Читать книгу Poésies religieuses - Paul Verlaine - Страница 4

PRÉFACE
DE
J.-K. HUŸSMANS

Оглавление

Table des matières

Mon intention n'est pas, en ces quelques pages, de parler, au point de vue littéraire, de l'œuvre de Verlaine. Cette étude a été mainte fois faite et, moi-même, il y a bien longtemps, en 1884, dans «A Rebours», alors que personne ne se souciait de l'écrivain disparu dans une tourmente, j'ai noté et tâché d'expliquer l'œuvre singulière de cet homme qui, après Victor Hugo, Baudelaire et Leconte de Lisle, est un de ceux dont l'influence fut la plus décisive sur la génération des poètes de notre temps.

Aujourd'hui, à propos de ce recueil de vers exclusivement religieux, extraits des volumes de «Sagesse», d'«Amour», de «Bonheur», de «Liturgies intimes» auxquels sont jointes quelques pièces posthumes, je voudrais simplement m'occuper de Verlaine, au point de vue catholique, essayer de dissiper le malentendu qui existe entre lui et les fidèles restés défiants pour sa personne et pour ses livres, faire comprendre, si cela était possible, qu'il ne fut pas l'impénitent pécheur qu'ils présument, affirmer enfin que l'Église a eu en lui le plus grand poète dont elle se puisse enorgueillir, depuis le Moyen-Age.

Unique, en effet, à travers les siècles, il a retrouvé ces accents d'humilité et de candeur, ces prières dolentes et transies, ces allégresses de petit enfant, oubliés depuis ce retour à l'orgueil du paganisme que fut la Renaissance.

Et cette ingénuité presque populaire, cette contrition si vraiment touchante, il les a traduites dans une langue étrangement évocatrice, avec ses détours et ses ellipses, une langue très peu compliquée et très bistournée, à la fois, usant de rythmes nouveaux ou rajeunis, achevant, après Victor Hugo et de Banville, de rompre les anciens gaufriers de la métrique, pour y substituer des moules d'une forme très particulière, des estampes très spéciales, aux touches à peine appuyées, aux empreintes tout juste perçues.

Parti, de ses premiers essais, de Baudelaire et de Leconte de Lisle, en quelques poèmes de Banville et, pour l'expression un peu mièvre de certaines doléances de sentiments humains, de Mme Desbordes-Valmore qu'il admirait peut-être plus que de raison, Verlaine n'avait pas tardé à secouer l'inévitable joug des débuts et sa personnalité s'était résolument attestée «lorsqu'il avait su exprimer de délicieuses confidences, à mi-voix, au crépuscule; seul, il avait su laisser deviner certains au-delà troublants d'âme, des chuchotements si bas de pensées, des aveux murmurés, si interrompus que l'oreille qui les percevait demeurait hésitante, coulant à l'âme des langueurs avivées par le mystère de ce souffle plus deviné que senti».

Et je citais en exemple, à la suite de ces lignes d'«A Rebours», une strophe célèbre maintenant des «Fêtes galantes». L'on pourrait y ajouter le sonnet des «Poèmes saturniens» «mon Rêve familier» dont le tercet final est une décisive merveille:

Son regard est pareil au regard des statues

Et pour sa voix lointaine et calme et grave, elle a

L'inflexion des voix chères qui se sont tues.

Mais il n'a point usé que dans ses pièces profanes de ce mode d'enchantement; nous le retrouvons dans «Sagesse», au cours même des vers compris dans le présent volume.

Et l'air a l'air d'être un soupir d'automne

Tant il fait doux par ce soir monotone

Où se dorlote un paysage lent.

Et ceux-ci encore:

C'est vers le Moyen-Age énorme et délicat

Qu'il faudrait que mon âme en panne naviguât

Loin de nos jours d'esprit charnel et de chair triste.

Ne dégagent-ils pas les derniers vers de ces deux tercets une sorte de langoureuse consomption et de mélancolique vertige qui agit de même qu'une incantation dont l'occulte sortilège nous échappe? Évidemment, Verlaine est de tous les poètes celui qui est allé jusqu'aux extrêmes confins de la poésie, là où elle s'évapore et où l'art de la musique commence.

