Читать книгу Étude sur les émaux anciens - Oscar-Edmond Ris-Paquot - Страница 3
CHAPITRE Ier
ОглавлениеDe l’origine de l’émail.— L’émail est resté inconnu aux peuples de l’antiquité.
De tous les arts qui se rattachent au dessin, celui de l’émaillerie est asssurément un des plus anciens et des plus importants.
Les mille reflets scintillants de ses séduisantes couleurs, le charme indéfinissable de la transludicité qui attire et captive, la richesse de la matière employée le plus souvent comme base du travail, le talent de l’ouvrier enfin, ont fait des émaux, dès leur origine, d’intéressants monuments artistiques qui ne tardèrent pas à devenir des objets précieux.
L’émaillerie, dans le sens le plus général du mot, semble avoir eu l’Inde pour berceau. De l’Inde, elle se répandit dans l’Asie mineure et de là en Egypte. Longtemps cette contrée passa pour avoir transmis, au contraire, aux peuples asiatiques les secrets de sa fabrication; mais aucun spécimen incontestable n’est encore venu confirmer cette opinion, et enlever à l’Asie son droit de priorité.
Chez les Chinois son ancienneté se perd dans la nuit des temps.
Du reste, la date des premiers émaux est très-controversée, et il est probable que l’émaillerie, science et art à la fois, eut à subir, comme toute invention humaine à son principe, une longue période de tâtonnements.
On ne saurait, à proprement parler, classer dans la catégorie des émaux, c’est-à-dire considérer comme des décorations obtenues directement sur le métal, au moyen de poudres cristallines, minérales et vitrifiables, à une température déterminée, ces innombrables poteries et pierres émaillées que les Égyptiens recouvraient d’un enduit tantôt bleu, tantôt vert, tantôt jaune, blanc ou violet; non plus que ces briques monochromes des Babyloniens, que nous rencontrons constamment dans les musées et collections particulières. Il en est de même de ces dieux, de ces statuettes, de ces momies, de ces animaux symboliques ou sacrés, de ces cachets et quantité d’autres objets recouverts aussi d’une couche unicolore, bleue, jaune ou verte, etc., qu’on y rencontre également. Ces différents enduits n’ont absolument rien de commun avec l’émail, tant par la base principale de leur composition que par la nature des matières sur lesquelles on les applique, ainsi que par leur mode de cuisson. Cependant, par leur caractère particulier, on est fondé à les regarder comme les tentatives premières qui, par la suite, conduiront l’esprit des chercheurs à la découverte de l’émail, cet art encore à naître.
C’est précisément cette apparente similitude avec l’émail, cette vitrification superficielle qui leur donne avec lui une si frappante analogie qui en a fait attribuer l’invention aux Égyptiens. Ce qui est vrai, c’est que de très-bonne heure ces derniers possédaient une sorte d’émail à froid, consistant dans l’enchâssement sur leurs métaux (à l’aide de cloisons préparées à l’avance) de pierres ou mastics colorés, devenus tellement durs avec le temps, que plus d’un archéologue s’y est trompé.
Un spécimen de l’orfèvrerie égyptienne cité par M. de Laborde dans sa notice sur les émaux du Louvre; un fragment de chapiteau dans la décoration duquel entrent des mastics bleus et rouges posés sur des palmettes de métal creusées et burinées, comme on le fit plus tard dans le procédé du champlevé; un bol étrusque, (musée du Louvre, représenté pl. 1re); de nombreux bijoux que possède notre musée national, tels que: bracelets en or, enseignes militaires, égides, animaux sacrés, etc., travaillés dans le même sentiment, en d’autres termes, enrichis de pâtes de couleurs, introduites dans des cloisons, autorisentà conclure que, si les Égyptiens ne furent pas les premiers à employer l’émail tel que nous le connaissons aujourd’hui, par le genre de travail qu’ils exécutèrent ainsi, ils mirent les autres peuples sur la trace de sa découverte.
