vous allez aller ? »

« Oui nous allons au ja’din zoolozique voir les animaux. Il y a des lions, des tig’es, des se’pents et des éléphants – pause – Il y a aussi des c’oc’odiles. Je crois que ça va être super bien. Tu veux venir avec nous ? » – Me dit-elle d’une petite voix si mignonne que je commence à me dire que ce n’est pas une si mauvaise idée de ne pas aller au bureau pour aller passer la journée au zoo. Mais aujourd’hui je dois absolument y aller. Je dois répondre à trois fax que j’ai reçu vendredi quand je me préparais à partir, j’ai deux réunions de prévues depuis quinze jours et Gomez m’a laissé un mot qui disait qu’il voulait me parler d’une urgence – même si pour lui il n’y a que des urgences, surtout quand il s’agit des choses qui le concernent. Sûrement encore une petite faveur à me demander.

En bref, il n’y a rien à faire, je ne peux pas. À contrecœur je dis à Becca que je ne peux pas l’accompagner mais lui promets que quand je viendrai la chercher cet après-midi, nous irons à Baixa voir les illuminations de Noël, ce qui lui redonne un peu le moral. Le hochement de tête qu’elle me fait montre moins de déception par rapport à l’expression de ses yeux quand je lui ai expliqué que je ne pouvais pas venir avec elle. Mais un instant plus tard, elle avait déjà tout oublié et sautait du lit pour aller dans la salle de bains.

Sa dernière grande victoire est d’être capable de s’asseoir toute seule sur les toilettes, sans prendre appui sur la marche en plastique que j’ai acheté pour l’aider à monter et descendre. Je la laisse toute seule jusqu’à ce que j’entende crier : « Kla’t ! » c’est notre code pour j’aille l’aider à enlever son haut de pyjama – ceux qui s’enfilent par la tête ou qui ont des boutons car elle ne comprend pas encore comme cela fonctionne – mais du reste, elle ne me laisse plus faire grand-chose.

Elle est de plus en plus indépendante, ce qui est normal et naturel pour les enfants de cet âge, mais pour elle, cela semble être un point d’honneur car elle n’a déjà plus de maman. La psychothérapeute trouve que l’indépendance qu’elle démontre est positive, elle affirme que c’est une manière pour elle de dépasser ce qui s’est passé, et que cela aurait été plutôt préoccupant si elle cherchait à s’accrocher à moi.

Étant donné qu’elle a besoin d’énormément de soutien pendant la nuit puisqu’elle n’arrive pas à se débarrasser de ses cauchemars, il est possible que le « je suis capable » qu’elle démontre à un tel niveau soit une réaction de dépendance qu’elle ressent par rapport l’adulte qui s’occupe d’elle, c’est-à-dire moi. C’est une petite fille avec beaucoup d’énergie ma Becca.

Nous allons dans sa chambre et commence alors une tâche souvent compliquée pour elle : choisir ses vêtements pour la journée. À chaque fois, je lui enfile ses sous-vêtements, m’assois sur le fauteuil en mousse à sa hauteur, et lui montre ce qu’il y a dans les tiroirs et dans l’armoire, j’expose les pièces sur le lit comme s’il s’agissait de la vitrine d’une boutique de mode. C’est un procédé qui peut se révéler très long et qui serait bien plus acceptable pour quelqu’un qui souffre de daltonisme aigu. En effet, les combinaisons de couleurs qui sont faites, et que je n’arrive pas toujours à éviter, sont parfois assez bizarres.

Je lui propose mon avis concernant les mélanges de couleurs, les tissus et la météo. Je souligne aussi le lien entre le deuxième et le troisième point, ce qui, il y a encore quelques mois, paraissait irréalisable, mais ce n’est encore aujourd’hui toujours pas gagné.

Je n’ai l’habitude de me fâcher que lorsqu’elle souhaite mettre deux pantalons ou deux robes les uns sur les autres. Elle avance alors l’argument que si elle peut mettre deux ou parfois trois pulls/petites laines qu’elle n’aime pas, pourquoi ne peut-elle pas porter deux pantalons qu’elle aime ? Il n’y a rien que je puisse répondre à cela, de sorte que je me limite à dire non et laisse passer la crise qui, en général, suit. Heureusement, cela n’arrive pas très souvent. Aujourd’hui elle ne sait pas quoi choisir entre une salopette de couleur marron et une autre en jean bleu, à assortir avec un col roulé en coton dans les tons d’orange et jaune ou un autre tee-shirt rouge avec un col blanc. Les chaussettes seront jaunes à pois verts. Finalement elle se décide pour la salopette marronne et le col roulé.