Victor Hugo, Théophile Gautier, Leconte de Lisle, de Banville, pour en citer quatre, se sont avancés, eux, jusqu'aux limites de la littérature et ont atteint la frontière de la peinture. Leurs mots peignent, suggèrent, mieux peut-être que les couleurs matérielles des peintres, les teintes et les lignes. Verlaine par une autre route a rejoint les douaires de l'art musical qui, plus éloquent par la force de son expression, pour traduire les cris de la douleur et de la joie, de l'admiration et de la crainte, est aussi, à cause même de ses contours imprécis et flottants, plus apte que la poésie à exprimer les sensations confuses de l'âme, ses vagues appétences, ses fugaces aises, ses subtils tourments.

La personnalité de Verlaine était entière déjà dans ses premiers livres; il l'a gardée intacte après sa conversion; il a mis au service de son repentir cette forme acquise et qui était toute prête et plus appropriée que toute autre pour narrer les attendrissantes douceurs des Retours et il a pu présenter ainsi à Celui qui pardonne un bouquet de fleurs mystiques d'un tel arôme qu'il faut, pour en découvrir un autre aussi délicieusement odorant, remonter au temps de François Villon et aussi de Gaston Phœbus, de ce comte de Foix dont les prières sont de si familières excuses et de si touchantes plaintes.

Je n'ai pas à raconter ici la vie de Verlaine; il l'a décrite, en partie, lui-même, dans le verbiage d'une prose plus incorrecte encore que badine; il suffit de noter que dans l'une des plus sinistres crises de son existence, il se convertit.

Cette conversion qui eut lieu, pendant sa détention à la prison de Mons, il l'a relatée dans un volume intitulé «Mes Prisons».

«Jésus, dit-il, comment vous y prîtes-vous pour me prendre? ah!

«Un matin, le bon directeur lui-même entra dans ma cellule:

«Mon pauvre ami, me dit-il, je vous apporte un mauvais message; du courage, lisez.

C'était un jugement de séparation de corps et de biens prononcé contre lui en faveur de sa femme par le tribunal civil de la Seine.

Et Verlaine ajoute:

«Je tombai en larmes, sur mon pauvre dos, sur mon pauvre lit.»

Et, en une sorte de coup de fouet, la première stupeur passée, il se prosternait aux pieds du crucifix et, avec l'aide d'un brave prêtre, l'aumônier de la maison qui le confessa, il renversa de fond en comble sa vie.

C'est alors qu'il écrivit «Sagesse».

Sa peine d'emprisonnement purgée, il quitta la Belgique et revint en France. Le public ne le connaissait guère.—Personne ne se douta qu'une librairie catholique venait de faire paraître ce livre admirable, né dans une prison. «Sagesse» fut à peine mis en vente, si toutefois il le fut; son titre ne fut même pas inscrit sur les catalogues de la pieuse librairie qui se borna à mettre simplement sur la couverture sa marque et son nom. Puis, peu à peu ce recueil s'insinua dans le monde des lettres et fut lu par les profanes; les catholiques continuèrent de l'ignorer et lorsque, plus tard, quelques-uns s'aventurèrent à le lire, les bruits les plus fâcheux couraient sur le compte du malheureux poète. On parlait d'ivrognerie, de fréquentations inavouables, de séjours dans des hôtels louches, de stages dans les hôpitaux; il n'en fallut pas davantage pour faire nier l'authenticité d'une conversion très réelle, pourtant, n'en déplaise à cette atrabilaire ganache du nom de Doumic qui ne veut y voir «qu'une forme de l'énervement, qu'un cas de sensualité triste».