PL.1
Les Grecs et les Étrusques, qui, par l’entremise des Phéniciens, tenaient des Égyptiens la plupart de leurs procédés, ne connurent pas plus que ces derniers l’art de l’émaillerie. Ils se bornèrent primitivement à l’application pure et simple des émaux monochromes sur la terre et sur la pierre. Plus tard, familiarisés avec l’art du verrier, dont ils avaient reçu les secrets de ces mêmes peuples profondément initiés à la connaissance des arts chimiques, ils remplacèrent les incrustations de mastics colorés par des plaques en verres de couleurs, enchâssées dans les cloisons de leurs bijoux, et présentant, par leur transparence, les mêmes caractères que les émaux translucides, mais différant essentiellement de l’émail en ce qu’ils n’étaient pas, comme lui, mis en fusion directement sur le métal.
Cette application du verre de couleur dans les bijoux devint pour les Grecs une source féconde. Ils rappliquèrent à l’infini dans d’élégantes et ingénieuses compositions, tiraient un merveilleux parti de la combinaison de filigranes multicolores, surpassant en finesse et en éclat tout ce que l’imagination peut rêver de plus capricieux et de plus surprenant.
L’emploi des pâtes et des verres coloriés qui tenaient une large place dans l’ornementation de la bijouterie et de l’orfèvrerie des Grecs et des Étrusques, était assurément un progrès sur ce qui avait été fait avant eux; mais ce n’était pas là l’émail proprement dit; et, s’ils en eussent connu les procédés, bien plus expéditifs que ceux dont ils se servaient, ils en auraient fait usage. Tout porte donc à croire que l’émail fut ignoré des Grecs, ainsi que des autres peuples de l’antiquité, bien qu’ils possédassent, les uns et les autres, les premières notions qui devaient conduire, un jour, à sa fabrication.
Les Romains pas plus que les Grecs, les Egyptiens, les Babyloniens et les Etrusques n’ont connu l’émail. L’art et l’industrie, d’ailleurs, n’étaient pas le fait de cette nation belliqueuse, exclusivement préoccupée de sa prépondérance militaire et politique. Plutôt que de chercher à créer un art et une industrie qui lui fussent propres, elle s’assimilait, en les imitant servilement, l’industrie et l’art des peuplades qu’elle avait vaincues, et s’en tenait là ou à peu près. C’était pour elle comme un des droits de la conquête.
Nul indice de l’existence de l’émail ne peut être signalé à Rome, pendant une longue suite de siècles. Seul, le verre de couleur entre dans l’ornementation des bijoux romains, et rehausse aussi l’éclat de l’orfévrerie.
M. de Laborde, déjà cité, dont les travaux en cette matière ont acquis tant d’autorité , nous donne, dans sa remarquable notice sur les émaux et bijoux du Louvre, la preuve de l’absence de l’émail chez les Romains.
«Un rhéteur, dit-il, qui appliquait volontiers sa faconde à la description des productions de l’art, Philostrate, quitta Athènes après avoir professé dans cette ville,, et vint, vers le commencement du troisième siècle de notre ère, chercher fortune à Rome, où la faveur de Julie, femme de Septime Sévère, l’attira dans le palais impérial, au milieu des splendeurs de la royauté et de son luxe. C’est avec ce goût des choses de l’art, avec cette expérience de la vie, avec cette connaissance de tous les raffinements du luxe grec et romain, que Philostrate écrit cette phrase: «On rapporte
«que les barbares voisins de l’
« Océan étendent ces couleurs sur de
«l’airain ardent; elles y adhèrent,
«deviennent aussi dures que la
«pierre, et le dessin qu’elles
« figurent se conserve.» Cette phrase, ajoute l’éminent écrivain, après les considérations qui précèdent, après ce que je viens de dire de l’existence même de Philostrate, semble une preuve sans réplique; on aura beau la presser, la torturer, on n’en fera pas sortir autre chose que cet aveu assez pénible pour un Grec, et même pour un Romain, que les barbares voisins de l’Océan, probablement les Gaulois, avaient le secret de l’émail, inconnu aux nations dites civilisées.»