Читать книгу Le Mariage inattendu de Chérubin - Olympe de Gouges - Страница 3
PRÉFACE.
ОглавлениеJE suis femme&Auteur; j’en ai toute l’activité. Mon premier mouvement est semblable à une tempête; mais dès que l’explosion est faite, je reste dans un calme profond: tel est l’effet qu’éprouvent toutes les personnes vives&sensibles.
Mon Mariage de Chérubin est un enfant de la Folle Journée, qui naquit de l’enthousiasme général, c’est un de mes premiers Ouvrages, duquel je me promettois beaucoup de gloire,&encore plus de profit; mais, hélas! c’est bien le cas de dire:
Pauvres petits infortunés,
Vous êtes morts avant que d’être nés!
Lu à la Comédie Italienne, il y fut accueilli; mais des considérations de Théâtre à Théâtre en ont empêché la représentation, je le présente aujourd’hui au Public, rempli de fautes, tel que doit l’être une production faite en vingt-quatre heures à laquelle je n’ai rien changé. Cependant des hommes de Lettres, ainsi que MM. les Comédiens. y ont trouvé quelque mérite digne de fixer l’atention des gens de goût; plusieurs personnes. m’avoient engagé à la donner aux Variétés, au à la faire imprimer; j’adoptai le dernier parti,&, depuis un an qu’elle est approuvée, je l’avois oublié parmi mes Manuscrits; mais aujourd’hui que je vois annoncer dans le Journal un Mariage de Cherubin, ma vivacité Languedocienne se réveille, &il ne me reste plus que les regrets de m’être laissé prévenir,&la crainte d’un vol clandestin peut-être aussi suis je comme un poltron qui craint d’être assassiné, au seul aspect d’une épée nue-Les hommes, sur ce point, sont très chatouilleux; &les femmes y entendent encore moins raison. Comme je n’ai rien de plus cher que mes productions, je me hâte de réclamer celle-ci, dans le cas qu’on me l’ait volée. La passion qui me domine pour créer de nouveaux sujets, me fait oublier ceux qui les ont précédés; l’activité de dix Secrétaires ne suffiroit pas à la fécondité de mon imagination. J’ai trente Pièces au moins; je conviens qu’il y en a beaucoup plus de mauvaises que de bonnes; mais je dois convenir aussi que j’en ai dix qui ne sont pas dépourvues du sens commun. Cependant malgré la richesse de mon porte-feuille &la nouveauté de mes plans, dans ce tems de misère, mes peines&mes travaux me donneront plus de tourment que de gloire. La Comédie Françoise m’a impitoyablement&injustement ôté les moyens d’obtenir quelque succès. Comme j’ai créé tous mes sujets, excepté celui de Chérubin, j’avois des droits aux suffrages qu’on ne refuse pa à la nouveauté: Zamon&Mirza pourra convaincre le Public de cette vérité; elle a été reçue à la Comédie Française avec acclamation; M. Molé, quoiqu’il fut rebattu de ce Drame, ne put le lire sans verser des larmes,&tout le Comité parut éprouver la même sensation; on a rayé cependant cet Ouvrage du tableau de reception, par le comble de l’injustice; c’est en vain que je me suis plaint, personne n’a pris part à mon injure. J’ai cru qu’en intéressant MM. les Auteurs Dramatiques à ma cause, qui devoit être la leur, je pour rois avoir raison de ce procédé: quel étoit mon espoir! Ne devois je pas craindre plutôt que le véritable caractère Français ne fut presqu’évanoui? Il n’est cependant pas tout-à-fait détruit, puisque. de quarante Lettres que j’ai écrites, j’ai eu quatre réponses. Ces MM., qui m’ont prouvé avoir le caractère du véritable Homme de Lettres, se sont trop distingué pour que je ne les nomme pas: MM. la Harpe, le Marquis de Bièvre, Grouvel &Cailhava: le reste a gardé un profond silence. Je me propose d’instruire le Public des procédés que la Comédie s’est permise envers moi, quoique j’eusse mieux, aimé qu’il les ignorât, préférant un médiocre accommodement à un célèbre procès Je