Pourquoi ne pas le dire, la situation d'outlaw de Verlaine dans le monde des croyants qui ne l'a pas lu, dure encore. J'ai entendu de braves gens déplorer même que l'on osât s'entretenir de poésie religieuse à propos d'un homme qu'une autre acariâtre mazette, un sieur Mordau, médecin juif et monomane de la folie, représentait «comme un effrayant dégénéré au crâne asymétrique et au visage mongoloïde, un vagabond impulsif et un dipsomane qui a subi la prison pour un égarement érotique, un rêveur émotif, débile d'esprit, qui lutte douloureusement contre ses mauvais instincts et trouve dans sa détresse parfois des accents de plaintes touchantes, un mystique, dont la conscience fumeuse est parcourue de représentations de Dieu et de ses saints, un radoteur dont le langage incohérent, les expressions sans signification et les images bizarres révèlent l'absence de toute idée nette dans l'esprit».

Dans ce portrait où le médicastre allemand assouvit surtout sa haine contre les mystiques qu'il traite «d'ennemis de la Société de la pire espèce», il ressort malgré tout cette vérité que «Verlaine lutta douloureusement contre ses mauvais instincts». Oui, il a lutté; il a été, la plupart du temps, vaincu; et après? quel est le catholique qui se croirait le droit de lui jeter la première pierre?

Et c'est à cela que j'en voulais venir, pour tâcher d'expliquer la bonne foi du poète et les difficultés matérielles qui surgirent lorsqu'il désira s'évader de cette geôle de vices qui le détint jusqu'à sa mort.

Verlaine, nous l'avons dit, s'est converti sous le coup d'une implacable souffrance; c'est un des moyens dont Dieu se sert le plus souvent pour ramener à lui les âmes. «La bonne souffrance», elle a été célébrée en de très émouvantes pages par un autre bon poète, François Coppée qui s'est, lui aussi, converti sous l'empreinte de la douleur, après une autre vie, par exemple!

La conversion de Verlaine fut donc entière. Il vécut alors dans sa cellule l'existence nouvelle des péchés déliés par le repentir et absous par le pardon; il ne fut plus le prisonnier mécontent des hommes mais le captif énamouré de Dieu; il éprouva les douceurs de cet été de la Saint-Martin de l'âme que le Seigneur réserve à la vieillesse rajeunie des siens; ce furent, pendant des semaines, des effusions de prières, des joies mouillées de larmes; comme tous les convertis, il fut gâté par la Vierge, roulé dans des langes de tendresse; il eut une avance d'hoirie sur les allégresses du ciel et il finit par juger la peine de sa détention trop courte. Aussi peut-on affirmer que sa résolution de vivre désormais honnêtement fut sincère.

Cette résolution, il l'a mal tenue, mais ses rechutes se comprennent pour peu que l'on veuille y réfléchir.

Personne ne fut plus mal armé que lui pour la lutte. Il était un grand enfant dont les accès de volonté ne duraient point. Il était, avec cela, jusqu'à un certain point, inconscient, lorsqu'il avait bu; c'est là, disons-le, la véritable cause de ses malheurs; il était épris des vertiges que suscite l'ingestion de cette sorte d'eau de bain de Barèges anisé, qui s'appelle l'absinthe; elle décageait, en lui, hélas! une bête malfaisante livrée sans défense à l'Esprit du Mal. Il le déplorait, se jurait de ne plus reboire et il rebuvait. Il n'eût pas certainement commis à jeun ces excès qui éloignèrent justement de lui sa femme et légitimèrent sa villégiature dans une maison de force. Pauvre Verlaine! en une page où il remâche les herbes amères du passé, il s'écrie: «cette absinthe, quelle horreur! quand j'y pense d'alors… et d'un depuis qui n'est pas loin, assez loin pour ma dignité, pour ma santé, pour ma dignité, pourtant plus encore, quand j'y pense vraiment!»

Il est évidemment facile pour les gens sobres de déclarer que l'on peut se guérir de cette maladie. Cela est possible, mais alors il aurait fallu que Verlaine vécût dans un autre milieu et cela, il ne le pouvait pas.

Si vous envisagez, en effet, sans parti-pris, sa situation, vous reconnaîtrez qu'il lui était bien malaisé de sortir de l'impasse où la misère l'avait acculé.

