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Au seuil d’une étude qui va s’efforcer de déterminer les caractères principaux de l’art et de l’apport de Johann-Barthold Jongkind, il faut souligner la bizarrerie du sort qui, à deux reprises, enleva à l’école hollandaise du XIXe siècle son meilleur maître pour l’enrôler sous la bannière et sous l’égide de la peinture française. La chose est d’autant plus surprenante que le XIXe siècle hollandais est, dans son ensemble, d’une honnête médiocrité et, par exemple, incomparablement moins riche que l’école belge. Or, aucun élément de valeur, hormis Evenepoel, ne déserta les rangs de celle-ci. Jongkind et Van Gogh, au contraire, sont les seuls génies que vit naître, depuis cent ans, la vieille patrie de Rembrandt et de Vermeer, — avec ce George-Hendrik Breitner auquel l’avenir finira bien par accorder la place qui lui est due à leurs côtés dans l’admiration des hommes.

Jongkind et Van Gogh: une curieuse, une obsédante analogie rapproche leurs deux vies et aussi leurs deux âmes dépourvues d’audace, de force et de volonté. L’un et l’autre, indifférents à la gloire et à ces satisfactions de vanité qui nourrissent les espoirs et les efforts de tant de peintres, poursuivent une carrière en ligne brisée, interrompue à tout instant, coupée de brusques détours, — lancée au hasard des rencontres, des découvertes, des frénésies. Tous deux sortent de la petite bourgeoisie provinciale, celle qui rôde autour des fonctions publiques et des places de pasteurs. Tous deux passent leur enfance dans l’étroite dépendance de toutes les conventions sociales et religieuses, avec des parents écrasés à la fois par l’armature de leur caste et par les difficultés d’élever proprement une escouade d’enfants. Tous deux connaissent les privations discrètes, la pauvreté qui se cache et qui est plus lourde que la vraie misère, et tous deux trouvent dans la grandeur tragique des ciels mouvants de la Meuse inférieure, dans le jeu des lumières grises sur les vastes horizons, dans la contemplation des voiles sur les flots plombés des canaux et des fleuves une compensation inattendue à la médiocrité quotidienne de leur vie. Plus tard, tous deux dépenseront les meilleures forces de leur jeunesse dans un galop furieux et passionné, sourds à tous les appels de la raison et à toutes les prières de la tendresse, — et tous deux, cependant, avoueront à haute voix leur horreur de la solitude et la nécessité de s’appuyer sur une amitié. Et sans honte ils accepteront d’autrui leur abri et leur pain.

Il faut attendre longtemps avant de voir disparaître l’analogie. Car Jongkind ne souffre pas de porter en lui un cœur trop lourd et des aspirations trop imprécises. A l’heure où la tragédie apparaît devant lui, il recule, — et au lieu de mourir à trente-sept ans, en plein orage, il préférera se soumettre à la double tutelle de ses amis et d’une femme et prolonger jusqu’à un âge avancé une existence monotone et lente. J’ai dit que Van Gogh et Jongkind avaient eu besoin d’appui. Il est possible que si Théo Van Gogh avait pu quitter son foyer et son métier pour suivre pas à pas la carrière de son frère, l’enfermer dans les cadres d’une affection jalouse et impérieuse, le tenir à l’abri des chimères et des tentations, Vincent ne serait pas mort à Auvers et aurait connu, lui aussi, l’indifférence des crépuscules alanguis. Si généreuse et si affectueuse qu’elle fût, l’amitié de son frère garde, en effet, une valeur théorique qui, souvent, n’a aucune influence sur les actions quotidiennes de Vincent. Jongkind, laissé à lui-même, aurait sans doute succombé à son mauvais sort quand, hôte assidu et misérable des bouges de Rotterdam, il toucha un instant aux limites mêmes du désespoir et de la folie. Aussi peut-on dire que leur vie reste semblable jusqu’au jour où la chance divorça leurs destinées.

