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II
Оглавление15 septembre.
Je n'ai pas encore écrit une seule fois le nom de mes maîtres. Ils s'appellent d'un nom ridicule et comique: Lanlaire... Monsieur et madame Lanlaire... Monsieur et madame va-t'faire Lanlaire!... Vous voyez d'ici toutes les bonnes plaisanteries qu'un tel nom comporte et qu'il doit forcément susciter. Quant à leurs prénoms, ils sont peut-être plus ridicules que leur nom et, si j'ose dire, ils le complètent. Celui de Monsieur est Isidore; Euphrasie, celui de Madame... Euphrasie!... Je vous demande un peu.
La mercière, chez qui je suis allée tantôt pour un rassortissement de soie, m'a donné des renseignements sur la maison. Ça n'est pas du joli. Mais, pour être juste, je dois dire que je n'ai jamais rencontré une femme si rosse et si bavarde... Si ceux qui fournissent mes maîtres en parlent ainsi, comment doivent en parler ceux qui ne les fournissent pas?... Ah! ils ont de bonnes langues, en province!... Mazette!
Le père de Monsieur était fabricant de draps et banquier à Louviers. Il fit une faillite frauduleuse qui vida toutes les petites bourses de la région, et il fut condamné à dix ans de réclusion, ce qui, en comparaison des faux, abus de confiance, vols, crimes de toute sorte qu'il avait commis, fut jugé très doux. Durant qu'il accomplissait sa peine à Gaillon, il mourut. Mais il avait eu soin de mettre de côté et en sûreté, paraît-il, quatre cent cinquante mille francs, lesquels, habilement soustraits aux créanciers ruinés, constituent toute la fortune personnelle de Monsieur... Et allez donc!... Ça n'est pas plus malin que ça, d'être riche.
Le père de Madame, lui, c'est bien pire, quoiqu'il n'ait point été condamné à de la prison et qu'il ait quitté cette vie, respecté de tous les honnêtes gens. Il était marchand d'hommes. La mercière m'a expliqué que, sous Napoléon III, tout le monde n'étant pas soldat comme aujourd'hui, les jeunes gens riches «tombés au sort» avaient le droit de «se racheter du service». Ils s'adressaient à une agence ou à un monsieur qui, moyennant une prime variant de mille à deux mille francs, selon les risques du moment, leur trouvait un pauvre diable, lequel consentait à les remplacer au régiment pendant sept années et, en cas de guerre, à mourir pour eux. Ainsi, on faisait, en France, la traite des blancs, comme en Afrique, la traite des noirs?... Il y avait des marchés d'hommes, comme des marchés de bestiaux pour une plus horrible boucherie? Cela ne m'étonne pas trop... Est-ce qu'il n'y en a plus aujourd'hui? Et que sont donc les bureaux de placement et les maisons publiques, sinon des foires d'esclaves, des étals de viande humaine?
D'après la mercière, c'était un commerce fort lucratif, et le père de Madame, qui l'avait accaparé pour tout le département, s'y montrait d'une grande habileté, c'est-à-dire qu'il gardait pour lui et mettait dans sa poche la majeure partie de la prime... Voici dix ans qu'il est mort, maire du Mesnil-Roy, suppléant du juge de paix, conseiller général, président de la fabrique, trésorier du bureau de bienfaisance, décoré, et, en plus du Prieuré qu'il avait acheté pour rien, laissant douze cent mille francs, dont six cent mille sont allés à Madame, car Madame a un frère qui a mal tourné, et on ne sait pas ce qu'il est devenu... Eh bien... on dira ce qu'on voudra... Voilà de l'argent qui n'est guère propre, si tant est qu'il y en ait qui le soit... Pour moi, c'est bien simple, je n'ai vu que du sale argent et que de mauvais riches.