Il n'avait aucune fortune et était incapable de gagner son pain avec sa plume. Si beaux qu'ils soient, les volumes de vers n'alimentent point, à de rares exceptions près, leurs auteurs. Il écrivait, d'autre part, assez mal en prose et n'était nullement journaliste. Il ne pouvait donc songer à s'assurer la pâtée et le gîte, en plaçant des articles.

Il fallait alors, direz-vous, qu'il fît comme tant d'autres, qu'il exerçât une profession plus ou moins lucrative pour subvenir à ses besoins? Eh! il a donné, après son retour de Belgique, des leçons! mais ce morne négoce fut bientôt arrêté par l'état précaire de ses jambes. Ravagé par les rhumatismes, il claudiquait, se traînait sur une canne, restait, pendant des mois, étendu sur le dos, n'avait en dernière ressource que l'hôpital, lorsque ses infirmités s'aggravaient trop.

La misère, d'autre part, l'obligeait à loger dans des hôtels indignes et à subir des promiscuités dont il devait presque se montrer reconnaissant. Les filles du peuple, si tombées qu'elles puissent être, ont très souvent bon cœur. Ses voisines de chambre prirent sans doute parfois pitié de cet impotent et, entre deux promenades, s'installèrent chez lui pour qu'il s'ennuyât moins. Il en était de même des bohêmes désœuvrés du quartier latin. Fiers de fréquenter un homme dont le nom était connu, ils tuaient le temps près de son lit; et c'étaient des prétextes à boire, encouragés peut-être par le crédit des tenanciers de ces sortes de bouges dont le bas est d'habitude occupé par un comptoir où se débitent des verres de folie liquide pour quelques sous.

Comment le malheureux eût-il fait pour se soustraire à ces jougs quasi charitables et comment, une fois sur pieds, eût-il pu repousser l'amitié de gens qui lui avaient rendu de petits services, alors qu'il était alité, dans l'impossibilité de se remuer?

Ses traverses viennent aussi de là; la tentation alcoolique et charnelle était trop proche, trop continue, pour qu'il n'y cédât point.

Il eût fallu l'arracher de ces guêpiers, mais on l'y rencontrait rarement seul et il était difficile de lui montrer sa déchéance dans ce milieu de ribotes dont le contact suggérait aussitôt, si peu bégueule que l'on fût, une idée de fuite. Quelques amis plus sûrs tâchèrent cependant de le sauver, mais ils furent assourdis par l'antienne sans cesse répétée des brindes; et, d'ailleurs, on doit l'avouer, sous la pression des vapeurs de l'absinthe, Verlaine était indocile et buté; non, ce qu'il eût fallu, c'eût été de trouver un prêtre, embrasé par l'amour des âmes, qui pût prendre de l'influence sur lui et l'accueillir, comme la brebis perdue, lorsque, ayant recouvré la raison et las de lui-même, il s'acheminait en boitant vers l'Église. Dieu ne lui a pas dispensé ce prêtre…

Et puis… et puis… le goût de la solitude qui l'aurait pu préserver de ces hontes, est rare même chez ceux dont l'existence est, et réglée et douce. C'est une chose bien frappante que de voir, chez les artistes surtout, combien peu peuvent rester seuls avec eux-mêmes dans une chambre. Le besoin de causer, de se divertir les obsède à un tel point qu'ils préfèrent la compagnie du premier venu au silence de l'isolement. Un peu de vanité aussi, sans doute, s'en mêle, le désir de briller entre confrères et d'étonner, le prétexte même, parfois plausible, de faire jaillir des idées et des expressions, en vue d'un travail à entreprendre, dans le ferraillement des controverses et l'escrime des mots.

Mais la solitude, excellente pour quelques-uns, est, il sied de l'ajouter, pernicieuse pour beaucoup d'autres. L'aurait-elle été pour Verlaine? il le croyait; dans un de ses livres, il l'invective, déclarant «qu'elle porte malheur et est, par précellence, mauvaise, détestable, abominable conseillère».