dirai à cette occasion que j’avois fait part il y a quinze mois à M.C. de B…. d’une petite Pièce antérieure au Mariage de Chérubin; sa délicatesse fut blessée,&ne trouva pas le but morale assez bien observé: l’écolier n’imite jamais parfaitement son Maître,&je crus que je ne pouvois mieux réparer mes torts qu’en mettant dans mon Mariage le but moral qui manquoit non seulement dans la première pièce que j’avois produite dans ce genre, mais encore dans toutes les productions qui tiennent au Mariage de Figaro; il paroît que je n’ai pas mieux réussi, malgré toute ma morale, aux yeux de M.C. de B.... qui cependant me fit la grace de m’écrire plusieurs Lettes assez obligeantes; j’ai cru que, dans mon malheur&dans le fatal événement qui m’est arrivé à la Comédie Françoise, M.C. de B. pourroit au moins me donner quelques bons conseils, s’il ne défendoit pas ma cause;&comment ne me ferois-je pas flattée qu’il l’eût défendue avec ardeur&zèle? N’est-ce pas un homme d’esprit? un homme qui connoît toute l’importance d’une affaire délicate, &qui fait les loix comme tous les Procureurs ensemble;&lorsqu’une femme ne lui demandoit que ses avis pour répondre à une querelle d’Allemand que la Comédie Francaise lui avoit faite. elle trouve cet homme, que l’on assure sublime &aimable, sourd, muet,&insensible aux cris de la douleur&du désespoir. Actuellement que je suis un peu consolée de mes chagrins dramatiques, il me reste toujours sur le cœur la galanterie de M.C. de B;&, comme je suis très–franche, j’aime à dire ma façon de penser,&une petite vengeance soulage toujours la femme la plus douce. Celle-ci ne peut blesser la réputation d’un homme invulnérable; ainsi je déclarerai hautement au Public qu’ayant écrit à M.C. de B. de même qu’à tous les Auteurs Dramatiques, j’ajoutai l’apostille suivante
" J’ai eu l’honneur de vous écrire, Monsieur, comme à tous les hommes de Lettres; mais je viens chez vous comme les opprimés couroient chez Voltaire; je suis à votre porte,&je me flatte que vous me ferez l’honnêteté de me recevoir”.
Le Suisse me parut poli d’abord; mais en revenant m’apporter la réponse de son Maître, il me dit avec le ton d’un homme de son état, qu’il étoit fort occupé,&qu’il ne pouvoit m’entendre.– N’étant point faite pour commettre une indiscrétion, je le priai d’aller savoir son jour; il me répondit des mots assez vagues qui sont inutiles à répéter, venant du Suisse de M.C. de B…. Enfin il obéit à ma supplication en fronçant le sourcil,& revint me dire galamment de la part de son Maître, qu’il ne pouvoit pas m’assurer du jour. Je répondis: ni de l’heure, ni du mois, sans doute, allons, fouette Cocher: en me promettant bien de ne jamais réclamer ni l’appui ni les conseils de ceux qui ont oublié le malheur&les adversités: je laisse au Public à décider si M.C. de B. a bien fait de me punir de mon enthousiasme en le comparant à cet homme célèbre, au défenseur de l’opprimé, à l’appui de la veuve&de l’orphelin. Au reste, j’ai dégagé mon cœur du poids qui l’étouffoit depuis quatre mois; je lui dis tout cela sans faire de l’esprit ni des phrases. Peut-être il me répondra; j’apprendrai de lui mieux que de tout autre l’art de faire une Préface: car, j’avoue mon ignorance, un instinct naturel fait toute ma science, Il n’y a ni savoir ni sexe qui tienne; les Gens de plume s’expliquent avec leurs armes; mais si tous s’en servoient avec cette franchise, il y auroit moins de méchants dans la Société: on applaudit à l’adresse d’un lâche calomniateur. Tout est charmant s’il médit avec esprit. Voilà les hommes&leurs affreux principes. Si je me mettois à moraliser, je pourrois ennuyer mon Lecteur; il a trois actes éternels à lire, je le prie de toute mon ame d’avoir du courage.