Les Lanlaire—est-ce pas à vous dégoûter?—ont donc plus d'un million. Ils ne font rien que d'économiser... et c'est à peine s'ils dépensent le tiers de leurs rentes. Rognant sur tout, sur les autres et sur eux-mêmes, chipotant âprement sur les notes, reniant leur parole, ne reconnaissant des conventions acceptées que ce qui est écrit et signé, il faut avoir l'oeil avec eux, et, dans les rapports d'affaires, ne jamais ouvrir la porte à une contestation quelconque. Ils en profitent aussitôt pour ne pas payer, surtout les petits fournisseurs qui ne peuvent supporter les frais d'un procès, et les pauvres diables qui n'ont point de défense... Naturellement, ils ne donnent jamais rien, si ce n'est, de temps en temps, à l'église, car ils sont fort dévots. Quant aux pauvres, ils peuvent crever de faim devant la porte du Prieuré, implorer et gémir. La porte reste toujours fermée...
—Je crois même, disait la mercière, que s'ils pouvaient prendre quelque chose dans la besace des mendiants, ils le feraient sans remords, avec une joie sauvage...
Et elle ajoutait, à titre d'exemple monstrueux:
—Ainsi, nous tous ici qui gagnons notre vie péniblement, quand nous rendons le pain bénit, nous achetons de la brioche. C'est une question de convenance et d'amour-propre... Eux, les sales pingres, ils distribuent, quoi?... Du pain, ma chère demoiselle. Et pas même du pain blanc, du pain de première qualité... Non... du pain d'ouvrier... Est-ce pas honteux... des personnes si riches?... Même que la Paumier, la femme du tonnelier, a entendu un jour Mme Lanlaire dire au curé qui lui reprochait doucement cette crasserie: «Monsieur le curé, c'est toujours assez bon pour ces gens-là!»
Il faut être juste, même avec ses maîtres. S'il n'y a qu'une voix sur le compte de Madame, on n'en veut pas à Monsieur... On ne déteste pas Monsieur... Chacun est d'accord pour déclarer que Monsieur n'est pas fier, qu'il serait généreux envers le monde, et ferait beaucoup de bien, s'il le pouvait. Le malheur est qu'il ne le peut pas... Monsieur n'est rien chez lui... moins que les domestiques, pourtant durement traités, moins que le chat à qui on permet tout... Peu à peu, et pour être tranquille, il a abdiqué toute autorité de maître de maison, toute dignité d'homme aux mains de sa femme. C'est Madame qui dirige, règle, organise, administre tout... Madame s'occupe de l'écurie, de la basse-cour, du jardin, de la cave, du bûcher et elle trouve à redire sur tout. Jamais les choses ne vont comme elle voudrait, et elle prétend sans cesse qu'on la vole... Ce qu'elle a un oeil!... C'est inimaginable. On ne lui pose pas de blagues, bien sûr, car elle les connaît toutes... C'est elle qui paie les notes, touche les rentes et les fermages, conclut les marchés... Elle a des roueries de vieux comptable, des indélicatesses d'huissier véreux, des combinaisons géniales d'usurier... C'est à ne pas croire... Naturellement, elle tient la bourse, férocement, et elle n'en dénoue les cordons que pour y faire entrer plus d'argent, toujours... Elle laisse Monsieur sans un sou, c'est à peine s'il a de quoi s'acheter du tabac, le pauvre. Au milieu de sa richesse, il est encore plus dénué que tout le monde d'ici... Pourtant, il ne bronche pas, il ne bronche jamais... Il obéit comme les camarades. Ah! ce qu'il est drôle, des fois, avec son air de chien embêté et soumis... Quand, Madame étant sortie, arrive un fournisseur avec une facture, un pauvre avec sa misère, un commissionnaire qui réclame un pourboire, il faut voir Monsieur... Monsieur est vraiment d'un comique!... Il fouille dans ses poches, se tâte, rougit, s'excuse, et il dit, l'oeil piteux:
—Tiens!... Je n'ai pas de monnaie sur moi... Je n'ai que des billets de mille francs... Avez-vous de la monnaie de mille francs?... Non?... Alors, il faudra repasser...
Des billets de mille francs, lui, qui n'a jamais cent sous sur lui!... Jusqu'à son papier à lettre que Madame renferme dans une armoire, dont elle a, seule, la clef, et qu'elle ne lui donne que feuille par feuille, en grognant:
—Merci!... Tu en uses du papier... A qui donc peux-tu écrire pour en user autant?...