Elle ne l'eût pas plus mal conseillé, en tout cas, que ce genre de monde qui l'entourait et au café et au lit!

Mais d'abord, nous l'avons expliqué, l'isolement dans un hôtel était—qu'il lui plût ou non—impossible; dans les garnis de bas étage où les infirmités vous clouent, dans la misère qui vous oblige à des crédits et à des emprunts, l'on subit plus sa destinée qu'on ne la fait.

Telle fut sa situation. Je n'ai pas à excuser ses passions maladives, j'ai à dire simplement—puisque ce volume s'adresse exclusivement aux catholiques—que le pauvre Verlaine fut plus à plaindre qu'à vitupérer. Il fut d'autant plus à plaindre qu'il avait des réveils de conscience, des remords, qu'il souffrait de cette existence à jamais gâchée. Ah! soyez assurés qu'il n'était point, dans ses moments lucides, altier et céruléen! il pleurait de dégoût sur lui-même; peut-être même buvait-il alors, comme tant d'autres, pour oublier.

Il ne se reprenait vraiment qu'en prison ou à l'hôpital; là il était bridé; c'est dans ces géhennes qu'il a composé ses poèmes mystiques; et l'on en arrive à regretter—et pour lui et pour nous—qu'il n'ait pas été plus souvent séquestré; mais voilà un souhait dont il nous eût été, de son vivant, peu reconnaissant, je suppose.

Les catholiques savent maintenant à quoi s'en tenir. Ils ont affaire à un homme plus malheureux que coupable et qui mérite toute leur pitié. Il fut un peu, de même que Villon, le faune des mauvais gîtes, mais, ainsi que lui, il eut la foi et il a magnifiquement chanté le Refuge des pécheurs, la Vierge.

Je ne veux plus penser qu'à ma Mère Marie,

Siège de la sagesse et source des pardons.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Marie immaculée, amour essentiel,

Logique de la foi cordiale et vivace,

En vous aimant, qu'est-il de bon que je ne fasse,

En vous aimant du seul amour, Porte du ciel?

Et encore:

Marie, ayez pitié de moi qui ne vaux rien.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ah! vous aimer, n'aimer Dieu que par vous, ne tendre

A Lui qu'en vous, sans plus aucun détour subtil

Et mourir avec vous tout près. Ainsi soit-il!

Mais, à quoi bon citer des fragments? ces pièces figurent au complet dans ce volume et jamais de plus touchantes louanges n'ont été tressées à la gloire de Celle qui prépare les voies et remet les âmes à la fois lénifiées et éplorées, entre les mains de son Fils.

Elle fut généreuse pour lui et il lui demeura fidèle. Toutes ses chutes ne l'empêchèrent pas de la prier; et, en vérité, ce sont de splendides gerbes de prières que ces poésies d'humilité, que ces chants d'amour, bondis d'une âme où, en dépit de tant de fautes, le Seigneur s'est plu.

Et cela se conçoit. Jésus n'avait-il pas fait, de cette âme débile, une âme prédestinée, une âme d'élection; ne lui avait-il pas départi le don superbe de la poésie, car Verlaine ne fut pas, comme tant de grimauds de nos jours, un versificateur plus ou moins adroit mais bien un vrai et un grand poète. Et, à ce propos, une réflexion étrange, désagréable même, si l'on veut, s'impose. Il semble que les seuls gens de talent qui existent parmi les catholiques, soient des convertis, à commencer par Châteaubriand et par Veuillot. Il est à remarquer aussi que tous ceux qui ont utilement défendu l'Église et sa politique, n'ont pas été élevés par elle. Lacordaire, de Montalembert, de Falloux, de Broglie, Hello, Coppée, Drumont, Brunetière, sont tous sortis de l'Université, pas un seul des écoles cléricales. Mais alors cette impuissance des disciples des congréganistes à quoi tient-elle?

