Читать книгу Le Vicaire de Wakefield - Oliver Goldsmith, Оливер Голдсмит - Страница 3
CHAPITRE PREMIER
ОглавлениеDescription de la famille de Wakefield, chez laquelle règne un air de parenté, aussi bien dans les esprits que dans les figures
J’AI toujours été d’avis que l’honnête homme qui se marie et élève une grande famille rend plus de services que celui qui reste célibataire et se contente de parler de la population. Cédant à ce motif, il y avait à peine un an que j’avais pris les Ordres, lorsque je me mis à songer sérieusement au mariage, et je choisis ma femme, comme elle-même sa robe de noce, non pour la finesse et le lustre de la surface, mais pour ces qualités qui supportent bien l’usage. Il faut lui rendre justice: c’était une bonne, une remarquable femme; et quant à l’éducation, il y avait peu de dames de province qui pussent en montrer davantage. Elle était capable de lire n’importe quel livre anglais sans trop épeler; mais pour les conserves, les confitures et la cuisine, personne ne la surpassait. Elle se piquait aussi de trouver des idées excellentes pour le ménage, bien que je n’aie jamais réussi à m’apercevoir que toutes ses idées nous rendissent plus riches.
Cependant nous nous aimions tendrement, et notre affection grandissait à mesure que nous vieillissions. De fait, il n’y avait rien qui pût nous irriter contre le monde, ou l’un contre l’autre. Nous avions une maison élégante, située dans un beau pays et un bon voisinage. L’année se passait en amusements moraux ou champêtres, en visites à nos voisins riches, en soulagements donnés à ceux qui étaient pauvres. Nous n’avions point de révolutions à craindre, point de fatigues à supporter; toutes nos aventures étaient au coin du feu, et toutes nos migrations du lit bleu au lit brun.
Comme nous demeurions près de la route, nous avions souvent la visite du voyageur ou de l’étranger, qui goûtaient notre vin de groseille, pour lequel nous jouissions d’une grande réputation; et je déclare avec la véracité de l’historien que je n’ai jamais su qu’aucun d’eux y ait trouvé à redire. Nos cousins également, jusqu’au quarantième degré, se rappelaient tous leur consanguinité sans nullement recourir au bureau des généalogies, et venaient très fréquemment nous voir. Quelques-uns ne nous faisaient pas grand honneur par ces revendications de parenté, car nous avions dans le nombre l’aveugle, le manchot et le boiteux. Cependant ma femme insistait toujours sur ce qu’étant la même chair et le même sang, ils devaient s’asseoir avec nous à la même table. De sorte que, si nous n’avions pas autour de nous des amis très riches, nous en avions généralement de très heureux; car cette remarque se trouvera juste dans tout le cours de la vie, que plus le convive est pauvre, plus il est content d’être bien traité; et de même que certaines gens s’extasient sur les couleurs d’une tulipe ou sur l’aile d’un papillon, moi j’étais, par nature, admirateur des visages heureux.
Cependant lorsqu’un de nos parents se trouvait être une personne d’un trop méchant caractère, ou un convive gênant, ou quelqu’un dont nous désirions nous débarrasser, j’avais toujours soin de lui prêter, à son départ de ma maison, un habit de cheval, ou une paire de bottes, ou quelquefois un cheval de peu de valeur, et j’eus invariablement la satisfaction de voir qu’il ne revenait jamais les rendre. Par ce moyen, la maison était purgée de ceux que nous n’aimions pas; mais jamais la famille de Wakefield n’a eu la réputation de mettre à la porte le voyageur ou le parent pauvre.
Nous vécûmes ainsi plusieurs années dans un état de grand bonheur; non que nous n’eussions parfois de ces petits froissements que la Providence envoie pour rehausser le prix de ses faveurs. Mon verger était souvent ravagé par des écoliers, et les crèmes de ma femme mises au pillage par les chats et les enfants. Le seigneur du village s’endormait quelquefois aux endroits les plus pathétiques de mon sermon, ou sa noble dame ne répondait aux civilités de ma femme à l’église que par une révérence écourtée. Mais nous surmontions bientôt la contrariété causée par de tels accidents, et, d’ordinaire, au bout de trois ou quatre jours, nous nous demandions comment ils avaient pu nous émouvoir.