Il faut souligner, d’ailleurs, que leurs réactions devant un sort analogue furent différentes ou, pour mieux dire, que leurs caractères offraient dès l’abord des dissemblances importantes. Jongkind n’a jamais connu l’étreinte du mysticisme qui paralysa si longtemps Van Gogh. Il est dépourvu, à un degré presque inconcevable, de toute préoccupation littéraire ou philosophique. Tandis que Vincent dévore avec passion, et non sans y perdre parfois le sens de l’orientation, une bibliothèque disparate où le meilleur voisine avec le pire, — sociologues, moralistes, poètes, romanciers, — Johann-Barthold n’affiche aucune curiosité de cet ordre; ses lettres, son journal ne révèlent pas le titre d’un seul livre qui l’aurait retenu.

Mais Jongkind, par contre, est peintre dès l’adolescence: sa vocation est irrésistible et très clairement exprimée. Van Gogh, lui, ne parviendra à la peinture qu’après de sérieux détours et par le chemin du passe-temps. En outre, son esprit religieux l’y poussant, il considérera son art comme une manière de sacerdoce; Jongkind y verra surtout un métier. Et. il lui arrivera de se disputer avec son marchand de tableaux.

La même divergence apparaît, au surplus, dans les autres domaines et jusque dans leur vie intime: quand Van Gogh, à Amsterdam, se met en ménage avec l’affreuse mégère qui lui apporte une nichée complète d’enfants, c’est avec l’espoir et le souci d’opérer une rédemption, et il lui faudra de longs mois pour s’arracher à ses illusions et à son apostolat. Jongkind, quand il rencontre Mme Fesser, comprend d’un coup d’œil les avantages qu’il peut retirer de cette liaison ou s’il ne les jauge pas, il les devine, il les sent. Et pendant trente ans il y restera fidèle.

Est-il moins romantique que Van Gogh? On peut choisir ce mot, pourtant très imprécis, pour résumer son caractère et la courbe de sa vie. Je préfère dire, cependant, qu’il supporta la misère avec moins de majestueuse indifférence, avec moins de vraie grandeur. L’homme, — j’oserais presque dire, au risque d’être moi-même accusé de vaine rhétorique, la bête humaine, — est moins noble, moins parfait. Jongkind est plus peintre dans le sens banal, — et presque péjoratif, — du mot. L’inquiétude, la fièvre, la foi lui manquent, qui portent Van Gogh non toujours dans notre admiration, mais dans notre compassion, au-dessus des autres hommes.

Jongkind, lui, est une machine à percevoir les jeux magiques de la lumière et de l’ombre, du soleil et du brouillard, des lignes et des couleurs, et à interpréter aussitôt, crayon et pinceau à la main, cette perception oculaire. Tout lui est indifférent hormis les spectacles qui, à chaque détour du chemin, s’imposent à l’attention de son œil. Il y a là un phénomène essentiel et mystérieux, une sorte de force instinctive dont il ne s’affranchit jamais. Elle le poursuit comme une hantise et souvent il en souffre. Mais dès qu’il aborde la ville, la campagne, la mer, dès qu’il quitte son atelier, il est en proie à cette frénésie du dessin, à cette fureur de la notation. Je ne sais si on peut dire que c’est en elle que réside la grandeur de Jongkind; mais on y trouve, en tout cas, le secret de son génie.

Machine à percevoir: elle déchire en deux lambeaux sa vie d’artiste et ne lui laisse aucun repos: d’une part, il y a l’aquarelliste, l’homme qui pose en quelques traits et quelques touches sur un papier quelconque l’essentiel du paysage qui l’entoure, et, d’autre part, il y a le peintre très habile qui, dans son atelier, exécute avec une conscience et un brio auxquels il serait inique de ne pas rendre hommage les tableaux appliqués que réclament ses amateurs. Il songe bien, parfois, qu’il serait agréable de peindre des tableaux aussi spontanés, aussi gratuits, aussi imprévus que ses aquarelles et conformes à ses préférences instinctives, aux traditions hollandaises dont, malgré tout, il se sent pénétré. Mais il s’incline devant les nécessités de la vie quotidienne: «Il n’y a pas dans ce moment-ci, écrit-il le 14 décembre 1852, un peintre des clairs de lune à Paris. Je tâcherai de me faire adopté (sic) sans abandonner mes combats navalles (sic) et mes tableaux que je veux faire un jour quand je serai plus heureux et quand j’aurai un peu de succès avec mes ouvrages... M. Isabey est supérieurement bon pour moi et me donne de ses conseilles (sic) surtout pour que je fasse des clairs de lune. Je ne crois pas qu’il faut faire seulement des clairs de lune; enfin, c’est orriginalité (sic) pour moi, mais je n’oublierai pas le soleil.»