Ce qu'on lui reproche seulement, ce que l'on ne comprend pas, c'est son indigne faiblesse et qu'il se laisse mener de la sorte par une pareille mégère... Car, enfin, personne ne l'ignore, et Madame le crie assez par-dessus les toits... Monsieur et Madame ne sont plus rien l'un pour l'autre... Madame, qui est malade du ventre et ne peut avoir d'enfants, ne veut plus entendre parler de la chose. Il paraît que ça lui fait mal à crier... A ce propos, il circule, dans le pays, une bonne histoire...
Un jour, à la confession, Madame expliquait son cas au curé et lui demandait si elle pouvait tricher avec son mari...
—Qu'est-ce que vous entendez par tricher, mon enfant?... fit le curé.
—Je ne sais pas au juste, mon père, répondit Madame, embarrassée... De certaines caresses...
—De certaines caresses!... Mais, mon enfant, vous n'ignorez pas que... de certaines caresses.. c'est un péché mortel...
—C'est bien pour cela, mon père, que je sollicite l'autorisation de l'Eglise...
—Oui!... oui!... mais enfin... voyons... de certaines caresses... souvent?...
—Mon mari est un homme robuste... de forte santé... Deux fois par semaine, peut-être...
—Deux fois par semaine?... C'est beaucoup... c'est trop... c'est de la débauche... Si robuste que soit un homme, il n'a pas besoin, deux fois par semaine, de... de... de certaines caresses...
Il demeura, quelques secondes, perplexe, puis finalement:
—Eh bien, soit... Je vous autorise... à de certaines caresses... deux fois par semaine... à condition toutefois... primo... que vous n'y prendrez, vous, aucun plaisir coupable...
—Ah! je vous le jure, mon père!...
—Secundo... que vous donnerez tous les ans une somme de deux cents francs... pour l'autel de la Très-Sainte-Vierge...
—Deux cents francs?... sursauta Madame... Pour ça?... Ah non!...
Et elle envoya promener le curé en douceur...
—Alors, terminait la mercière, qui me faisait ce récit... Pourquoi Monsieur est-il si bon, est-il si lâche envers une femme qui lui refuse non seulement de l'argent, mais du plaisir? C'est moi qui la mettrais à la raison et rudement, encore...
Et voici ce qui arrive... Quand Monsieur, qui est un homme vigoureux, extrêmement porté sur la chose, et qui est aussi un brave homme, veut se payer—dame, écoutez donc?—une petite joie d'amour, ou une petite charité envers un pauvre, il en est réduit à des expédients ridicules, des carottages grossiers, des emprunts pas très dignes, dont la découverte par Madame amène des scènes terribles, des brouilles qui, souvent, durent des mois entiers... On voit alors Monsieur s'en aller par la campagne et marcher, marcher comme un fou, faisant des gestes furieux et menaçants, écrasant des mottes de terre, parlant tout seul, dans le vent, dans la pluie, dans la neige... puis, rentrer le soir chez lui, plus timide, plus courbé, plus tremblant, plus vaincu que jamais...
Le curieux et le mélancolique aussi de cette histoire, c'est que, au milieu des pires récriminations de la mercière, parmi ces infamies dévoilées, ces saletés honteuses qui se colportent de bouche en bouche, de boutique en boutique, de maison en maison, je sens que, dans la ville, on jalouse les Lanlaire, plus encore qu'on les mésestime. En dépit de leur inutilité criminelle, de leur malfaisance sociale, malgré tout ce qu'ils écrasent sous le poids de leur hideux million, c'est ce million qui leur donne, quand même, une auréole de respectabilité et presque de gloire. On les salue plus bas que les autres, on les accueille avec plus d'empressement que les autres... On appelle... avec quelle complaisance servile!... la sale bicoque où ils vivent dans la crasse de leur âme, le château... A des étrangers qui viendraient s'enquérir des curiosités du pays, je suis sûre que la mercière elle-même, si haineuse, répondrait:
—Nous avons une belle église... une belle fontaine... nous avons surtout quelque chose de très beau... les Lanlaire... les Lanlaire qui possèdent un million et habitent un château... Ce sont d'affreuses gens, et nous en sommes très fiers...