Pendant que je l’habille, elle me raconte ce qu’elle va faire au jardin zoologique, elle me parle des enfants avec qui elle va s’amuser et qu’elle apprécie et ceux qu’elle n’aime pas avoir à ses côtés.

« Tu sais Kalle, Jo’ge est très embêtant, il passe sa vie à me tirer les cheveux et à courir derrière moi. Et même quand je lui dis d’a’êter il ne me lâche pas !! » – Je me dis, allons bon, mais décide d’abord de la faire parler voir jusqu’où elle va aller :

« Ah oui ? Mais quel méchant garçon. En as-tu déjà parlé à Carmen ? Ou bien, pourquoi ne lui fais-tu pas la même chose ? » – elle me regarde surprise, d’un air qui veut dire « tu es bête dis donc ».

« Mais tu sais, il ne me pousse pas très fort, et puis si je le dis à Carmen, elle va le punir et après il sera triste et ne pourra plus jouer avec moi. Il ne me pousse pas vraiment, c’est un jeu, mais après tous les autres enfants viennent et disent des choses et me regardent et je n’aime pas ça ! » Tout cela dit en un souffle et de plus en plus fort.

Un cas désespéré sans doute, et je ne pense pas qu’il y ait grand-chose à faire pour résoudre ce problème sans l’aide d’une autorité supérieure, car le garçon ne prête pas attention à ses demandes. C’est pour cela que je lui ai dit d’en parler à Carmen ou à Ana quand il recommencera. Ensuite quand il aura été puni, elle ira le voir pour lui expliquer qu’elle n’aime pas qu’il lui fasse cela. Elle n’est pas très convaincue et moi non plus, mais dans ma tête je me dis que c’est réglé.

Nous allons ensuite dans la cuisine prendre le petit-déjeuner. Pour Becca ce sera jus d’orange, flocon d’avoine instantanés avec du lait et confiture de groseille, quant à moi je mange deux tranches de pain grillé avec du jambon et une banane. Je bois une tasse de café au lait pendant qu’elle déguste un Danino en me racontant les cadeaux qu’elle souhaite commander au Père Noël. Au début je trouvais que c’était un peu tôt pour penser à cela. Mais je me suis finalement rappelé des lumières de la ville et me suis aperçu qu’il restait moins d’un mois. Alors c’est normal qu’elle commence à penser à sa liste de cadeaux. Liste qu’elle finit d’ailleurs toujours par modifier cent fois, jusqu’au jour-j. Heureusement il y a toujours la possibilité de lui dire que tel ou tel cadeau a peut-être été laissé par erreur dans la maison des uns ou des autres, et cela me laisse le temps d’aller échanger et acheter ce qu’elle veut sans qu’elle s’en rende compte. Parfois, je pense que je la gâte et que j’essaye trop de la protéger, non pas qu’elle soit exigeante ou qu’elle fasse beaucoup de caprices quand elle n’a pas ce qu’elle veut, mais même comme ça j’ai peur de faire quelque chose de mal. Je suis encore novice en tant que père, en plus de cela, célibataire et sans avoir suivi la grossesse afin de pouvoir m’y préparer.

Non, Becca n’aurait dû être pour moi qu’une responsabilité d’oncle et ce même en sachant que le sale type qui a contribué à la moitié de ses chromosomes n’a pas perdu de temps pour partir quand il a su que Mia était enceinte. Il n’a plus jamais donné de nouvelles.

Non, il ne nous manque pas du tout. Un comportement comme celui-ci face à une grossesse non désirée n’aurait pu être que pire si, par hasard, il était revenu.