On n’imagine guère Van Gogh se soumettant pendant des années à fabriquer en série des tableaux qui ne l’auraient pas intéressé, afin de conquérir, puis de satisfaire des acheteurs. La volonté de ceux-ci est une règle que Jongkind ne songera jamais à violer, dont il ne s’affranchira pas. Il ne veut pas opter entre son plaisir, sa liberté de créateur et sa complaisance envers les amateurs. Il n’y a chez lui ni le dédain tumultueux d’un Courbet, ni le douloureux entêtement d’un Manet, ni l’insouciance magnifique d’un Gauguin. Il se contente de sauvegarder sa personnalité en construisant une barrière étanche entre son travail spontané et sa besogne d’artisan.

On n’insistera jamais assez sur cette barrière qui, sa vie durant, partagea son activité. J’aurai l’occasion d’y revenir plus loin et je n’hésiterai pas à me répéter, tant on découvre ici la clé de sa vie et de son œuvre. Si Jongkind n’avait été que le peintre appliqué des marines, des nuits lunaires et des vues de port, il ne tiendrait pas, dans l’histoire de la peinture moderne, une place beaucoup plus grande qu’un Cals ou qu’un Lépine, parmi les «bons peintres» de paysage de l’équipe réaliste. Mais toute cette partie de son travail qu’il sut accomplir sans effort et presque involontairement, le monceau de notations à l’aquarelle et au crayon qu’il accumula depuis ses premiers pas à l’atelier Schelfhout jusqu’à la veille de sa mort dans le Dauphiné, a sauvé sa mémoire et assuré à son nom l’attention de tous ceux qui cherchent passionnément à pénétrer le mystère de la peinture.

Jongkind doit à cette fringale de mise en notes une méthode de travail qui ne subira aucune modification et qui imprimera à toute son esthétique sa plus heureuse direction. La plupart de ses tableaux, en effet, ne sont que la transposition à tête reposée d’une aquarelle tracée, — en quelques traits et en quelques taches, — «sur le motif». Si, dans ses vues de Hollande, on trouve des compositions plus arbitraires, fabriquées entièrement avec des éléments vraisemblables mais théoriques (le canal, le pont-levis, le moulin et la lune), par contre, tous ses tableaux de Honfleur, de Paris et du Dauphiné sont des transcriptions fidèles d’aquarelles ou de dessins qui, pour la plupart, existent encore. La conséquence d’une telle méthode est facile à apercevoir: une notation, superposant à une armature de traits quelques taches de lavis, synthétise — on pourrait presque dire schématise — le paysage et le réduit à ses éléments principaux. Je sais bien que certaines aquarelles sont très poussées, fouillent sans mièvrerie les détails les plus subtils et décrivent chaque plan avec ses particularités; mais ces aquarelles-là sont relativement peu nombreuses et datent toutes ou presque toutes de la dernière décade de sa vie, quand, pris au jeu, il voulait faire de son aquarelle autre chose qu’un simple document. La plupart du temps, il se contentait de saisir au vol un effet de lumière ou de couleur sur la courbe d’un paysage. Il arrivait, de la sorte, à réduire le spectacle qui l’attirait à une juxtaposition de tons et de traits d’une franchise parfaite.

Quand il entreprenait, dans la suite, de ressusciter sur sa toile le paysage qui l’avait ému, il en retrouvait les notes principales, les centres d’intérêt, c’est-à-dire l’âme, et il ne pouvait plus compter que sur sa mémoire pour reconstituer les détails et la narration. Il fut conduit ainsi à considérer qu’un tableau était fini quand les valeurs y avaient trouvé leur place et y jouaient leur partie. Comme dans ses aquarelles, il s’attacha beaucoup plus à évoquer le paysage qu’à le décrire, et il restreignit ses préoccupations à l’ordonnance, à la mise en page et à l’harmonie de la gamme principale. A l’époque où il adopta une telle esthétique, le paysage était encore enfermé dans les règles d’une stricte calligraphie: il suffit de rappeler ici les marines de Gudin et les compositions très artificielles de Isabey. Parmi celles de ses confrères, les œuvres de Jongkind paraissaient esquissées, et lui-même s’en accuse dans certaines de ses lettres.