L'adoration du million!... C'est un sentiment bas, commun non seulement aux bourgeois, mais à la plupart d'entre nous, les petits, les humbles, les sans le sou de ce monde. Et moi-même, avec mes allures en dehors, mes menaces de tout casser, je n'y échappe point... Moi que la richesse opprime, moi qui lui dois mes douleurs, mes vices, mes haines, les plus amères d'entre mes humiliations, et mes rêves impossibles et le tourment à jamais de ma vie, eh bien, dès que je me trouve en présence d'un riche, je ne puis m'empêcher de le regarder comme un être exceptionnel et beau, comme une espèce de divinité merveilleuse, et, malgré moi, par delà ma volonté et ma raison, je sens monter, du plus profond de moi-même, vers ce riche très souvent imbécile et quelquefois meurtrier, comme un encens d'admiration... Est-ce bête?... Et pourquoi?... pourquoi?
En quittant cette sale mercière et cette étrange boutique où, d'ailleurs, il me fut impossible de rassortir ma soie, je songeais avec découragement à tout ce que cette femme m'avait raconté sur mes maîtres... Il bruinait... Le ciel était crasseux comme l'âme de cette marchande de potins... Je glissais sur le pavé gluant de la rue, et, furieuse contre la mercière et contre mes maîtres, et contre moi-même, furieuse contre ce ciel de province, contre cette boue, dans laquelle pataugeaient mon coeur et mes pieds, contre la tristesse incurable de la petite ville, je ne cessais de me répéter:
—Eh bien!... me voilà propre... Il ne me manquait plus que cela... Et je suis bien tombée!...
Ah oui! je suis bien tombée... Et voici du nouveau.
Madame s'habille toute seule et se coiffe elle-même. Elle s'enferme à double tour dans son cabinet de toilette, et c'est à peine si j'ai le droit d'y entrer... Dieu sait ce qu'elle fait là-dedans des heures et des heures!... Ce soir, n'y tenant plus, j'ai frappé à la porte, carrément. Et telle est la petite conversation qui s'est engagée entre Madame et moi.
—Toc, toc!
—Qui est là?
Ah! cette voix aigre, glapissante, qu'on aimerait à faire rentrer, dans la bouche, d'un coup de poing...
—C'est moi, Madame...
—Qu'est-ce que vous voulez?
—Je viens faire le cabinet de toilette...
—Il est fait... allez-vous-en... Et ne venez que quand je vous sonne...
C'est-à-dire que je ne suis même pas une femme de chambre, ici... Je ne sais pas ce que je suis ici... et quelles sont mes attributions... Et, pourtant, habiller, déshabiller, coiffer, il n'y a que cela qui me plaise dans le métier... J'aime à jouer avec les chemises de nuit, les chiffons et les rubans, tripoter les lingeries, les chapeaux, les dentelles, les fourrures, frotter mes maîtresses après le bain, les poudrer, poncer leurs pieds, parfumer leurs poitrines, oxygéner leurs chevelures, les connaître, enfin, du bout de leurs mules à la pointe de leur chignon, les voir toutes nues... De cette façon, elles deviennent pour vous autre chose qu'une maîtresse, presque une amie ou une complice, souvent une esclave... On est forcément la confidente d'un tas de choses, de leurs peines, de leurs vices, de leurs déceptions d'amour, des secrets les plus intimes du ménage, de leurs maladies... Sans compter que lorsqu'on est adroite, on les tient par une foule de détails qu'elles ne soupçonnent même pas... On en tire beaucoup plus... C'est, à la fois, profitable et amusant... Voilà comment je comprends le métier de femme de chambre...
