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CHAPITRE III
LES RAPIDES DE l'OUBANGHI.

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Table des matières

L'Oubanghi, principal affluent de la rive droite du Congo, indique, sur une distance d'environ 1.000 kilomètres, la ligne séparative des possessions françaises et belges.

Sa direction générale, en le prenant à partir de son confluent, est d'abord franchement du Sud au Nord, jusqu'à la station de Bangui. En ce point, la rivière s'infléchit brusquement à l'Est.

Jusque-là, la mission ne rencontra pas de difficultés.

La rivière était large, les eaux hautes et la flottille filait rapidement.

Elle franchit ainsi les postes ou les villages de Youmbé, Libembé, Gobé et Béki.

On remarquera que la consonnance se retrouve dans tous ces noms.

Et l'on ne s'en étonnera pas en apprenant que cette syllabe signifie dans la langue du pays: agglomération ou endroit habité. Bangui, qui semble faire exception à la règle, n'est qu'une contraction des deux mots Bé Angui.

A Bangui, une halte s'imposait.

En amont de cette localité, en effet, commencent les rapides de la rivière.

C'est une série de passages resserrés, entrecoupés de chutes, qui dressent un obstacle insurmontable entre les biefs inférieur et supérieur du cours d'eau.

Obstacle qui ne surprit pas le commandant Marchand, car il était connu, prévu et étudié depuis longtemps.

Il savait qu'à Bangui, il faudrait transporter les embarcations par terre jusqu'au delà des rapides.

C'était une perte de temps considérable, il est vrai, car les vapeurs et chalands devaient être démontés, tirés à terre, et plus tard remontés; mais, en somme, ce travail s'exécuterait dans de bonnes conditions et à proximité d'un centre populeux, qui fournirait, en hommes et en matériaux, tout ce qui serait nécessaire pour le transport de la flottille.

Enfin on était dans la saison sèche, presque aussi chaude que celle de l'hivernage, mais qui paraît beaucoup plus fraîche, parce que l'humidité a disparu et que par suite la tension électrique est moindre.

Il est à remarquer, en effet, que les Européens supportent parfaitement la chaleur sèche.

L'anémie et la fièvre ne les atteignent réellement que durant la saison humide et orageuse appelée hivernage.

Tout se passa d'abord comme l'avait prévu le commandant.

Tandis que le gros de l'expédition procédait au démontage des embarcations, une section reconnaissait la route de terre.

La route.... un sentier à peine indiqué, côtoyant la rivière à travers la forêt tropicale, inextricable, que désormais les explorateurs devaient rencontrer partout jusqu'aux environs de Tambourah.

Ces éclaireurs se firent pionniers.

Ils abattaient les buissons, les arbres même qui eussent pu arrêter la marche des porteurs.

Bref, après huit journées d'attente, ils rejoignirent leurs compagnons campés autour de Bangui et annoncèrent que le passage était libre.

Le commandant décida que l'on se mettrait en route dès le lendemain.

Il veilla lui-même à ce que tout fût prêt et, le soir, il s'assura que les tirailleurs et les porteurs s'endormaient de bonne heure.

Les noirs sont, en effet, de grands enfants; il faut les surveiller sans cesse, sous peine de les voir se livrer aux danses et aux libations exagérées, la veille d'une marche fatigante.

On devine le résultat d'une pareille préparation.

Les hommes sont sans vigueur à l'heure précise où ils en auraient le plus grand besoin.

La nuit s'écoula sans incident.

Au jour, le clairon réveilla les dormeurs.

Ce fut aussitôt, dans le campement, une agitation de fourmilière.

Rien n'était pittoresque comme le départ de la colonne formée comme celle de la mission.

Les porteurs Beduyrios se rassemblaient autour de leurs charges et chantaient une mélopée barbare où ils célébraient le soleil.

Auprès d'eux, les Fayoudas soufflent dans des cornes de buffle dont ils tirent des sons lamentables.

Les Beggars dansent une sorte de pas sacré, avec accompagnement de cris aigus.

Plus loin les tirailleurs musulmans, tournés vers l'Est, accomplissent les génuflexions et prières prescrites par le Coran.

Tandis que les catholiques, à demi instruits par nos missionnaires, psalmodient en commun un Pater Noster étrange, peuplé de variantes dans le genre de celle-ci:

—Toi bon Dieu, le père des noirs.

Car dans leur conception naïve de la religion, les Africains expliquent ainsi la Trinité:

Le Père est l'ancêtre des blancs.

Le Fils est celui des noirs.

Quant au Saint-Esprit, il s'occupe spécialement des métis.

Après les diverses cérémonies que nous dépeignons succinctement, tous les nègres, musulmans, chrétiens ou autres, éprouvent le besoin de «calmer la jalousie de leurs anciens fétiches».

Tous prennent les amulettes, grigris et autres pendeloques, qui brimballent sur leur poitrine, soutenus par une ficelle.

Ils les regardent avec force grimaces, les approchent de leurs lèvres, leur parlent à voix basse, les portent à leurs oreilles, semblant écouter une réponse imaginaire des mystérieux talismans, vendus fort cher dans les tribus par les sorciers ou les griots troubadours.

Cette dernière opération achevée, les tirailleurs s'alignent devant les faisceaux, les porteurs assujettissent leurs charges sur leurs épaules.

On peut partir.

Un clairon donne un «coup de langue».

—En avant... marche, commandent les officiers.

Les sergents répètent:

—En avant... marche!

Et la colonne s'ébranle.

Un dernier regard à Bangui, puis, ainsi qu'un long serpent, la file d'hommes s'enfonce dans la forêt.

Il fait sombre ici.

La voûte épaisse de feuillage ne laisse passer qu'une lumière vague.

On avance dans une buée grisâtre.

Le grand silence du bois impressionne les noirs. Eux aussi se taisent, l'esprit hanté par les histoires d'esprits malfaisants, au visage de gorille, aux ailes de chauve-souris, dont ces grands enfants s'effraient mutuellement, pendant les jours d'hivernage.

Parfois un froissement se fait entendre sur les flancs de la colonne.

Les grands explorateurs: La Mission Marchand (Congo-Nil)

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