Mais il n’y pouvait rien. Son art ne dépendait d’aucune théorie préconçue, d’aucun code impératif. Il était l’expression logique et directe de son tempérament, de sa vision, de la force intérieure et profonde qui l’avait poussé à peindre. Jamais il n’aborda un tableau avec une idée de démonstration ni avec la volonté de réfuter une théorie adverse.

Il ne se rallia jamais à aucune école et n’adopta aucun code. Pourtant la peinture commençait à subir l’assaut des théoriciens et les peintres abordaient l’ère du manifeste et du groupement. Si, en 1863, il participa au célèbre Salon des Refusés, qui fut pour plusieurs des exposants l’antichambre de la gloire, il y alla en pleine indépendance et sans souscrire à un mouvement prolongé. Et jamais il ne consentit à se joindre, chez Durand-Ruel ou ailleurs, aux expositions du groupe dit impressionniste. Il ne semble pas qu’il ait eu des relations personnelles avec Manet. Il ne fut lié avec Monet et Boudin que par une camaraderie assez vague. Et quand Van Gogh mourut, quelques mois avant lui, les deux peintres ne s’étaient jamais rencontrés. Isolé, il le fut jusque dans sa vie: ni compagnons ni élèves. Le premier peintre qui se soit appliqué à étudier son œuvre, à démonter les rouages de sa technique, à analyser ses procédés est Paul Signac, — et Jongkind était mort depuis plus de trente-cinq ans.

La carrière de Jongkind est d’une surprenante unité. Les différences techniques qui séparent les œuvres du début de sa carrière et celles de la fin sont si rares et si peu apparentes qu’il faut les étudier minutieusement pour les déterminer. Certes, la gamme change et la palette s’éclaircit jusqu’aux symphonies de gris argentés; mais la structure et la conception restent analogues. La seule évolution qui soit perceptible vers la fin de sa vie est dans la touche, dans la façon de la poser sur la toile et dans le rôle qui lui est confié. Et cette évolution-là, c’est encore sous l’influence des notations de paysage et d’atmosphère qu’elle se manifeste: on peut dire que les premières applications de la touche divisée qu’on voit apparaître dans les tableaux de Jongkind vers 1875 sont la traduction sur la toile et dans la technique à l’huile des taches juxtaposées de la technique à l’aquarelle. L’homme cherche un moyen de faire vibrer certains tons et des rapports de tons comme il le fait sur son papier en réservant les blancs.

Encore une fois, rien n’est préconçu. Jongkind ne se préoccupe pas d’innover ni de renverser l’enseignement traditionnel des vieux académiciens. Il se contente d’improviser un moyen de traduire sa perception première. Alors que les maîtres impressionnistes veulent restituer, dans toute sa fraîcheur, l’intensité des paysages qui les entourent et se soumettent volontairement à tous les caprices de la nature, Jongkind, pratiquant un art beaucoup plus arbitraire et beaucoup plus subjectif, se contente de fixer les motifs de son émotion picturale, non sans avoir soigneusement choisi ses paysages au point de corriger la nature quand quelque élément lui déplaît.

Il y a de la sorte entre le Hollandais et les peintres qui vont bouleverser les règles de son art une différence essentielle et irréductible. C’est dire que si Jongkind peut logiquement se ranger parmi les précurseurs de l’impressionnisme il ne peut pas, au contraire, jouer ce rôle d’artiste de transition entre le réalisme et l’impressionnisme que la critique lui a trop souvent attribué.