On ne s'imagine pas combien il y en a—comment dire cela?—combien il y en a qui sont indécentes et loufoques dans l'intimité, même parmi celles qui, dans le monde, passent pour les plus retenues, les plus sévères, pour des vertus inaccessibles... Ah, dans les cabinets de toilette, comme les masques tombent!... Comme s'effritent et se lézardent les façades les plus orgueilleuses!...
J'en ai eu une qui avait un drôle de truc... Tous les matins, avant de passer sa chemise, tous les soirs, après l'avoir retirée, elle restait nue, à s'examiner des quarts d'heure, minutieusement, devant la psyché... Puis, elle tendait sa poitrine en avant, se renversait la nuque en arrière, levait d'un mouvement brusque ses bras en l'air, de façon que ses seins qui pendaient, pauvres loques de chair, remontassent un peu... Et elle me disait:
—Célestine... regardez donc!... N'est-ce pas qu'ils sont encore fermes?
C'était à pouffer... D'autant que le corps de Madame... oh! quelle ruine lamentable!... Quand, de la chemise tombée, il sortait débarrassé de ses blindages et de ses soutiens, on eût dit qu'il allait se répandre sur le tapis en liquide visqueux... Le ventre, la croupe, les seins, des outres dégonflées, des poches qui se vidaient et dont il ne restait plus que des plis gras et flottants... Ses fesses avaient l'inconsistance molle, la surface trouée des vieilles éponges... Et pourtant, dans cet écroulement des formes, une grâce survivait... douloureuse... ou plutôt le souvenir d'une grâce... la grâce d'une femme qui avait pu être belle autrefois et dont toute la vie avait été une vie d'amour... Par un aveuglement providentiel qui atteint la plupart des créatures vieillissantes, elle ne se voyait pas dans son irréparable flétrissure... Elle multipliait les soins savants, les coquetteries raffinées, pour appeler l'amour, encore... Et l'amour accourait à ce dernier appel... Mais d'où?... Ah! que c'était mélancolique!...
Quelquefois, juste avant le dîner, essoufflée, un peu honteuse, Madame rentrait...
—Vite... vite... Je suis en retard... Déshabillez-moi...
D'où revenait-elle, avec ce visage fatigué, ces yeux cernés, épuisée jusqu'à tomber, comme une masse, sur le divan du cabinet de toilette?... Et le désordre de ses dessous!... La chemise saccagée et salie, les jupons rattachés à la hâte, le corset de travers et délacé, les jarretelles libres, les bas tirebouchonnés... Et les cheveux désondulés, à la pointe desquels frissonnaient encore la raclure légère d'un drap, le duvet d'un oreiller!... Et la croûte de fard tombée, sous les baisers, de sa bouche, de ses joues, mettait à vif les meurtrissures et les plis de son visage, si cruellement, comme des plaies...
Pour essayer de détourner mes soupçons, elle gémissait:
—Je ne sais ce que j'ai eu... Cela m'a pris, tout d'un coup, chez la couturière... une syncope... On a été obligé de me déshabiller... Je suis encore toute malade...
Et, souvent, prise de pitié, je faisais semblant d'être la dupe de ces stupides explications...
Une matinée, tandis que j'étais auprès de Madame, on sonna. Le valet de chambre étant sorti, j'allai ouvrir... Un jeune homme entra... Aspect louche, sombre et vicieux... mi-ouvrier, mi-rôdeur... Un de ces êtres ambigus, comme on en rencontre, parfois, au bal Dourlans, et qui vivent du meurtre ou de l'amour... Il avait une figure très pâle, de petites moustaches noires, une cravate rouge. Ses épaules s'engonçaient dans un veston trop large et il se dandinait, selon les rites les plus classiques. Il commença par inspecter, avec des regards surpris et troubles, la richesse de l'antichambre, le tapis, les glaces, les tableaux, les tentures... Puis il me tendit une lettre pour Madame, en me disant d'une voix traînante, grasseyante, mais impérieuse:
—Y a une réponse...
Venait-il pour son compte?... N'était-ce qu'un commissionnaire?... J'écartai cette seconde hypothèse. Les gens qui viennent pour les autres ne mettent pas tant d'autorité dans leur façon d'être et de parler...