Ma sœur cadette ne s’est pas laissée affecter, même si au début elle a accusé le coup. Rien ne lui laissait imaginer une telle réaction, elle l’a laissé partir et n’a rien fait pour interrompre sa grossesse. Je ne pense pas qu’elle l’ait fait par principe ou pour ses idées philosophiques ou politiques. Je pense qu’elle était seulement heureuse d’être enceinte et face à ses menaces, qu’il a exécuté, de la quitter si elle n’avortait pas, elle a senti que ce qu’elle voulait réellement était de garder son bébé – alors que ses amies lui disaient que le mieux pour elle serait d’avorter. L’expression brésilienne « dou um boi para não entrar nessa briga, e uma boiada para não sair dela », c’est-à-dire « autant faire les choses jusqu’au bout » était la devise de ma sœur, et avec l’arrivée de Becca rien n’a changé. De notre côté, nous avons fait de notre mieux pour l’aider avant et après la naissance du bébé ; le seul qui n’était pas satisfait de la situation était mon père qui voulait faire un procès au type et à toute sa famille quel qu’en soit la cause. Mais il a fini par être d’accord avec nous sur le fait qu’il était mieux de faire les choses comme Mia le souhaitait.

Becca est ainsi née, dans la paix et le calme à l’hôpital d’Uppsala, prématurée d’un mois selon la tradition familiale de la grand-mère maternelle, le 4 mars il y a presque quatre ans.

Malheureusement, même si j’essaye de tout faire pour compenser, et c’est là la raison de ce long monologue, je suis le seul soutien proche qui lui reste, un oncle complétement inexpérimenté dans son nouveau rôle de père. Enfin, ce n'est pas si mal que ça, depuis le temps, ça ne doit pas être pire qu’un homme qui vient d’être père pour la première fois et je vais toujours apprendre de mes erreurs. J’aimerais beaucoup avoir Lotta, ma sœur la plus jeune, avec moi. Mais elle étudie actuellement en Espagne et vit chez mes grands-parents à Madrid car elle n’a pas trouvé d’appartement.

Je suis sorti dans mes pensées par cette petite personne à mes côtés qui me dit qu’elle a tout mangé et que nous devrions partir car c’est l’heure. En vérité, nous sommes en avance par rapport à notre horaire habituel, mais ça n’est pas grave, nous allons nous mettre en chemin. Je mets la vaisselle dans la machine, je range le lait, le jus, le beurre et la confiture au frigo ainsi que les flocons d’avoine dans le placard et nous nous dirigeons dans le hall d’entrée.

Je mets un imperméable à Becca, je la chausse avec des bottes en caoutchouc, lui glisse ses chaussures dans un sac en plastique et lui donne un mini-parapluie du Marsupilami. Je mets mon manteau, j’y glisse mon parapluie, mon portefeuille et mon téléphone portable. Je cherche autour de moi la petite chaise pliante, quand tout à coup je me souviens que je l’ai laissé à l’école, j’ouvre la porte, appelle l’ascenseur, ferme la porte de deux coups de clé et nous descendons au rez-de-chaussée.

Le jour ne semble pas vouloir apparaître, le ciel affiche des tons bleu clair et la faible luminosité n’éclipse pas encore les lampadaires de la rue qui sont toutefois en train de s’éteindre. La seule chose positive est qu’il a arrêté de pleuvoir et c’est déjà bon signe car s’il y a bien une chose que je déteste c’est d’avoir les pieds mouillés. J’espère que cela va au moins durer jusqu’à ce qu’on arrive à la station de métro. Mais comme je ne fais pas confiance au temps, je décide de prendre la vieille coccinelle jaune qui appartenait à Mia et d’aller en voiture jusqu’au métro.

Je finis tout juste de m’asseoir et de boucler ma ceinture, après avoir installé Becca dans son siège auto, qu’il recommence à pleuvoir des cordes. Si je pouvais avoir ce genre d’intuition avec les numéros, je pourrais passer ma vie au casino à la table du blackjack ou bien à acheter des billets de loterie. Ce serait mon loisir et je travaillerais uniquement car je le souhaite.