Et d’abord Jongkind ne vient pas du réalisme: il est le frère cadet des maîtres hollandais du XVIIe siècle, «avides de quiétude autant que de vérité », comme l’a dit excellemment Roger Marx, mais qui surent toujours plier la vérité au rythme de leurs sensations et de leurs émotions. Si Vermeer de Delft, si Jan Van Goyen, si W. Van de Velde avaient été des réalistes, la Hollande de leurs tableaux aurait eu les tons minutieux et anecdotiques que les Berckheyde et les Ekels juxtaposèrent sagement sur leurs toiles. Et nous n’aurions jamais su, à travers leurs larges symphonies d’ambre et de brume, que leur pays déchire aux quatre vents l’angoisse d’une lutte séculaire entre les hommes et l’Océan.

Jongkind n’a jamais subi la loi du sujet, le prestige du «motif», la volonté de la nature. Même dans ses œuvres les plus mercantiles, fabriquées pour obtenir la faveur des amateurs, il transpose, crée, bouscule la réalité.

Et parallèlement, il ne conduit pas à l’impressionnisme. J’ai dit comment, cherchant leur bien de-ci de-là, les théoriciens de la nouvelle école relevèrent avec raison, tels un enseignement et une porte ouverte sur l’avenir, certaines de ses interprétations, quelques-uns de ses moyens techniques d’expression. Mais les impressionnistes orthodoxes eussent été suffoqués de surprise et d’indignation à l’idée de peindre dans un atelier dauphinois des paysages de Hollande, vingt ans après avoir quitté ce pays. Et le procédé même de Jongkind, notant d’abord à l’aquarelle le schéma d’un tableau qu’il réalise ensuite dans la lumière banale et conventionnelle d’une chambre fermée, heurtait de front leurs théories les plus chères, les plus sévères, les plus impératives.

C’est par l’examen de leurs défauts qu’on aperçoit l’orientation divergente des peintres. On peut en faire ici une expérience nouvelle; tandis que les impressionnistes ont fini par enfouir leur art dans la monotonie du procédé qui les avait conquis, Jongkind lasse par la monotonie de ses sujets. Je ne parle pas de ses aquarelles, encore qu’elles n’échappent pas elles-mêmes à une mise en page panoramique, avec une armature de lignes fuyantes s’appuyant sur des verticales. Mais ses tableaux, où pourtant, comme l’a dit Paul Signac, «jamais la sensibilité ne cède à l’adresse», enferment toujours un effet très composé dans une gaîne d’éléments identiques. Alors, si parfaits que soient ceux-ci, si harmonieux que soient leur rapport et leur ordonnance, si habile que soit l’émotion dont ils se prévalent, on finit par découvrir chez Jongkind une mentalité de peintre très spécialisé, — comme la Hollande en connut à toutes les époques et jusqu’à la récente école de La Haye, où Mauve et les Maris surent hausser leur réputation au pinacle, — mais aussi très indifférent.

Le mensonge de la carrière du peintre se révèle à nouveau quand on l’examine sous cet angle nouveau; divorce entre ses œuvres libres et spontanées et ses toiles commercialisées. J’ai dit qu’on y revient toujours comme à un carrefour essentiel de sa destinée. Il est certain que l’atavisme du fonctionnaire et du petit bourgeois hollandais se retrouve en lui, et qu’à l’heure où sa vie devint d’une banalité sans espoir et, en tout cas, sans exemple, il n’en souffrit nullement. Malgré les orages de sa jeunesse, malgré les vices dont il fut l’esclave, malgré ses pauvres loufoqueries, Jongkind est un stable. Il apporte dans les situations les plus inattendues et par certains côtés les plus ahurissantes, comme l’aventure du ménage Fesser, une imperturbable sérénité, une absence de passion qui surprend et qui déconcerte. Non seulement il n’est pas dévoré, dans sa vie morale, par le feu intérieur qui consume Van Gogh, mais dans le domaine même de son art il ignore l’inquiétude de Cézanne, la volonté de conquête de Delacroix, — voire même le pauvre panache de théâtre dont son maître Isabey était si fier.

Mais quand il parcourait les campagnes de France et de Hollande, il ouvrait sur tous les spectacles de la vie un œil d’enfant toujours émerveillé et toujours heureux. Et grâce à cette tendresse infinie, il sut renouveler, dans la peinture contemporaine, la notion même de la sincérité.

J. B. Jongkind

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