Mes enfants, nés de parents vertueux et élevés sans mollesse, étaient à la fois bien faits et sains; mes fils robustes et actifs, mes filles belles et d’une fraîcheur épanouie. Quand je me tenais au milieu de ce petit cercle, qui promettait des appuis au déclin de mon âge, je ne pouvais m’empêcher de répéter la fameuse histoire du comte Abensberg qui, lors du voyage de Henri II à travers l’Allemagne, et tandis que les autres courtisans accouraient avec leurs trésors, amena ses trente-deux enfants et les présenta à son souverain comme la plus précieuse offrande qu’il pût faire. De la même façon, bien que je n’en eusse que six, je les considérais comme un présent très précieux fait à mon pays, et conséquemment je regardais celui-ci comme mon débiteur, Notre fils aîné fut nommé George, du nom de son oncle, qui nous avait laissé dix mille livres sterling. Notre second enfant était une fille; j’avais l’intention de lui donner le nom de sa tante Grisèle; mais ma femme qui, durant sa grossesse, avait lu des romans, insista pour qu’on l’appelât Olivia. Moins d’une année après, nous eûmes une autre fille, et j’avais résolu cette fois que Grisèle serait son nom; mais une riche parente ayant eu la fantaisie d’être marraine, la fille fut, par ses instructions, appelée Sophia, de sorte que nous eûmes deux noms romanesques dans la famille; mais je proteste solennellement que je n’y fus pour rien. Moïse vint ensuite, et, après un intervalle de douze ans, nous eûmes encore deux fils.
Il ne servirait de rien de nier mon ravissement quand je voyais toute ma petite famille autour de moi; mais la vanité et la satisfaction de ma femme étaient encore plus grandes que les miennes. Lorsque nos visiteurs disaient: «Eh! sur ma parole, Mrs Primrose, vous avez les plus beaux enfants de tout le pays. – Ah! voisin, répondait-elle, ils sont comme le ciel les a faits, assez beaux s’ils sont assez bons; car beau est qui bien fait.» Et alors elle ordonnait de tenir la tête droite à ses filles qui, à ne rien cacher, étaient certainement fort belles. L’extérieur seul est une chose tellement frivole pour moi, que je n’aurais guère songé à en faire mention, si ce n’avait été un sujet général de conversation dans le pays. Olivia, alors âgée de dix-huit ans environ, avait cette luxuriance de beauté avec laquelle les peintres ont coutume de représenter Hébé: ouverte, animée, dominatrice. Les traits de Sophia n’étaient pas si frappants au premier abord, mais souvent ils produisaient un effet plus sûr; car ils étaient doux, modestes et séduisants. L’une triomphait d’un seul coup, l’autre par des efforts heureusement répétés.
Le caractère d’une femme est généralement conforme à l’expression de ses traits, du moins il en était ainsi de mes filles. Olivia souhaitait de nombreux amoureux, Sophia aurait voulu s’en attacher un seul. Olivia était souvent affectée, par suite de son trop grand désir de plaire. Sophia allait jusqu’à dissimuler la supériorité de sa nature, tant elle craignait d’offenser. L’une me récréait par sa vivacité quand j’étais gai, l’autre par son bon sens quand j’étais sérieux. Mais ces qualités n’étaient jamais poussées à l’excès ni chez l’une ni chez l’autre, et je les ai souvent vues changer de caractère pendant toute une journée. Un vêtement de deuil transformait ma coquette en prude, et une nouvelle parure de rubans donnait à sa jeune sœur plus de vivacité qu’elle n’en avait naturellement.
Mon fils aîné, George, était élevé à Oxford, car j’avais en vue pour lui une des professions savantes. Mon second garçon, Moïse, que je destinais aux affaires, recevait une sorte d’éducation mixte à la maison. Mais il est inutile d’essayer de décrire les caractères particuliers de jeunes gens qui n’avaient vu que très peu du monde. En somme, un air de famille régnait entre eux tous, et, à proprement parler, ils n’avaient qu’un caractère, celui d’être tous également généreux, crédules, simples et inoffensifs.