Elle tient, je présume, à l'esprit étroit, au bégueulisme fou, à la crainte des idées, à la panique des mots; on leur cache tout de la vie et on les apeure avant de les lancer dans la mêlée. Ils ont, avec cela, le sentiment religieux amorti par l'accoutumance; ils perdent les forces Eucharistiques par l'abus qu'ils en font; ils ne croient plus que par routine et, pris de scrupules, à la pensée de se défendre, ils se terrent, n'osant bouger, de peur de pécher contre la charité ou de perdre leur reste de foi; ou bien alors, ils sautent d'un extrême à l'autre, se révoltent et n'ont plus qu'un but, se venger sur leurs maîtres de la compression qu'ils ont, pendant toute leur jeunesse, subie.

Si nous nous plaçons, au point de vue plus particulier de l'art, nous pouvons convenir qu'il est à peu près impossible à des hommes disciplinés de la sorte de dégager le talent dont ils pourraient être nantis, de sa bulbe. Le talent a besoin pour jaillir de stimulants; il a besoin aussi pour pousser de grand air. C'est en lisant et en regardant autour de soi, sans baisser continuellement les yeux, que l'on se façonne des idées et que l'on acquiert une forme. Il est donc indispensable d'étudier au moins le style des auteurs profanes, puisqu'ils sont les seuls qui en aient un; les autres ignorent la moitié des mots de la langue française et ils en sont encore à rabâcher l'idiome épuisé et corrompu par les redites, du XVIIe siècle.

L'Église n'a, par conséquent, en fait d'artistes, que ceux qui viennent à elle, équipés de toutes pièces et qui mettent les armes dont ils ont appris à se servir dans le camp opposé, à son service. Il faut avoir vécu pour pouvoir écrire. Mais alors, le talent serait le fruit du péché? je veux m'efforcer de ne point le croire; mais si nous admettions, pour une minute, la véracité de cette hypothèse, quelle miséricorde et quelle indulgence devraient avoir les catholiques pour ces pauvres convertis auxquels Dieu a réparti de si périlleux dons!

Pour être juste, il sied de convenir qu'à l'heure actuelle, un souffle de liberté et de franchise a quand même pénétré dans les écoles congréganistes et dans les séminaires. Nombre de jeunes gens refusent de se laisser crever littérairement les yeux et ils n'en sont plus, pour étancher leur soif de poésie religieuse, à tourner le robinet des eaux tièdes de Lamartine; j'en sais qui lisent avec délices les œuvres mystiques de Verlaine.

Dans la tempête rationaliste si maladroitement déchaînée sur ces pieux asiles, ces lectures ne peuvent être que roboratives et salutaires, car elles effluent, à pleines pages, la bonne simplesse et la foi.

Des pièces admirables, telles que cette série de sonnets dans lesquels le poète raconte les entretiens de l'âme avec Dieu, raffermiraient vraiment les ferveurs ébranlées et c'est pourquoi nous croyons accomplir une bonne œuvre en éditant ce livre.

C'était, il y a bien longtemps déjà, le souhait du P. Pacheu qui, dans un volume intitulé «de Dante à Verlaine», avait pris courageusement la défense de l'artiste, alors qu'il était honni par le clan impeccable, comme on sait, des catholiques.

Demandant un recueil des poésies religieuses de Verlaine, il disait: «Cette meilleure part de lui-même, cette chapelle offusquée par des masures mal famées, il faut la dégager de ses entours, pour la sauver de l'oubli».

Ainsi fut fait.

Verlaine est maintenant mort, il a trépassé chrétiennement, avec l'aide d'un prêtre. Les croyants auxquels nous offrons cet unique eucologe de prières modernes, n'ont plus qu'à profiter de ses péchés, car s'il ne les avait pas commis, il n'aurait point écrit dans les larmes les plus beaux poèmes de repentir et les plus belles suppliques rimées qui existent.

Ils seraient ingrats s'ils ne priaient pour le pauvre poète, qui, après avoir souffert pour leur bien, en somme, leur apporte, en ces temps découragés, un si cordial réconfort.

J. K. Huysmans.

Poésies religieuses

Подняться наверх