La voiture finit enfin par démarrer après plusieurs tentatives, j’étais déjà en train de me maudire en pensant que j’allais finalement devoir me mouiller pour aller jusqu’au métro. S’ensuit alors un déluge jusqu’au Colombo et au parking à côté de la station de métro, où je réussis à trouver une place couverte près de l’entrée de la station. J’éteins le moteur, défais la ceinture de Becca qui à son tour éteint la radio, elle cache la vieille façade sous le siège et commence à descendre de son siège auto pour ouvrir sa portière. Je sors de la voiture avec tout le bazar sous le bras et mets mon manteau, plus pour une question de commodité que par crainte de me mouiller car la pluie s’est arrêtée aussi soudainement qu’elle a commencé. Je me mets immédiatement à avoir chaud. Franchement je ne comprends pas les gens qui arrivent à porter des manteaux de fourrure ou des doudounes durant ces étés rafraîchis que les lisboètes appellent Hiver, durant lesquelles les températures descendent rarement en-dessous des dix degrés et si elles y descendent ce ne sera que le matin car à midi elles atteignent pour sûr les quinze ou les vingt degrés. Finalement, « chacun ses goûts » comme dirait ma grand-mère et elle doit savoir de quoi elle parle puisqu’elle est née ici.

Je glisse mon portefeuille, le sac des chaussures et le parapluie sous le bras, je donne la main à Becca et nous descendons les marches du métro. Nous parcourrons le couloir jusqu’au hall avec les machines, où elle insiste pour mettre la monnaie et nous nous dirigeons vers le quai. Il y a déjà pas mal de monde, même si ce n’est pas encore rempli comme d’habitude après neuf heures. Parfois, je me demande à quelle heure les gens commencent vraiment à travailler, car le trafic est affreux entre neuf et onze heures, le métro y est plein. Moi je préfère commencer tôt pour finir tôt et non pas le contraire et ce même si je n’avais pas Becca à ma charge.

Le métro arrive après un peu plus de cinq minutes d’attente, nous y entrons sans grandes difficultés ni bousculades typiques d’un voyage en métro à Lisbonne. Becca est assise sur un siège gentiment laissé par une dame. Je la remercie mais lui dis que ce n’est pas nécessaire, qu’elle préfère rester debout en s’accrochant à moi. Mais la dame insiste et pour ne pas la vexer, je dis à la petite de s’asseoir, ce qu’elle fait immédiatement, comme pour me dire que ce n’était pas la peine de faire tant de manière et qu’elle aurait pu en profiter plus tôt.

La dame caresse les cheveux de Becca qui secoue la tête et se replie sur son siège. Elle lui dit : « Que tu as de jolis cheveux. Comment t’appelles-tu ? » Mais la petite se replie encore plus, elle n’est pas habituée à recevoir des attentions de personnes qu’elle ne connait pas, et encore plus à des endroits où elle sent que tout le monde la regarde, je viens alors à son secours :

« Tu peux dire ton nom à la dame. Tu t’appelles Becca, n’est-ce pas ? » Elle acquiesce.

« Becca ? Que c’est original. C’est vraiment ton nom ? »

Becca me lance alors un de ses regards noirs, mais la dame n’a pas remarqué, elle s’était déjà retournée vers moi pour me demander une explication. Je lui dis que non, c’est seulement un diminutif, que son vrai nom est Rebecca, mais que pratiquement personne ne l’appelle ainsi et qu’elle ne répond pas lorsqu’on l’appelle comme cela. Néanmoins, la dame continue en disant que c’est un nom bizarre et me demande pourquoi nous l’appelons ainsi, alors que Rebecca est un prénom si joli et qu’elle est si mignonne, affirme-t-elle tournée vers moi. Heureusement, car Becca est en train de lui tirer la langue. Je lui fais signe de la rentrer dans sa bouche et elle obéit, en prenant une expression angélique qui laisserait penser qu’elle est incapable de telles choses.

Le métro va d’une station à l’autre, quelques passagers descendent et d’autres montent au fur et à mesure. La dame à l’air de faire le voyage jusqu’au bout. « Quel âge a-t-elle ? », me demande-t-elle après avoir une fois de plus caressé les cheveux de Becca. « Elle va avoir quatre ans d’ici peu », lui réponds-je, en sachant bien ce qui va suivre.

« Oh, qu’elle est grande, et si jolie, elle parait plus âgée. » Je la remercie et lui dis qu’effectivement elle est assez grande. Elle me demande si c’est ma fille, je lui dis que je suis son oncle sans entrer dans les détails, ce qui apparemment la satisfait et car elle passe à une nouvelle question. « Ses cheveux ont une couleur peu courante, ce n’est pas une couleur tout de même ? » Quelle patience ! Je ne sais pas comment les gens peuvent un instant imaginer qu’il est possible de colorer les cheveux d’une enfant de trois ans. Mais après le nom bizarre, la question sur la couleur de cheveux peu courante était évidente. Je lui dis que non, en essayant de ne pas perdre patience, que la couleur de ses cheveux est naturelle, qu’elle l’a hérité de sa mère qui avait les mêmes… Oh, je me rends compte de mon erreur, de la conjugaison de mon verbe au passé, mais c’est trop tard, et ma tête doit le confirmer. Je ne peux ainsi pas éviter la question suivante :

« Sa mère est morte ? » me questionne-t-elle dans un murmure, salivant déjà des détails de notre mélodrame familial. Je regarde en panique Becca, mais elle n’y prête pas attention car sur la banquette opposée, il y a une autre petite fille dans les bras de son grand-père et elles se font des grimaces l’une à l’autre. Je peux ainsi mentir comme je veux, même si c’est sans grande conviction : « Non, ce que je voulais dire c’est que les cheveux de sa mère sont plus foncés maintenant, ils ne sont plus aussi clairs qu’avant ». C’est un mensonge, elle a toujours eu la même couleur, mais bon, je lui dis cela pour éviter d’entrer dans une conversation de condoléances et que la dame se mette à réconforter Becca, ce qui l’aurait sûrement attristée. Cela a dû satisfaire mon interlocutrice concernant ses connaissances en termes de variations de couleur de cheveux au fil des ans, car elle a une fois de plus caressé la tête de Becca en abandonnant le sujet, visiblement déçue puisqu’elle n’a finalement rien appris d’intéressant.

Entre-temps, nous arrivons à l’arrêt Marquês où nous devons changer de métro et où nous avons dû faire une des sorties les plus rapides des annales du métro. Nous montons jusqu’au hall où se trouve la billetterie et prenons les escaliers pour descendre de l’autre côté. Nous arrivons pile à temps pour prendre le métro de Campo Grande qui est beaucoup moins rempli et où personne n’a l’air de vouloir discuter avec nous. Le métro est un des nouveaux véhicules en circulation, avec des écrans LCD installés en haut de chaque fenêtre, qui retransmettent des publicités sans interruption, alternant avec les habituelles affiches plastifiées, pour les annonceurs qui ne peuvent pas se payer des publicités vidéo. Les wagons sentent encore le neuf, les tagueurs n’ont encore laissé que peu de marques ou de signatures à l’encre indélébile qu’ils ont l’habitude d’utiliser pour être sûrs que personne ne puisse les effacer, comme si ces marques étaient magiques et représentaient une partie d’eux-mêmes. Les publicités des écrans sont muettes avec des sous-titres occasionnels, entièrement pensées et adaptées pour être retransmises dans le métro, tandis que le système sonore nous distrait avec une compilation de musiques jazz parmi lesquelles je reconnais Benny Goodman, Sidney Bechet, Stan Getz, Louis Armstrong et Chet Baker ; aujourd’hui la personne qui a choisi avait bon goût.

Le métro de Lisbonne arrive parfois à nous surprendre avec ces petites choses, qui ne compensent cependant par aucun moyen le manque d’ascenseurs ou d’escalators du quai jusqu’à la rue dans toutes les stations, mais qui servent tout de même à rendre nos voyages plus supportables.

Parfois je me demande si je suis le seul à penser à cela et je me demande en même temps comment font les personnes qui ont des bébés, des enfants dans les bras ou les personnes handicapées ; elles ne doivent sûrement pas pouvoir aller où elles veulent ou doivent alors aller d’autobus en autobus ou prendre leur voiture, qui ne sont vraiment pas les manières les plus rapides pour se déplacer à Lisbonne.

Becca me tire la manche et j’arrête alors immédiatement de penser aux escalators et autre ascenseurs inexistants pour écouter ce qu’elle veut me dire. « Kalle, on peut manger une glace ? », à cette heure de la matinée ? « Non bébé, il est encore trop tôt » Elle ne se montre pas satisfaite de ma réponse et revient tout de suite à la charge : « Et cet après-midi on pourra manger une glace ? Tu sais les grandes ? » Je lui dis que oui, en sachant très bien qu’elle n’aura pas oublié et que cet après-midi je devrai évidement lui acheter une glace. Grande, de préférence – même si ce qualificatif dans ce cas est assez subjectif : un jour c’est un grand cornetto, un autre jour ça peut être un solero et encore un autre jour ça peut être un perna-de-pau qui ne mérite pas tellement cette distinction.

Nous sortons à Campo Pequeno, je l’aide à monter les escaliers jusqu’à la billetterie et ensuite jusqu’à la rue – ce serait plus facile si elle n’insistait pas pour tout faire toute seule. Parfois, je me dis qu’il serait mieux si elle que je la porte encore dans les bras.

Nous remontons l’avenue, tournons à droite et plus ou moins au milieu de la rue nous entrons dans l’école maternelle Luso-Espagnole Sancho Pança, ouverte, il y a près de trente ans, par une amie de ma grand-mère qui a déménagé à Lisbonne avec son mari.

La plupart des éducatrices sont espagnoles, bien qu’il y ait aussi quelques portugaises. Les enfants se parlent espagnol entre eux. Ce sont en majorité des enfants d’espagnols ou de sud-américains qui, pour une raison ou une autre, sont à Lisbonne, ou comme dans le cas de Becca, ont de la famille en Espagne et qu’il est important de ne pas perdre le contact avec la langue. C’est une petite maison sympathique du début de XXème siècle que Madame Pilar a petit à petit transformé en un sympathique foyer pour les enfants âgés d’un à sept ans. Ce qu’il y a de mieux dans cette école, c’est son énorme jardin, plein de jouets en bois et en plastique ainsi qu’un grand bac à sable pour que les enfants puissent jouer. Becca adore passer ses journées là-bas.

Au début – Becca a commencé la crèche peu avant son premier anniversaire – ma mère et ma sœur avait peur qu’autant de contact avec l’espagnol lui fasse oublier le suédois, qu’elles cherchaient à lui enseigner à la maison. Cependant, nous nous sommes vite aperçus qu’il n’y avait aucun risque que cela se produise. Elle utilisait les mots suédois qu’elle apprenait avec elles et moi et les mots espagnols et portugais avec mon père et ma grand-mère – la plupart du temps en semblant savoir distinguer les langues les unes des autres mais aussi les personnes avec qui les utiliser.

Les premiers temps, nous faisions attention à ce que ce soient les mêmes personnes qui lui parlent les mêmes langues, mais maintenant, et par la force des choses, j’alterne d’une langue à l’autre pour la maintenir intéressée et en général elle ne se trompe pas. Nous pensions encore que la langue la plus difficile à maintenir serait le portugais, mais avec tant d’enfants bilingues à l’école, et tous les autres rencontrés avec qui elle ne parle que portugais, en peu de temps elle parlait les trois langues avec la même aisance.

Mais même ainsi, j’ai pensé qu’il valait mieux lui trouver une enseignante de suédois afin de la maintenir exposée à la langue, car même si nous avons une tonne de DVD avec des dessins animés et des films en suédois, je ne pense pas qu’elle puisse beaucoup apprendre avec Pippi et Bamse.

Je la laisse à Ana, qui est une des éducatrices de son groupe, et qui semble presque avoir plus de peine de me voir partir que Becca. Quelle différence par rapport à avant ! Quand elle a commencé à venir, il fallait que nous restions un peu avec elle, et ensuite on pouvait la laisser seule et venir la chercher quand elle commençait à pleurer et à réclamer sa mère. Cela a duré pratiquement un mois. Maintenant, dès qu’elle voit Carmen ou Ana, c’est comme si je m’étais évaporé, je n’existe purement et simplement plus. Et si elles ne lui disent pas de me dire au revoir, elle ne le fait même pas. Même si c’est vrai que c’est bien, c’est quand même un peu triste de les voir devenir indépendants. Un jour elle me demandera les clés de la voiture et me dira de ne pas l’attendre avant le petit-déjeuner…

Qui aurait pu penser il y a quelques années que je dirais ça aujourd’hui, la paternité, encore que ce n’est qu’un prêt, fait vraiment changer les gens.

Perdus Pour Toujours

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